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ELOGE ET DEFENSE DE L’ATTENDU

Il y a quelques jours je suppliais, dans Droit pénal , la Chambre criminelle de la Cour de cassation de bien vouloir lorsqu’elle rendait une décision de principe la motiver de façon telle que ses interprètes naturels comprennent ce qu’elle veut dire, mais non sans avoir débuté le paragraphe en stigmatisant l’affreuse démagogie qui fait périodiquement réclamer que les textes de lois et les décisions de justice soient directement accessibles à tout un chacun.
La lecture de mon quotidien du matin m’apprend que j’ai perdu sur les deux tableaux puisqu’on y annonce que la Cour de Cassation a décidé de renoncer à la rédaction de ses décisions sous forme d’« attendus ».
Autrement dit, la Cour de cassation, sombrant dans la démagogie du temps (et jugeant intelligent de suivre le Conseil D’État) à décider de sacrifier le droit en renonçant à rédiger ses décisions sous la seule forme susceptible de leur donner sens et complétude.

Certes, je ne suis pas suffisamment prétentieuse pour croire que la Chambre criminelle n’est là que pour me faire plaisir, ni même me lire (et j’ai de nombreuses preuves qu’elle ne le fait pas), mais la question ici posée relève de l’essence du Droit et de la Justice.
Car il faut bien comprendre de quoi il s’agit et les linguistes ont de tout temps attiré l’attention sur le fait que la forme a nécessairement une influence sur le fond.

La rédaction sous forme d’attendus (que les juridictions de droit public, nées plus tard, avaient traduit en « considérant » ce qui n’est qu’une façon de se singulariser mais ne touchait pas, ici, au fond du problème) n’a pas été inventée par des pédants soucieux de compliquer la vie de ceux qui rédigent et de cultiver l’hermétisme pour ceux qui lisent. Elle a été inventée parce qu’elle est, dans le domaine concerné, la seule façon raisonnable de raisonner.
Quand on rédige sous forme d’attendus (et tous ceux qui l’ont fait le savent, à peine de faire preuve de mauvaise foi ou de privilégier l’air du temps) et qu’on oublie quelque chose qui doit être dans la décision, on est inévitablement bloqué et dans l’impossibilité de continuer. C’est un indispensable et unique garde-fou pour ceux qui doivent répondre à toutes les questions posées par l’affaire à juger et, en toute hypothèse à toutes celles qui leur ont été posées.

On pourrait se consoler en se disant que la Cour de cassation qui ne cesse de militer (c’est un autre problème) pour la réduction de son contentieux va être punie par où elle pêche en voyant exploser les recours suscités par des décisions des juges du fond, rédigées en langue vulgaire, et qui auront de ce fait oublié une partie de ce sur quoi elles devaient statuer faute d’avoir eu le signal d’alarme de l’attendu. Mais ce serait faire fi du Droit et de la Justice.

Petit conseil à tous ceux qui se forment pour être magistrats et à tous ceux qui le sont et veulent bien réfléchir. Il ne va pas plaire car il oblige, a priori, à passer davantage de temps (un ingrédient de plus en plus précieux dans la magistrature) sur la rédaction, même si je suis convaincue, qu’à terme il en fera gagner et si, en tout état de cause, il évitera bien des mécomptes de fond. Commencez toujours par rédiger vos décisions sous forme d’attendus. Et si les fous qui nous gouvernent s’entêtent à vous contraindre à rédiger en langue ordinaire, faites ensuite une traduction de votre décision. Et mettez la bonne en mémoire. Cela vous aidera pour la suite et tout le monde y gagnera, vous, le Droit et la Justice. Sinon…

REQUISITOIRE CAHUZAC ET POLITIQUE PENALE

Le « nouveau » (Sic, ???) Code pénal de 1992, en vigueur depuis 1994 est, en matière de choix des peines et donc de politique pénale, d’un désolant conservatisme.
Toutes les infractions prévues par lui sont punies et ne sont punies, sur la base des textes qui les prévoient, que d’une peine d’emprisonnement et d’une peine d’amende, prévues ensemble et qui plus dans en rapport l’une avec l’autre (un an, 15000€ ; deux ans, 30000€, etc…). C’est la négation de l’idée même de politique pénale véritable qui voudrait que l’on adapte la peine, non seulement, dans son quantum, à la personnalité du délinquant, mais d’abord, dans sa nature au type d’infraction commis. Et le plus beau de l’histoire est que ce Code est dû à une majorité politique qui n’a de cesse d’accuser ses adversaires d’être pour le « tout carcéral ».

Il est clair que l’emprisonnement est la peine de choix pour les infractions de violence qui atteignent ou menacent l’intégrité de la personne (homicides et blessures volontaires, atteintes sexuelles, etc…, pour la première catégories ; trafics de drogue, d’armes , d’êtres humains, mais également vol, etc… pour la seconde). Il importe, en effet, d’avoir bien présent à l’esprit que si le vol est juridiquement le type même de l’infraction contre les biens, il est criminologiquement la première cause d’atteinte aux personnes (40 % des blessures et homicides volontaires selon les statistiques policières, sont commis pour le préparer, l’exécuter, s’enfuir ou régler des comptes). Dans ces hypothèses, il convient de neutraliser ces forces mauvaises et l’emprisonnement est la meilleure façon d’y parvenir avec, éventuellement, mais éventuellement seulement (s’il y a eu, en plus, un profit – cas du vol – des sanctions pécuniaires).
C’est pratiquement le seul domaine où l’emprisonnement s’impose.

Pour les infractions de profit (l’escroquerie, l’abus de confiance, les infractions économiques et financières, etc…), il est beaucoup plus efficace de frapper là où ça fait le plus mal, c’est-à-dire au portefeuille par des peines pécuniaires et celles-là seulement qui devraient d’ailleurs être beaucoup plus diversifiées et développées qu’elles ne le sont aujourd’hui ou l’on ne retient pratiquement que l’amende et la confiscation. Il serait notamment utile de mettre en place une amende obligatoire d’un type particulier, qui, au-delà de ce qui serait prononcé pour sanctionner les faits eux-mêmes, ferait qu’aucune infraction ne puisse laisser un bénéfice à son auteur. En matière de fraude fiscale il ne suffit pas de redresser les déclarations et d’appliquer la sanction prévue, il faut aussi confisquer la valeur de l’intégralité des sommes dissimulées. Et pour que ce soit efficace, rendre cette peine imprescriptible de façon à pouvoir, toute sa vie, rattraper le fraudeur. Cela priverait la littérature et le cinéma policiers des nombreuses productions relatives à la récupération d’un butin (« L’année sainte ») devenue inutile, mais permettrait de sanctionner efficacement.

Et bien d’autres sanctions pourraient être créées ou voir leur usage s’étendre au-delà du rôle de peine complémentaire ou de substitution à l’emprisonnement qu’elles jouent aujourd’hui, quand elles existent, sans être, dans le second cas, adaptées. Quand un professionnel tenu au secret viole son obligation, la seule peine logique est l’interdiction professionnelle temporaire, de plus en plus longue s’il récidive, voire définitive s’il persiste. Prévoir que la violation du secret professionnel sera sanctionnée par un emprisonnement (qu’on ne prononce jamais) et une peine d’amende (qui n’a rien à faire ici) est d’une totale absurdité.
Et sans doute faut-il créer d’autres sanctions qui conduiraient, par exemple, les condamnés à mettre leurs talents au service de la communauté, par une vraie peine de travail dans l’intérêt général qui ne consisterait plus à faire faire un médiocre bricolage pendant un petit nombre d’heures comme aujourd’hui (et qui plus est appliqué à des auteurs d’infractions de violence qui n’en relèvent pas), mais à travailler pendant plusieurs mois ou plusieurs années au service de collectivités publiques ou d’associations humanitaires. On oppose à cette idée le fait que la Convention européenne des droits de l’homme ferait obstacle à ces travaux forcés. C’est inexact. Une disposition spécifique de la Convention prévoit expressément la licéité du travail pénitentiaire. On ne voit pas pourquoi elle interdirait le travail pénal en liberté. En outre la Cour européenne des droits de l’homme, qui de temps en temps a du bon sens, vient de répondre à un détenu suisse qui refusait de travailler au motif qu’il avait dépassé l’âge de la retraite, que le travail pénal était un élément de la peine auquel il devait satisfaire tant qu’il en était capable.

C’est à la lumière des observations précédentes qu’il faut apprécier le réquisitoire prononcé par Madame le Procureur financier à l’encontre de Jérôme Cahuzac car le conservatisme du Code pénal et pire, l’absence de maitrise de la criminologie et de la police pénale nécessaire, ne fait pas qu’habiter le Code pénal, elle semble aussi régner dans l’esprit de certains magistrats et non des moindres.
Madame le Procureur financier a, en effet, requis, à l’encontre de Jérôme Cahuzac une peine de trois ans d’emprisonnement ferme au motif qu’il ne faut pas être plus clément avec les délinquants en « col blanc » qu’avec les « petits délinquants ». Cela signifie, en premier lieu, que Madame le Procureur financier considère que l’emprisonnement est la seule peine véritable ce qui est complètement faux et totalement dépassé (encore un adepte du « tout carcéral » !). L’emprisonnement est une peine adaptée à certains comportements. Il n’est ni plus ni moins punitif que d’autres sanctions qui seraient plus adaptées à des faits qui, pour être tout à fait inadmissibles, ne sont pas violents. En second lieu, les « petits délinquants » (expression criminologiquement dénuée de sens) auxquels pense Madame le Procureur financier, sont pour l’essentiel des voleurs dont on sait qu’ils peuvent à tout moment, déraper dans la violence quand ce n’est pas dans le terrorisme, ce qui n’est évidemment pas comparable.
On comprend bien l’idée qui anime Madame le Procureur financier qui est qu’il conviendrait de priver les plus grands délinquants en col blanc de liberté et on ne peut pas lui reprocher de ne pas requérir une peine qui n’existe pas. Mais c’est là que devrait entrer en scène un vrai travail dans l’intérêt général qui n’existe pas encore mais qu’il faudrait créer.

Pour Jérôme Cahzac, comme avant lui pour Jérôme Kerviel ou Loïc le Floch Prigent, l’application d’une peine de prison ferme est une absurdité : ils sont parfaitement insérés socialement et l’emprisonnement ne pourrait que les désinsérer ; ils ont des talents qu’ils ont mal utilisés mais qui pourraient l’être mieux. La meilleure sanction possible qui atteindrait leur liberté sinon d’aller et venir, du moins de vie, serait de les condamner à travailler pour une rémunération n’assurant que leur minimum vital, durant plusieurs mois ou années pouvant aller jusqu’à trois, au service d’un agent servant le public, en fonction de leurs possibilités.
Jérôme Cahuzac est médecin même s’il semble avoir perverti son art au profit d’un exercice moins thérapeutique que lucratif. L’idéal serait de pouvoir le mettre pendant trois ans à la disposition d’un service d’aide ou de secours : SAMU social, accueil médical des demandeurs d’asile, Protection civile, Médecins sans frontières, etc… Selon une formule souvent galvaudée mais qui serait vraie ici, ce régime de peine serait gagnant-gagnant. Gagnant pour l’ordre public en créant une peine véritablement pénible pour le condamné et en accord avec la gravité des faits commis ; gagnant pour les organismes d’aide peu fortunés et qui ne trouvent pas forcément assez de bénévoles formés ; gagnant pour le trésor public qui, même en assurant le coût de l’ensemble de l’opération y gagnerait surement beaucoup en comparaison du prix de journée de la détention.
Les candidats à la future élection à la Présidence de la République se préoccupent, disent-ils de sécurité. C’est vrai, mais comme toujours avec les politiques, sur des points de détail, certes non négligeables comme le terrorisme, mais qui ne sauraient suffire à traiter la totalité des problèmes posés. Souhaitons qu’ils prennent conscience au minimum de la nécessité de revoir tout le système français des peines et de leur application.

DEUX REMARQUES SUR LE TERRORISME

I. De la perpétuité « réelle »
(je n’insisterai pas sur l’absurdité intrinsèque de la formule)

Les médias ne tarissent pas de propos relatifs à la perte de considération et de crédibilité du personnel politique dans l’opinion publique. Ce que l’on voit ces derniers jours, à propos du terrorisme, n’est pas fait pour arranger les choses.

La classe politique vient, en effet, de s’illustrer à propos d’une revendication de perpétuité réelle pour les auteurs d’infractions de terrorisme dont il y a fort à parier qu’elle ne va pas redorer son blason dans l’opinion publique, au moins celle qui réfléchit, même si, sur le fond 90% de la population est favorable à cette solution.

Nos politiques de tous bords se sont, en effet, révélés fidèles à leur « mode d’emploi » habituel : un évènement ; une demande d’intervention législative ponctuelle et même pour ceux qui se croient les plus efficaces, le dépôt immédiat d’une proposition de loi en ce sens.

Faisant ainsi il ne font qu’accréditer un peu plus l’idée que ce qui les intéresse est moins de régler un problème que d’attirer l’attention des médias. Et cela marche parfaitement comme le montre l’invitation immédiate de Nathalie Kosciusko-Morizet à une émission politique de grande écoute le soir même. Et le comble dont on ne sait s’il faut rire ou pleurer est que Madame Kosciusko-Morizet a déclaré sans rire, elle, lors de cette émission, que le principal problème de la France en matière de terrorisme est qu’elle n’avait jamais eu de la chose qu’une vision à court terme !

Le sujet du jour était donc l’instauration d’une perpétuité dite « réelle » pour les auteurs d’infractions de terrorisme. Passons sur le fait que les infractions de terrorisme ne sont pas toutes de la même gravité et que la perpétuité, réelle ou pas, n’est pas envisageable pour nombre d’entre elles. Mais le vrai problème n’est pas là.
Qu’une rétention perpétuelle soit utile, voire nécessaire pour certains terroristes (et pas seulement) est parfaitement soutenable et la signataire de ces lignes soutient ce point de vue, comme 90 % des français. Mais la question est de savoir quelle est la bonne méthode pour y parvenir. Un point est certain : ce n’est certainement pas celle qui consiste à déposer aujourd’hui une proposition de loi limitée à cela même si on la raccroche à un projet de loi sur le terrorisme déjà en cours et un tout petit peu moins partiel. Le problème est double : de méthode et d’objet.

1) La méthode.

Parler de perpétuité réelle revient à envisager un problème d’exécution des peines. Passons une fois encore (vraie coïncidence, sans doute) sur le fait que ce soit le même jour que la Cour des comptes épingle la catastrophique gestion de l’administration pénitentiaire alors que c’est cette administration qui serait en charge des dites perpétuités.

Toute personne capable de raisonner normalement peut comprendre qu’avant d’envisager de faire exécuter une peine, il faut qu’elle ait été prononcée et que pour la prononcer il est utile que les juridictions aient à leur disposition un tableau raisonnable des peines dépendant lui-même de la définition d’une politique pénale.

Le code de 1992 était, dans son ensemble fort médiocre mais sa partie « peines » était la pire de toutes. En outre, elle a été, depuis défigurée par de nombreuses réformes aussi improvisées que celle aujourd’hui examinée et bouleversée par les inventions Taubira. Envisager des problèmes relatifs à l’exécution des peines sans reconfigurer tout le système des peines du Code pénal est un non-sens.

Mais pour faire ce travail encore faut-il avoir une vision claire de ce que doit être la politique pénale à mener c’est-à-dire avoir réfléchi aux problèmes qui se posent au pays au lieu de passer son temps à chasser la caméra.
Dans les années post 1981, une circulaire restée célèbre du Garde des sceaux vedette de l’époque a expliqué que la vraie délinquance était la délinquance économique et financière et que les moyens devaient être orientés en ce sens quitte à sacrifier la délinquance traditionnelle, même violente. On avait une politique pénale. Elle était absurde et dangereuse, la situation actuelle le révèle, mais elle existait. Il y a quelques années, une fable particulièrement bien vue dans la classe politique a été celle dite de la « tolérance zéro » qui soutenait qu’il fallait poursuivre effectivement et avec la même énergie toutes les infractions commises. C’était un mensonge et une erreur. C’était un mensonge car notre système pénal n’a pas et n’aura jamais, quoiqu’on fasse, la capacité de tout poursuivre. Mais c’était surtout une erreur, car dire que l’on va tout poursuivre avec la même énergie signifie qu’on n’a pas de politique pénale c’est-à-dire aucune conception de l’ordre public guidant ce qui doit être appréhendé d’abord et puni le plus sévèrement.

Si Madame Kosciusko-Morizet et tous ceux qui se bousculent pour accéder à la magistrature suprême veulent de nouveau être pris au sérieux par les électeurs, au moins dans le domaine pénal, il faudrait qu’ils cessent de s’agiter en vain dans une fin de règne qui a évidemment l’inconvénient pour la France de s’éterniser. Ils doivent tous dire clairement qu’ils ont pris conscience des erreurs des trente dernières années et quelle est la politique pénale, enfin sérieuse, qu’ils veulent pour l’avenir de la France (et qui ne se limite évidemment pas au terrorisme quelque affreux qu’il soit). Bien entendu, il faut dire aussi, parce qu’il y a urgence, quels textes ils ont d’ores et déjà fait préparer et qui lui permettraient d’annoncer un calendrier prévisible de réformes et quelle réorganisation ils envisagent pour l’ensemble de notre système pénitentiaire d’exécution des peines, ce qui lui permettrait alors, mais alors seulement, de dire comment ils feront éventuellement exécuter les condamnations à perpétuité qui ne sont qu’une toute petite partie du problème général posé par la délinquance de ce pays.

Il est vain de vouloir réparer le fermoir d’un collier si l’on n’a pas le collier. A défaut de démontrer qu’on a une vision d’ensemble des problèmes que l’on prétend traiter, le mieux à faire est de se taire.

2°) Le fond

Tout le monde parle de « terrorisme » et seulement de terrorisme et lorsqu’il s’agit d’envisager son traitement de « déradicalisation ». C’est faire comme si le terrorisme était un ilot isolé dans l’univers de la délinquance.
Or ce que nous savons de la personnalité des auteurs des faits récents confirme ce que nous savions depuis longtemps : même les plus jeunes d’entre eux avaient pratiquement tous commencé leur carrière délinquantielle bien avant leurs agissement terroristes et par de la délinquance de droit commun violente.

Une affirmation qui, à ma connaissance n’a jamais été scientifiquement confirmée, est que la prison serait favorable à la radicalisation islamique. C’est, partiellement au moins probable mais il est tout aussi probable qu’à défaut d’avoir rencontré l’illumination islamiste, les mêmes auraient continué dans la délinquance violente de droit commun. Ce sont des délinquants violents de vocation, à la personnalité instable et qui ont « sauté » sur la perspective du terrorisme dès qu’on la leur a présentée mais qui n’auraient pas manqué, à défaut, de trouver d’autres occasions de nuire. La différence, évidemment non négligeable, est que leur implication dans l’islamisme radical décuple leur faculté de nuire. Mais elle ne crée pas le phénomène.

Au lieu de faire, a posteriori, de la déradicalisation, ne vaudrait-il donc pas mieux se saisir sérieusement de la délinquance violente quand elle commence à se manifester au lieu de suivre l’angélisme qui a conduit nos kamikazes d’aujourd’hui là où ils sont allés. Car il est probable que si l’on décortiquait sérieusement leurs antécédents judiciaires on y trouverait bon nombre de mesures d’exécution en liberté des peines auxquelles ils avaient été condamnés, de sursis accumulés, de crédits de réduction de peines, de libérations anticipées, etc… Une limitation drastique de ces aménagements de peine dès lors qu’on se trouve en présence d’agissements violents serait certainement un des meilleurs moyens de lutter contre le terrorisme avant qu’il ne se manifeste.

Une fois de plus, la réponse pénale est une chaine : on ne traite pas une chaine en remplaçant un maillon.

II. Le Val de Grâce

Il y a bien longtemps que nos voisins belges font les frais de notre « humour » au travers des traditionnelles « histoires belges ». Les images des derniers jours montrent qu’il y a tout de même des domaines dans lesquels ils se montrent plus intelligents que nous.
Toutes les images diffusées de la prise en charge des victimes des attentats bruxellois montrent des arrivées d’ambulances à l’Hôpital militaire de Bruxelles. Nos voisins belges ont donc bien compris, que, quelles que soient les discussions sémantiques sur l’appellation adéquate à donner au phénomène, dans son ensemble, les blessés du terrorisme dont des blessés de guerre.

Et nous ?

Nous avions à Paris un hôpital militaire tellement excellent que les dirigeants du monde entier venaient s’y faire soigner. C’est au moment où flambent les attentats que le gouvernement, par les œuvres de l’ineffable Madame Touraine, non contrée sur ce point par un ministre des armées que tout le monde s’accorde pourtant à juger excellent, à décider de fermer l’établissement au nom d’une logique que n’apparait qu’à l’auteur de la décision.
S’il y a des cas dans lesquels on ferait mieux de se taire, il y en a d’autres qui doivent faire parler et même hurler. On ne peut, une fois encore, que se désoler que l’opposition et aussi les associations de victimes des attentats soient totalement muettes sur la question alors que la logistique étant encore partiellement au moins en place, on pourrait faire machine arrière en rajoutant, d’ailleurs à l’ensemble la traumatologie qui avait déjà, soyons équitable, été excentrée. Ce serait d’autant plus utile que les hôpitaux civils ont fait savoir qu’ils n’étaient pas loin, en novembre, d’avoir atteint leur point de saturation et qu’en toute hypothèse un établissement de plus susceptible d’accueillir les victimes les plus gravement atteintes de blessures spécifiques ne serait pas de trop.

Que se passera-t-il quand viendra le prochain attentat, et il viendra ?

Faire que les victimes soient convenablement soignées c’est aussi lutter contre le terrorisme. La réactivation de Val de Grâce est une nécessité dont on ne peut que se désoler qu’elle ne soit pas demandée avec une vraie fermeté.

LE BESTIAIRE DU DROIT ET SES ZOZOS

Un des reproches qui m’est fait sur un Blog voisin est d’avoir eu un jour l’idée jugée saugrenue de publier, sur la couverture d’un de mes livres, une photo de mon chien de l’époque (la photo de l’auteur était une exigence de l’éditeur pour la collection en cause et la présence de ma chienne avec moi une décision personnelle). Et certains de mes étudiants se souviendront peut-être de m’avoir vu aller faire cours (de doctorat seulement, dont l’auditoire est moins fourni) avec elle.
Personne, donc, ne pourra sérieusement croire que je n’aime pas les animaux. Mais on peut aimer les animaux sans pour autant devenir ni stupide ni outrecuidant et surtout sans chercher à parler doctement de ce qu’on ignore.
Un intellectuel connu et titulaire d’une chronique dans un journal du matin se félicitait la semaine dernière de ce que qu’ayant signé avec nombre d’autres intellectuels un manifeste pour la reconnaissance d’un nouveau statut juridique de l’animal, ils avaient été entendus puisque le Code civil déclare désormais que les animaux sont des êtres vivants et sensibles. Très honnêtement, on voit mal comment qui qui ce soit aurait pu en douter et qu’on le dise ou non ne change rien à la chose. Cela ressemble à la non-reconnaissance officielle de la Chine avant le Général de Gaulle. Mais surtout cela ne change strictement rien à ce qui déclenchait l’ire de nos intellectuels : le fait que les animaux soient, c’est du moins ce qu’ils affirmaient, qualifiés de meubles par le droit. Car là encore, qu’on le dise ou non ne peut rien changer à ce qui est un état du droit sur lequel personne n’a aucune prise dès lors qu’on a besoin d’un système juridique pour réguler les rapports sociaux et que les catégories qu’il contient ne sont pas là pour faire plaisir à tel ou tel mais pour permettre de déterminer ce qu’on peut faire ou non à propos de l’objet ou du sujet dont il s’agit.
Rappelons, d’abord, à nos intellectuels (qui manifestement ne sont pas des juristes – mais ils ont une tendance récurrente à considérer que les juristes ne sont pas des intellectuels) que la catégorie juridique des meubles ne se limite pas uniquement à ce que le vrai juriste appelle un meuble « meublant » (un canapé, une chaise, une table, etc…) mais que la qualification s’applique aussi à tout ce qui n’est ni une personne, ni un immeuble : les contrats, les lettres (y compris d’amour), les actions et les obligations émises par les sociétés, les plantes d’appartement qui, elles aussi sont vivantes (et peut-être sensibles) et même, pour faire référence à une chose qu’ils connaissent et à laquelle ils tiennent, les droits d’auteur, y compris sous l’aspect droit moral de ceux-ci.
Rappelons leur, ensuite, même si cela ne doit pas les rassurer, que le plus grand nombre des animaux vivants au voisinage des hommes ne sont pas et n’ont jamais été des meubles, mais sont des immeubles (pour être tout à fait précis, des « immeubles par destination ») et qu’ils continueront à l’être malgré le changement né de la reconnaissance, bouleversante pour certains et évidente pour les plus sérieux, de leur caractère vivant et sensible. Il en est ainsi de tous les animaux d’exploitation : les bovins, les ovins, les lapins des clapiers, les pigeons de colombiers, les oies et les canards des basses-cours, les poissons des fermes piscicoles, les gibiers d’élevage tant qu’ils n’ont pas été relâchés et même les chiens et chats tant qu’ils ne trouvent chez leur éleveur. Et aussi naturellement les animaux des parcs animaliers. Et pour comble, tous ceux-là, qui sont immeubles dans l’exploitation dont ils proviennent ou font partie, deviendront meubles au moment où ils quitteront l’exploitation (en pratique au moment où ils sont vendus).
Il y a bien une troisième catégorie d’animaux qui n’est ni meuble, ni immeuble et que le droit français qualifie, non par pédantisme mais parce qu’il n’y a pas de mot français équivalent de «res nullius » ou en mauvais français de « rien » ou de bien n’appartenant à personne ce qui est encore pire que d’être un meuble ! Ce sont le gibier libre, les oiseaux de la nature, les insectes, les grenouilles des rivières (mais pas celles des étangs privés qui sont des immeubles appartenant au propriétaire de l’étang), les reptiles sauvages, etc… encore faut-il préciser que la catégorie n’a véritablement d’autonomie que pour les animaux qui ne volent pas, ne sont pas d’élevage et ne sont pas pris, d’une façon ou d’une autre par un homme. Si c’est un animal qui ne vole pas ou un animal qui vole mais qui fait l’objet d’une exploitation comme les abeilles, il appartient, en qualité d’immeuble, à celui sur la propriété de qui il se rend ou se trouve. Quant à l’oiseau attrapé par quelqu’un il devient un meuble lui appartenant (la capture illicite peut donner lieu à une infraction, mais c’est un autre problème sur lequel nous allons venir).
Cela étant dit, comme personne de sérieux ne peut envisager ni d’interdire les exploitations agricoles et piscicoles ou les professions d’éleveurs, ni interdire d’avoir un chien un ou un chat (ce qui suppose qu’on les ait d’abord achetés, reçus ou accueillis), ni interdire la consommation de viande et de poisson, ni démoustiquer les zones humides afin d’éviter la propagation de maladies graves, on ne pourra jamais rien changer à la qualification juridique des animaux car toutes ces opérations ne peuvent avoir lieu que si les animaux concernés sont qualifiés ou de meubles, d’immeubles ou de « res nullius » et cela qu’on les déclare ou non, et en plus, vivants et sensibles.

Est-ce à dire que tout est pour le mieux dans le monde juridique des animaux ? Certainement pas et là encore je suis probablement parmi ceux qui le disent avec le plus de force et depuis le plus longtemps mais sans avoir l’autorité de ceux qui pétitionnent à tout va et, par conséquent, pour le moment sans succès. La solution n’est pas dans une qualification juridique qui n’a aucun effet sur la vie réelle des animaux mais seulement sur la bonne conscience de certains de leurs propriétaires, mais dans un système pénal prenant mieux en compte les qualités d’être vivants et sensibles des animaux pour punir ceux qui les négligent et éventuellement les leur reprendre et leur interdire d’en posséder de nouveaux. On a fait quelques progrès en ce domaine mais encore très insuffisants.
Étrangement, les animaux les mieux protégés par le droit pénal sont les animaux sauvages (res nullius) qui sont pris en compte d’une façon satisfaisante (peut-être un peu trop au gré de certains éleveurs) par les textes sur l’environnement. Il y a quelques temps un bon esprit écrivait qu’alors que la vie du petit de l’homme n’est plus protégée depuis plusieurs décennies, le projet parental de nombre d’animaux sauvages l’est avec une volonté affirmée, puisque la destruction de nids ou d’œufs d’oiseaux ou de reptiles est sévèrement punie. Il en est également ainsi, quoiqu’en dise notre intellectuel dans sa chronique et en France, bien entendu, des animaux de consommation car je doute que les pétitions françaises, quelles que soient la notoriété de leurs signataires, puissent avoir quelque résonance dans les campagnes chinoises profondes où l’on massacre scandaleusement des chiens de consommation. L’abattage officiel français est enfermé dans une règlementation précise et la jurisprudence fait état de condamnations de directeurs d’abattoirs lorsqu’ils ne l’ont pas respectée. Le seul problème ici, mais qui dépasse largement l’objet de ces remarques, est un problème religieux dont nous laissons le traitement à d’autres.
Là où l’insuffisance est bien connue, se fait sentir depuis longtemps et perdure sans qu’aucun obstacle sérieux ne puisse être invoqué, c’est dans le cas des animaux vivants au voisinage de l’homme définis par le Code pénal comme étant les animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité. Le fait de les maltraiter relève d’une part d’une contravention de mauvais traitement (quatrième classe, amende maximale de 750€, possibilité de confiscation de l’animal et des autres animaux détenus par le condamné et de remise à une œuvre mais pas d’interdiction d’en détenir de nouveaux), et un délit de sévices graves et actes de cruauté envers un animal dont l’histoire est intéressante. Le délit d’origine (et d’origine socialiste comme l’ensemble du nouveau Code pénal) ne le punissait que de six mois d’emprisonnement, heureusement devenus, ultérieurement deux ans et 30.000€ d’amende et la possibilité d’une interdiction de détenir un animal (avec toute les réserves inhérentes aux moyens efficaces de faire respecter une semblable interdiction). Sur le papier les choses paraissent donc adaptées. Ce qui l’est moins, c’est qu’en reprenant de la jurisprudence antérieure les mots « sévices graves et actes de cruauté » pour définir le délit, le Code pénal a entériné celle-ci qui a toujours limité l’application de ce délit à un élément moral de volonté perverse de faire souffrir l’animal. Des comportement graves qui peuvent être extrêmement pénibles pour celui-ci comme ne pas lui fournir la nourriture ou l’espace dont il a besoin, ne pas le faire soigner s’il est blessé, disparaitre d’une exploitation déficitaire en abandonnant sans soin les animaux qui s’y trouvent, transporter des animaux dans des conditions pénibles parce que c’est plus facile et moins couteux pour le responsable du transport, ne constituent donc pas le délit s’il ne s’agit que d’indifférence, de bêtise, de méconnaissance, d’impécuniosité ou de souci de profit puisqu’ils ont été induits par autre chose que la volonté de faire souffrir l’animal. Il serait donc utile d’introduire entre la contravention et le délit d’actes de cruauté qu’il convient de conserver (voire de punir plus sévèrement ne serait-ce que parce qu’un semblable comportement est un indice de dangerosité criminologique qui pourrait dépasser l’animal), un délit intermédiaire qui pourrait appréhender ces comportements sans qu’ils soient nécessairement la manifestation d’une volonté perverse de faire souffrit l’animal mais dès lors qu’ils traduisent une indifférence au sort de celui-ci. Le problème est connu et piétine. On peut penser que la ratification par la France de la Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie obligera à cette modification mais uniquement pour les animaux de compagnie, seul objet de la convention.

Une fois de plus, cependant, cela n’a rien à voir avec le point de savoir si les animaux sont juridiquement meubles ou immeubles. La seule certitude est qu’on ne peut pas déclarer qu’ils sont des personnes ce qui, pour le reste, ne laisse aucun choix le droit français ne distinguant que les personnes et les choses, d’une part, et parmi celles-ci les meubles et les immeubles (et subsidiairement les « res nullius »), de l’autre.

MINISTERE PUBLIC: ETAT DES LIEUX

L’institution du ministère public donne lieu à débats, pratiquement depuis qu’il existe. Il a beaucoup agité les médias ces dernières semaines à la suite d’incidents divers : un procureur général, modèle de discrétion et de mesure, invité à demander une mutation pour raison d’incompatibilité politique (ou plus exactement politicienne), juste au moment où le Garde des Sceaux vient d’être mise en examen dans le ressort dudit procureur général et une réforme présentée comme instituant l’indépendance souvent réclamée du ministère public, avant qu’on ne s’aperçoive que ce n’est peut-être pas aussi évident que cela avait été dit.

Dans la mesure où j’ai été, dans la doctrine contemporaine la première à préconiser l’indépendance du ministère public (ma thèse de doctorat « Le ministère public entre son passé et son avenir », épuisée depuis longtemps chez son éditeur mais disponible dans toutes les bonnes bibliothèques), je crois utile de reprendre ici, à l’occasion de ces divers incidents, l’ensemble de la question.

Je prie les non juristes de pardonner ce qui pourrait  leur sembler parfois très technique. Je les avais prévenus, dans mon Editorial, que cela pourrait se produire. Nous y sommes.
Et je prie les spécialistes d’excuser ce qui pourrait leur paraitre trop élémentaires: j’aimerais que toutes les personnes intéressées puissent suivre le raisonnement. Autrement dit je tente le grand écart que je reproche à l’institution à laquelle nous allons nous consacrer.

 

Il ne fait aucun doute que les officiers du ministère public appartiennent au corps de la magistrature. Recrutés et formés comme les magistrats du siège et avec eux, ils peuvent, au cours d’une carrière, passer du siège au parquet et inversement car il n’y a pas, en droit au moins, si l’on a le grand tort de la laisser trop souvent s’installer en fait, de spécialisation des fonctions à l’intérieur de la magistrature.

Il n’en demeure pas moins que le rôle des officiers du ministère public, dans le cadre du procès pénal, est tout à fait différent de celui des autres magistrats. Le ministère public ne joue pas au procès pénal un rôle de juge, il y est une partie, adversaire de la personne poursuivie et représentant les intérêts de la Société dont l’ordre public a été troublé par l’infraction commise.

La spécificité du ministère public se traduit par les différents noms qu’on lui donne.
Les officiers du ministère public sont le plus souvent qualifiés de «parquet» ou d’ «officiers du parquet». Cette appellation a une origine historique sur le détail de laquelle les historiens du droit ne s’accordent cependant pas entre eux. L’interprétation classique se réfère au temps où le ministère public se trouvait sur le parquet de la salle d’audience avec les parties privées alors que les juges de jugement, étaient seuls assis sur l’estrade. D’autres pensent que l’appellation vient du fait que les officiers du ministère public ont été, à une époque, séparés des juges comme des parties, pour être placés, à l’audience, derrière des balustrades, un petit «parc» (parquet). Quoi qu’il en soit, l’appellation est restée encore que sa justification, quelle qu’elle soit, ait disparu, le ministère public participant à l’audience sur le siège, séparé, mais proche des juges de jugement. On qualifie encore le ministère public de magistrature «debout» en raison du fait que ses magistrats se lèvent pour requérir à l’audience alors que les magistrats du siège sont toujours assis.
Ce sont là des signes ostensibles de l’originalité de la fonction du ministère public au procès pénal au sein de la magistrature.

Le fait que le ministère public exerce une fonction de poursuite dont on ne comprendrait pas qu’elle se manifeste d’une façon différente sur l’ensemble du territoire et à l’intérieur des différents parquets, selon le ou les magistrats qui en sont chargés, impose que le ministère public fasse l’objet d’une organisation hiérarchique. Les procureurs de la République des tribunaux de grande instance sont donc subordonnés aux procureurs généraux des cours d’appel et à l’intérieur de chaque parquet, les « substituts », bien nommés, sont subordonnés à leur chef de parquet. Mais si le principe hiérarchique entre magistrats du ministère public ne peut se discuter, il n’en est pas de même du point de savoir qui doit déterminer l’action commune en se trouvant au sommet de la hiérarchie.
La question ne se comprend qu’en rappelant l’histoire de l’institution depuis la Révolution.

 

1) Principes d’origine (1792-1958).

Parce qu’on disait, en 1788 que les officiers du ministère public étaient les agents du Roi auprès des tribunaux, les révolutionnaires ont cru transposer la règle pour la mettre en accord avec les nouveaux principes adoptés par eux, en déclarant que les officiers du ministère public seraient désormais les «agents du pouvoir exécutif auprès des tribunaux». Ils en ont déduit que le ministère public devait avoir, tant dans le cadre de l’exercice de ses fonctions que du statut de ceux qui l’exercent, une situation complètement différente de celle des autres magistrats, situation qui assurerait sa subordination au pouvoir exécutif.

L’ensemble du corps des officiers du ministère public a été placé dans une organisation hiérarchique, au sommet de laquelle se trouve le représentant du gouvernement pour les questions de justice, c’est-à-dire le garde des Sceaux qui peut donner aux membres du ministère public, dans le cadre de l’exercice de leur action, tous les ordres qu’il juge bon, concernant aussi bien la politique pénale dans son ensemble, qu’un groupe particulier d’infractions ou même une poursuite spécifique.

Corrélativement et quant à la gestion de leur carrière, les officiers du ministère public ont été subordonnés dans leur statut professionnel. Placés sous les ordres du gouvernement, les officiers du ministère public ne devaient pas bénéficier des règles relatives à la carrière des autres magistrats. Dans la pureté des principes, l’avancement comme la discipline des officiers du ministère public, étaient laissés à la libre disposition du garde des Sceaux. Même après la création d’une instance indépendante intervenant dans le statut des magistrats du siège, la nomination des magistrats du ministère public a continué de dépendre uniquement du garde des Sceaux qui les proposait à la nomination par décret du président de la République ou du conseil des ministres. Contrairement aux autres magistrats, les membres du ministère public étaient librement amovibles et révocables, notamment à titre disciplinaire, toujours par le garde des Sceaux. Ces sanctions disciplinaires échappaient, enfin, à tout contrôle juridictionnel car le Conseil d’État refusait à juste titre à intervenir dans le cours de la justice judiciaire ce qu’il aurait été obligé de faire pour savoir si la sanction infligée à un membre du parquet était justifiée ou non. Il ne pouvait que contrôler la forme de la procédure suivie.

 

Il est manifeste que la position d’origine des révolutionnaires correspondait à une erreur d’analyse.
Le droit de poursuivre les infractions, dès lors qu’il est retiré à leur victime directe, ne peut être que l’apanage du pouvoir souverain tel qu’il est défini dans la société considérée. S’il était donc parfaitement logique de dire, dans l’Ancien régime, que les agents du ministère public étaient les officiers du Roi auprès des tribunaux, ce n’était pas parce que le Roi exerçait le pouvoir exécutif, mais parce que le Roi était le pouvoir souverain. Il n’est donc pas exact, en revanche, de la part des Révolutionnaires, d’avoir fait de ce ministère public, par une transposition purement littérale, les agents du pouvoir exécutif auprès des tribunaux parce que, dans la société démocratique post révolutionnaire, le gouvernement n’est pas le pouvoir souverain. Depuis la Révolution, le pouvoir souverain réside dans la Nation et les officiers du ministère public auraient dû être dits agents de la Nation auprès des tribunaux, ce qui ne se borne pas à une différence nominale. La Nation souveraine s’exprime, en effet, en démocratie, de deux façons : d’une part, par le vote de la loi et, d’autre part, par le choix des gouvernements, deux valeurs qui devraient être également représentées auprès du troisième pouvoir que sont les tribunaux.

Un ministère public bien conçu aurait donc dû être constitué de deux agents : un défenseur de la loi, magistrat indépendant qui ferait entendre le point de vue de la loi, et un représentant du gouvernement, fonctionnaire soumis, qui ferait connaitre aux tribunaux le point de vue de ce gouvernement. Faute de l’avoir compris, mais parce que les faits sont têtus, il ne suffisait pas de dire que les officiers du ministère public étaient les agents du pouvoir exécutif auprès des tribunaux pour qu’ils ne fussent effectivement que cela. Les textes napoléoniens ont donc été amenés, à la suite des textes révolutionnaires, à édifier un système bâtard avec un agent unique mi-parole de la loi et mi-agent du gouvernement dont la situation ne cesse, depuis lors, d’alimenter la polémique.

 

2) Atténuations.

Le caractère nécessairement hybride du ministère public mi parole de la loi et mi parole du gouvernement a conduit à apporter, surtout à partir de 1958 de nombreuses atténuations à la pureté des principes originairement adoptés et rappelés ci-dessus. Sans les examiner dans un ordre chronologique, on peut résumer la situation à la veille de la dernière réforme.

 

Quant à l’exercice de l’action publique, plusieurs atténuations à la subordination totale au garde des Sceaux ont été apportées qui subsistent pour la plupart :

* Nature des ordres susceptibles d’être donnés. Selon l’article 30 alinéa 3 du Code de procédure pénale dans sa version antérieure à 2013, le ministre de la justice pouvait « dénoncer au ministère public les infractions à la loi pénale dont il avait connaissance, lui enjoindre d’engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites qu’il jugeait opportunes ».
De cet article, il résultait que le garde des Sceaux ne pouvait plus donner librement tous les ordres qu’il souhaitait au ministère public. Il lui était interdit de donner l’ordre de ne pas poursuivre une infraction et il ne pouvait donc pas bloquer le cours de la justice pénale.
Une fois la poursuite mise en route, La formule «de telles réquisitions que le ministre juge opportunes» paraissait, au contraire, autoriser le ministre, à donner aux officier du ministère public tous les ordres qu’il jugeait bons et donc éventuellement des consignes d’indulgence dans les réquisitions. Celles-ci étaient cependant admissibles dans la mesure où elles ne pouvaient dessaisir les juridictions et donc entraver le cours de la justice, les juges du siège, qui ne sont pas tenus de suivre les réquisitions du parquet, continuant à juger comme ils l’entendaient.

* Portée de la subordination. – Même si la pratique était, hélas, souvent différente (car il n’y a souvent pas mieux qui ceux qui réclament leur indépendance, pour se soumettre, même quand on ne le leur demande pas), rien n’imposait, ni même n’autorisait les officiers du ministère public à prendre l’initiative de solliciter, dans l’ordre hiérarchique, des instructions ou des conseils sur la façon de conduire les actions qui relevaient de leur compétence. Les seules choses qui leur était imposées était de suivre les ordres qui leur étaient donnés d’initiative et de faire un rapport annuel d’activité qui concernait, à l’évidence leur action passée et n’impliquait rien quant à l’exercice de leurs actions en cours. Dès lors que leur hiérarchie ne s’était pas adressée à eux, les officiers du ministère public étaient libres de leur action. Tout au plus pouvait-on déduire de leur statut subordonné, une obligation d’avertissement de leurs supérieurs afin que ceux-ci puissent éventuellement se déterminer. Mais il ne s’agissait là que d’un maximum dont la légalité, dans le silence de la loi, n’était pas, au surplus, évidente et cela ne devait pas être confondu avec une quelconque obligation de sollicitation.

* Le pouvoir propre des chefs de parquet. – Le très important correctif à la subordination hiérarchique des parquets tenait et tient toujours à ce qu’on appelle le pouvoir propre des chefs de parquets. Si les supérieurs hiérarchiques de chaque degré de l’organisation générale du ministère public sont investis du droit de donner des ordres aux échelons inférieurs, aucun d’eux ne bénéficie d’un pouvoir de substitution pour le cas où ces ordres ne seraient pas exécutés. Seul le chef d’un parquet peut agir dans son parquet. Si le garde des sceaux qui souhaitait intervenir dans le cadre d’une affaire, avait donné un ordre à son propos, mais que le procureur général qui l’avait reçu ne voulait pas le transmettre au procureur de la République concerné ou si le procureur de la République qui l’avait reçu ne voulait pas l’exécuter, l’affaire suivait son cours antérieur. Ces officiers du ministère public pouvaient faire l’objet d’une sanction disciplinaire personnelle, mais celle-ci était sans influence sur le cours de l’action publique dans l’affaire considérée.

* La liberté de parole. – Il existe traditionnellement une limitation à la subordination ou à la dépendance des officiers du ministère public quels qu’ils soient. On la déduit d’un adage de l’Ancien droit selon lequel «Si la plume est serve, la parole est libre». Les membres du ministère public doivent, dans les pièces écrites de la procédure, exprimer la position qui leur a été dictée par leur hiérarchie, mais ils ont la possibilité de faire connaître à l’audience leur sentiment personnel si, par hypothèse, il est différent (art. 37 C.P.P.).

 

Quant à la situation statutaire des officiers du ministère public, les principes d’origine ont reçu peu à peu des amodiations dont la rapidité et l’efficacité s’étaient grandement accrues ces dernières années.
En l’état actuel des choses, le Conseil supérieur de la magistrature comprend deux formations, l’une compétente à l’égard des magistrats du siège et l’autre à l’égard des magistrats du parquet. La formation compétente à l’égard des magistrats du parquet, outre des membres communs avec celle du siège (le conseiller d’État, l’avocat et les six personnalités extérieures) est composée de cinq magistrats du parquet et d’un magistrat du siège et est donc symétrique de celle relative aux juges du siège qui comporte cinq représentants des juges du siège et un représentant du ministère public. Son rôle est cependant plus limité. La formation du parquet se borne à donner un avis simple sur la nomination des magistrats du parquet et encore pas tous (ceux du niveau le plus élevé sont nommés en Conseil des ministres et librement choisis) alors que la formation compétente pour les magistrats du siège doit donner un avis conforme pour l’ensemble des nominations et faire des propositions pour les grades les plus élevés. La formation du Conseil supérieur de la magistrature propre au parquet doit donner, d’autre part, un avis sur les sanctions disciplinaires éventuelles alors que les sanctions relatives aux magistrats du siège sont prononcées par la formation du Conseil qui leur est propre et qui a un statut de juridiction.

 

3) La réforme de 2013.

 

– Problématique.

La subordination du ministère public au gouvernement a toujours fait périodiquement l’objet de critiques qui se sont grandement accrues depuis une trentaine d’années sur la base d’une remarque récurrente selon laquelle la situation du ministère public permettrait abusivement au gouvernement en place d’intervenir dans des affaires concernant soit ses amis, soit ses adversaires politiques pour tenter de les soustraire à la justice ou au contraire les embarrasser par des poursuites pénales. Et l’on tirait cette possibilité d’intervention, soit directement du droit de donner des ordres relatifs à l’action publique soit indirectement, de la possibilité d’une pression exercée sur les membres du ministère public au travers de craintes ou d’espoirs quant au déroulement de leur carrière.

Il est manifeste que le caractère bancal de l’institution alimentait ces critiques car il est bien difficile de servir correctement deux maîtres à la fois. S’il se produit, ce qui est rare, Dieu merci, dans une société démocratique que les intérêts du gouvernement se trouvent en conflit avec ceux de la loi, les uns ou les autres étaient fatalement occultés, selon le choix que faisait l’officier du ministère public concerné, ce qui est inadmissible.

Si ces remarques ne relevaient pas totalement du phantasme et si des exemples ont été connus, il faut bien voir, cependant, que tout cela est numériquement négligeable dans ce qu’est l’action quotidienne du ministère public et qu’organiser celle-ci uniquement dans cette considération risque d’être tout à fait défavorable au bon déroulement de l’action publique dans la quasi-totalité des cas ordinaires.

 

Fallait-il donc réformer le ministère public ? Je l’ai autrefois proposé dans un souci de rigueur théorique (ma thèse) : laisser au ministère public actuel la seule défense de la loi en le soustrayant à la tutelle gouvernementale et en alignant son statut sur celui des magistrats du siège ; mais (et ce mais était inséparable, dans ma démonstration, du premier point que nombre d’«interprètes» ont seul retenu parce qu’il les arrangeait) créer simultanément un agent du pouvoir exécutif auprès des tribunaux, pur fonctionnaire chargé d’exposer à ceux-ci les souhaits gouvernementaux quant à l’affaire jugée. Si, en effet, selon Montesquieu, toute démocratie doit connaitre trois pouvoirs (ou plus exactement dans la terminologie de Montesquieu trois fonctions) différenciés, cela n’implique nullement que ces trois fonctions s’ignorent l’une, l’autre et encore moins qu’elles se battent entre elles. Il existe dans les deux chambres du Parlement, chargé d’élaborer la loi, un banc du gouvernement, ce qui n’a jamais choqué personne. On ne voit pas pourquoi le gouvernement chargé d’élaborer la politique pénale comme toutes les autres, devrait être placé dans l’impossibilité de faire connaitre son sentiment dans les procès pénaux qui ne sont jamais que la mise en œuvre de sa politique pénale. A condition toutefois de le faire officiellement et sous ses couleurs et non par la voix d’un magistrat qui doit, par ailleurs, défendre simultanément l’application de la loi.

Si je n’ai jamais changé d’avis sur le fond, j’ai tout de même pris conscience de certains excès de la méthode proposée en raison tant d’un abusif esprit de système (le gouvernement n’a aucune raison de s’intéresser à tous les procès pénaux) que d’une indifférence totale aux considérations d’intendance qui sont deux caractéristiques de la jeunesse. Il est clair qu’aujourd’hui où les considérations budgétaires, sont un élément important à considérer en matière de réformes judiciaires, il est inimaginable que l’on puisse «doubler» véritablement les actuels officiers du ministère public rendus indépendants en créant autant de représentants du gouvernement auprès des tribunaux. Je viens, au surplus, de dire que ce serait  tout à fait inutile, le gouvernement n’ayant que très rarement à faire connaitre un point de vue particulier dans les poursuites pénales.

Un diminutif de la même idée est alors concevable et budgétairement supportable, que j’avais suggéré dans mes Propositions de réforme du Code de procédure pénale (p. 4 et s.). Il consisterait à accorder au ministère public actuel une totale indépendance (d’action et statutaire) mais à donner corrélativement au gouvernement, en tant que tel, la possibilité, de faire ouvrir, s’il le souhaite, une action publique par plainte directe du garde des Sceaux auprès des autorités judiciaires concernées par l’affaire qui le préoccupe, puis à faire exercer cette action par une personne de son choix (fonctionnaire, avocat ou mandataire ad hoc) dans le sens souhaité par lui et à lui accorder aussi le droit, dans les mêmes conditions, d’adjoindre une intervention gouvernementale dans une action décidée et conduite par le ministère public, en toute hypothèse toujours présent dans toute action.

Il faut croire que la formule n’était pas si mauvaise puisqu’un garde des Sceaux ultérieur se l’est appropriée, dans un projet de réforme qui n’a pas abouti, en oubliant de signaler ses sources. Mais il est vrai qu’on écrit pour convaincre (surtout dans le cadre d’un rapport remis à un garde des Sceaux, même s’il a changé dans l’intervalle) et il ne faut pas se plaindre lorsqu’on l’a fait.
Malheureusement, le dernier état du droit positif ne va pas dans le même sens. Il prétend se diriger vers une réelle indépendance du ministère public actuel, mais sans son corolaire indispensable à nos yeux d’une représentation possible du gouvernement et surtout dans une totale incohérence.

 

– La loi du 25 juillet 2013 et sa circulaire d’application.

La loi du 25 juillet diminue la portée des ordres qui peuvent être donnés par le ministre aux membres du ministère public, mais il n’est rien prévu pour que le gouvernement puisse manifester son point de vue auprès des tribunaux dès lors qu’il juge utile de le faire connaitre, ce qui fait que le système demeure bancal. Rien n’est davantage prévu pour modifier la situation statutaire du ministère public, ce qui est moins discutable que le premier point, même si c’est celui qui fâche le plus les magistrats. Certes, la loi nouvelle a supprimé la possibilité pour le gouvernement de donner certains ordres mais elle n’a pas supprimé la possibilité générale de donner des ordres, ce qui continue de singulariser le ministère public au sein de la magistrature et peut justifier, dans la perspective adoptée, que sa situation statutaire demeure différente.

Quant à la réforme de fond de la procédure, elle parait en total décalage avec ce qu’il aurait convenu de faire. Même en partageant le point de vue soutenu par ceux qui l’ont présentée, elle parait, en effet, complètement incohérente. Il peut y avoir deux explications possibles. La première est que, comme en 1792, le garde des Sceaux n’a pas compris la portée de la réforme qu’il établissait. La seconde, serait que la réforme n’était, dans l’esprit de ses promoteurs que de la « poudre aux yeux » ceux-ci s’efforçant de reprendre d’une main la liberté qu’ils prétendaient donner de l’autre aux officiers du ministère public. Il est difficile de trancher pour le moment.
Le principe annoncé par la loi du 25 juillet 2013 qui va jusqu’à modifier en ce sens les intitulés correspondants du Code de procédure pénale est que la « politique pénale » relève comme toute politique du gouvernement et donc du garde des Sceaux mais que la « politique d’action publique » est confiée aux magistrats du ministère public et à eux seuls. La réforme en tire la conséquence que si le garde des Sceaux peut publier des circulaires d’instructions générales quant à la poursuite des infractions, il lui est impossible d’intervenir désormais dans la conduite des affaires individuelles qui n’est que des magistrats du ministère public. Ce principe n’est pas cependant absolument consacré puisque le Garde des Sceaux conserve son pouvoir d’action individuelle dès lors que le ministère public en cause est le Procureur général près la Cour de cassation (ordre de former un pourvoi en cassation dans l’intérêt de la loi, de former un pourvoi en révision, ou de réexaminer une décision critiquée par la Cour E.D.H.) ou que la question posée est d’ordre international (extradition, saisie internationale, transferts de condamnés, etc…). Le retrait du garde des Sceaux de l’exercice de l’action publique ne concerne donc que la hiérarchie des parquets que l’on peut dire « ordinaires » celui de la cour d’appel (procureurs généraux) et du tribunal de grande instance (procureurs de la République).

Si le seul principe de la loi était bien de distinguer entre la politique pénale confiée au garde des Sceaux et l’action publique, confiée au ministère public, il suffisait de modifier un seul article du Code de procédure pénale, l’article 30, puisque c’était le seul qui faisait référence au garde des Sceaux. Rien n’imposait de changer quoi que ce soit d’autre à l’action des officiers du ministère public. Or la réforme ne se borne pas à cela. Sans qu’aucune explication ne soit donnée, elle crée, pour les procureurs généraux, une obligation, qui n’existait pas jusque-là, de rendre des comptes au ministre de la Justice sur les affaires en cours, non seulement d’« initiative » mais aussi « sur demande du ministre de la Justice » (art. 35 nouveau du C.P.P.). Et l’on ne peut qu’être confondu lorsqu’on lit dans la circulaire « d’application » de la loi du 25 juillet 2013 que « l’article 35 du Code de procédure pénale maintient la formulation selon laquelle… ». On voit mal, en effet, comment la loi nouvelle pourrait « maintenir » une formulation qui n’existait pas jusque-là. Ce qui était prévu, en effet, par l’ancien article 35 du Code de procédure pénale était que le procureur de la République (magistrat du ministère public) pouvait faire des rapports au procureur général dont il dépendait (autre magistrat). Il n’était pas prévu par ce texte, même lorsque le ministre de la Justice pouvait donner des ordres relatifs à des affaires particulières, que le procureur général ait à lui rendre des comptes d’initiative ou à sa demande. Que certains l’ait fait est connu mais ce n’était pas la loi. On ne peut donc que s’étonner que cette obligation de rendre des comptes apparaisse dans la loi au moment où le garde des Sceaux prétend se retirer de l’exercice de l’action publique. Or non seulement la loi le prévoit, mais encore la circulaire d’application donne à cette obligation une étendue à partir de laquelle on voit mal ce qui pourrait y échapper (gravité des faits ; trouble manifestement grave à l’ordre public ; personnalité de l’auteur ou de la victime – VIP publics ou privés – ; nombre élevé de victimes ; infractions concernant des faits ciblés comme relevant d’une priorité de politique pénale ou nécessitant une actions coordonnée des pouvoirs publics ; infractions représentant une nouvelle forme de criminalité ou relevant de la criminalité organisée ; médiatisation possible ou effective de la procédure ; difficulté juridique ou institutionnelle posant une question dépassant le cadre d’un seul ressort ; dimension internationale de l’affaire). Et il est encore précisé que «les parquets généraux doivent informer la Chancellerie régulièrement, de manière complète et en temps utile (pourquoi faire puisque le ministre ne peut intervenir ?) des procédures les plus significatives » et que « les parquets généraux doivent répondre avec diligence (même question)…aux demandes d’information ponctuelles du garde des Sceaux ».

La justification que la circulaire donne à ce devoir d’information imposé au ministère public est , d’une part, que le garde des Sceaux doit pouvoir adapter la politique pénale, d’autre part qu’il doit être en mesure de répondre aux organismes ou aux parlementaires qui l’interrogent sur une affaire en cours, ensuite que le garde des Sceaux conserve des prérogatives internationales, enfin que les procureurs généraux peuvent avoir besoin de soutien technique.

L’argument international est le seul qui ne soit pas dénué de pertinence puisque le ministre y conserve un rôle.

L’invocation de la nécessité d’adapter la politique pénale n’est pas sérieuse. On n’adapte par une politique tous les huit jours. Cette adaptation ne peut résulter efficacement que du rapport annuel d’exercice d’action publique dressé par les procureurs généraux à partir des rapports des procureurs de la République. ces rapports doivent, à l’évidence, concernés des actions passées, être généraux et synthétiques et n’ont pas, en conséquence, à tenir compte des poursuites individuelles en cours. Et ils doivent d’autant moins le faire qu’il leur serait impossible de faire autrement sans violer le secret de l’instruction qui, dès lors que le garde des Sceaux est étranger à l’exercice de l’action publique, s’impose à son égard comme à celui de toute autre personne alors surtout que le rapport que le ministre tirera de ceux des procureurs généraux doit être communiqué au Parlement.

La même raison prive de tout sens une demande qui aurait pour but de répondre à une interrogation externe. Si un parlementaire était suffisamment ignorant ou peu attentif aux réformes qui ont été  votées pour poser au ministre de la Justice une question sur une affaire particulière, la seule réponse que pourrait faire le garde des Sceaux serait « je l’ignore puisque je ne peux pas intervenir dans le traitement des affaires individuelles ».

Reste l’argument tiré d’un besoin qu’un procureur général pourrait avoir d’un soutien technique. Il n’est pas dénué d’intérêt mais il est clair qu’avec le nouveau régime légal ce soutien ne peut être obtenu d’une direction du ministère de la Justice, à peine de rendre le système totalement incohérent, ce qui est pourtant fait. Cela révèle que, dès lors que la direction de l’action publique est retirée au ministre pour être confiée au ministère public, ce que l’on nous dit, il faut créer un échelon supérieur à la hiérarchie de celui-ci qui soit confié à un magistrat pour assurer la cohérence nationale de l’action publique. Lors de réformes précédentes avortées, plusieurs pistes avaient été envisagées. J’ai toujours soutenu de le chef naturel du ministère public, dans son ensemble, ne pouvait être que le Procureur général près la Cour de cassation qu’il faut réintroduire  au sommet de la pyramide hiérarchique et doter d’une partie de l’infrastructure qui est aujourd’hui celle de la Direction des affaires criminelles et des grâces afin de lui permettre, en plus de son rôle de chef du parquet de la Cour de cassation, de diriger nationalement l’exercice de l’action publique dont on nous dit qu’il ne relève plus du garde des Sceaux.

Inutile et incohérent, le droit positif actuel , qui ne répond pas aux réels problèmes posés par le ministère public, ne nous parait pas pouvoir fonctionner longtemps harmonieusement.

AVOCATS PENALISTES ET GARDE A VUE

Le rôle d’un avocat pénaliste est de défendre ses clients, de les défendre tous (au moins ceux qu’il a choisi d’assister) et de les défendre, dans l’idéal, jusqu’à les avoir soustraits à la justice.

Il faut alors avoir bien conscience de ce que cela postule : la « bonne » procédure pénale, à l’aune d’un avocat pénaliste est celle qui est la moins efficace possible.

En présence de textes applicables ou de projets de réforme, l’action et le lobbying des avocats est donc celui qui cherche à conduire à cette plus grande inefficacité possible.

Il serait totalement absurde de le leur reprocher : ils font leur métier et la plupart le font remarquablement, en considération de ce qu’il est.

Il est difficile, dans le même ordre d’idées, de ne pas applaudir pour l’astuce du geste, le tour de passe-passe judiciaire auquel se sont livrés, pendant les fêtes de fin d’année un bâtonnier sortant qui a voulu soigner sa sortie et deux secrétaires de la conférence du stage, soucieux de soigner leur entrée. Profitant de ce que la trêve des confiseurs conduit à faire constituer les juridictions de magistrats qui n’y sont pas affectés, en principe, ils ont, en effet, obtenu l’annulation d’une procédure au motif que les avocats admis en garde à vue ne s’étaient pas vu remettre l’entier dossier de l’affaire, droit que la loi ne leur confère pas et qu’elle ne leur conférera probablement pas de sitôt (il faut, en tout cas, pour la défense de l’ordre public, le souhaiter).

Dans la mesure où l’ensemble des juridictions concernées par la question, y compris les plus prestigieuses et celle dont les décisions « s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles » (art. 62 Const. Pour le Conseil constitutionnel) s’est déjà prononcé en sens contraire de celui adopté, en l’espèce, par le tribunal, il ne peut faire sérieusement de doute que ce jugement obtenu par surprise sera réformé ou, au pire, cassé. Mais la performance des avocats valait d’être saluée.

Cela étant dit et si les avocats pénalistes sont dans leur rôle, qu’on ne peut pas leur reprocher, en tentant d’obtenir le régime juridique le plus favorable à leurs clients, il serait très préjudiciable à la procédure pénale, vue du côté du peuple Français, qu’ils soient seuls à être écoutés quand il s’agit d’évaluer la procédure pénale ou de la réformer. Or ils sont, par la force de leur métier ce que les médias appellent de « bons clients », tandis que les policiers et les magistrats sont tenus à une obligation de réserve et ne peuvent s’exprimer que par le biais de représentants syndicaux dont la position n’est pas nécessairement celle de leur base et que les médias n’ont pratiquement jamais su qu’ils existe, en Droit pénal, des universitaires, qui n’ayant ni patrons ni clients sont à peu près les seuls à pouvoir être totalement objectifs.

 

Voyons, quel est le fond du problème.

Les avocats qui assistent leurs clients en garde à vue ont, outre le droit de s’entretenir avec ceux-ci, celui de consulter le procès-verbal de la garde à vue faisant état de la notification à l’intéressé des droits qui sont les siens, le certificat médical éventuellement dressé et les procès-verbaux d’audition déjà réalisés si la personne qu’ils assistent a déjà été interrogée (art. 63-4-1 du Code de procédure pénale). Ils se battent pour obtenir un accès intégral au dossier de la procédure qui leur est, sauf par le jugement étrange de Noël, très juridiquement refusé sur la base du texte existant qui contient une énumération des pièces communiquées que les règles classiques d’interprétation du droit pénal conduisent à considérer comme limitative.

Ils prétendent alors qu’il ne s’agirait que d’un combat d’arrière-garde car la France doit intégrer au droit français, au plus tard, en juin prochain, une directive européenne qui conduirait à ce que les défenseurs se voient accorder cet accès intégral au dossier.

Il suffit de lire la disposition en cause dans la directive européenne en question pour constater qu’il n’en est rien : « Lorsqu’une personne est arrêtée et détenue à n’importe quel stade de la procédure pénale, les Etats membres veillent à ce que les documents…qui sont essentiels pour contester…la légalité de l’arrestation ou de la détention soient mis à la disposition de la personne arrêtée ou de son avocat » et, plus loin « (ce droit) est accordé en temps utile…au plus tard lorsqu’une juridiction est appelée à se prononcer sur le bien-fondé de l’accusation » :

1) le gardé à vue n’est ni « arrêté » ni « détenu », il est retenu ;

2) il n’est pas évident que la garde à vue fasse partie de la « procédure pénale », au sens européen du terme, puisqu’aucun juge n’a encore été saisi et qu’il n’est pas évident du tout qu’aucun sera saisi plus tard. En toute hypothèse, la garde à vue intervient en France au tout début de la procédure alors qu’elle ne se produit, dans les autres pays qui la pratiquent, que presque à la fin de la procédure préparatoire. Ce n’est pas comparable.

3) les documents à communiquer sont les documents « essentiels » ce qui postule, de toute évidence que la transmission n’est pas intégrale ;

4) le caractère essentiel est celui qui est nécessaire pour apprécier la « légalité » de la détention et non de son opportunité ;

5) ils sont communiqués à la personne poursuivie « ou » à son avocat ce qui ne rend pas la communication à l’avocat nécessaire du moment que l’intéressé a été informé.

6) la communication n’est obligatoire qu’avant la saisine d’une autorité judiciaire qui doit statuer sur les charges étape dont on est encore très loin au moment de la garde à vue française.

En clair, l’article 63-4-1 du Code de procédure pénale donne déjà aux avocats français des droits supérieurs à ceux prévus par la directive. Sa transposition ne changera donc rien au droit positif et c’est heureux car toute autre méthode compromettrait encore un peu plus qu’elle ne l’est aujourd’hui l’efficacité des enquêtes de police alors que le Général d’Armée Soubelet, n°3 de la Gendarmerie, faisait état, lors d’une récente audition à l’Assemblée nationale, d’une réelle diminution des mis en cause en secteur Gendarmerie qui ne peut avoir d’autre explication que l’arrivée des avocats en garde à vue.

Toute personne poursuivie a le droit d’être défendue le mieux possible, mais la Société des innocents a le droit d’être sauvegardée. C’est l’éternel problème de la procédure pénale dans un pays démocratique : il faut trouver un équilibre délicat mais nécessaire entre l’intérêt des mis en cause et celui de la collectivité. L’accès intégral de la personne poursuivie au dossier de la procédure en garde à vue le compromettrait d’une façon excessive en faveur de possibles délinquants.

CHRISTIANE TAUBIRA ET L’ŒUF DE CHRISTOPHE COLOMB

Christiane Taubira soulève les passions y compris exprimées par les moyens les plus contestables et qui doivent être fustigés à la hauteur de ce qu’ils sont.

Mais ce n’est pas une raison pour perdre toute lucidité dans l’analyse comme on le fait à gauche comme à droite à propos de la réforme pénale qu’elle soutient. Ce n’est ni « une grande réforme » ni une catastrophe pour la sécurité publique car ce qu’on peut en dire, si l’on veut résumer en une phrase, c’est au choix « nulle et non avenue » ou « circulez, il n’y a rien à voir ».

La France aime charger des commissions, des personnalités ou des ministres d’élaborer des projets qui seront abandonnés le jour même où ils sont dévoilés. Elle a fait particulièrement fort, depuis quarante ans, en matière de justice pénale. Du moins tous ces projets, totalement ou partiellement abandonnés, avaient-ils présenté une ou plusieurs idées originales, qui ont finalement laissé quelques traces, et qu’on a retrouvées au fil de réformes postérieures. Ce qui caractérise le Projet Taubira, c’est l’absence totale de toute idée neuve, le degré zéro de la réflexion en matière de politique pénale.

Le principal effet de ce projet de loi, comme d’ailleurs d’autres de ce même gouvernement en d’autres domaines, c’est la suppression de ce qui avait été fait auparavant. Exit donc les tentatives pour sanctionner plus sévèrement les récidivistes et dont les peines dites « plancher » étaient le symbole. On ne peut pas dire que ce soit une idée transcendante. Mais sur le fond et si c’est à l’évidence regrettable, ce n’est pas pour autant le drame que d’aucuns nous décrivent tant, ce qui avait été fait, si c’était mieux qu’avant, demeurait insuffisant. Il est évident : qu’il faudrait se décider à mener une vraie politique de lutte contre la récidive ; que cela n’a jamais été fait ; que ce n’est certainement pas ce que fait le projet actuel ; et, enfin, que pour que l’actuelle opposition revenue au pouvoir le fasse un jour, il faudrait qu’elle cesse d’avoir peur de son ombre et des critiques des bien pensants qui parlent beaucoup pour faire croire qu’ils pensent mais ignorent plus encore.

Il y a dans ce projet une seule innovation intéressante, celle à laquelle aucun de ses commentateurs n’a consacré la moindre ligne : la possibilité accordée aux juridictions de jugement de suspendre celui-ci pour permettre de rechercher les éléments susceptibles de mieux évaluer la personnalité du prévenu et qui ne figureraient pas au dossier. On ne peut cependant pas dire que cette idée soit nouvelle. Je l’avais moi-même suggérée…il y a trente ans… (Pour une politique anti-criminelle du bon sens) et d’autres l’avaient fait aussi avant et après.

Pour le reste, le projet Taubira se contente d’organiser un désordre encore plus grand que celui qui existe aujourd’hui dans le prononcé et l’exécution des peines correctionnelles.

La prétendue « contrainte pénale » n’est rien d’autre que le sursis avec mise à l’épreuve, qui existe depuis 1958, sinon tel qu’il figure dans la loi, du moins tel qu’il est appliqué par la pratique. On nous dit que la différence entre les deux institutions viendrait du fait qu’en cas de non-respect des obligations qui lui ont été imposées ou de commission d’une nouvelle infraction, la personne aujourd’hui condamnée avec un sursis va tout de même en prison alors qu’avec la contrainte pénale elle n’y ira plus. Outre qu’on peut douter du bien-fondé de la méthode, c’est doublement faux. Depuis 1975, le sursis avec mise à l’épreuve n’est automatiquement révoqué par rien. C’est à la nouvelle juridiction saisie à la suite de la mauvaise conduite du probationnaire qu’il incombe de dire si elle veut ou non révoquer le (ou hélas, le plus souvent, les) sursis précédent(s). En outre et si elle opte pour la révocation, elle peut ne le faire que de façon partielle (un des sursis précédent et non les autres ou une partie seulement de la peine d’emprisonnement qui avait été assortie des sursis). Par ailleurs, à l’inverse, et quoiqu’elle en pense ou dise, Madame Taubira a bien été obligée de prévoir l’emprisonnement de son « contraint » s’il ne veut décidément rien entendre. La différence, c’est qu’ici la durée de l’emprisonnement est préfixée à la moitié de la peine initialement prononcée (on est de gauche ou on ne l’est pas). Mais compte tenu de ce qui se passe actuellement avec le sursis avec mise à l’épreuve et que nous venons de rappeler, cela ne changera pratiquement rien. Quant à savoir quand et comment les juges choisiront l’une ou l’autre formule, qui subsistent toutes les deux, sans parler de beaucoup d’autres possibilités, mystère.

Mais c’est surtout quant aux obligations susceptibles d’être imposées que le texte est d’une anémie affligeante. Ce ne sont, en effet, que les seules obligations ou interdictions connues aujourd’hui et actuellement prévues au titre du sursis avec mise à l’épreuve ou qui existent, en tant que telles, qui pourront être imposées au contraint. On aurait attendu mieux d’une mesure devant s’appliquer à des prévenus dont « la personnalité … et les circonstances de la commission des faits justifient un accompagnement socio-éducatif individualisé et renforcé » alors surtout que la mesure peut s’appliquer pour cinq ans ce qui laisse tout de même, si on le veut, la possibilité de faire quelque chose. Il aurait convenu, par exemple, d’imposer des obligations non pas de moyens (faire tout son possible pour…) ce qui compte tenu de la clientèle concernée relève, la plupart du temps, du cautère sur une jambe de bois, mais des obligations de résultat (apporter une preuve de désintoxication effective ; obtenir une qualification professionnelle ; garder le même logement et le même travail pendant plus d’un an, par exemple), à condition, bien entendu, que l’intéressé l’accepte car il ne peut être question, en démocratie, d’imposer un mode de vie à quelqu’un qui n’en veut pas . Le prévenu devrait donc avoir le choix entre les moyens d’une resocialisation offerte et la prison. Bien entendu, on chercherait vainement tout ça dans le texte, où l’on continue dans le domaine de l’incantation en priant poliment les condamnés de faire tout leur possible pour se réinsérer socialement. On ne commencera donc à faire quelque chose de sérieux aux délinquants que lorsqu’ils commettront une infraction qui encourt une peine supérieure à cinq ans d’emprisonnement, ce qui ne manquera pas de se produire dans un nombre de cas significativement plus élevé que si l’on avait efficacement réagi plus tôt. Jusque-là ils ne craignent pas grand-chose à gagner leur vie par des moyens illégaux mais tellement moins fatigants et plus rentables que ceux qu’appliquent la majorité des français qui respectent la loi et doivent, en plus, subir les attaques de ceux qui ne le font pas.

Reste enfin, l’insuffisance criante et qui le restera du personnel chargé d’encadrer tous ces condamnés laissés en milieu libre (les sursitaires, les contraints, les sortants de prison, etc…) et ce ne sont pas les quelques créations de poste qui sont annoncées qui y changeront quelque chose. On peut faire un calcul simple : un mois compte 24 jours ouvrables, on ne peut pas dire qu’un condamné qui a besoin d’un « accompagnement socio-éducatif individualisé et renforcé » est convenable suivi s’il ne rencontre pas la personne chargée de l’encadrer au moins une demi-journée par mois ; conclusion : chaque membre du personnel ne doit pas avoir en charge plus de 48 dossiers. C’est en toute hypothèse impossible. Le budget de la justice ne supporterait pas le poids des rémunérations du nombre de personnes nécessaires à cette prise en charge et, en admettant qu’il le fasse, on ne trouverait pas suffisamment de personnes motivées et convenablement formées capables de le faire. Une semblable méthode qui n’a rien, en elle-même de fondamentalement mauvais doit être très précisément ciblée sur quelques prévenus choisis après un examen approfondi de leur situation et non étendue à tous, ce qui est le vice fondamental du projet mais aussi, répétons-le, du droit positif.

Alors, le projet Taubira, un coup pour rien ? Techniquement oui. Mais en matière de politique pénale, il n’y a pas que la technique.

En 1981, l’élection de François Mitterrand a été saluée par des chahuts d’applaudissements dans toutes les prisons françaises. Rien n’avait encore été fait, mais les délinquants avérés ou en puissance avaient acquis le sentiment que leur situation allait s’améliorer et l’explosion de la délinquance qui a suivi n’était pas uniquement due à la politique menée, aussi mauvaise qu’elle ait été, mais aussi, et d’abord, à un sentiment d’impunité qui s’était installé avant même que cette politique ne se développe. C’est un message du même ordre qu’envoie Christiane Taubira, mais qui, là encore, avait commencé avant même que son texte ne soit connu, la personnalité de Manuel Valls ne semblant pas suffisante pour contrebalancer ce sentiment d’impunité aujourd’hui bien installé.

Pour une fois il serait vraiment utile de jeter un projet à la poubelle. Il est clair qu’on l’a déjà retardé, mais comme je viens de le dire le mal était déjà fait et il faudra beaucoup plus qu’un retard ou même qu’un abandon pour qu’on fasse reculer le sentiment d’impunité qui prévaut aujourd’hui, et que suscitent la personnalité et le discours de Christiane Taubira.