Il est difficile de ne pas être surpris, dans notre société, parait-il surinformée, par le manque de curiosité que suscitent certains phénomènes.
L’ensemble de la classe politique est aujourd’hui très agitée par l’examen d’une proposition de loi relative à la prostitution. Or chaque fois que de telles réformes ont été proposées, dans le passé, elles se sont accompagnées de manifestations publiques de prostituées, suivies de leur invitation aux innombrables « talkshow » de l’ensemble de nos médias.
Aujourd’hui, rien.
L’agitation ne touche que la classe politique, le milieu de la prostitution est d’un remarquable silence et personne ne s’en étonne.
La réponse est simple : si le projet peut partager ceux qui y réfléchissent, il donne entière satisfaction au milieu du proxénétisme (et même, d’ailleurs, au milieu tout court) qui n’a donc pas vu l’intérêt de lancer ses troupes dans la rues et sur les plateaux.
Car il est fondamental d’avoir en permanence à l’esprit qu’il n’y a pas de prostitution sans proxénétisme. Si un tout petit nombre des prostituées habituellement invitées à s’exprimer sont probablement sincères quand elles viennent dire qu’elles n’ont jamais vu un proxénète, qu’elles ont choisi librement leur activité et qu’elles s’y épanouissent pleinement, ce n’est pas parce qu’elles exercent hors du proxénétisme, mais parce que le proxénétisme, qui ne les ignore pas, les a délibérément laissées libres d’exercer de cette façon, parce que de cette façon, elles le servent. Celles qui ne cesseront pas à temps d’exercer en libéral seront un jour ou l’autre récupérées et sont, en toute hypothèse, observées. C’est la raison pour laquelle on ne doit traiter le problème de la prostitution que dans la perspective du proxénétisme.
Mais tant d’absurdités juridiques et criminologiques sur la prostitution aussi bien de la part des défenseurs du texte que de ses détracteurs ont été dites, ces derniers jours, qu’il convient d’en dire un mot avant de s’attacher au projet lui-même.
Sans le moindre espoir de réussir, il faut tout de même, quand on est conséquent avec soi-même et la sociologie redire que la prostitution n’est pas « le plus vieux métier du monde ». Il y a tout lieu de penser que les premiers métiers ont été ceux de boucher (pour ceux qui ne pouvaient pas chasser), poissonnier, armurier et quincailler, enfin, vendeur de « primeurs » et possiblement gourou. Pour que la prostitution existe il faut que la société soit suffisamment sophistiquée pour avoir codifié des rapports sexuels considérés comme normaux, ce qui amène à la création de rapports qui échappent à ces règles. Dans l’histoire de l’humanité, c’est certainement tardif. Il me semble qu’il fallait le redire mais ce n’est pas l’essentiel.
La lecture de la plupart des déclarations de celles (car ce sont « celles ») qui ont promu le texte, est profondément agaçante. Toutes ces personnes de bonne volonté qui veulent voler au secours des prostituées oublient, en effet (ignorance ou volonté délibérée ?) qu’il existe une prostitution masculine sans doute au moins aussi importante que l’autre et qui mérite tout autant que l’on s’intéresse à elle. Étant entendu qu’il n’existe aucun chiffre sérieux relatif à la prostitution quelle qu’en soit la forme ou la prise en charge, on doit remarquer, en effet, qu’alors que la prostitution féminine homosexuelle est quasiment inexistante, la prostitution masculine est couramment, elle, à la fois homo et hétéro sexuelle, le racolage public, notamment dans certains lieux de la capitale étant essentiellement masculin. Il faut donc savoir si l’on veut défendre les femmes ou lutter contre la prostitution car les instruments à mettre en place ne sont pas du tout les mêmes.
On peut envisager de pénaliser les clients, mais on voit mal quel lien existe entre la création de cette infraction et la suppression corrélative de celle de racolage public que la proposition de loi relie, tant elles n’ont aucun rapport l’une avec l’autre.
La pénalisation du client est une vieille lune de la criminologie. Son but est de moralisation : « responsabiliser » les demandeurs sur le sort des « femmes » (toujours) prostituées, ce que confirme la création, dans le projet de loi actuel d’une peine complémentaire de « stage de sensibilisation » (le ridicule n’a pas de limite). Mais cette nouvelle infraction serait davantage en rapport avec une société Victorienne qu’avec une société post soixante-huitarde libérée, d’où la réaction des « 343 salauds » et d’EELV intellectuellement cohérents, eux.
On nous dit, mais c’est, comme d’habitude dans ce domaine, difficilement vérifiable car le phénomène, s’il existe, pourrait s’expliquer par bien d’autres facteurs, que dans les pays nordiques où l’on pratique la méthode, cela a fait disparaitre la moitié de la prostitution de rue. Il ne faudrait tout de même pas être assez naïf pour ne pas comprendre que cette prostitution, qui n’est plus « de rue » s’est déplacée ailleurs et qu’elle n’a donc nullement diminué.
Le racolage public parait moins orienté, a priori vers la prostitution que vers l’ordre public. Il s’agit d’éviter le désordre récurrent de la « péripatéticie » et son cortège d’encombrements automobiles. Pour autant, il est lui, un vrai moyen de lutte contre le proxénétisme. Il faudrait que les bonnes âmes cessent de pleurer sur les malheurs des prostituées rançonnées par l’État via sa police. Car il faut être tout de même bien gogo pour croire que ce sont les prostitués qui paient les amendes qui leurs sont, d’ailleurs peu souvent et parcimonieusement attribuées pour racolage. Ils n’en auraient, d’ailleurs pas les moyens. Les amendes pour racolage ce sont des frais généraux de l’activité qui viennent en déduction des bénéfices et c’est la raison pour laquelle, dès qu’on envisage d’augmenter le périmètre de l’infraction, le proxénétisme sort ses bataillons. Supprimer le racolage c’est faire un cadeau au proxénétisme et même au milieu, en général, le Ministre de l’intérieur, qui a du bon sens, lui, ayant fait remarquer qu’en le supprimant on perd une appréciable source de renseignements que la conduite de la procédure permettait d’obtenir.
Le proxénétisme est un trafic. Pour gêner un trafic il n’existe qu’une seule méthode : lui faire perdre de sa rentabilité. L’incrimination du racolage avec des peines uniquement pécuniaires et une application effective, est un bon moyen de lutte contre l’exploitation des prostitués que quelques bonnes âmes, sans doute sincères, sont en train de faire perdre
Sans être fidèle de Marine le Pen, on ne peut enfin nier le rapport ici clairement établi entre la prostitution et l’immigration clandestine. On dit (ce chiffre est douteux, comme tous les autres et n’offre qu’un ordre de grandeur) que 90 % des femmes prostituées à Paris sont des étrangères en situation irrégulière mais il ne semble venir à l’idée de personne qu’un bon moyen de lutter contre le proxénétisme serait alors de mieux surveiller les entrées en Europe. Pire. Toujours avec d’excellentes intentions, les promoteurs de la réforme envisagent d’étendre la possibilité qui existe déjà de régulariser les prostitués en situation irrégulière qui dénoncent leur réseau. Ne voit-on pas qu’en faisant cela et en faisant de la publicité autour de ces dispositions, on risque de faire germer dans des esprits faibles l’illusion du : « je vais venir dans le cadre d’une filière de proxénétisme ; j’exercerai quelques temps ; puis je m’échapperai, je les dénoncerai et je serai régularisé ». Et les malheureux seront en esclavage aussi longtemps qu’ils seront en état de servir. Bravo pour ceux qui disent voter le texte par souci humanitaire.
Il restera éternellement vrai que l’enfer est pavé de bonnes intentions et il y aura toujours ceux que Lénine qualifiait d’« idiots utiles ».