Un humoriste prétend qu’à un certain âge et près un certain volume de publications, un auteur n’a plus que le choix de se répéter ou de se contredire.
La répétition paraissant moins inquiétante quant au niveau de mental de l’intéressé que la contradiction (au moins involontaire car on a toujours le droit, si ce n’est le devoir, de changer d’avis dès qu’on le croit utile et qu’on en est conscient), on nous pardonnera de revenir sur des propos déjà tenus ici quant au terrorisme parce que les circonstances y sont, hélas, revenues.
On a connu le cas de jeunes filles de bonnes familles au casier judiciaire vierge qui, étant «tombées en amour» pour un islamiste radical ou convaincues par la propagande islamiste qu’elles trouveraient en zones de combat le prince charmant, se sont radicalisées. Elles l’ont toutes fait en partant vers les lieux de guerre en Syrie et en Irak sur la promesse séduisante et évidemment trompeuse d’aller se livrer à des actions humanitaires. Certaines y ont laissé la vie et toutes, d’une façon ou d’une autre, leur vie.
Mais en dehors de ces cas particuliers, toutes les manifestations de terrorisme pratiquées sur le sol national, qu’il s’agisse d’attentats construits ou d’initiatives personnelles, l’ont été par des gens qui, même s’ils étaient inconnus des services de sécurité, qui, à tort ou à raison, ne les avaient pas identifiés comme radicalisés, étaient bien connus des services de police et de justice pour avoir déjà commis des infractions de violence.
On nous dira qu’étant donné qu’il est déjà impossible de surveiller toutes les personnes fichées S, il n’est pas envisageable de surveiller toutes les personnes déjà condamnées pour des infractions de droit commun, même violentes et qui sont sorties du système pénal. C’est bien évident mais là n’est pas la question.
La question est de se décider, enfin, à avoir une politique pénale rationnelle qui distingue, quant au régime appliqué à l’ensemble des infractions, les infractions de violence et les autres, les autres n’ayant, entre autres choses (et ce n’est évidemment pas la seule raison), jamais produit de terroristes. L’idée serait de faire que globalement tous les auteurs des infractions de violence se voient appliquer un système pénal plus sévère que les auteurs des autres infractions, voire (c’est au moins mon avis) être les seuls à relever de l’emprisonnement mais vraiment de l’emprisonnement.
Comme je vois arriver tout de suite les commentaires m’accusant de promouvoir une justice de classe, de favoriser les « cols blancs », de vouloir mettre à l’abri les salauds privilégiés qui abusent d’un système qu’ils ont eux-mêmes mis en place dans leur propre intérêt, etc… etc.. Je vais être obligée d’ouvrir une longue parenthèse pour mettre les points sur les i. Il ne s’agit nullement de considérer comme normale, la corruption, la concussion ou la fraude fiscale. Mais on peut d’abord constater, sur le principe, qu’elles ne tuent et ne blessent personne ce qui fait une grosse différence entre elles et les infractions de violence dès lors qu’on a des valeurs aux termes desquelles on préfère mettre en avant l’homme que l’argent. Mais on peut surtout constater qu’on peut très facilement traiter ces infractions avec un régime qui soit, pour les intéressés, infiniment plus punitif que le système actuel qui mélange tout, même si les peines choisies sont théoriquement moins graves que celles des infractions violentes. La première idée est de faire qu’enfin, le crime ne paie plus en imposant une sanction obligatoire et de mise en œuvre procédurale simple, aboutissant à la privation intégrale et systématique du bénéfice de toute infraction de lucre, que le butin soit retrouvé ou pas, quel que soit l’état dans lequel il est retrouvé et qu’il y ait ou non des victimes pour le réclamer. La seconde est de privilégier, pour le surplus, un autre arsenal de peines que l’emprisonnement avec toute une série de possibilités dont des peines d’interdiction professionnelles longues et de véritables travaux dans l’intérêt général ne consistant pas en quelques heures de bricolage mais éventuellement en plusieurs années de gestion d’organismes humanitaires ou de secours assorties des mesures de contrôle qui conviendraient.
Cela étant dit et la parenthèse étant refermée, revenons à nos terroristes ou futurs terroristes.
Tous avaient donc déjà commis des infractions de violence et se retrouvaient en liberté au résultat soit de peines dérisoires prononcées pour des faits qui paraissent très graves, soit d’un système d’exécution des peines (que certains mauvais esprits continuent à appeler, pas tout à fait à tort, d’inexécution des peines) qui fait fondre les peines prononcées comme neige au soleil.
Raisonnons simplement sur le cas de Lahouaiej Bouhlel d’après les bribes qu’on nous distille. Avouons avoir été profondément agacée par la ritournelle qu’on avait déjà entendue pour tous les autres terroristes dans le même cas et qui a été reprise ici par tous les médias et hélas par beaucoup d’hommes politiques, même critiquant le système, selon laquelle Lahouaiej Bouhlel était un « petit délinquant » déjà condamné pour de « petits délits ». Il est totalement aberrant de considérer que la commission, surtout à répétition, de faits de violence, laisse son auteur dans la catégorie des « petits » délinquants. Dès lors qu’on utilise la violence il est quasiment impossible d’en prévoir, à l’avance, le résultat et ce n’est que si la victime et, par ricochet l’auteur des faits, ont de la chance qu’on demeure dans l’ordre des délits, car on pourrait tout aussi bien déraper sur le crime sans que ni l’un ni l’autre aient quoique ce soit de plus à faire.
Il semble que Lahouaiej Bouhlel avait déjà commis trois infractions de violence depuis 2010. Il était donc probablement en état de récidive, ce qui n’est cependant pas certain compte tenu de la complexité du système qui devrait, au moins pour les infractions de violence être simplifié en les assimilant toutes de façon à rendre la récidive automatique même en matière de délit. Mais en admettant qu’il n’ait pas été en état de récidive, il était, au moins en état de réitération d’infractions lors de son dernier jugement. Il a été condamné pour avoir blessé une personne qui lui demandait de déplacer son camion de livraison qui gênait la circulation en lui jetant une palette de bois sur la tête. Il semble que le résultat n’ait été qu’une plaie au cuir chevelus mais, ainsi que nous venons de le dire, ce peu de gravité ne peut être porté au crédit de Lahouaiej Bouhlel car ce fana de musculation aurait pu tout aussi bien provoquer, par ce même geste, un traumatisme crânien, voire tuer sa victime. Dans le cadre, naturellement des peines prévues par la loi, la dangerosité du personnage était donc certaine. Or, dans ce contexte, on nous dit qu’il a été condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis. Aurait-on appliqué ne serait-ce que la moitié de la peine encourue pour incapacité de la victime de plus de huit jours avec usage d’une arme, qu’il aurait dû être condamné à deux ans et demi de prison, ce qui paraitrait raisonnable et proportionné. On voit mal, au surplus, ce qui justifie ici un sursis pour quelqu’un dont on sait qu’il réitère. Enfin et même en appliquant le régime général qui veut que tout entrant en prison bénéficie automatiquement d’un crédit de réduction de peine de six jours par mois de condamnation, régime qui devrait être supprimé, au moins pour les auteurs de faits de violence, une condamnation raisonnable et proportionnée aurait conduit à ce que Lahouaiej Bouhlel n’aurait pas été en liberté, le 14 juillet.
L’opposition actuelle est évidemment dans son rôle et son calendrier lorsqu’elle rend Christiane Taubira responsable de l’état actuel de notre politique pénale. Elle a cependant tort, sur le fond car cette politique ne date pas de 2012 mais de 1981 et c’est ce qui la rend à la fois forte (elle a perverti trop d’esprits) et difficile à renverser (il y faudrait du courage, encore du courage et toujours du courage ce qui sera plus difficile à faire qu’à proposer).
Un petit dessin en disant toujours plus long qu’un long discours, je propose l’expérience que j’ai toujours suggérée à mes étudiants pour comprendre la politique pénale de leur pays. Faire, dans Paris une promenade qui commence au Palais de justice, au sommet d’un bâtiment, dans lequel des juges d’instruction ne font, qu’instruire, dans des locaux ou s’entassent des dossiers et on l’on manque de tout, des meurtres, des viols, des vols en bande organisée avec usage d’armes par nature et, bien entendu, des infractions de terrorisme ; puis de se rendre Rue des italiens, dans les locaux consacrés à la délinquance financière où siègent, sans grand problèmes matériels, les juges d’instructions spécialisés dans les infractions économiques. La comparaison est éloquente.
Le temps nous parait donc venu de revoir de fond en comble notre politique pénale pour appliquer aux infractions de violence le régime qu’elles méritent. Bien des spécialistes politiques qui semblent partager (aujourd’hui) cette analyse réclament, comme d’habitude, une augmentation des moyens de la police et de la justice. Il faut être bien naïf pour croire que c’est vraiment envisageable à grand échelle dans l’état actuel des finances de la France. Ce qui peut se faire, en revanche, c’est un changement des priorités et ici une inversion, avec affectation prioritaire des moyens existants sur le traitement de la violence au lieu de le faire sur la délinquance intellectuelle de profit qui, une fois de plus, ne tue personne. Répétons qu’il n’est pas question de ne jamais poursuivre et de ne jamais punir les infractions économiques et financières mais seulement de limiter les moyens qui leur sont attribués et qui sont, proportionnellement parlant, énormes en termes de temps/policier et magistrat, d’expertises multiples et complexes, etc…pour les rediriger vers une réelle prise en charge préventive et répressive de la violence. Et il est bien entendu qu’il faudrait mettre à part les infractions économiques et financières qui servent à financer le terrorisme et la délinquance violente et qui sont, par connexité, elles-mêmes violentes.
Bien sûr, il faudrait aussi muscler les services sociaux et les convaincre que leur rôle prioritaire n’est pas de distribuer des allocations mais de surveiller la façon dont les enfants sont traités dans leur famille. Enfin, on ne nous fera jamais croire qu’il n’est pas matériellement possible de nettoyer les cités du trafic de drogue qui a un lien évident avec tous ces dysfonctionnements. Mais il faudrait naturellement revoir les hypothèses et les méthodes d’intervention et cela sous les hurlements de la gauche prétendument bien-pensante.