REQUISITOIRE CAHUZAC ET POLITIQUE PENALE

Le « nouveau » (Sic, ???) Code pénal de 1992, en vigueur depuis 1994 est, en matière de choix des peines et donc de politique pénale, d’un désolant conservatisme.
Toutes les infractions prévues par lui sont punies et ne sont punies, sur la base des textes qui les prévoient, que d’une peine d’emprisonnement et d’une peine d’amende, prévues ensemble et qui plus dans en rapport l’une avec l’autre (un an, 15000€ ; deux ans, 30000€, etc…). C’est la négation de l’idée même de politique pénale véritable qui voudrait que l’on adapte la peine, non seulement, dans son quantum, à la personnalité du délinquant, mais d’abord, dans sa nature au type d’infraction commis. Et le plus beau de l’histoire est que ce Code est dû à une majorité politique qui n’a de cesse d’accuser ses adversaires d’être pour le « tout carcéral ».

Il est clair que l’emprisonnement est la peine de choix pour les infractions de violence qui atteignent ou menacent l’intégrité de la personne (homicides et blessures volontaires, atteintes sexuelles, etc…, pour la première catégories ; trafics de drogue, d’armes , d’êtres humains, mais également vol, etc… pour la seconde). Il importe, en effet, d’avoir bien présent à l’esprit que si le vol est juridiquement le type même de l’infraction contre les biens, il est criminologiquement la première cause d’atteinte aux personnes (40 % des blessures et homicides volontaires selon les statistiques policières, sont commis pour le préparer, l’exécuter, s’enfuir ou régler des comptes). Dans ces hypothèses, il convient de neutraliser ces forces mauvaises et l’emprisonnement est la meilleure façon d’y parvenir avec, éventuellement, mais éventuellement seulement (s’il y a eu, en plus, un profit – cas du vol – des sanctions pécuniaires).
C’est pratiquement le seul domaine où l’emprisonnement s’impose.

Pour les infractions de profit (l’escroquerie, l’abus de confiance, les infractions économiques et financières, etc…), il est beaucoup plus efficace de frapper là où ça fait le plus mal, c’est-à-dire au portefeuille par des peines pécuniaires et celles-là seulement qui devraient d’ailleurs être beaucoup plus diversifiées et développées qu’elles ne le sont aujourd’hui ou l’on ne retient pratiquement que l’amende et la confiscation. Il serait notamment utile de mettre en place une amende obligatoire d’un type particulier, qui, au-delà de ce qui serait prononcé pour sanctionner les faits eux-mêmes, ferait qu’aucune infraction ne puisse laisser un bénéfice à son auteur. En matière de fraude fiscale il ne suffit pas de redresser les déclarations et d’appliquer la sanction prévue, il faut aussi confisquer la valeur de l’intégralité des sommes dissimulées. Et pour que ce soit efficace, rendre cette peine imprescriptible de façon à pouvoir, toute sa vie, rattraper le fraudeur. Cela priverait la littérature et le cinéma policiers des nombreuses productions relatives à la récupération d’un butin (« L’année sainte ») devenue inutile, mais permettrait de sanctionner efficacement.

Et bien d’autres sanctions pourraient être créées ou voir leur usage s’étendre au-delà du rôle de peine complémentaire ou de substitution à l’emprisonnement qu’elles jouent aujourd’hui, quand elles existent, sans être, dans le second cas, adaptées. Quand un professionnel tenu au secret viole son obligation, la seule peine logique est l’interdiction professionnelle temporaire, de plus en plus longue s’il récidive, voire définitive s’il persiste. Prévoir que la violation du secret professionnel sera sanctionnée par un emprisonnement (qu’on ne prononce jamais) et une peine d’amende (qui n’a rien à faire ici) est d’une totale absurdité.
Et sans doute faut-il créer d’autres sanctions qui conduiraient, par exemple, les condamnés à mettre leurs talents au service de la communauté, par une vraie peine de travail dans l’intérêt général qui ne consisterait plus à faire faire un médiocre bricolage pendant un petit nombre d’heures comme aujourd’hui (et qui plus est appliqué à des auteurs d’infractions de violence qui n’en relèvent pas), mais à travailler pendant plusieurs mois ou plusieurs années au service de collectivités publiques ou d’associations humanitaires. On oppose à cette idée le fait que la Convention européenne des droits de l’homme ferait obstacle à ces travaux forcés. C’est inexact. Une disposition spécifique de la Convention prévoit expressément la licéité du travail pénitentiaire. On ne voit pas pourquoi elle interdirait le travail pénal en liberté. En outre la Cour européenne des droits de l’homme, qui de temps en temps a du bon sens, vient de répondre à un détenu suisse qui refusait de travailler au motif qu’il avait dépassé l’âge de la retraite, que le travail pénal était un élément de la peine auquel il devait satisfaire tant qu’il en était capable.

C’est à la lumière des observations précédentes qu’il faut apprécier le réquisitoire prononcé par Madame le Procureur financier à l’encontre de Jérôme Cahuzac car le conservatisme du Code pénal et pire, l’absence de maitrise de la criminologie et de la police pénale nécessaire, ne fait pas qu’habiter le Code pénal, elle semble aussi régner dans l’esprit de certains magistrats et non des moindres.
Madame le Procureur financier a, en effet, requis, à l’encontre de Jérôme Cahuzac une peine de trois ans d’emprisonnement ferme au motif qu’il ne faut pas être plus clément avec les délinquants en « col blanc » qu’avec les « petits délinquants ». Cela signifie, en premier lieu, que Madame le Procureur financier considère que l’emprisonnement est la seule peine véritable ce qui est complètement faux et totalement dépassé (encore un adepte du « tout carcéral » !). L’emprisonnement est une peine adaptée à certains comportements. Il n’est ni plus ni moins punitif que d’autres sanctions qui seraient plus adaptées à des faits qui, pour être tout à fait inadmissibles, ne sont pas violents. En second lieu, les « petits délinquants » (expression criminologiquement dénuée de sens) auxquels pense Madame le Procureur financier, sont pour l’essentiel des voleurs dont on sait qu’ils peuvent à tout moment, déraper dans la violence quand ce n’est pas dans le terrorisme, ce qui n’est évidemment pas comparable.
On comprend bien l’idée qui anime Madame le Procureur financier qui est qu’il conviendrait de priver les plus grands délinquants en col blanc de liberté et on ne peut pas lui reprocher de ne pas requérir une peine qui n’existe pas. Mais c’est là que devrait entrer en scène un vrai travail dans l’intérêt général qui n’existe pas encore mais qu’il faudrait créer.

Pour Jérôme Cahzac, comme avant lui pour Jérôme Kerviel ou Loïc le Floch Prigent, l’application d’une peine de prison ferme est une absurdité : ils sont parfaitement insérés socialement et l’emprisonnement ne pourrait que les désinsérer ; ils ont des talents qu’ils ont mal utilisés mais qui pourraient l’être mieux. La meilleure sanction possible qui atteindrait leur liberté sinon d’aller et venir, du moins de vie, serait de les condamner à travailler pour une rémunération n’assurant que leur minimum vital, durant plusieurs mois ou années pouvant aller jusqu’à trois, au service d’un agent servant le public, en fonction de leurs possibilités.
Jérôme Cahuzac est médecin même s’il semble avoir perverti son art au profit d’un exercice moins thérapeutique que lucratif. L’idéal serait de pouvoir le mettre pendant trois ans à la disposition d’un service d’aide ou de secours : SAMU social, accueil médical des demandeurs d’asile, Protection civile, Médecins sans frontières, etc… Selon une formule souvent galvaudée mais qui serait vraie ici, ce régime de peine serait gagnant-gagnant. Gagnant pour l’ordre public en créant une peine véritablement pénible pour le condamné et en accord avec la gravité des faits commis ; gagnant pour les organismes d’aide peu fortunés et qui ne trouvent pas forcément assez de bénévoles formés ; gagnant pour le trésor public qui, même en assurant le coût de l’ensemble de l’opération y gagnerait surement beaucoup en comparaison du prix de journée de la détention.
Les candidats à la future élection à la Présidence de la République se préoccupent, disent-ils de sécurité. C’est vrai, mais comme toujours avec les politiques, sur des points de détail, certes non négligeables comme le terrorisme, mais qui ne sauraient suffire à traiter la totalité des problèmes posés. Souhaitons qu’ils prennent conscience au minimum de la nécessité de revoir tout le système français des peines et de leur application.

1 réflexion sur « REQUISITOIRE CAHUZAC ET POLITIQUE PENALE »

  1. linais

    Chère Madame, j’ai moi même été choquée par les réquisitions de Madame le Procureur dans l’affaire Cahuzac. Certes, il serait mal venu d’invoquer que l’infraction qui lui était reprochée est beaucoup moins souvent poursuivie et réprimée que celles que commettent les « petits délinquants » et que, de surcroît, ses collègues, les fraudeurs fiscaux se retrouvent rarement dans les prétoires. Mais vous avez mis le doigt sur l’essentiel : dans le cas de Jérôme Cahuzac la peine proposée est totalement inadaptée et, à mon avis, ne s’explique que par « le désir de punir », surtout quand le coupable a, par ses agissements, couvert de ridicule tout un gouvernement…

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