Irresponsabilité pénale devant le Sénat après l’Affaire Halimi

Il y a quelques temps, Le Procureur général près la Cour de cassation s’exprimait dans un tweet pour dire que la question de l’élément moral requis pour constituer une infraction était beaucoup trop délicate pour être traitée dans la précipitation au seul motif d’une décision particulière. Il n’a manifestement pas été entendu puisque le Parlement est actuellement en train d’évoquer la question au résultat de l’Affaire Halimi

  1. l’Affaire Halimi

Il est toujours détestable de légiférer en considération de faits particuliers (la loi est générale et impersonnelle). Mais cette attitude est encore plus condamnable lorsque l’affaire qui amène à le faire ne procède pas d’une imperfection de la loi mais d’une erreur de la ou des juridictions qui ont statué.

Dans l’Affaire Halimi, un homme de religion musulmane à défenestré sa voisine, juive, après l’avoir traitée de « satan » et affirmé que « Dieu est grand ». Sa défense a prétendu qu’il devait être jugé irresponsable parce qu’il était consommateur habituel de stupéfiants et dans un état d’inconscience au moment des faits ce qu’a admis la juridiction sur la base de deux expertises sur les trois demandées. Or il s’agit là d’une erreur manifeste.

Pour qu’une infraction, quelle qu’elle soit, soit constituée, il faut qu’en dehors des faits matériel commis, il y ait une intention qualifiée de dol général. Ce principe a été rappelé dans un arrêt célèbre, qui constitue toujours le droit positif et selon lequel « toute infraction, même non intentionnelle, suppose que son auteur ait agi avec intelligence et volonté ». Dans l’hypothèse de blessures volontaires, par exemple, il faut, mais il suffit, d’avoir voulu faire du mal à la victime.

Dans certains cas une forme particulière d’intention est requise. C’est ce qu’on appelle un dol spécial. Pour être coupable de meurtre il ne suffit pas d’avoir voulu faire du mal à la victime et que celle-ci soit effectivement morte, il faut, dès l’origine, avoir eu l’intention de la tuer. Ce dol spécial, élément constitutif particulier de l’infraction, devra être distinctement établi par le ministère public et constaté par la juridiction pour que la qualification de meurtre puisse être retenue.

Or, dans l’Affaire Halimi, l’existence d’un dol général est établie par les faits eux-mêmes en raison de la parfaite adéquation entre les actes commis et les propos tenus par leur auteur et qui montrent, pour reprendre les mots de l’arrêt Laboube son intelligence et sa volonté de les commettre. Il est bien connu que le nom de « satan » est attribué aux personnes juives par les musulmans extrémistes de même que l’affirmation qu’Alla est grand précède l’accomplissement de tout acte terroriste. La question de l’existence du dol général aurait pu se poser si l’intéressé avait déclaré vouloir remettre dans son poulailler un volatile qui s’en serait échappé ou même si sa victime n’avait pas été juive, mais ce n’est pas le cas. Malgré une éventuelle maladie mentale, le voisin de Madame Halimi a bien déclaré vouloir lui faire du mal parce qu’elle était juive et au nom d’Alla. Le dol général était établi et pouvait donc suffire à qualifier une infraction qui ne réclame que lui.

La seule question qui se posait, compte tenu du fait que Madame Halimi était morte, était celle de la qualification à retenir pour l’infraction commise, c’est-à-dire celle de l’existence ou non du dol spécial de l’intention de tuer et là la question d’une éventuelle maladie mentale pouvait se poser. J’ignore comment était rédigée les demandes d’expertise mais la seule question qui pouvait être posée aux experts, parce qu’elle restait douteuse, était : « le suspect a-t-il voulu tuer ? ». Et en admettant que la réponse des experts soit non, cela ne justifiait nullement une mise hors de cause mais imposait une poursuite sous la qualification de blessures volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner pour laquelle le dol général suffit et était constitué. Cela aurait probablement donné satisfaction aux proches et à l’opinion publique et aurait évité de modifier les textes pour de mauvaises raisons car l’Affaire Halimi est beaucoup trop spécifique pour qu’on puisse en tirer la moindre idée générale.

 

2. Le rôle de l’intoxication dans la constitution de l’élément moral de l’infraction.

La question du rôle des intoxications sur la constitution de l’élément moral des infractions n’a jamais été spécialement envisagée par la loi. On ne la traite que par référence à la maladie mentale.

Il est évident que l’intoxication ne peut être considérée comme exonératoire pour les infractions qui l’incriminent directement (ivresse publique et manifeste, consommation de stupéfiants, délit de conduite d’un véhicule en état d’ivresse ou sous influence de stupéfiants).

Il est certain également, que l’infraction serait constituée de la part de celui qui boirait ou prendrait un excitant chimique, en connaissance de ses effets, pour se donner le courage d’aller commettre une infraction. Il faudrait même y voir la circonstance aggravante de préméditation, quand elle existe pour l’infraction dont il s’agit.

Il faut, enfin, réserver l’hypothèse de l’ivresse subie involontairement par l’agent qui, ou bien aurait été exposé à son insu ou contre son gré à l’action de substances enivrantes (par exemple, respiration involontaire d’un gaz toxique), ou bien aurait absorbé sans faute (notamment d’inattention) de sa part, un produit (par exemple un médicament) susceptible de lui procurer une ivresse non désirée. Cette personne serait, de toute évidence, irresponsable si l’ivresse en cause l’a conduite à une inconscience au cours de laquelle elle a commis une infraction, volontaire ou non.

Le problème qui reste posé est celui de l’incidence sur l’élément moral d’une infraction de la consommation volontaire de produits dont on connait les effets, mais sans les rechercher spécialement dans un but délinquantiel.

Certains auteurs préconisent une distinction catégorique entre les infractions intentionnelles et les infractions non intentionnelles. L’intoxication pourrait être exonératoire dans le premier cas car elle prive de la faculté de comprendre et de vouloir mais ne devrait pas pouvoir être invoquée dans le second cas, où ce qui est reproché à l’agent n’est pas la recherche d’un résultat dommageable, mais une attitude imprudente de nature à le provoquer, alors que l’absorption inconsidérée d’alcool ou de stupéfiants peut être précisément un symptôme supplémentaire de cette conduite imprudente. Une semblable distinction paraît trop absolue en ce qui concerne les infractions intentionnelles dans la mesure où l’intoxication n’est souvent que le facteur déclenchant d’une infraction auparavant envisagée à l’état de sobriété et qui aurait pu être commise sans elle à un moment ou à un autre. Pour celles-ci il parait préférable de s’en tenir ici, en définitive au pouvoir d’appréciation des juges du fait et il faut être reconnaissant au Sénat d’avoir adopté cette solution lors de la discussion du texte en cours même si l’on peut douter de ce que sera son efficacité.

Les tribunaux ont toujours eu, en pareil cas la possibilité d’accorder l’acquittement ou la relaxe en se fondant sur l’absence d’intention coupable, mais il reste que la grande majorité des décisions se refuse à voir dans l’intoxication une cause d’exemption de culpabilité, de diminution de responsabilité et même de mitigation de la peine. La justification juridique de la pleine responsabilité pénale, lorsque celle-ci est retenue, est généralement fondée sur la considération d’ordre moral de la faute commise par le coupable en absorbant des produits ayant un effet sur le psychisme. Mais cette explication est infiniment contestable en droit car la question n’est pas de savoir s’il est bien ou mal de boire ou de se droguer (ce qui relève des infractions spécifiques), mais de savoir si l’agent intoxiqué avait conscience de commettre une infraction d’un autre ordre. Il faut donc regretter que le législateur contemporain ait tendance, à l’inverse, à cautionner cette jurisprudence en faisant de l’intoxication une circonstance aggravante de nombreuses infractions intentionnelles, ce qui devrait logiquement interdire de la retenir à titre de disparition de l’élément moral pour ces infractions-là, au moins.

Et cette fois-ci Le Sénat a eu le grand tort de faire de l’intoxication une circonstance aggravante générale des infractions sans même se rendre compte que les deux positions adoptées par lui, sur la constitution de l’élément moral, d’une part, et sur la création d’une circonstance aggravante, de l’autre, sont incompatibles.

 

III. La nécessaire judiciarisation des troubles psychiques.

 

L’avant-projet de Code pénal de 1978, très critiquable sur d’autres points, semblait avoir trouvé, pour la question en cause, une bonne solution qui n’est toujours pas consacrée par le droit positif. Il déclarait irresponsable les délinquants malades mentaux n’ayant pas eu conscience de leurs actes et punissables ceux atteints d’un trouble mental plus léger mais, soumettait les uns et les autres à un régime d’emprisonnement médico-psychologique, décidé et géré par le juge et subi dans un établissement pénitentiaire spécialisé. C’était une bonne solution. On ne peut donc qu’être surpris que le nouveau Code pénal se soit détourné de cette solution logique d’autant plus qu’elle est aujourd’hui requise par la Cour européenne des droits de l’homme pour valider la détention d’une personne atteinte de troubles mentaux.

Les travaux préparatoires du Code de 1992 ont été, sur l’incidence de la maladie mentale, d’une extrême confusion au sein de laquelle la plupart des questions à poser ont été évoquées, mais dans un très grand désordre, le résultat final étant celui du parfait conservatisme: jeu du tout ou rien entre le malade intégral irresponsable et celui qui ne l’est que partiellement et qui devait être considéré comme pleinement responsable ; modération des peines dans le cas du malade perturbé mais non inconscient ; démission forcée du juge entre les mains du préfet et aussi du corps médical (qui pouvait remettre le malade mental en liberté dès qu’il l’estimait guéri) au lieu d’un système donnant à la juridiction pénale (avec avis d’experts, naturellement) le contrôle d’une situation qui concerne tout de même au premier chef une infraction pénale objectivement commise et le respect de la liberté individuelle ; absence de la prévision d’une mise en place de vrais établissements pénitentiaires affectés spécifiquement au traitement des délinquants malades mentaux.

Les textes sur les malades mentaux ont encore été ensuite partiellement modifiés par l’incidence des dispositions relatives au Code de la Santé publique et par une réforme du Code de procédure pénale qui a entendu donner satisfactions aux victimes choquées par l’impression que les auteurs de faits gravissimes échappaient totalement à la répression pénale en raison de troubles mentaux. En la forme, le droit pénal relatif aux malades mentaux impliqués dans la commission d’une infraction pénale est donc aujourd’hui fragmenté entre le Code pénal qui comprend bien peu de ce qui les concerne (art. 122-1), le Code de la santé publique où a été intégrée l’ancienne loi autonome sur le placement des malades mentaux ordinaires (art. L. 3211.1 et s.) et, depuis 2008, d’une façon très maladroite, le Code de procédure pénale qui, au-delà des procédures applicables devant les juridictions susceptibles d’être concernées par le traitement du cas de malades mentaux, prévoit la possibilité pour les juridictions pénales saisies de prononcer des mesures de sureté dont on voit mal ce que leur énumération fait dans ce texte et pourquoi elles sont absentes du Code pénal dont ce serait le rôle que de les prévoir (art. 706-35 C.P.P.). Et il reste qu’il n’existe toujours pas d’établissements spécifiques pour recevoir les malades mentaux auteurs matériels d’infractions ce qui nous vaut des condamnations répétées de la Cour européenne des droits de l’homme.

Il faut donc, ici encore se féliciter que le Sénat ait consacré un élément de ce qui serait un régime rationnel, même s’il est très limité. Il prévoit, en effet, le renvoi devant la juridiction de jugement mais uniquement lorsque le trouble mental est le résultat d’une intoxication. Il reste donc beaucoup à faire pour que le régime des auteurs malades mentaux de fait de nature infractionnelle soit cohérent et satisfaisant : compétence des juridictions de jugement pour décider du placement, de l’aménagement du régime et de la sortie de l’établissement de traitement des intéressés et surtout création de vrais établissements spécifiques.

 

 

 

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