Archives mensuelles : octobre 2015

PROPOS DIVERS DE RENTRÉE

Après la somnolence estivale, tout ce qui, universitaire, magistrat ou avocat peut être identifié comme tel par l’Ecole de formation des Barreaux de la Cour d’appel de Paris et qui a suffisamment le souci de la chose publique pour ne pas se défiler, est réquisitionné pour tous les jours ouvrables du mois de septembre et du début du mois d’octobre, pour assurer les jurys du Certificat d’aptitude à la profession d’avocat. C’est ce qui explique le côté décousu de cette chronique qui rassemble des questions diverses qui auraient dû être traitées en leur temps et n’ont pas pu l’être.

1) Et tout d’abord le CAPA.

C’est une fois de plus l’occasion de constater la folie dans laquelle le système continue de s’embourber avec un nombre de candidats ahurissant de quelques mille cinq cents à Paris, dont tout le monde sait qu’il ne pourront tous trouver leur place au barreau et que beaucoup finiront ailleurs, comme il le pourront, après six ou sept années d’études et quelques autres de tentative d’exercice, dans un total désenchantement et une complète amertume. C’est le résultat, pour le barreau (comme pour l’université, d’ailleurs) du laisser-faire la loi de la nature au lieu d’organiser une rationnelle orientation.

Et c’est une fois de plus l’occasion de se demander pourquoi les barreaux et spécialement le Barreau de Paris dont on connait le talent pour le lobbying n’arrivent pas à se prononcer en faveur de la seule solution sérieuse à ce problème : laisser chaque barreau fixer un numerus clausus déterminant, chaque année, le nombre de nouveaux avocats qu’il peut accueillir dans de bonnes conditions et qui devrait seul être admis dans les écoles de formation par un concours d’entrée substitué à un examen d’entrée.

Il est vrai que l’explosion du nombre des aspirants à la profession d’avocat traduit, pour l’essentiel, le nombre excessif des étudiants en droit inscrits dans les Universités. Mais elles n’ont, elles, ni le droit de les refuser, ni celui de les sélectionner et il y a bien un moment où il faudrait que l’absurdité cesse. Or on ne voit pas ce qui peut bien justifier que seul de toutes les grandes professions du droit, le barreau continue de ne pas se recruter par concours.

2) Ensuite les fondements de l’Etat.

Le 24 septembre, le Premier ministre participait à une émission politique de télévision très suivie. Interpellé sur des propos de son ministre de l’économie, le Premier ministre s’est livré à une analyse de la fonction publique où il souhaitait démontrer la nécessité de celle-ci, dans le cadre de laquelle il citait, parmi les « fonctionnaires », les militaires et les magistrats.

Il est frappant que les réseaux sociaux aient immédiatement relevé l’erreur concernant les militaires mais que personne ne semble avoir réagi pour ce qui concerne les magistrats. Car si, ni les uns, ni les autres, ne sont des fonctionnaires, la confusion faite en ce qui concerne les magistrats est autrement plus grave que celle relative aux militaires tant elle trahit une totale méconnaissance de ce qu’est l’essence de la démocratie, inquiétante pour des citoyens et hallucinante pour un Premier ministre.

Si la loi a cru bon de préciser que les militaires ne sont pas des fonctionnaires, c’est parce qu’il manque, à leur statut quelques règles particulières comme le droit de grève, par exemple. Mais cela ne va pas plus loin.
Et la différence avec les magistrats saute immédiatement et formellement aux yeux : il est tellement évident que les magistrats ne sont pas des fonctionnaires que ni la Constitution, ni la loi n’ont, contrairement à ce qui est écrit pour les militaires, jugé utile de le dire dans la mesure où l’unique point commun entre les uns et les autres est le fait qu’ils sont tous les deux payés par l’Etat. Pour le reste, le statut de la magistrature est totalement différent de celui des fonctionnaires et cela s’impose dans une démocratie ou la Justice est un Pouvoir (une Fonction ou une Autorité, si l’on veut, ces mots n’ayant pas, ici, d’importance) indépendant et notamment indépendant du pouvoir exécutif chef de la fonction publique.

Qu’une pareille monstruosité juridique ait pu être proférée par le Premier ministre sans que qui que ce soit, à commencer par le Garde des Sceaux, pourtant présente, n’ait protesté a de quoi faire frémir tous ceux qui ont consacré leur vie à l’Institution.

Mais il faut toujours balayer devant sa porte et il n’est pas possible de ne pas relever que beaucoup, y compris parmi les gardes des sceaux et, plus grave, parmi les universitaires, dont certains n’hésitent pas à intituler ainsi des chapitres d’ouvrages censés être scientifiques, n’hésitent pas à parler de « service public de la Justice » ce qui est une façon différente mais tout aussi grave de s’exprimer. La Justice n’est pas un « service public » et n’est même pas pour l’essentiel (la justice pénale), un service rendu au public, c’est un service rendu à la Nation.

3) Encore les délais de l’appel des arrêts de la Cour d’assises.

Loi des séries, deux personnes condamnées en première instance, par des cours d’assises, sous des qualifications très graves (homicide d’un policier, d’une part, et assassinat dont il n’est pas exclu qu’il ne soit pas unique, de l’autre), ont été, en l’espace d’une semaine, remises en liberté avant le jugement de leur appel, parce que la durée de leur détention provisoire (de plus de 5 et 6 ans) a été jugée déraisonnable.
Il est difficile de ne pas partager la position de fond des chambres de l’instruction, même si la conséquence qu’elles en ont tiré a de quoi choquer en pratique et si les remèdes possibles ne sont pas tous évidents.

a) Le plus simple serait de casser le thermomètre. On nous dira que c’est toujours une mauvaise solution. Mais on peut faire remarquer ici,  qu’elle aurait l’avantage d’aligner la position française sur celle de la plupart des pays du monde, un grand nombre des pays européens et tous les pays anglo-saxons.

Contrairement à ce qui se dit partout, la conception française de la présomption d’innocence est beaucoup plus étendue qu’elle ne l’est dans les autres systèmes juridiques. En droit français, en effet, la présomption d’innocence a toujours été considérée comme devant s’appliquer à l’ensemble de la procédure pénale, depuis le début de la poursuite jusqu’à la condamnation définitive, c’est-à-dire jusqu’à ce que l’affaire ne puisse plus donner lieu à aucune voie de recours. Une personne condamnée en première instance demeure innocente si elle fait appel et reste, par conséquent, si elle est détenue, en détention provisoire. La conception anglo-saxonne, au contraire, fait cesser la présomption d’innocence avec la première déclaration de culpabilité prononcée par une juridiction de jugement. C’est pour cette raison que si les condamnés à l’emprisonnement en première instance et qui font appel sont toujours considérés, en France, comme étant en détention provisoire, les condamnés anglo-saxons dans la même hypothèse sont, eux, considérés comme provisoirement, au moins, condamnés, et, s’ils restent détenus, comme ayant commencé à exécuter leur condamnation définitive.

Si donc on en est arrivé, dans les deux affaires qui nous retiennent à des délais de détention provisoire déraisonnables de plus 5 et 6 ans, c’est parce qu’on a additionné, pour arriver à ce résultat, le délai de « vraie » détention provisoire pendant la procédure d’instruction, celui de la privation de liberté pendant le jugement de première instance et celui couru depuis le jugement de première instance dans l’attente de l’audience d’appel. Adopter comme les anglo-saxons une conception de la présomption d’innocence et donc de la détention provisoire limitée à ce qui se passe avant le jugement de première instance réglerait le problème.

Or pour ce faire il n’est même pas besoin d’une modification législative. Un simple changement d’interprétation suffirait car la durée retenue pour notre présomption d’innocence ne résulte que d’une tradition.
Les deux seuls textes de notre législation qui envisagent la question de la présomption d’innocence sont, d’une part l’article 9-1 du Code civil qui déclare que « Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence » et l’Article préliminaire du Code de procédure pénale selon lequel : « III. Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie… ». On remarquera qu’aucun des deux ne se réfère à une quelconque étendue de la présomption d’innocence selon les phases de la procédure et que, par conséquent, rien ne s’opposerait à ce qu’on considère que la « culpabilité (est) établie » (provisoirement, certes, mais il n’importe) dès lors qu’elle a été retenue en première instance.

b) Un remède plus satisfaisant mais plus compliqué consisterait à revoir l’organisation de la cour d’assises, d’une part, et la façon dont la Chambre criminelle de la Cour de cassation fait fonctionner l’appel criminel, de l’autre.

Une première modification s’impose depuis longtemps : faire de la cour d’assises une juridiction fonctionnant en permanence (du 1er janvier au 31 décembre comme le dit le Code de l’organisation judiciaire pour la plupart des autres) et non plus par sessions (dans la pureté des principes une session de quinze jours par trimestre). Certes, dans les circonscriptions à très forte délinquance, il y a longtemps qu’on a pris l’habitude de faire se succéder les sessions les unes aux autres, en sorte qu’en pratique la juridiction fonctionne tout le temps par sessions successives. Mais ce n’est pas le cas partout et rendre permanentes les cours d’assises de province permettrait de délester, pour l’appel au moins, les juridictions particulièrement encombrées, ce qui diminuerait le temps d’attente avant second jugement.

Si l’on a originairement choisi la méthode de la session pour les cours d’assises, c’est parce que celle-ci comportant un jury on a estimé qu’on ne pouvait pas raisonnablement détourner des jurés de leur vie personnelle plus de quinze jour d’affilée. Mais il y a un moyen tout simple de remédier à cela. Il suffirait de supprimer le jury de session et de tirer au sort les jurés pour chaque affaire, à partir de la liste annuelle du jury. Certes, il y a des affaires complexes qui nécessitent parfois quinze jours d’audience. Mais ce n’est pas la majorité des cas. Et cette méthode n’aurait que des avantages :
Elle permettrait à un plus grand nombre de citoyens d’être associés à la justice.
Elle éviterait « l’écrémage » bien connu des jurys qui fait que, parce que toutes les personnes qui jouent un rôle important dans la société ne peuvent pas envisager d’en être distraites, ne serait-ce que quinze jours, elles s’efforcent d’obtenir une récusation, ce qui fait obstacle à une réelle représentativité des jurés. Une absence de deux ou trois jours serait sans doute mieux perçue et permettrait de revenir à cette représentativité.
Elle éviterait, ce qu’on voit parfois, au sein des jurys de session, qui restent en place pour juger toutes les affaires de la session, une petite guerre faite par les jurés aux magistrats professionnels lorsque, n’ayant pas obtenu ce qu’ils souhaitaient dans une affaire donnée, ils se vengent lors du jugement de la suivante en s’opposant, par principe, aux votes des magistrats professionnels alors que le fond de l’affaire n’appelle pas forcément telle ou telle position de leur part. Chacun ne jugeant qu’une affaire serait uniquement concentré sur celle-ci.

Mais pour que cette extension des possibilités de jugement joue son rôle, il faudrait que la Chambre criminelle de la Cour de cassation modifie sa méthode concernant l’appel des arrêts d’assises. Lorsqu’un appel est formé contre un arrêt de cour d’assises, c’est à la Cour de cassation qu’il revient de désigner la juridiction de renvoi. Or celle-ci a pris l’habitude, que rien n’impose dans les textes, de renvoyer à une cour d’assises aussi proche que possible géographiquement de celle qui avait statué en première instance. Lorsqu’un renvoi est fait au sein d’une région à forte délinquance, l’attente est donc forcément importante avant le second jugement.
Dès lors que toutes les cours d’assises pourraient statuer à tout moment et que l’informatique permet d’être informé de l’état de leur contentieux, il suffirait, pour aller plus vite, de choisir comme cour d’assises du second degré, une cour d’assises que l’on saurait disponible. Et l’on aurait, en outre, l’avantage de faire juger l’affaire par des jurys sociologiquement différents et donc, là encore, dans leur ensemble, plus représentatifs.

4) Enfin, Nadine Morano.

Le personnage a de quoi agacer mais il n’est pas unique. On le trouve dans toutes les formations politiques (R.Dati, S.royal, N. Mamère, etc…). Il s’agit de personnes qui momentanément ou non privées de postes d’ampleur nationale se croient obligées de parler tout le temps de crainte d’être oubliées.

Sur le fond de la polémique tenant au fait que Nadine Morano a déclaré que « La France est un pays de race blanche », seuls cependant, et ils ne devraient pas être nombreux, ont le droit de lui jeter la pierre ceux qui habitués à la parole publique directe peuvent être certains de ne jamais avoir employé un mot pour un autre ou une formule discutable. Le signataire de ces lignes qu’on peut considérer de profession et d’engagement comme appartenant à la catégorie des habitués ne le fera certainement pas. Dérapage, oui, mais dérapage banal, compréhensible et de ce fait négligeable.

Si Nadine Morano avait déclaré que « la France est un pays majoritairement habité par des gens de couleur de peau blanche », les professionnels de l’indignation, qui ne font pas dans la dentelle, se seraient  sans doute tout autant étranglés (mais ni plus ni moins). Il n’y aurait eu pourtant aucun dérapage dans une affirmation objectivement exacte et qui serait même passée, il y a cinquante ans, pour un poncif. Et il en serait de même du fait que le catholicisme reste encore la première religion en France, que Clovis a été baptisé, que l’ensemble des rois de France a été sacré, etc. etc..

Circulons donc. Il n’y a pas grand-chose à voir.