Que les événements tragiques qui ont secoué la France en janvier aient bousculé aussi bien les personnes que les idées se comprend aisément.
Il ne faut cependant pas que cela vire au grand n’importe quoi comme on le voit depuis avec une confusion totale des discours sur des notions (laïcité, vivre ensemble, éducation « aux » religions ou au « fait » religieux, condition de la formation des membres du clergé, représentation et représentativité de telle ou telle communauté religieuse, etc…) dont on n’a pas pris la peine d’assurer d’abord une définition unique, seule susceptible de permettre la réflexion et qui, pour la plupart n’ont rien à voir les unes avec les autres.
Le débat rebondit ces jours derniers avec une conjonction UMPS qui devrait réjouir Marine Le Pen sur la question parfaitement hors de propos d’une éventuelle interdiction du « voile » (lequel ?) dans les établissements d’enseignement supérieur.
La laïcité est parfaitement définie par nos textes fondateurs :
Art. 11Premier de la Constitution : « La France respecte toutes les croyances », d’où il découle nécessairement qu’elle n’en privilégie aucune.
Et :
Art. 10 1010Dix de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi » (on peut passer sur une formulation discutable connotée par son époque).
La conséquence de cela est qu’une interdiction des signes religieux dans l’espace public n’est possible que si elle trouble l’ordre public, la question concernant, naturellement, tous les signes religieux, mais uniquement ceux qui sont ostensibles que ne peuvent être un bijou ou une boutonnière discrets, par exemple.
Seule question légitime ramenant au débat d’aujourd’hui: quand le port d’un vêtement religieux trouble-t-il l’ordre public ?
Première réponse certaine : quand l’espace public est dédié à des mineurs ou reçoit des mineurs en nombre significatif.
L’Etat, qui ne peut privilégier aucune religion, doit s’opposer à tout ce qui pourrait obérer une future liberté de choix des intéressés quant à la croyance à laquelle ils souhaiteront adhérer, quand ils seront en mesure de choisir, ou l’absence de croyance qu’ils jugeront préférable. Il n’est donc pas possible qu’ils soient confrontés à des modèles adultes fortement connotés à telle ou telle religion. Il faut toutefois préserver la liberté de choix des parents quant à l’éducation de leurs enfants mineurs qui leur permet, durant la minorité de ceux-ci, de choisir une religion pour eux, à la condition qu’ils soient libres de la quitter une fois devenus adultes.
La traduction de cela est que le port de toute forme de costume religieux doit être interdit dans les services publics d’accueil et de d’éducation qui ne reçoivent que des mineurs (crèches, enseignement primaire et collèges, centres aérés et d’une façon générale toutes activités périscolaires) ou peuvent en recevoir même s’ils comptent aussi des élèves devenus majeurs (lycées) et cela qu’il s’agisse des personnels de toutes activités, des enfants et, à notre avis des parents associés au service en accompagnant des sorties.
Une dérogation peut être faite en faveur des établissements d’enseignement ayant un projet d’éducation particulier, licite et reconnu par l’Etat, et auxquels les parents appartenant à telle ou telle religion préfèreraient inscrire leurs enfants mineurs ou qui seraient choisis par des élèves adultes.
Deuxième réponse : quand l’identification des personnes concernées est indispensable et que l’attribut religieux y ferait obstacle.
Cela concerne toutes les personnes qui vont faire des démarches administratives qui supposent toutes que les services puissent savoir à qui ils ont à faire et aussi celles qui doivent, pour une raison ou une autre, justifier de leur identité : demandes de documents, comparution en justice, présentation à un examen, etc… Dans ce cas, cependant, doit être seul prohibé ce qui fait réellement obstacle à l’identification, c’est-à-dire ce qui cache suffisamment le visage pour empêcher celle-ci. Sauf circonstances particulières (par exemple demande de confection de papiers d’identité et aussi comparution en justice, non seulement pour les justiciables mais aussi pour les auxiliaires de justice que les magistrats doivent pouvoir reconnaitre), un simple foulard ou un costume correct de religieuse catholique (ce n’est pas moi qui parle, c’est le Pape Jean-Paul II lors d’une visite en France à la Maison de la Médaille miraculeuse où il était accueilli par une religieuse qui portait un costume civil) et, naturellement une kipa ne paraissent pas faire obstacle à l’objectif d’ordre public visé.
C’est cela qui justifie pleinement la loi sur l’interdiction du costume dissimulant l’intégralité du visage dans l’espace public car la surveillance de celui-ci, qu’elle soit visuelle directe ou vidéo, doit pouvoir s’exercer.
Troisième réponse : pour tous les agents des services de l’Etat.
Celui-ci ne privilégiant aucune religion ne doit pas mettre les citoyens en contact avec des fonctionnaires qui revendiquent d’une manière visible leur appartenance ce qui serait une marque d’adhésion. Sans préjudice de tous les autres et pour en revenir au débat du jour, Il est donc parfaitement clair qu’aucun membre de l’enseignement supérieur public qu’il s’agisse de personnel d’enseignement, de personnel administratif ou de personnel d’entretien ne doit porter de signes religieux ostensibles dans les locaux d’enseignement.
Quatrième réponse : quand le port de l’attribut en cause fait obstacle ou gêne le déroulement normal de l’activité organisée par l’Etat ou avec son accord, à laquelle l’intéressé doit prendre part.
De ce point de vue, il ne semble pas pouvoir être fait de distinction entre public et privé (hôpital ou clinique et même entreprises privées) : tous les personnels de santé mais aussi les patients de ces services, tous les personnels de secours, les personnes participant à des activités sportives, les personnes travaillant sur des machines dans lesquelles leur attribut vestimentaire serait susceptible de se prendre ou de s’enflammer et ainsi de les mettre, elles, mais aussi les autres, en danger, etc…
C’est dans cette perspective et celle-là seulement que mérite de s’inscrire le débat sur le voile à l’Université (en y ajoutant ce qui est dit plus haut sur la présentation aux examens). Il convient, d’abord de remarquer que la façon de poser le problème n’est pas la bonne car aucune solution générale ne peut être définie sur la base, une fois de plus, du seul critère qui vaille : l’ordre public.
Rien ne s’oppose au port d’un costume religieux et donc d’un voile pour des étudiants en droit, en lettres, en langues ou en sciences sociales. Il m’est souvent arrivé d’avoir à mes cours, d’abord, dans le temps, des religieuses catholiques dans le costume de leur ordre, puis des étudiantes musulmanes plus ou moins voilées. Cela ne m’a jamais paru poser le moindre problème, ni avec moi, ni avec leurs condisciples. Il n’en est évidemment pas de même des étudiants des professions de santé, au moins dans le cadre de la pratique, des étudiants en sciences, soit si ce port met l’intéressé en danger, soit si le même port risque de perturber des résultats de recherches, des étudiants en éducation physique, etc…
C’est ce qui permet, à mon sens de trancher le problème qui semble s’être récemment posé à l’Ecole de formation du Barreau de Paris. Je ne vois personnellement aucune objection à ce qu’une étudiante voilée suive les enseignements, ni même plus tard, exerce sa profession de cette façon si des clients choisissent de s’adresser à elle. Mais il est clair qu’elle devra être identifiable au moment des examens et qu’elle devra s’abstenir de tout signe distinctif, autre que l’attribut de son état, lors de son exercice dans le cadre juridictionnel.
Ceux qui envisagent aujourd’hui d’interdire le voile dans l’enseignement supérieur ne le font donc pas pour la bonne et unique raison possible, celle de l’ordre public, mais sur la base d’un jugement de valeur religieux ou social (statut de la femme), interdit, par principe, par nos textes fondamentaux. Une loi ainsi présentée ne pourrait que se heurter, si elle était votée sans nuances, à la censure du Conseil constitutionnel.