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Irresponsabilité pénale devant le Sénat après l’Affaire Halimi

Il y a quelques temps, Le Procureur général près la Cour de cassation s’exprimait dans un tweet pour dire que la question de l’élément moral requis pour constituer une infraction était beaucoup trop délicate pour être traitée dans la précipitation au seul motif d’une décision particulière. Il n’a manifestement pas été entendu puisque le Parlement est actuellement en train d’évoquer la question au résultat de l’Affaire Halimi

  1. l’Affaire Halimi

Il est toujours détestable de légiférer en considération de faits particuliers (la loi est générale et impersonnelle). Mais cette attitude est encore plus condamnable lorsque l’affaire qui amène à le faire ne procède pas d’une imperfection de la loi mais d’une erreur de la ou des juridictions qui ont statué.

Dans l’Affaire Halimi, un homme de religion musulmane à défenestré sa voisine, juive, après l’avoir traitée de « satan » et affirmé que « Dieu est grand ». Sa défense a prétendu qu’il devait être jugé irresponsable parce qu’il était consommateur habituel de stupéfiants et dans un état d’inconscience au moment des faits ce qu’a admis la juridiction sur la base de deux expertises sur les trois demandées. Or il s’agit là d’une erreur manifeste.

Pour qu’une infraction, quelle qu’elle soit, soit constituée, il faut qu’en dehors des faits matériel commis, il y ait une intention qualifiée de dol général. Ce principe a été rappelé dans un arrêt célèbre, qui constitue toujours le droit positif et selon lequel « toute infraction, même non intentionnelle, suppose que son auteur ait agi avec intelligence et volonté ». Dans l’hypothèse de blessures volontaires, par exemple, il faut, mais il suffit, d’avoir voulu faire du mal à la victime.

Dans certains cas une forme particulière d’intention est requise. C’est ce qu’on appelle un dol spécial. Pour être coupable de meurtre il ne suffit pas d’avoir voulu faire du mal à la victime et que celle-ci soit effectivement morte, il faut, dès l’origine, avoir eu l’intention de la tuer. Ce dol spécial, élément constitutif particulier de l’infraction, devra être distinctement établi par le ministère public et constaté par la juridiction pour que la qualification de meurtre puisse être retenue.

Or, dans l’Affaire Halimi, l’existence d’un dol général est établie par les faits eux-mêmes en raison de la parfaite adéquation entre les actes commis et les propos tenus par leur auteur et qui montrent, pour reprendre les mots de l’arrêt Laboube son intelligence et sa volonté de les commettre. Il est bien connu que le nom de « satan » est attribué aux personnes juives par les musulmans extrémistes de même que l’affirmation qu’Alla est grand précède l’accomplissement de tout acte terroriste. La question de l’existence du dol général aurait pu se poser si l’intéressé avait déclaré vouloir remettre dans son poulailler un volatile qui s’en serait échappé ou même si sa victime n’avait pas été juive, mais ce n’est pas le cas. Malgré une éventuelle maladie mentale, le voisin de Madame Halimi a bien déclaré vouloir lui faire du mal parce qu’elle était juive et au nom d’Alla. Le dol général était établi et pouvait donc suffire à qualifier une infraction qui ne réclame que lui.

La seule question qui se posait, compte tenu du fait que Madame Halimi était morte, était celle de la qualification à retenir pour l’infraction commise, c’est-à-dire celle de l’existence ou non du dol spécial de l’intention de tuer et là la question d’une éventuelle maladie mentale pouvait se poser. J’ignore comment était rédigée les demandes d’expertise mais la seule question qui pouvait être posée aux experts, parce qu’elle restait douteuse, était : « le suspect a-t-il voulu tuer ? ». Et en admettant que la réponse des experts soit non, cela ne justifiait nullement une mise hors de cause mais imposait une poursuite sous la qualification de blessures volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner pour laquelle le dol général suffit et était constitué. Cela aurait probablement donné satisfaction aux proches et à l’opinion publique et aurait évité de modifier les textes pour de mauvaises raisons car l’Affaire Halimi est beaucoup trop spécifique pour qu’on puisse en tirer la moindre idée générale.

 

2. Le rôle de l’intoxication dans la constitution de l’élément moral de l’infraction.

La question du rôle des intoxications sur la constitution de l’élément moral des infractions n’a jamais été spécialement envisagée par la loi. On ne la traite que par référence à la maladie mentale.

Il est évident que l’intoxication ne peut être considérée comme exonératoire pour les infractions qui l’incriminent directement (ivresse publique et manifeste, consommation de stupéfiants, délit de conduite d’un véhicule en état d’ivresse ou sous influence de stupéfiants).

Il est certain également, que l’infraction serait constituée de la part de celui qui boirait ou prendrait un excitant chimique, en connaissance de ses effets, pour se donner le courage d’aller commettre une infraction. Il faudrait même y voir la circonstance aggravante de préméditation, quand elle existe pour l’infraction dont il s’agit.

Il faut, enfin, réserver l’hypothèse de l’ivresse subie involontairement par l’agent qui, ou bien aurait été exposé à son insu ou contre son gré à l’action de substances enivrantes (par exemple, respiration involontaire d’un gaz toxique), ou bien aurait absorbé sans faute (notamment d’inattention) de sa part, un produit (par exemple un médicament) susceptible de lui procurer une ivresse non désirée. Cette personne serait, de toute évidence, irresponsable si l’ivresse en cause l’a conduite à une inconscience au cours de laquelle elle a commis une infraction, volontaire ou non.

Le problème qui reste posé est celui de l’incidence sur l’élément moral d’une infraction de la consommation volontaire de produits dont on connait les effets, mais sans les rechercher spécialement dans un but délinquantiel.

Certains auteurs préconisent une distinction catégorique entre les infractions intentionnelles et les infractions non intentionnelles. L’intoxication pourrait être exonératoire dans le premier cas car elle prive de la faculté de comprendre et de vouloir mais ne devrait pas pouvoir être invoquée dans le second cas, où ce qui est reproché à l’agent n’est pas la recherche d’un résultat dommageable, mais une attitude imprudente de nature à le provoquer, alors que l’absorption inconsidérée d’alcool ou de stupéfiants peut être précisément un symptôme supplémentaire de cette conduite imprudente. Une semblable distinction paraît trop absolue en ce qui concerne les infractions intentionnelles dans la mesure où l’intoxication n’est souvent que le facteur déclenchant d’une infraction auparavant envisagée à l’état de sobriété et qui aurait pu être commise sans elle à un moment ou à un autre. Pour celles-ci il parait préférable de s’en tenir ici, en définitive au pouvoir d’appréciation des juges du fait et il faut être reconnaissant au Sénat d’avoir adopté cette solution lors de la discussion du texte en cours même si l’on peut douter de ce que sera son efficacité.

Les tribunaux ont toujours eu, en pareil cas la possibilité d’accorder l’acquittement ou la relaxe en se fondant sur l’absence d’intention coupable, mais il reste que la grande majorité des décisions se refuse à voir dans l’intoxication une cause d’exemption de culpabilité, de diminution de responsabilité et même de mitigation de la peine. La justification juridique de la pleine responsabilité pénale, lorsque celle-ci est retenue, est généralement fondée sur la considération d’ordre moral de la faute commise par le coupable en absorbant des produits ayant un effet sur le psychisme. Mais cette explication est infiniment contestable en droit car la question n’est pas de savoir s’il est bien ou mal de boire ou de se droguer (ce qui relève des infractions spécifiques), mais de savoir si l’agent intoxiqué avait conscience de commettre une infraction d’un autre ordre. Il faut donc regretter que le législateur contemporain ait tendance, à l’inverse, à cautionner cette jurisprudence en faisant de l’intoxication une circonstance aggravante de nombreuses infractions intentionnelles, ce qui devrait logiquement interdire de la retenir à titre de disparition de l’élément moral pour ces infractions-là, au moins.

Et cette fois-ci Le Sénat a eu le grand tort de faire de l’intoxication une circonstance aggravante générale des infractions sans même se rendre compte que les deux positions adoptées par lui, sur la constitution de l’élément moral, d’une part, et sur la création d’une circonstance aggravante, de l’autre, sont incompatibles.

 

III. La nécessaire judiciarisation des troubles psychiques.

 

L’avant-projet de Code pénal de 1978, très critiquable sur d’autres points, semblait avoir trouvé, pour la question en cause, une bonne solution qui n’est toujours pas consacrée par le droit positif. Il déclarait irresponsable les délinquants malades mentaux n’ayant pas eu conscience de leurs actes et punissables ceux atteints d’un trouble mental plus léger mais, soumettait les uns et les autres à un régime d’emprisonnement médico-psychologique, décidé et géré par le juge et subi dans un établissement pénitentiaire spécialisé. C’était une bonne solution. On ne peut donc qu’être surpris que le nouveau Code pénal se soit détourné de cette solution logique d’autant plus qu’elle est aujourd’hui requise par la Cour européenne des droits de l’homme pour valider la détention d’une personne atteinte de troubles mentaux.

Les travaux préparatoires du Code de 1992 ont été, sur l’incidence de la maladie mentale, d’une extrême confusion au sein de laquelle la plupart des questions à poser ont été évoquées, mais dans un très grand désordre, le résultat final étant celui du parfait conservatisme: jeu du tout ou rien entre le malade intégral irresponsable et celui qui ne l’est que partiellement et qui devait être considéré comme pleinement responsable ; modération des peines dans le cas du malade perturbé mais non inconscient ; démission forcée du juge entre les mains du préfet et aussi du corps médical (qui pouvait remettre le malade mental en liberté dès qu’il l’estimait guéri) au lieu d’un système donnant à la juridiction pénale (avec avis d’experts, naturellement) le contrôle d’une situation qui concerne tout de même au premier chef une infraction pénale objectivement commise et le respect de la liberté individuelle ; absence de la prévision d’une mise en place de vrais établissements pénitentiaires affectés spécifiquement au traitement des délinquants malades mentaux.

Les textes sur les malades mentaux ont encore été ensuite partiellement modifiés par l’incidence des dispositions relatives au Code de la Santé publique et par une réforme du Code de procédure pénale qui a entendu donner satisfactions aux victimes choquées par l’impression que les auteurs de faits gravissimes échappaient totalement à la répression pénale en raison de troubles mentaux. En la forme, le droit pénal relatif aux malades mentaux impliqués dans la commission d’une infraction pénale est donc aujourd’hui fragmenté entre le Code pénal qui comprend bien peu de ce qui les concerne (art. 122-1), le Code de la santé publique où a été intégrée l’ancienne loi autonome sur le placement des malades mentaux ordinaires (art. L. 3211.1 et s.) et, depuis 2008, d’une façon très maladroite, le Code de procédure pénale qui, au-delà des procédures applicables devant les juridictions susceptibles d’être concernées par le traitement du cas de malades mentaux, prévoit la possibilité pour les juridictions pénales saisies de prononcer des mesures de sureté dont on voit mal ce que leur énumération fait dans ce texte et pourquoi elles sont absentes du Code pénal dont ce serait le rôle que de les prévoir (art. 706-35 C.P.P.). Et il reste qu’il n’existe toujours pas d’établissements spécifiques pour recevoir les malades mentaux auteurs matériels d’infractions ce qui nous vaut des condamnations répétées de la Cour européenne des droits de l’homme.

Il faut donc, ici encore se féliciter que le Sénat ait consacré un élément de ce qui serait un régime rationnel, même s’il est très limité. Il prévoit, en effet, le renvoi devant la juridiction de jugement mais uniquement lorsque le trouble mental est le résultat d’une intoxication. Il reste donc beaucoup à faire pour que le régime des auteurs malades mentaux de fait de nature infractionnelle soit cohérent et satisfaisant : compétence des juridictions de jugement pour décider du placement, de l’aménagement du régime et de la sortie de l’établissement de traitement des intéressés et surtout création de vrais établissements spécifiques.

 

 

 

POUR UNE POLITIQUE ANTI-CRIMINELLE DU BON SENS (bis ou ter)

Peut-être y aura-t-il une ou deux personnes pour se souvenir que j’ai publié, il y a bien longtemps un ouvrage qui portait ce titre. Mais les temps changent (et, en l’occurrence, pas en bien) et il n’est sans doute pas inutile de revenir, au moins sur les détails d’une application de cette politique jamais suivie, ce qui nous a amené là où nous en sommes. En outre, arrivé à un certain âge, il est connu qu’on n’a plus le choix qu’entre deux choses, se répéter ou se contredire, la première attitude nous paraissant plus rassurante quant à l’état mental de l’intéressé. D’autres, qui suivent ce blog verront donc qu’un article de même titre y a déjà été publié, mais la question rebondissant ces dernières semaines, justifie une republication légèrement mise à jour.

Il n’y a pratiquement pas de jour où une manifestation, un article, une émission ne soit consacré à la violence contre les policiers, les pompiers, les élus, le personnel enseignant, les médecins hospitaliers ou libéraux qui refusent désormais certaines destinations, les femmes, etc… On annonce aujourd’hui l’envoi d’une circulaire du Garde des Sceaux aux parquets pour une poursuite plus sévère des atteintes aux élus tandis qu’un sondage annonce que 93% des français estiment que le gouvernement n’en fait pas assez contre la délinquance (qui, pour les non juristes n’est que la délinquance violente). Or personne ne semble s’apercevoir que le problème ce ne sont pas les élus, les policiers, les pompiers, les médecins ou le personnel enseignant, mais … la violence.

Le Code pénal de 1992 a été préparé et voté par une minorité doctrinale et une majorité politique totalement inféodées au mouvement de la défense sociale nouvelle. Il était mauvais en 1992 et il n’est pas devenu bon depuis. Il suffit, d’ailleurs, même pour un non juriste, d’ouvrir au hasard un Code pénal pour comprendre à quel point il est inadapté puisque quels que soient les crimes ou les délits qu’il désire punir, la peine prévue est toujours de même nature : une peine d’emprisonnement et une amende, prévues ensemble et qui plus est dans en rapport l’une avec l’autre (un an et 15000€ ; deux ans et 30000€, etc…). Quel peut bien être l’intérêt de prévoir pour une infraction de violence une peine d’amende si ce n’est pour permettre à ceux qui en ont les moyens, de s’offrir, au sens propre du terme, la tête de leur voisin qui ne leur revient pas et à la majorité impécunieuse des poursuivis d’échapper à toute sanction ? Et pourquoi punir d’une peine d’emprisonnement (qui n’est, d’ailleurs, jamais prononcée) ou même d’une peine d’amende une violation du secret professionnel pour laquelle la seule sanction adaptée, pour une infraction de nature professionnelle, serait une interdiction professionnelle plus ou moins étendue ? Il est temps de redéfinir une véritable échelle des peines, considérablement enrichie en possibilités, limitant l’emprisonnement à ce pour quoi il est fait : la violence, mais s’assurant que cet emprisonnement est effectivement prononcé et exécuté.

Le fait que le Code pénal que tout le monde continue à qualifier de « nouveau » soit récent ne lui confère aucune vocation à perdurer mais la droite, qui a peur de son ombre, n’a jamais su ou voulu revenir sur la totale inadaptation de la politique pénale que ce code mettait en œuvre si ce n’est pour en rajouter. Car c’est tout de même Madame Dati, Garde des Sceaux, qui a fait voter que les peines d’emprisonnement de deux ans fermes (Sic) prononcées par les juridictions (et qui, la plupart du temps, concernent des infractions violentes) seraient immédiatement transformées en autre chose, à faire exécuter en milieu libre, par le juge de l’« application » des peines. Et ce n’est que très récemment et par une autre majorité politique, de qui on ne l’attendait pas, que les deux ans ont été réduits à un an, ce qui est moins mal, mais guère. On aurait dû savoir d’avance où cela mènerait et on y est parvenu. Or ce n’est pas à coup de déclarations, d’entretiens ou de solutions partielles, même prononcés sur le plus martial des tons qu’on arrangera les choses. Si l’opposition espère redevenir la majorité en 2022, il est plus que temps non pas d’organiser des forums ou des conventions divers et variés où l’on répète toujours, en boucle, la même chose, mais de mettre au travail des gens sérieux et aptes à préparer un projet de nouveau Code pénal qui pourra être voté dès la première législature, ce qui lui permettrait d’être appliqué dans les deux ans suivants. Un an et demi c’est à peu près ce qu’il faut pour rédiger ce texte, d’autant plus que certains avaient déjà beaucoup travaillé…avant 2017 ! Mais cela devient tout de même très juste.

Dans le cadre d’une politique pénale rationnelle, une différence de nature s’impose, en tous domaines mais d’abord pour celui de la peine à prononcer et de son exécution (raison pour laquelle il ne faut pas se contenter de modifier des solutions partielles mais changer de code pénal), entre les infractions de violence et les autres. La question qui se pose aujourd’hui n’est pas de savoir s’il faut punir plus sévèrement les infractions violentes qui atteignent les policiers, les pompiers ou les enseignants (seule « idée » qui jaillit dans quelques esprits), mais d’abord de savoir comment on doit traiter les infractions de violence, en général, et quelles différences s’imposent entre celles-ci et les autres infractions.

La première tâche, et elle n’est pas simple, est de définir quelles sont les infractions de violence et celles qui ne le sont pas car on ne peut, sur ce point, se fier entièrement à une classification juridique (infractions contre les biens – infractions contre les personnes) car il y a de la violence dans les deux catégories, le cas le plus emblématique étant celui du vol qui est juridiquement le type même de l’infraction contre les biens, alors qu’il est criminologiquement la première cause d’atteinte aux personnes (40 % des blessures et homicides volontaires selon les statistiques policières, sont commis pour préparer, exécuter, s’enfuir ou régler des comptes avant, pendant ou après un vol). En outre le principe de la légalité, dès lors qu’on choisit de traiter différemment telles et telles infractions impose qu’elles soient énumérées dans des listes exhaustives.
Sans entrer ici dans le détail qui serait celui d’un vrai nouveau code, devraient être considérées comme violentes les infractions qui atteignent ou menacent l’intégrité des personnes, c’est-à-dire:
– Les atteintes volontaires à la vie et à l’intégrité corporelle des personnes et les agressions (voire les atteintes) sexuelles;
– Les atteintes violentes à la liberté individuelle (disparitions forcées; réduction en esclavage et exploitation ; enlèvement, séquestration et détournement de moyens de transports ; traite d’êtres humain; proxénétisme, etc…) ;
– Les atteintes à des personnes vulnérables (délaissement d’une personne hors d’état de se protéger elle-même ; abus de faiblesse ; mise en péril des mineurs ; trafic de stupéfiants etc..) ;
– Les menaces de mort et les menaces sous condition ;
– Le vol et l’extorsion violente ; les destructions, dégradations et détériorations de choses dont on n’est jamais certain, une fois déclenchées, qu’on pourra en limiter les effets; les sévices graves et actes de cruauté envers les animaux qui manifestent un état d’esprit qui appelle la vigilance ; l’entrave à l’arrivée des secours sur un sinistre et les fausses nouvelles relatives à un sinistre ;
– Toutes les infractions relatives aux personnes ou aux groupes détenant ou utilisant des armes (groupes de combat ; groupements dissous ; organisation illégale de forces armées ; mouvements insurrectionnels ; terrorisme etc…). Les infractions relatives à la législation sur les armes et non déjà incriminées à un autre titre.
– L’aide apportées, a posteriori, aux malfaiteurs, l’association de malfaiteurs, le recel et le blanchiment du produit des infractions figurant dans la liste des infractions violentes, l’enregistrement et la diffusion de la commission des infractions violentes ;
– Une assimilation de toutes les infractions violentes pour l’application des règles de la récidive.

Pour ces infractions là et celles-là seulement, la peine prévue devrait être l’emprisonnement à la fois prononcé et exécuté et non bénéficiaire de la multitude d’institutions permettant d’en grignoter l’exécution. Certes, on ne manquera jamais de faire valoir que tout le monde a droit à une seconde chance ce qui n’est pas faux, mais à condition que ce ne soit par la trente-cinquième ! Il faudrait donc, d’abord, préciser que chacune des institutions qui permet de réduire ou modifier la peine (dispense, sursis, semi-liberté, etc…) ne pourrait être appliquée qu’une seule fois aux infractions de violence ce qui ferait, tout de même, avec la totalité de l’arsenal existant six ou sept chances, c’est-à-dire un peut-être trop auquel il faudrait réfléchir. Il faudrait, ensuite, supprimer le crédit de réduction de peine qu’on attribue généreusement, sans la moindre justification, à tout entrant en prison et restreindre d’éventuelles réductions aux cas de véritables efforts objectivement constatables, notamment en matière de formation éducative ou professionnelle.

Pour les infractions autres que de violence, qui sont pratiquement toutes des infractions de profit, il est beaucoup plus efficace de frapper là où ça fait le plus mal, c’est-à-dire au portefeuille par des peines pécuniaires et celles-là seulement, mais qui devraient être beaucoup plus diversifiées et développées qu’elles ne le sont aujourd’hui ou l’on ne retient pratiquement que l’amende et la confiscation.
Il serait d’abord utile de créer une sanction obligatoire d’un type particulier, qu’on pourrait appeler, par exemple amende-confiscatoire et qui aurait pour objet de prononcer une privation matérielle équivalent exactement au profit réalisé par la commission de l’infraction et récupérée par les services dédiés soit en nature soit en valeur sur le patrimoine existant de l’intéressé. Cette sanction ne serait, d’ailleurs pas, à proprement parler une peine puisqu’elle aurait pour but et pour effet de remettre les choses dans l’état où elles étaient avant la commission de l’infraction, raison pour laquelle il paraitrait opportun de la déclarer imprescriptible. Et ce n’est qu’ensuite que l’infraction serait punie soit par les peines classiques (amende ou confiscation des autres biens présents ou à venir du condamné) soit par bien d’autres sanctions qui pourraient être créées ou voir leur usage s’étendre au-delà du rôle de peine complémentaire ou de substitution à l’emprisonnement qu’elles jouent aujourd’hui et notamment tout ce qui concerne l’activité professionnelle.
Quant à l’emprisonnement, il parait ici aussi inutile qu’inefficace. Détenir Loïc Le Floch-Prigent, Jérôme Cahuzac ou Patrick Balkany est totalement absurde et pour plusieurs raisons. Il est bien connu, tout d’abord, que l’emprisonnement est d’autant plus difficile à supporter qu’on n’a pas ou peu de bases intellectuelles (voire spirituelles). La prison n’est certainement pas pour eux une partie de plaisir mais elle n’est pas si intolérable que ça et elle leur est, en tout cas, infiniment plus facile que pour les têtes vides. Il y a tout lieu de croire que ce type de délinquants serait infiniment plus puni par des peines de nature professionnelle (qui auraient, de plus, la vertu préventive d’une éventuelle récidive) : une longue période d’inéligibilité et une aussi longue période d’interdiction de gérer ou de diriger des entreprises, par exemple. En second lieu, il est clair que ces condamnés ont du talent. Un talent qu’ils ont mal exploité, certes, mais qui pourrait être récupéré au profit de la collectivité. Dans cette perspective, il pourrait être utile de créer une vraie peine de travail dans l’intérêt général qui ne consisterait plus à faire faire un médiocre travail de bricolage pendant un petit nombre d’heures comme aujourd’hui (et qui plus est appliqué à des auteurs d’infractions de violence qui n’en relèvent pas), mais à travailler pendant plusieurs mois ou plusieurs années au service de collectivités publiques ou d’associations humanitaires pour une rémunération correspondant aux minima sociaux. Et tout le monde y gagnerait : l’ordre public en créant une peine véritablement pénible pour le condamné et en accord avec la gravité des faits commis ; les organismes d’aide et d’assistance peu fortunés et qui ne trouvent pas forcément assez de bénévoles formés ; le trésor public qui, même en assurant le coût de l’ensemble de l’opération y gagnerait surement beaucoup en comparaison du prix de journée de l’emprisonnement.

Il est clair que face à la proposition de ce système, il se trouvera toujours des gens pour dire qu’il s’agit d’une faveur faite aux riches ce qu’on a entendu dire même dans des réquisitoires définitifs ce qui ne peut qu’inquiéter sur l’état de la « formation » criminologique de certains magistrats. Cette idée part, d’abord, du principe que l’emprisonnement est plus sévère que toutes les autres peines ce qui n’est pas forcément vrai ainsi que nous venons de le dire. La seule caractéristique de l’emprisonnement est de permettre sinon de neutraliser, dans l’absolu, l’activité des personnes dangereuses pour autrui (des exemples célèbres montrent que l’emprisonnement n’exclue pas nécessairement la violence, y compris la pire) mais, du moins, d’en réduire fortement l’impact. En outre, aucune étude sérieuse réalisée où que ce soit n’a jamais démontré que la violence était le fait des classes sociales les moins favorisées et que la délinquance économique n’était que celle des « cols blancs » ainsi que le démontre, en pratique l’importance des fraudes aux prestations sociales. Et en admettant même que ce soit vrai, ce qui n’est pas, les difficultés de la vie quotidienne à laquelle on se heurte ne sauraient être invoquées comme justifiant le droit de porter atteinte à la personne d’autrui, ce que fait la violence.

Le droit pénal ne soigne pas le Covid

Personne, pas même le Président de la République, ne nie qu’il y ait eu des insuffisances, des maladresses, des erreurs commises dans la façon dont la pandémie de Covid19 a été traitée.
L’honnêteté intellectuelle élémentaire conduit cependant à deux remarques.
La première est qu’il aurait été étrange qu’il en fut autrement dès lors qu’on est confronté à un phénomène qu’aucun de ceux qui le traitent ou le subissent n’a jamais connu.
La seconde est qu’il est plus facile de critiquer quand on se contente d’observer plutôt que quand on a les mains dans le cambouis. Tous les critiques sont-ils en leur âme et conscience, certains qu’ils n’auraient fait aucune des bêtises qu’ils reprochent à ceux qu’ils accusent de les avoir faites ? On peut en être certain pour quelques déclarations pour le moins cucu ou inopportunes, mais pour le reste, c’est-à-dire l’essentiel : le traitement de la pandémie ?

Pour autant, et dans la mesure où l’on n’apprend jamais mieux que de ses erreurs, il est évidemment indispensable de reprendre le fil des événements et d’en étudier tous les détails de façon, puisque cette fois-ci on connait le phénomène, de ne pas recommencer ce qui n’a pas été bien fait. Le bon instrument pour cela est l’enquête publique, pourquoi pas parlementaire, encore qu’il aurait paru préférable d’attendre que la pandémie soit passée, d’une part, parce qu’actuellement on a encore mieux à faire, et, d’autre part, parce que, par définition même, on ne connait pas tout. Et si l’on aboutit à la démonstration d’erreurs d’une particulière gravité, leur dénonciation conduira à la mise en œuvre de la seule responsabilité indiquée pour des gouvernants : la responsabilité politique qui est dans les mains des électeurs.

Là n’est donc pas le pire.

Le pire, c’est la folie qui semble s’être emparée de tous les éléments de la société (les individus, les associations, les professions, etc…) pour mettre en œuvre des poursuites pénales contre les gouvernants.
Ce phénomène de judiciarisation à outrance a longtemps été dénoncé comme une copie regrettable de ce qui se fait aux USA. C’est une erreur car ce n’est pas la judiciarisation, en général, qui est en cause, mais le recours au droit pénal. Aux USA ce qu’on recherche, notamment par les nombreuses actions collectives, c’est le profit que peut procurer l’action en justice. On peut trouver cela regrettable, mais c’est tout de même préférable à ce qui se passe en France où la volonté de recourir au droit pénal traduit ce que le pays a de pire : la jalousie, l’envie, la haine (que la loi Avia, comme d’autres avant elle, ne fera qu’exacerber). Ce qui est en cause, ce n’est pas la volonté de réparer et d’éviter pour l’avenir, c’est la jouissance mauvaise de faire punir. Or cette attitude nie ce qui est de l’essence du droit pénal : être l’ultima ratio sociale, c’est-à-dire n’intervenir que lorsqu’il n’y a pas d’autres moyens d’obtenir un objectif favorable à la société.

Heureusement pour lui, le droit pénal sait se défendre et si l’on en croit ce que rapportent les média, on a du mal à comprendre comment la hargne des demandeurs n’a pas été arrêtée par des avocats sérieux et connaissant un tant soit peu la discipline. Je sais bien que le Barreau est actuellement dans une situation difficile, mais cela n’excuse pas tout. Car aucune des actions envisagées et pour le moment annoncées n’a la moindre chance d’aboutir soit pour des raisons de procédure, soit pour des raisons de fond.

Il y aurait en cours, si l’on en croit les média, 71 plaintes déposées contre des ministres et 4 contre le président de la République.

Le cas le plus simple est évidemment celui du Président de la République puisque l’article 67 de la Constitution lui accorde une immunité (même s’il a le tort de ne pas employer la bonne terminologie) pour les actes de sa fonction accomplis en qualité de Président de la République. Quoiqu’il ait fait et du moment qu’il a agi dans le cadre de sa fonction et pour l’exercice de celle-ci, il ne peut être pénalement poursuivi et cela à titre définitif.
Il faut dire que les français ne sont guère aidés dans la compréhension de cette disposition par les journalistes prétendument spécialistes puisque tous ajoutent, lorsqu’ils évoquent la question, que cette immunité vaut « pour la durée de son mandat » ce qui est faux. Ce que vise la formule en question c’est l’hypothèse dans laquelle des infractions ordinaires auraient été commises par le président de la République soit avant son élection, soit même pendant la durée de son mandat du moment qu’elles ne sont pas en rapport avec la fonction (il commet un homicide par imprudence alors qu’il conduisait lui-même sa voiture). Dans cette hypothèse la prescription de l’action publique contre ces infractions est suspendue pendant la durée du mandat mais la poursuite pénale pourra débuter ou reprendre une fois le mandat terminé. Dès lors au contraire que les infractions évoquées ont été commises par le Président de la République, en cette qualité et dans le cadre de sa fonction (organisation des élections municipales, absence d’instructions afin de commander des masques ou des tests, réaction trop tardive devant un confinement, etc…) il bénéficie d’une immunité et elle est sans faille.
Exit donc la responsabilité pénale du président de la République et cela se comprend très bien puisque celui-ci doit pouvoir exercer ses fonctions ainsi qu’il l’estime bon sans avoir à craindre que son activité de président ne puisse être considérée comme constituant une infraction pénale et cela d’autant plus que les problèmes à résoudre sont complexes.

En ce qui concerne les ministres, et sous réserve d’une poursuite devant la Cour de justice de la République, des poursuites sont possibles, mais à la condition d’avoir commis des infractions pénales. Or aucune de celles qui ont été jusqu’à présent retenues ne peut être constituée. On a entendu évoquer l’abstention de mesures permettant de combattre un sinistre, la mise en danger de la vie d’autrui, la non-assistance à personne en péril et l’homicide ou les blessures involontaires.
Avant d’examiner le détail, il convient de rappeler deux principes généraux du droit pénal. En premier lieu, le mensonge n’est jamais, en lui-même, une infraction pénale et s’il peut faire partie de l’élément moral de nombre d’infractions, c’est toujours parce qu’il intervient dans un contexte particulier qu’on ne retrouve jamais ici. La seconde remarque, est que l’interprétation restrictive de la loi pénale interdit de traiter l’abstention comme l’action : si un texte punit le fait d’avoir fait quelque chose, il ne peut être appliqué à celui qui a obtenu le même résultat en ne faisant pas quelque chose.

Passons au détail.

L’infraction « d’abstention de mesures permettant de combattre un sinistre » n’existe pas. Deux articles du Code pénal, les articles 223-5 et 7 tournent autour, mais aucun n’est applicable.
L’article 223-5 punit le fait d’« entraver volontairement l’arrivée des secours destinés …à combattre un sinistre présentant un danger pour la sécurité des personnes ». Il est clair qu’il ne s’applique qu’à ce qui concerne l’arrivée des secours et ne peut donc être retenu pour la gestion générale de la pandémie. Si l’on peut penser que l’approvisionnement en matériel médical (qui peut seul être assimilé à l’arrivée de secours) a peut-être été insuffisant ou mal géré, rien ne permet de démontrer que le gouvernement l’aurait entravé ce qui suppose qu’on aurait fait obstacle à cette arrivée. Cette entrave, qui n’existe pas, aurait, au surplus dû être volontaire ce que personne ne soutient. Enfin, il n’est pas évident que la pandémie de Covid soit un « sinistre». Le mot sinistre n’est pas une expression classique du droit pénal. Il est essentiellement utilisé en droit des assurances et il n’est pas évident du tout que la jurisprudence pénale voudrait la faire sienne à propos du Covid. En droit des assurances, le sinistre est généralement retenu pour un événement qui peut faire des victimes mais qui est d’abord de nature matérielle : une tempête, des inondations, un carambolage automobile, etc…. Une pandémie de Covid qui atteint directement les personnes parait mal répondre à cette définition et la question de son application pénale, au titre d’un sinistre, est au minimum douteuse, sans oublier qu’il y a tout ce qui a déjà été examiné et suffit en lui-même à récuser l’application de l’article 223-5.
L’article 223-7 punit « Quiconque s’abstient volontairement de prendre ou de provoquer les mesures permettant…de combattre un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes… ». Son domaine est plus large que celui de l’infraction précédente puisqu’il ne se limite pas à l’arrivée des secours et permet de punir les faits relatifs à leur développement, mais il punit une infraction d’abstention visant celui qui n’a pas fait quelque chose et ne peut donc s’appliquer à celui qui a fait même s’il a mal fait. Or si l’on peut reprocher au gouvernement de ne pas avoir fait tout ce qu’il fallait, on ne peut prétendre qu’il n’a rien fait. Et l’obstacle du sinistre demeure.

Proche des deux précédentes certains invoquent aussi la non-assistance à personne en péril applicable à « quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance …(qu)’il pouvait lui prêter… ». La rédaction de l’article implique nécessairement qu’il envisage des rapports individuels puisqu’il punit la non-assistance d’« une » personne. Certes, même l’interprétation restrictive permet d’étendre l’infraction à plusieurs personnes (les occupants d’une voiture accidentée, par exemple). Mais l’infraction suppose que les victimes puissent être identifiées et en nombre limité. Elle n’est donc pas applicable à des faits qui auraient pour «victime » l’ensemble de la population. S’agissant de poursuivre un ministre, on imagine mal que son action aussi critiquable qu’elle puisse être démontrée, visait telle personne ou tel groupe de personnes déterminés. Mais surtout, depuis la création de l’infraction de non-assistance, la jurisprudence, consciente du risque qu’une semblable incrimination fait courir à la liberté individuelle, a toujours requis que le péril qui appelle assistance soit « imminent et constant » c’est-à-dire nécessite une intervention immédiate. Autrement dit, l’infraction de non-assistance à personne en péril est une infraction instantanée punissant le refus de porter secours, à un moment donné, en présence d’une situation dangereuse à ce moment-là. Elle ne saurait donc être utilisée pour punir la gestion d’une situation prolongée comme le fait de ne pas apporter à un malade durable les soins dont il a besoin, raison pour laquelle on a dû créer des textes spécifiques pour punir de tels faits lorsqu’ils semblaient devoir l’être (pour les enfants, par exemple). L’application de l’article 223-6 du Code pénal à la gestion gouvernementale du Covid, situation de longue durée, n’est donc pas possible. Elle pourrait, en revanche être envisageable pour des individus ou des institutions qui auraient abusivement différé, à un moment donné et pour leurs proches ou des personnes dont ils avaient la charge l’intervention des soins médicaux adaptés.

Il suffit de recopier l’article 223-1 du Code pénal (prototype, au surplus, de la mauvaise qualité législative) pour comprendre que l’infraction dite de «mise en danger d’autrui» n’est pas applicable à notre espèce puisqu’il réprime « Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement … ». Ce n’est pas le gouvernement qui a exposé la population à un risque sanitaire, c’est le Covid. Fort heureusement, ce risque n’a jamais été ni immédiat, ni nécessairement de mort, de mutilation ou d’infirmité permanente. L’action du gouvernement n’aurait pas été, dans cette perspective, «manifestement délibérée». Enfin, il faudrait, pour pouvoir retenir l’infraction à propos d’un ministre qu’il se soit abstenu volontairement d’appliquer un texte précis lui imposant une obligation particulière de prudence ou de sécurité. Dans les hypothèses où l’on pourrait songer à retenir cette infraction, toujours celles d’une insuffisante alimentation en matériel médical, il faudrait pouvoir produire un texte énonçant combien de masques, de matériel de réanimation, de médicaments adaptés, etc… la France devrait posséder à un moment donné, démontrer que le ministre avait connaissance du texte en question et apporter la preuve qu’il aurait délibérément refusé de l’appliquer. On a du mal à imaginer que ce soit possible.

Reste le plus basique mais pas nécessairement le plus efficace : l’homicide ou les blessures involontaires. L’infraction d’homicide et de blessures par imprudence ne punit pas une faute, quelle qu’en soit la gravité, qui a un rapport quelconque avec un préjudice de nature physique, elle punit une faute qui a directement ou indirectement causé le préjudice en question. Il ne suffit pas d’une éventualité ou d’une possibilité mais d’une preuve qu’entre l’action de la personne poursuivie et l’état du plaignant, il y avait un lieu de causalité. En présence d’une pandémie au regard de laquelle on ne possède ni moyen préventif ni moyen curatif il sera donc toujours impossible de démontrer qu’une action ou une abstention l’ont provoqué ou aggravé. La grande majorité des malades a guérit spontanément sans que l’on ait fait quoique ce soit pour cela alors surtout que la plupart ont ignoré qu’ils étaient malades. La gestion de la pandémie aurait-t-elle été catastrophique que rien ne permettrait d’établir que c’est en raison de cette gestion que des personnes sont tombées malades ni que leur état s’est aggravé. Il est possible d’établir des statistiques globales qui permettent d’évaluer a posteriori la qualité des différentes gestions publiques mais cela n’a rien à voir avec le droit pénal des infractions corporelles d’imprudence qui réclame l’établissement de liens précis entre telle action et tel résultat.

On peut donc se féliciter que le droit pénal ne puisse être détourné de son objectif fondamental pour créer de vulgaires troubles politiciens.

Cela ne fait naturellement pas obstacle à ce que, dans des cas particuliers de relations administratives, de travail ou de soins, des fautes aient pu être commises qui ont sinon causé du moins aggravé des préjudices en rapport avec le Covid. Mais cela relève de la responsabilité civile ou administrative et pourra aboutir à une indemnisation justifiée et équitable et non à une vengeance par principe détestable.

LE MARRONNIER PENITENTIAIRE

Parmi ce que les journalistes appellent les « marronniers » de l’été surgit d’année en année le (s’il n’y en avait qu’un !) problème pénitentiaire et les journaux nous font l’inventaire de l’évasion digne d’un film hollywoodien de Rédoine Saïd, de celle moins spectaculaire mais plus triste des deux frères pieds nickelés de la prison de Colmar (dont l’amateurisme est démontrée par leur reprise rapide) qui n’a pourtant pu se réaliser que parce qu’une alarme n’a pas fonctionné et de celle d’une « détenue » qui l’était sans barreaux mais dans une cellule tout de même pourvue d’une fenêtre à sa taille.

Mais il ne s’agit que d’arbres qui cachent la forêt et beaucoup plus préoccupants, parce que moins spectaculaires mais quotidiens sont les atteintes au personnel pénitentiaire et surtout, sans qu’on puisse sérieusement le reprocher au dit personnel, compte tenu de ses conditions de travail, le laxisme de la surveillance à la fois matériel et institutionnalisé.

Car il ne faudrait pas se dissimuler que si Redoine Saïd a pu s’échapper au rythme d’un travail de commando, c’est parce qu’il y avait eu une longue mise en place et donc d’abondantes communications interdites ou non surveillées. Et si, dernier en date des avatars pénitentiaires, l’ineffable Booba peut après avoir « foutu le bordel » (je ne fais qu’utiliser une formule du Président de la République) à l’aéroport d’Orly en gênant un nombre considérable de voyageurs et de commerçants, parader devant ses suiveurs des réseaux sociaux c’est parce qu’il possède en prison un téléphone portable qui ne devrait pas y être.

Car identifier les problèmes est une chose ; savoir comment y remédier en est une autre. Et de ce point de vue l’imagination des responsables comme des politiques est bien limitée.

Tout le monde pointe l’insuffisance du parc pénitentiaire et épilogue à longueur de colonnes sur le nombre de constructions de nouvelles places nécessaires et promises par tel ou tel en campagne électorale avant d’être réduit ou annulé par la suite. Il est bien difficile de contester, sur le fond, cette analyse, mais en admettant que ce soit utile, il ne faut pas oublier que la construction d’une prison demande un délai de 5 ans une fois la décision prise. Doit-on se satisfaire de la situation actuelle pendant ce délai, qui n’a pas encore commencé à courir, ou ne faut-il pas rechercher des moyens moins spectaculaires mais plus efficaces de pallier certains problèmes ?

C’est ce que prétend faire le Garde des Sceaux qui entend régler le problème pénitentiaire en n’incarcérant plus ou en tout cas beaucoup moins et l’on nous ressort la panoplie des peines de substitution.
Je n’ai personnellement rien contre la plupart d’entre elles une fois entendu que j’aimerais que nous cessions de nous ridiculiser avec des « rappels à la loi » (est-il bien utile de rappeler à qui que ce soit, qu’il ne faut ni porter atteinte à l’intégrité corporelle de son voisin, ni lui voler son bien, ni abuser de sa propre situation pour se remplir les poches, etc… etc… ?) ; des stages de sensibilisation (que fait-on dans un stage de sensibilisation à l’achat d’actes sexuels – Sic ?) et cerise sur le gâteau avec une « sanction »-réparation. Étant donné que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, « condamner » quelqu’un à réparer le préjudice causé par son infraction revient à le déclarer coupable et à le condamner à rien.
Pour le reste, les exécutions de peine en milieu libre ne peuvent certainement pas être utilisées d’une façon générale. Le port d’un bracelet électronique n’empêche personne d’organiser, de diriger et de profiter de la commission par d’autres de toutes les sortes d’infractions imaginables et ne gêne en rien du tout la commission de certaines d’entre elles comme le trafic de drogue, par exemple (ce sont les clients qui se déplacent). Nous en revenons éternellement au problème que « le » délinquant n’existe pas et qu’il convient de distinguer, la distinction qui a ma faveur étant celle des infractions qui atteignent ou menace l’intégrité d’autrui et des autres, seule la première me paraissant relever de la prison mais toutes celles qui appartiennent à la catégorie. Or, d’une part, les aménagements de peine ne sont pas juridiquement limités aux infractions autres que de violence, ce qui devrait être fait et, d’autre part l’expérience prouve qu’ils sont, en pratique plutôt appliqués aux auteurs de ces infractions-là et notamment aux auteurs de vols, y compris lorsque ceux-ci ont été commis avec une violence surajoutée à celle qu’ils constituent déjà en eux-mêmes (Voir, sous ce Blog, « Attention vol »).
L’utilisation des alternatives à la poursuite, les procédures rapides, le jugement à juge unique, la correctionnalisation, l’aménagement des peines et leur allègement, quand il arrive qu’il en soit prononcé, devraient être exclus pour les infractions de violence au moins à partir d’un certain nombre de commissions de celles-ci. Compte tenu de leur passé, je persiste à ne pas comprendre comment Lahouaiej Boulhel, auteur du massacre de Nice et Amedy Coulibaly de celui du supermarché pouvaient être en liberté au moment de leurs exploits. Or les peines de substitution sont le « remède » que les projets de réforme semblent privilégier et sans les distinctions qui seraient utiles.

La construction de prisons étant souhaitable mais trop longue et les moyens de ne pas faire entrer ou de faire sortir les délinquants de prison devant être utilisés avec discernement, devons-nous nous résigner devant la situation actuelle ? Non car il existe au moins deux moyens, faciles à mettre en œuvre et peu couteux à réaliser, qui arrangeraient déjà pas mal de choses.

Le premier consiste, au lieu de se lamenter contre l’usage omniprésent de la drogue en prison, celui des téléphones portables en multipliant, à grands frais des brouilleurs toujours en retard d’un train sur l’évolution de la technologie et de tous autres objets dangereux et interdits à faire que tout ce qui est indésirable en prison n’y entre pas. La méthode, simple, consiste, d’abord, à rétablir ce qui n’aurait jamais dû être supprimé, au moins d’une façon quasi systématique : les parloirs sans séparation. Ajoutons que la méthode qui pourrait ne permettre la communication que par le biais d’interphones permettrait un enregistrement des conversations et faciliterait grandement le travail du renseignement pénitentiaire même quand on n’a pas le temps d’écouter en temps réel. Subsidiairement il faudrait limiter la possibilité de recevoir des colis à celle de leur fouille effective.

Le second consisterait à régler la question obsédante des transferts de détenus source d’un « sur »travail et de toute sorte de troubles et de violences. La patate chaude des escortes qui nécessitent plusieurs hommes qui pendant qu’ils font cela ne font pas autre chose (sans compter les risques d’évasion et d’atteinte au personnel) est régulièrement échangée par la police, la gendarmerie et la pénitentiaire. Il semble actuellement résolu « en faveur » de la pénitentiaire avec la création d’un corps spécifique, mais il faudrait tout de même prendre conscience que l’on est au XXIe siècle et cesser au maximum de faire sortir les détenus de prison sans raison impérieuse notamment durant la phase préparatoire de la procédure. Etant donné ce qu’est la technologie, il n’y a aucune raison d’autoriser les personnes détenues à refuser de participer à la procédure par la voie de la télétransmission. Rien n’empêche les avocats de voir librement leurs clients en prison, ni d’être présents à leurs côtés durant les auditions à distance à leur choix en détention ou auprès du juge et la méthode ne porte donc en rien atteinte à la liberté de la défense. La seule présence physique qui s’impose, lorsqu’elle est souhaitée par les intéressés, est celle à l’audience de jugement. Toutes les autres pourraient être supprimées avec l’économie des frais et des risques que représentent les transferts et la possibilité de rendre les « rangers » pénitentiaires à leur vocation première qui n’est pas de promener mais de garder.

Ce n’est pas là, une panacée mais ce ne serait tout de même pas négligeable pour contenir les dégâts et les risques que font courir nombre de détenus à la paix publique, au personnel pénitentiaire et aux autres détenus.

LA DOCTRINE PARTISANE N’EST PAS DE LA DOCTRINE (Réponse à l’éditorial du Recueil Dalloz n° 16 de 2018)

Lisant avec un certain retard l’éditorial du n° 16 du Recueil Dalloz et dans un tel état de fureur qu’à mon âge il pourrait produire des résultats regrettables (pour moi… j’ignore ce qu’éprouveraient les autres des malheurs susceptibles de m’atteindre), j’y réponds tout de suite car il est indispensable que cette fureur sorte.

On me dira que l’idéal serait de demander à Dalloz de publier cette réaction. Mais, d’une part, elle ne répond en rien au « droit de réponse » du Droit de la presse et, d’autre part, compte tenu de l’état d’esprit de plus en plus répandu dans des revues que tout le monde considéraient jusqu’à présent comme « scientifiques », j’ai peu de chance d’obtenir satisfaction (relire, une fois de plus l’éditorial de ce Blog et aussi l’éditorial en question pour être informé).

Intellectuel écrivant je ne peux pas être soupçonnée de ne pas être attachée à la liberté d’expression. Je trouve tout de même regrettable qu’une Revue laisse injurier dans un éditorial une grande partie de ses lecteurs et, en plus, deux d’entre eux, nommément cités, et qui appartiennent au nec plus ultra de la doctrine juridique française, par quelqu’un dont je n’avais pas l’heur jusqu’à présent de connaitre le nom et les travaux. Je laisse à Pierre Avril et Jean Gicquel le soin de défendre leur honneur et j’espère qu’ils le feront (à moins qu’ils n’estiment que tout ce qui est excessif est insignifiant), mais je souhaite pouvoir être en état de défendre celui d’une doctrine à laquelle je suis honorée d’appartenir.

Monsieur Chazal accuse Pierre Avril et Jean Gicquel d’avoir publié un article au Figaro pour défendre François Fillion alors qu’ils avaient été consultés par celui-ci sur la régularité de sa situation. Par là il entend que les professeurs consultés déforment le droit pour faire plaisir à ceux qui les paient et qu’en publiant, ensuite, la teneur de leurs travaux, ils manquent à l’honneur des professeurs des facultés de droit en prenant des positions partisanes et en publiant ce qu’ils avaient écrit « sur commande ».

Ce pauvre Monsieur Chazal ne comprend décidément rien à rien.

I . Qu’est-ce qu’une consultation ?

C’est un avis objectif (OBJECTIF) appliquant le droit positif à un cas particulier.

J’ai donné beaucoup de consultations et rendu quelques rapports officiels. Je n’ai jamais rien écrit « sur commande ». Quand on me demande une consultation je réponds au demandeur que je suis incapable d’avoir une opinion sur un dossier tant que je ne l’ai pas lu et que, par conséquent, je ne lui promets nullement que ce que je vais écrire corresponde à ce qu’il souhaite. Je suis bien convaincue que la moitié des consultations que j’ai données ne correspondait pas du tout à ce que voulait le demandeur et qu’il en a fait des cocottes en papier. Cela ne me concerne nullement, l’intéressé était prévenu et mon honneur est sauf : je ne travaille pas « sur commande ». J’ai du mal à croire que d’autres de mes pairs le fassent.

Quand on me demande quel est mon bien le plus précieux je réponds que c’est ma réputation scientifique. Il faudrait être inconscient pour mettre celle-ci en danger pour quelques centaines, milliers et même dizaines de milliers d’euros, de même que pour des affinités politiques ou autres. Je défie toute personne de trouver la moindre faille entre les consultations que j’ai pu donner et ce que j’ai publié dans des articles ou livres scientifiques. Et je suis bien convaincue qu’il en est de même de la quasi-totalité de la profession. Si ce qu’il exprime est la conception de cette profession qu’a Monsieur Chazal c’est infiniment triste pour lui et pour elle.

Je sais que Monsieur Chazal déclare qu’il ne croit pas à la neutralité de la doctrine, pense que les opinions des auteurs influencent nécessairement leurs analyses et regrette seulement un mélange des genres. L’ennui c’est que c’est lui qui mélange. Le professeur des facultés de droit est un citoyen comme les autres qui a le droit d’avoir des opinions, philosophiques, idéologiques et politiques et de les exprimer dans les formes qu’elles impliquent (le droit de vote, par exemple ou des comités de soutien). Le Professeur des facultés de droit, quand il enseigne ou publie, enseigne le droit positif qui ne se prête, à aucune distorsion. S’il en modifie l’exposé pour le faire coller à ses opinions, ce n’est plus un professeur des facultés de droit, c’est un militant ; les étudiants le savent très vite et lui accordent, par leur absence à ses cours, l’intérêt qu’il mérite. Enfin, le professeur des facultés de droit peut, dans ses cours et dans ses travaux et après avoir exposé le droit positif, critiquer celui-ci et proposer des réformes, mais la distinction est alors parfaitement claire et ne se prête à aucun mélange des genres.

II. Que peut-on faire après une consultation ?

Élevée au monde du droit par Robert Vouin, j’ai toujours appliqué la méthode qui était la sienne et qu’il m’avait recommandée.
Chaque fois que j’ai été consultée dans une affaire qui a donné lieu, ensuite, à une décision de justice, j’ai toujours annoté la décision en question. C’est ce que Monsieur Chazal considère comme intellectuellement malhonnête alors que nous y voyions Robert Vouin et moi, le summum de l’honnêteté intellectuelle. Quelle meilleur moyen existe, en effet, de montrer à la communauté scientifique que ce que l’on a écrit dans une consultation on ne l’a pas fait pour faire plaisir à quelqu’un qui vous était cher ou qui vous avait payé pour le faire, mais qu’on y croit, au point de le publier sous son nom et son titre en destination de la communauté de ses pairs ? C’est ce qu’ont fait Pierre Avril et Jean Gicquel même si le Figaro n’est pas une revue scientifique (distinction de plus en plus floue depuis que les revues dites « scientifiques » ce sont mises à faire de la politique) ce qui ne modifie en rien le principe.

Après de longues années de pratique l’article de Monsieur Chazal aura eu au moins l’intérêt de me faire comprendre le sens de la réflexion que m’ont parfois faites des magistrats rencontrés çà et là et selon laquelle « vos consultations, on les lit » avant d’ajouter « ce n’est pas le cas de tout le monde ». Il faut, hélas en conclure, que le point de vue de Monsieur Chazal n’est pas entièrement infondé. Espérons que même en l’ajoutant à la liste, il demeure fortement minoritaire.

CONFUSIONS SUR L’AGE ET LA SEXUALITE

Cela fait déjà plusieurs semaines qu’il ne se passe pas de jour sans qu’un media ne s’interroge doctement sur ce que doit être l’âge d’une prétendue majorité sexuelle qui serait celui au-dessous duquel l’auteur d’une infraction sexuelle en serait automatiquement présumé coupable parce que la victime n’aurait pas pu consentir.

Cette façon de présenter les choses témoigne d’un confusionnisme peut être pardonnable pour des non-juristes mais qui, hélas n’est pas non plus étranger à certaines personnes qui prétendent l’être.

Si nos sociétés développées ont jugé utile de spécialiser les diverses branches de leur droit, c’est parce que celles-ci doivent répondre à des objectifs particuliers. Dans cette perspective la question posée intéresse le droit pénal dont, malheureusement, on tend de plus en plus à ignorer ou nier l’objectif social spécifique, ce dont la question ici posée fournit un éclatant exemple.

Le droit pénal n’est pas fait pour protéger les victimes et cela d’autant moins que nombre d’infractions pénales atteignent directement l’ordre public et ne sont pas susceptibles de faire des victimes individuelles, mais pour traiter le cas des coupables : les punir, neutraliser leur dangerosité et, autant que fait se peut, éviter qu’ils ne recommencent. La protection des victimes privées, s’il y en a, dans le cadre de l’infraction considérée, relève naturellement d’une impérieuse nécessité mais elle doit être traitée par les branches du droit dont c’est la vocation, c’est-à-dire, selon les cas, le droit civil de la responsabilité civile, de l’état des personnes ou de la famille ou le droit de l’aide sociale.

Dans le cadre des infractions sexuelles, la question de l’âge à considérer n’est donc pas celle de savoir s’il existe une majorité sexuelle au-delà de laquelle les mineurs pourraient avoir librement les relations sexuelles qu’ils veulent avec qui ils veulent. La question de la fixation d’une majorité relève du droit civil de l’état des personnes et elle ne varie pas selon l’activité considérée : scolaire, sportive, artistique, politique, etc… et sexuelle. Un mineur de dix-huit ans n’a pas le droit d’avoir une activité sexuelle, quelle qu’elle soit, si le titulaire de l’autorité parentale n’y consent pas expressément ou tacitement. Des parents peuvent interdire toute activité sexuelle à leur enfant mineur de dix-huit ans et prendre toutes les dispositions légales pour l’en empêcher si l’enfant ne parait pas adhérer à cette façon de voir les choses : le mettre en pension, l’éloigner, contrôler son courrier, etc… Et si quelqu’un qui sait que les parents d’un mineur de dix-huit ans sont opposés à ce que leur enfant ait des relations sexuelles, en a ou continue d’en avoir avec lui, il commet une faute qui engage à leur égard, sa responsabilité civile.
Il faut donc cesser d’invoquer une majorité sexuelle différente de la majorité civile et qui n’existe pas.
Ce qui amène les non-juristes à soutenir cela est que les actes de nature sexuelle non violents et qui ne sont pas le fait d’une personne ayant autorité ne sont pas incriminés s’ils sont commis sur un mineur de plus de quinze ans. Cela ne signifie pas, cependant qu’un mineur de plus de quinze ans a le droit d’avoir des relations sexuelles parce qu’il serait sexuellement majeur, ce qu’il n’incombe pas au droit pénal de décider, mais que dans le cadre de sa vocation propre (déterminer qui est au non socialement dangereux) le droit pénal estime que la personne qui a des relations sexuelles normales et consenties avec un mineur de quinze à dix-huit ans ne présente pas un danger social suffisant pour son comportement constitue une infraction pénale. On ne voit aucune véritable raison de modifier cela. Surtout dès lors que les parents peuvent en décider autrement.

La question qui se pose dans le droit pénal des infractions sexuelles est tout autre et dépend de la définition de ces infractions et de l’opposition classique entre les agressions et les atteintes sexuelles. L’agression sexuelle est le rapport sexuel imposé par la violence, la contrainte, la menace ou la surprise qu’il vaudrait mieux, d’ailleurs, définir comme l’acte de nature sexuelle auquel la victime n’a pas consenti. Elle constitue un crime (viol) ou un délit grave (agression sexuelle). L’atteinte sexuelle est un acte de nature sexuelle qui n’est pas imposé. Il est punissable moins sévèrement que l’agression s’il est commis sur une victime de moins de quinze ans et, sauf circonstances particulières, ne l’est plus au-delà de cet âge.
La question qui a été la plus controversée, dans les dernières années, quant à l’absence de consentement de la victime, a été celle de l’influence que l’âge de celle-ci est ou non susceptible d’exercer sur un éventuel consentement, autrement dit, comment se fait la distinction entre agression sexuelle et atteinte sexuelle quand la victime est mineure de quinze ans.
Dans cette perspective et selon le bon sens, il conviendrait de distinguer. Si l’enfant est hors d’état de comprendre la portée de ses actes, on doit considérer qu’il ne peut y consentir. Cette considération ne dépend pas d’un âge préfixé mais d’une appréciation de la situation de fait, quant au discernement de l’enfant. Si l’enfant ne peut pas comprendre ce qu’est la sexualité, l’absence de consentement de sa part est automatiquement établie et l’acte commis à son égard est réputé violent et constitue donc une agression. Dès que l’enfant est en mesure de comprendre ce qu’il fait, son âge ne constitue plus, à lui seul, l’absence de consentement. Il faut, pour retenir une agression sexuelle, établir une contrainte qui doit alors être fondée sur des circonstances de même nature que s’il était adulte. A défaut l’auteur des faits ne peut se voir reprocher qu’une atteinte sexuelle.
La jurisprudence avait, d’abord admis que l’absence de consentement résultait de plein droit de l’âge des mineurs victimes lorsque celui-ci était suffisamment peu élevé pour que les enfants ne puissent avoir aucune idée de ce qu’est la sexualité ce qui les rendait incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés et, par conséquent d’y consentir. Puis, plusieurs décisions de la Chambre criminelle, considérées par leurs commentateurs comme des décisions de principe, sont venues assurer, au contraire, que l’absence de consentement ne peut être déduite du seul âge des victimes et qu’il fallait dans tous les cas établir la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Cette position n’a cependant pas emporté l’adhésion des cours d’appel qui continuaient à considérer, avec un certain bon sens, qu’il n’y a pas de consentement possible, en pratique, pour des enfants de moins de six ans. La Chambre criminelle a, d’abord, semblé moins ferme dans certaines décisions où elle a validé des arrêts de renvoi en cour d’assises qui semblaient bien uniquement justifiés soit par l’âge de la victime soit par l’ignorance de celle-ci en matière de sexualité (cinq ans et demi), même si la Chambre criminelle croyait devoir s’en défendre dans la lettre de ses arrêts. Puis, elle a franchi le pas en jugeant que justifie sa décision la cour d’appel qui, pour déclarer un prévenu susceptible d’être coupable d’actes sexuels commis avec violence, contrainte, menace ou surprise sur trois mineurs âgés d’un an et demi à cinq ans, énonce que l’état de contrainte ou de surprise des victimes résulte de leur très jeune âge qui les rendait incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés. Au contraire, des âges compris entre onze et treize ans étaient jugés suffisants pour établir le discernement et donc le consentement et transformer l’agression sexuelle en atteinte sexuelle, les âges intermédiaires n’ayant pas été soumis à la jurisprudence.
Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas de dire que les auteurs d’actes sexuels non violents commis sur des mineurs de onze ans ou treize ans ne commettent pas d’infractions pénales, mais que celles-ci sont réputées moins graves que si les victimes étaient inconscientes de la situation et ne constituent que des atteintes sexuelles.
Ce sont ces âges qui sont aujourd’hui l’objet de toutes les critiques certains proposant de réputer, par la voie légale, l’absence de consentement jusqu’à treize, voire quinze ans et donc de retenir systématiquement l’agression sexuelle sans s’interroger sur le discernement de la victime dès lors qu’elle a moins que cet âge.

Ce point de vue peut se comprendre, mais à condition, une fois encore, de resituer convenablement le problème compte tenu de l’objectif du droit pénal. La vraie question n’est pas, en effet, de savoir si une victime mineure peut ou non consentir à avoir des relations sexuelles mais celle de savoir jusqu’à quel âge de la victime une personne qui a des rapports sexuels avec un mineur présente une dangerosité particulière qui doit faire réputer l’infraction commise par elle plus ou moins grave.
Or et la chose est suffisamment peu courante pour être relevée : tous les criminologues sont, pour une fois, d’accord pour considérer que cet âge se situe à treize ans. On peut donc se déclarer favorable à une modification des normes légales actuellement retenues et réputant désormais agression tout acte sexuel commis sur un mineur de treize ans, mais certainement pas comme on s’apprête à le faire.
Il est indispensable de distinguer, dans leur définition, les agressions sexuelles sur adultes ou sur mineurs. Rien n’est à modifier en ce qui concerne les adultes, si ce n’est la précision que les articles actuels du Code pénal ne concernent désormais plus que les victimes de plus de treize ans. Il faut ajouter un article du Code spécifique aux mineurs de treize ans et précisant que tout acte de nature sexuelle est considéré comme une agression dès lors qu’il est commis sur un mineur de cet âge. Il faut préciser que les atteintes sexuelles concernent les mineurs de treize à quinze ans et conserver le régime actuel pour les mineurs de plus de quinze ans.
Mais il faut cependant être bien conscient de ce que l’on fait. Même si l’on reprend le problème comme il doit être pris, c’est-à-dire par rapport à l’auteur des faits, il n’en demeure pas moins que réputer agression sexuelle tout acte commis sur un mineur de treize ans constituera une présomption de culpabilité au-dessous de cet âge et que la Cour européenne des droits de l’homme n’aime pas ces présomptions et ne les admet que jusqu’à une preuve contraire dont on voit mal ici ce qu’elle pourrait être.

POLICE

Plusieurs personnes m’ont fait savoir, par des vecteurs divers, qu’ils regrettaient le silence, il est vrai prolongé depuis plusieurs mois, de ce blog. Si je suis sensible à leur intérêt et les en remercie, je souhaite aussi :
1) Leur rappeler l’éditorial du Blog et leur suggérer de le (re)lire.
2) Leur dire qu’en 2017 j’ai publié la 4ème édition de mon ouvrage de Droit pénal général et la 3ème édition de mon ouvrage de Procédure pénale et donné à Dalloz le texte de la 8ème édition de mon ouvrage de Droit pénal spécial. Il est surement possible de faire plus et mieux, mais pas pour moi.
3) Signaler en passant que je viens de consacrer quelques jours à un séjour dans un hôpital parisien dont je suis ressortie avec le ferme conseil de lever le pied ce dont quelques mauvais esprits diraient que c’est sans doute la raison pour laquelle je m’empresse de faire le contraire, ce qui ne serait pas tout à fait exact.

La raison de ces très brèves observations, au-delà de la volonté de dire à ceux que cela intéresse, que je suis toujours là, tient aux événements survenus dans la nuit de la Saint-Sylvestre et aux réactions qu’ils ont suscitées.

Il est, d’abord assez surprenant d’entendre un Ministre de l’Intérieur qui pourtant n’est pas des plus mauvais, déclarer que les festivités de la Saint-Sylvestre se sont globalement bien passées avec très peu d’incidents à déplorer quand on sait qu’il y a eu 1031 véhicules incendiés et 510 personnes arrêtées alors qu’il n’y en avait eu, l’année précédente avec un autre Président, un autre gouvernement et un autre ministre de l’intérieur, que 935 et 456. Ajoutons qu’il est grave qu’un ministre de l’intérieur qualifie des incendies volontaires d’« incidents » alors qu’ils constituent des infractions que le Code pénal de 1992 a eu le grand tort de disqualifier en délit et non plus en crime alors que c’est le moyen de plus efficace pour tuer le plus de personnes possibles entre les victimes visées, les secouristes et les passants.

Mais c’est surtout ce qui s’est passé à Champigny qui ne peut permettre à personne ayant un tant soit peu à voir avec la sécurité et la justice de ne pas se manifester et surtout pour en rechercher les causes.

Le 18 mai 2016 quelques criminels (au sens exact du terme, je vais y revenir) avaient jeté, dans un véhicule de police un fumigène qui embrasa la voiture dont l’occupant réussi à s’extirper sans faire usage de son arme. Le 19 septembre 2017, les agresseurs ont été jugés par le tribunal correctionnel de Paris ce qu’aucun professeur des facultés de droit ne peut réussir à comprendre tant les faits constituaient, à l’évidence, selon les principes les mieux établis du droit pénal général, du droit pénal spécial et de la procédure pénale, une tentative de meurtre relevant de la cour d’assises.
Certes, il est toujours difficile de prouver la volonté de tuer qui permet de retenir l’homicide ou la tentative d’homicide volontaire puisqu’elle relève du for interne. C’est pourquoi la jurisprudence a mis au point un principe permettant de déduire cette volonté de la constatation de certains faits. La jurisprudence dominante déduit, en effet, l’intention coupable de la coexistence de l’emploi de certains moyens particulièrement dangereux ou efficaces et donc susceptibles d’entrainer la mort lorsqu’ils atteignent certaines parties du corps : tirer une balle dans le cœur de quelqu’un démontre qu’on voulait tuer la victime. Il est dès lors parfaitement clair que mettre le feu à un véhicule contenant une ou plusieurs personnes qui réunit l’utilisation d’un moyen particulièrement dangereux (un incendie) qui menace la vie des occupants du véhicule est une tentative de meurtre. Au résultat de l’étrange qualification retenue, comprise du seul parquet qui a diligenté les poursuites, la plus grave des peines prononcées a été de sept ans d’emprisonnement (mais avec seulement trois ans fermes lesquels se sont transformés en vingt-six mois au résultat de la déduction de la détention provisoire).
Si cette attitude ne peut être comprise des juristes confirmés, elle a, en revanche été reçue cinq sur cinq par les voyous concernés car nous nous trouvons dans la même situation à Champigny ou il est possible de penser que la perspective de la cour d’assises aurait possiblement limité l’enthousiasme des assaillants car donner des coups de pieds dans la tête de quelqu’un qui ne peut ni fuir ni se défendre constitue manifestement une tentative de meurtre. Mais les décisions rendues auparavant ayant donné aux intéressés l’assurance que quoiqu’il arrive, cela ne serait pas retenu ne pouvait que les encourager. Quand les policiers accusent la justice de laxisme on peut difficilement leur donner tort, au moins pour une partie d’entre elle. Il sera donc intéressant de voir si les parquets sont capables d’apprendre de leurs erreurs et quelle qualification ils retiendront dans l’autre affaire d’incendie de véhicule de police en attente de jugement (et dont une des victimes n’est pas encore sortie d’affaire un an et demi après les faits) ainsi que dans l’affaire de Champigny. Et cela d’autant plus que les conséquences de ces derniers faits ont miraculeusement été très limitées ce qui ne se confond nullement avec la notion de tentative qui ne dépend pas de ce qui est arrivé mais de ce qui pouvait arriver et que le délinquant recherchait : il peut y avoir tentative de meurtre alors même que la victime n’a pas eu la moindre égratignure du moment que l’agresseur cherchait à la tuer.
Certains pourraient éventuellement prétendre qu’en exerçant des violences sur les policiers leurs assaillants voulaient manifestement leur faire du mal mais pas les tuer. Ce serait oublier un autre principe du droit pénal général, celui du dol indéterminé : L’agissement étant volontaire et le dommage prévisible on présume que si, ayant été prévu il n’a pas été évité, c’est qu’il a été voulu.

Mais si ces affaires sont choquantes, pour ne pas dire plus, elles ne font que démontrer ce que j’ai eu l’occasion de dénoncer à plusieurs reprises ici même : l’absence d’une politique pénale d’ensemble mettant au cœur de ses préoccupations la lutte contre la violence, sous toutes ses formes, alors que celle-ci est aujourd’hui la plus pressante de toutes les nécessités pénales. Or si l’on nous annonce, sans date, d’ailleurs, la mise en œuvre par le ministère de la Justice de cinq chantiers prioritaires qui ne sont pas sans intérêts, il s’agit une fois de plus de questions isolées et diverses parmi lesquelles rien n’est dit ni d’une politique pénale d’ensemble, ni de lutte contre la violence si ce n’est ce qui concerne le terrorisme qui n’est qu’une petite, certes la plus spectaculaire mais petite tout de même, numériquement, partie du problème.
Disons-le aux policiers, je n’ai jamais beaucoup cru à l’efficacité des peines planchers pas plus, d’ailleurs, qu’à la réelle et considérable absence de places de prison car si l’on sortait de détention tous les auteurs d’infractions autres que de violence pour lesquels (et lesquelles) il est possible de mettre en place des peines tout aussi désagréables mais exécutées en liberté on pourrait en récupérer tout de suite un certain nombre. Je crois, en revanche à la nécessité de durcir considérablement et en tous domaine le régime des infractions violentes (définition des sanctions – je ne crois aux vertus de l’emprisonnement que pour les infractions de violence, celles qui atteignent ou menacent l’intégrité des personnes – ; conditions d’application; principe de détention provisoire beaucoup plus large; diminution, limitation ou suppression des mesures de faveurs sous forme de sursis, remises de peines, etc…, mise à exécution immédiate, effective et intégrale des peines prononcées qu’on incitera à moins s’éloigner des maxima prévus; possibilité d’une rétention de sureté supplémentaire dans les cas les plus graves, etc…). Mais cela suppose une réécriture de la quasi-totalité du Code pénal et d’une grande partie du Code de procédure pénale. Cela impliquerait donc qu’on cesse de perdre du temps et qu’on se mette rapidement au travail avec des méthodes elles aussi renouvelées. Pour autant que je sache, certains ont déjà une partie de tout cela prête et il suffirait de la leur demander.

Et il est difficile de ne pas prendre pour une blague (de mauvais goût !) l’annonce simultanée de la mise en place en prison de téléphones dans chaque cellule ce qui donne raison à une revendication du (certains diraient « de la » ce à quoi je me refuserai toujours) contrôleur (contrôleure, contrôleuse ???) des lieux de détention. Quoiqu’on nous dise et pour une infinité de raisons un contrôle réel des personnes appelées (la personne qui est au bout du fil n’est pas forcément l’abonné seul autorisé à communiquer) comme du contenu des communications (ignore-t-on la possibilité de « codes » ?) est impossible. Nous allons donc fournir aux détenus le moyen de préparer tranquillement en étant au calme, nourris, logés, formés et distraits, la continuation de leur activité professionnelle. Et si l’on fait cela c’est parait-il pour éviter la prolifération en prison de téléphones portables interdits. Ne serait-il pas plus simple de les empêcher de rentrer notamment en rétablissant la séparation dans les parloirs, dont la suppression a été une grave erreur, et en procédant à des fouilles systématiques après visite ? Et si cela donne trop de travail au personnel on pourrait ajuster le nombre de visites, pour certains, au moins.

François Fillon… Comment dire ? …ASSEZ

Il est tellement évident pour quelque juriste, digne de ce nom que ce soit, que l’affaire montée contre François Fillon est une baudruche vide de tout sens, que la première réaction consiste à hausser les épaules et à la reléguer d’un revers de main dans les questions sans intérêts.

Il est cependant difficile, quand on a consacré sa vie à enseigner, défendre et promouvoir le droit, de supporter longtemps de le voir instrumentaliser encore et encore au profit des plus basses besognes politiciennes.

Et arrive le moment où l’on ne peut s’empêcher de hurler ASSEZ !

Rien, absolument rien ne tient juridiquement dans cette lamentable (au sens médiatique du terme) affaire et on le montre simplement en prenant les questions les unes après les autres.

I. L’infraction de détournement de fonds publics.

En employant son épouse et ses enfants comme attachés parlementaires François Fillon se serait rendu coupable de détournement de fonds publics.

Il existe un grand nombre d’infractions qui sont susceptibles d’être reprochées à des agents publics. Il n’existe, cependant, aucune liste générale définissant les agents publics susceptibles de les commettre. Chaque coupable possible doit être défini pour chaque infraction ou groupe d’infractions considérés en raison de leur variété. Deux catégories posent spécialement ce problème : les magistrats et les élus, notamment parce qu’ils ont un rôle particulier à jouer dans les institutions de la République. Il est admis que les uns et les autres ne peuvent se voir reprocher une infraction relative à un agent public que s’ils sont clairement énumérés par le texte d’incrimination en cause comme susceptibles de se la voir reprocher.

Lisons donc l’article 432-15 du Code pénal : « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, un comptable public, un dépositaire public ou l’un de ses subordonnés, de …détourner …des fonds publics ou privés…ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission, est puni… »
On observe immédiatement que les parlementaires ne sont pas cités. Le principe de la légalité interdit donc de leur appliquer cet article. Mais il y a plus : pour « détourner » des fonds, il faut (le texte le dit expressément) et cela relève du plus parfait bon sens, que ces fonds vous aient été remis. Or les assemblées parlementaires ne remettent aucunement à leurs membres les fonds destinés à payer leurs assistants. Ceux-ci bénéficient seulement d’un droit de tirage fixé pour eux et qu’ils engagent en signant des contrats de travail et en rédigeant des bulletins de paie. N’ayant jamais eu le maniement de quelques sommes que ce soit, ils seraient bien en peine de les détourner. Ce sont les services administratifs et financiers des Assemblées qui procèdent au paiement. C’est à eux d’effectuer les contrôles qui s’imposent avant paiement et s’ils paient c’est qu’ils n’ont remarqué aucune irrégularité.

Mais, nous dit-on, si le travail de l’épouse et des enfants de François Fillon était fictif, les choses changent et les services financiers des Assemblées ne pouvaient pas le savoir.

NON

Sur le plan pénal: 1) les parlementaire continuent à ne pas figurer parmi les personnes qui peuvent se voir reprocher l’infraction de détournement de fonds publics ; 2) ils continuent de ne pas avoir le maniement des fonds dont il s’agit et ne peuvent donc par les détourner.

Sur le plan de l’organisation des pouvoirs publics, deux de mes collègues, parmi les plus savants des publicistes ont déjà répondu dans la grande presse. Soutenir que des magistrats peuvent interroger un parlementaire sur ce qu’il fait des enveloppes de frais que son assemblée lui accorde spécifiquement pour exercer ses fonctions, c’est troubler gravement le dernier sommeil de Montesquieu.

Le principe de la séparation des fonctions fait de toute évidence obstacle à ce que des représentants du pouvoir (ou de l’autorité, c’est pareil) judiciaire puissent interroger un parlementaire sur la façon dont il exerce ses fonctions. Ce n’est pas que les parlementaires ne puissent jamais être poursuivis s’ils commettent des infractions, puisque lorsqu’ils le font ils ne se comportent pas en titulaires du pouvoir législatif. Mais interroger un parlementaire sur la façon dont il conçoit ses rapports avec ses électeurs, prépare la rédaction et le vote des lois ou rédige les questions écrites ou orales qu’il pose au gouvernement échappe, par principe, au contrôle du pouvoir judiciaire. Or c’est à cela que sont affectés les attachés parlementaires. Quoique Madame Fillon ait fait ou n’ait pas fait dans la Sarthe, il ne peut lui être posé aucune question à ce propos par un membre de l’autorité judiciaire car cela relève du travail législatif.
Si quelque chose m’a choquée dans l’attitude de François Fillon c’est qu’il se soit précipité pour demander à être interrogé par les enquêteurs et qu’il ait accepté que son épouse et ses enfants le soient. Etant entendu que je ne sais rien de ce qu’ils ont dit, j’espère qu’ils ont eu suffisamment de respect pour les institutions de la République pour se rendre aux convocations et, ensuite, refuser de répondre aux questions qui leur ont été posées. C’est la seule attitude qui était légitime. J’espère qu’elle a été suivie.

Que François Fillon estime utile d’exposer aux Français, lors de conférences de presse ou autres productions ce qu’il a fait ou pas fait est une chose. C’est de la politique et je ne me sens pas du tout concernée. Mais qu’il réponde à une enquête de justice sur sa façon de concevoir le travail législatif qui est le sien en est une autre qui me parait (et pas seulement à moi) inadmissible.

Terminons, enfin, en remarquant que le contribuable n’a rien perdu dans cette affaire. Malgré tout ce qu’on a cherché à lui mettre sur le dos, personne n’a prétendu que François Fillon avait engagé davantage que ce qui lui était octroyé par l’Assemblée Nationale ou le Sénat pour pouvoir à son assistance de parlementaire. Juridiquement titulaire de droits de tirage relatif à sa charge, il importe peu aux finances publiques qu’il ait, avec ces sommes recruté X ou Y et les ai fait travailler un peu plus ou un peu moins. La facture n’est pas plus élevée dans un cas que dans l’autre. Et si, comme tout parlementaire, ses électeurs estiment qu’il ne fait pas bien son travail, il n’y a qu’une sanction possible et elle est connue : ils ne le réélisent pas.

En admettant donc que le travail de Pénélope Fillon et des enfants du couple ait été fictif, ce que j’ignore complètement, mais que la France n’a aucun moyen juridictionnel de savoir, François Fillon ne peut certainement pas être poursuivi pour détournement de fonds publics.

II. La compétence du parquet national financier.

L’article 432-15 du Code pénal qui détermine le détournement de fonds public figure bien au 1° de l’article 705 du Code de procédure pénale définissant la compétence nationale des juridictions financières de Paris. Mais pas à n’importe quelles conditions. Il faut, pour que les juridictions financières soient compétentes, que les affaires concernées soient ou apparaissent « d’une grande complexité, en raison notamment du grand nombre d’auteurs, de complices ou de victimes ou du ressort géographique sur lequel elles s’étendent ». Et malgré le « notamment » la Chambre criminelle de la Cour de cassation estime qu’un juge d’instruction ne peut pas se dessaisir au profit des juridictions parisiennes pour un autre motif que ceux énoncés par l’article 705 (Crim. 8 oct. 2014, B. 201, le juge d’instruction avait jugé utile de se dessaisir au motif que l’instruction efficace de tels dossiers « passe par une concentration des affaires entre les mains d’une seule et même juridiction et qu’il convient, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice (de se dessaisir) »).

On cherche en vain dans l’affaire Fillon qui, si une infraction est commise, ne peut concerner que lui seul (et éventuellement le petit nombre des bénéficiaires) et n’être située qu’à l’Assemblée nationale puis au Sénat, donc à Paris, où sont « le grand nombre d’auteurs, de complices ou de victimes et le ressort sur lequel elle(s) s’étend(en)t » qui justifieraient la compétence des juridictions financières parisiennes.

L’incompétence des juridictions financières parisiennes est donc patente. Mais tout le problème est qu’il n’y a, pour le moment, aucun moyen de le faire constater. De ce point de vue, il est vrai, en effet, que le système de détermination des compétences respectives des juridictions de droit commun et de la juridiction financière (et cela n’a rien à voir avec François Fillon) est particulièrement tordu.

Si une instruction est ouverte, le passage du juge d’instruction normalement compétent à la juridiction parisienne ou inversement, du juge d’instruction financier parisien, saisi à tort, au juge d’instruction de droit commun donne lieu à une procédure particulièrement compliquée.

(Pour ceux qui ont le courage de lire. Les autres peuvent passer :
Quand une instruction a été ouverte devant une juridiction de droit commun, ce juge peut se dessaisir soit spontanément soit sur demande du ministère public. Le juge d’instruction avise les parties et les invite à faire connaître leurs observations. Le juge statue par voie d’ordonnance motivée rendue huit jours au plus tôt et un mois au plus tard à compter de l’avis donné aux parties qui bénéficient d’un délai de cinq jours, à dater de la notification de cette ordonnance, pour la contester. Si l’ordonnance n’est pas contestée, cinq jours après le moment où elle a été rendue, elle produit son effet (maintien ou transmission). Si les parties contestent l’ordonnance, elles forment un recours auprès de la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans les cinq jours de la notification qui leur a été faite ou, si le juge d’instruction n’avait pas statué, dans le délai d’un mois. La chambre criminelle a huit jours pour statuer. Elle saisit librement le juge d’instruction qu’elle estime devoir agir « dans l’intérêt d’une bonne administration de la Justice ».
Quand le ministère public a saisi directement un juge d’instruction du pôle financier, celui-ci peut s’estimer incompétent spontanément (il pense qu’il ne s’agit pas d’une des infractions énumérées par les textes comme relevant de sa compétence) ou sur demande des parties. Il rend alors une ordonnance d’incompétence au plus tôt huit jours après avoir sollicité l’avis des parties qui n’avaient pas formé la demande. Cette ordonnance peut être déférée à la chambre criminelle dans les mêmes conditions et avec les mêmes effets que précédemment.)

Si le ministère public s’en tient au stade des enquêtes, il peut pratiquement faire ce qu’il veut du moment qu’il s’entend avec le ministère public normalement compétent (en l’espèce que le procureur national financier se soit entendu avec le Procureur de la République de Paris) à une condition, cependant, que le Procureur général de la Cour d’appel ait été mis dans la boucle (art. 705-4 C.P.P.) ce dont on n’a pas entendu parler.

Dans l’affaire Fillon l’incompétence des juridictions financières de Paris est donc certaine, mais tant que le procureur national financier s’en tiendra à la phase de l’enquête, il n’y aura aucun moyen de la soulever. Le moins que l’on puisse dire est que ce pouvoir donné à une des parties en cause (car le ministère public n’est qu’une des parties en cause) est tout à fait exorbitant. Il offre, en tout cas à ceux qui sont à l’origine de ce chaos un boulevard pour continuer à raconter n’importe quoi.

Et c’est l’autre bêtise faite par François Fillon : avoir déclaré qu’il renoncerait s’il était mis en examen. La mise en examen peut, à certains égards paraitre comme mettant en cause l’honneur de celui qui en est le sujet, mais elle a surtout l’avantage considérable de lui permettre de se défendre ce que François Fillon ne pourra pas faire tant qu’on en restera au stade d’une enquête dont lui-même et ses défenseurs ignorent tout. Espérons, si une mise en examen intervenait, malgré les obstacles à l’exercice de l’action publique que nous venons d’évoquer, qu’il saura le comprendre et revenir sur des déclarations pour le moins inadéquates.

III. La prescription.

Il est impossible ici de se prononcer avec certitude sans avoir accès au dossier. Mais quelques calculs simples peuvent tout de même être faits desquels il semble bien résulter qu’on ne voit pas comment, compte tenu des dates annoncées pour les différents faits reprochés, tout délit ne serait pas nécessairement prescrit.
Une fois encore, il s’agit de salir pour salir.

IV. La suite

Le juriste, qui n’en est pas moins citoyen a tout de même de quoi se poser des questions sur l’entourage du candidat en matière juridique.

Le magistrat qui aimait bien se présenter comme « le chef de son équipe juridique » est aussi le premier à l’avoir trahi et avec une célérité qui n’avait rien à envier à celle de Lucky Luke. Quant aux autres, ils donnent fâcheusement l’impression de patauger, au minimum d’avoir un certain retard à l’allumage et, enfin, de se complaire dans des détails qui n’ont rien de critiquable mais qui, c’est le moins qu’on puisse dire, ne renversent pas la table dans un domaine qui en aurait bien besoin. Ramener la majorité pénale à seize ans ? Pourquoi pas ? Mais cela ne fera, pas plus que l’ensemble de mesures de détails exposées dans le programme officiel, une réelle politique pénale avec une ligne de conduite qui ne peut pas être autre chose, en l’état de la délinquance en France, qu’une lutte déterminée contre la violence passant par l’ensemble des instruments propres à le faire : révision du droit pénal général, de la procédure pénale, de la définition des infractions, de l’exécution des peines et interrogation sur la répartition des moyens. Ce n’est pas tout que d’annoncer une augmentation des budgets de X millions. L’essentiel c’est de dire ce qu’on va en faire. Pour le moment, on ne voit pas très bien.

Et il reste la question fondamentale pour le citoyen, même juriste, celle de la hiérarchie des enjeux. On choisit un Président de la République pour la France en fonction de son expérience et de sa compétence, on n’instruit par un procès en béatification. L’avenir du pays doit-il dépendre du point de savoir si une dame et ses deux enfants ont mérité, un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout une certaine somme d’argent ?

COLERE DES POLICIERS ET POLITIQUE PENALE

Il est évidemment difficile pour un professeur des facultés de droit d’apporter son soutien à une manifestation policière illégale par principe.
Mais il serait tout aussi difficile à l’auteur de ces lignes de ne pas dire qu’elle comprend parfaitement le ras-le-bol des policiers qui s’explique tant par des positions de principe critiquables que par des détails d’application qui ne le sont pas moins et qui doivent d’urgence être modifiés si l’alternance politique qu’on nous annonce a véritablement lieu.

I. Sur le terrain des principes.

La question, dans son ensemble, est aussi complexe que maltraitée dans la façon dont en rendent compte les médias, probablement parce qu’ils n’ont pas la mémoire assez longue pour remettre les choses dans leur contexte.

Tout le monde peut être d’accord pour dire qu’il est inadmissible d’apprendre qu’un président de la République a accusé l’ensemble des magistrats de lâcheté. Il n’en est pas moins vrai que la qualificatif reste exact si on l’adresse à la politique pénale du pays dont les magistrats ne sont qu’en toute petite partie responsables, ceux-ci n’étant toujours, pour l’essentiel et selon la formule de Montesquieu, que « la bouche qui prononce les paroles de la loi ».

Par ailleurs et si le contexte électoral incite à taper sur Christiane Taubira, il faut bien dire que son action n’est que l’extrême caricature d’une politique pénale mise en place, en réalité, en 1981.

Jusqu’à cette date, la politique pénale consistait à privilégier la répression des infractions de violence. Mieux, dans les années 1978-1981, on avait pris conscience de ce qu’une augmentation de cette violence devait amener à renforcer encore ce point de vue. Ce fut un travail de commission (justement dénommée « Réponses à la violence ») confié à Alain Peyrefitte, suivi de la loi « Sécurité et liberté » accusée par ses détracteurs d’être répressive, oppressive, voire fascisante alors qu’elle n’était qu’une première étape intéressante, mais timide et insuffisante pour répondre véritablement à ce qui devenait une inflation de la violence qui n’a jamais cessé depuis.
En novembre 1981, une circulaire fameuse de Robert Badinter changeait radicalement de cap en incitant les parquets à privilégier dans tous les sens du terme (poursuite, réquisitoire, exécution) la délinquance de fraude et d’astuce quitte à être moins efficace à l’encontre de la délinquance traditionnelle de violence. On ne peut rien reprocher, dans ce domaine, ni à François Mitterrand, ni à Robert Badinter car le premier avait clairement annoncé la couleur au cours de sa campagne électorale et, pour une fois, un élu faisait ce qu’il avait dit qu’il ferait.

On peut, au contraire, reprocher à la droite de n’avoir jamais su, au fil des alternances successives, revenir au bon sens. Dans ce domaine comme dans celui de tout ce qu’on qualifie, dans le jargon à la mode de « sociétal » la droite a toujours parue tétanisée par les critiques d’une gauche monopolisant le drapeau de la vertu. Tout ce qui a été fait depuis n’a jamais été que de timides petits pas incapables d’endiguer le phénomène social de la violence et qui nous a conduits là où nous sommes avec, il est vrai, une touche finale mise par Christiane Taubira.
Pour mettre un terme au malaise ambiant il faut avoir le courage d’inverser clairement les choses et décider (par la loi et par la conduite de l’action publique) que l’on va désormais s’attaquer, mais s’attaquer vraiment à la délinquance de violence.

Il ne suffira pas, à l’évidence, de se contenter comme on se borne à le réclamer actuellement, d’augmenter les moyens d’intervention ni de la police, ni de la justice. Même si une certaine augmentation est souhaitable il sera toujours impossible de traiter avec la même efficacité l’ensemble des infractions commises. Le principe dit « de la tolérance zéro » est une ânerie car il faut nécessairement faire des choix.
La droite qui postule à l’alternance aurait donc tout intérêt à dire tout de suite qu’elle privilégiera la lutte contre la violence à la fois par les changements législatifs nécessaires et qui doivent être prêts à être appliqués (principe de détention provisoire pour les infractions violentes, augmentation de la gravité des sanctions, diminution ou suppression des mesures de faveurs sous forme de sursis, remises de peines, etc…, mise à exécution immédiate, effective et intégrale des peines prononcées qu’on incitera à moins s’éloigner des maxima prévus, possibilité d’une rétention de sureté supplémentaire dans les cas les plus graves) et par les principes de politique pénale adoptés. Certes, il manquera toujours, dans l’immédiat, des places de prison, mais si l’on cesse de retenir l’emprisonnement pour les infractions autres que de violence qui devraient être soumises à des peines tout aussi désagréables mais exécutées en liberté, on peut en récupérer tout de suite un certain nombre.

II. Sur les questions particulières

Deux points particuliers exaspèrent spécialement les policiers, celui de leur légitime défense et celui de l’attitude des parquets dans la poursuite des infractions commises en groupe.

En matière de légitime défense, on met souvent l’accent sur le fait que les gendarmes ont le droit de faire usage de leurs armes alors que les policiers ne peuvent réagir que s’ils sont en état de légitime défense. Mais on ne semble pas avoir vu que depuis les « efforts » de l’actuel gouvernement pour faire, soit disant un pas vers les policiers, la définition de leur légitime défense est désormais plus restrictive que celle de Monsieur Tout-le-monde, légitime défense de droit commun qu’il leur est, de plus, devenu impossible d’invoquer.

Il n’est pas nécessaire d’être un fin juriste pour voir que les possibilités des policiers sont inférieures à celles du vulgum pecus, il suffit de comparer les textes :

Légitime défense ordinaire :
« N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte. »

Légitime défense policière (Loi du 3 juin 2016):
« N’est pas pénalement responsable le fonctionnaire de la police nationale, le militaire de la gendarmerie nationale, le militaire déployé sur le territoire national dans le cadre des réquisitions prévues à l’article L.1321-1 du code de la défense ou l’agent des douanes qui fait un usage absolument nécessaire et strictement proportionné de son arme dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsque l’agent a des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont il dispose au moment où il fait usage de son arme. »

Outre que le nouveau texte est parfaitement inexact en ce qui concerne la gendarmerie puisqu’on n’a pas abrogé (heureusement) l’article L. 2338-3 du Code de la défense qui continue à autoriser les gendarmes à faire usage de leurs armes « Lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ou lorsqu’ils sont menacés par des individus armés », le texte spécifique des policiers ne les autorise toujours pas à réagir pour prévenir la commission de violences mais seulement la réitération de meurtres déjà commis ce qui est loin d’être la même chose. En outre, ils ne peuvent mener cette action très étroite que dans des conditions tellement strictes et incertaines (surtout dans le feu, à tous les sens du terme, de l’action) qu’on ne voit pas comment ils pourraient être retenus dans l’état envisagé par le texte. Enfin et pire encore, un principe général du droit pénal bien connu, ou qui devrait l’être (specialia generalibus derogant) fait qu’à partir du moment où un texte spécifique a envisagé le cas des policiers, ils ne peuvent même plus invoquer la légitime défense de droit commun, plus large, ouverte à tout un chacun.
Pour de nouveaux droits accordés à des policiers, bravo.

Les voyous qui sévissent dans ce qu’il est convenu d’appeler les lieux sensibles sont certes malfaisants mais pas très courageux. C’est la raison pour laquelle ils agissent toujours en bande.
Or le bon juriste ne peut qu’être surpris lorsqu’il entend dire par des membres du parquet interrogés par les médias qu’on n’a pas pu exercer de poursuite à la suite de tel ou tel incident parce qu’on n’a pas pu déterminer ce que tel ou tel membre de la bande avait fait. C’est ignorer une règle qui, à ma connaissance, est toujours enseignée dans les facultés de droit, celle de la complicité co-respective.

Quand un groupe de personnes exerce des violences, chacun est, d’abord et évidemment responsable de ce qu’il fait lui-même. Mais en agissant comme il l’a fait et donc en diminuant la force de réaction de la ou des victimes, il aide, en même temps, les actions des autres. C’est dire que ce qu’il ne fait pas lui-même à titre d’auteur principal, il le fait à titre de complice par aide et assistance des autres participants. Dès lors que des violences ont été perpétrées en groupe, la seule preuve nécessaire à l’exercice des poursuites est celle de la participation de chacun des intéressés à l’action collective. Ce que chacun a pu faire est, en revanche, sans intérêt car ce qu’il n’a pas fait à titre d’auteur principal, il l’a fait à titre de complice des autres, ce qui lui fait encourir la même peine qu’eux.
C’est dire que chacun est pénalement responsable de tout ce qui est survenu et que l’absence de connaissance précise du rôle de chacun dans une action de groupe ne saurait donc être une excuse pour ne pas poursuivre de la même façon tous ceux qui ont été identifiés comme ayant participé au rassemblement.

Et il reste, dans les événements des derniers jours une autre surprise : le silence assourdissant du Défenseur des droits qu’on a connu plus disert, y compris dans des affaires mettant en cause sinon la police, du moins la gendarmerie.
A notre connaissance, c’est ce Défenseur, par l’intermédiaire de celui de ses adjoints directement en charge de la question, qui est responsable de la déontologie de la police. Il serait donc utile de connaitre son point de vue et s’agissant d’un évident désaccord entre les policiers de base, leur hiérarchie et le gouvernement, on ne voit pas qui serait mieux placé que lui pour mener une action de médiation.

Re-terrorisme

Un humoriste prétend qu’à un certain âge et près un certain volume de publications, un auteur n’a plus que le choix de se répéter ou de se contredire.
La répétition paraissant moins inquiétante quant au niveau de mental de l’intéressé que la contradiction (au moins involontaire car on a toujours le droit, si ce n’est le devoir, de changer d’avis dès qu’on le croit utile et qu’on en est conscient), on nous pardonnera de revenir sur des propos déjà tenus ici quant au terrorisme parce que les circonstances y sont, hélas, revenues.
On a connu le cas de jeunes filles de bonnes familles au casier judiciaire vierge qui, étant «tombées en amour» pour un islamiste radical ou convaincues par la propagande islamiste qu’elles trouveraient en zones de combat le prince charmant, se sont radicalisées. Elles l’ont toutes fait en partant vers les lieux de guerre en Syrie et en Irak sur la promesse séduisante et évidemment trompeuse d’aller se livrer à des actions humanitaires. Certaines y ont laissé la vie et toutes, d’une façon ou d’une autre, leur vie.
Mais en dehors de ces cas particuliers, toutes les manifestations de terrorisme pratiquées sur le sol national, qu’il s’agisse d’attentats construits ou d’initiatives personnelles, l’ont été par des gens qui, même s’ils étaient inconnus des services de sécurité, qui, à tort ou à raison, ne les avaient pas identifiés comme radicalisés, étaient bien connus des services de police et de justice pour avoir déjà commis des infractions de violence.
On nous dira qu’étant donné qu’il est déjà impossible de surveiller toutes les personnes fichées S, il n’est pas envisageable de surveiller toutes les personnes déjà condamnées pour des infractions de droit commun, même violentes et qui sont sorties du système pénal. C’est bien évident mais là n’est pas la question.
La question est de se décider, enfin, à avoir une politique pénale rationnelle qui distingue, quant au régime appliqué à l’ensemble des infractions, les infractions de violence et les autres, les autres n’ayant, entre autres choses (et ce n’est évidemment pas la seule raison), jamais produit de terroristes. L’idée serait de faire que globalement tous les auteurs des infractions de violence se voient appliquer un système pénal plus sévère que les auteurs des autres infractions, voire (c’est au moins mon avis) être les seuls à relever de l’emprisonnement mais vraiment de l’emprisonnement.

Comme je vois arriver tout de suite les commentaires m’accusant de promouvoir une justice de classe, de favoriser les « cols blancs », de vouloir mettre à l’abri les salauds privilégiés qui abusent d’un système qu’ils ont eux-mêmes mis en place dans leur propre intérêt, etc… etc.. Je vais être obligée d’ouvrir une longue parenthèse pour mettre les points sur les i. Il ne s’agit nullement de considérer comme normale, la corruption, la concussion ou la fraude fiscale. Mais on peut d’abord constater, sur le principe, qu’elles ne tuent et ne blessent personne ce qui fait une grosse différence entre elles et les infractions de violence dès lors qu’on a des valeurs aux termes desquelles on préfère mettre en avant l’homme que l’argent. Mais on peut surtout constater qu’on peut très facilement traiter ces infractions avec un régime qui soit, pour les intéressés, infiniment plus punitif que le système actuel qui mélange tout, même si les peines choisies sont théoriquement moins graves que celles des infractions violentes. La première idée est de faire qu’enfin, le crime ne paie plus en imposant une sanction obligatoire et de mise en œuvre procédurale simple, aboutissant à la privation intégrale et systématique du bénéfice de toute infraction de lucre, que le butin soit retrouvé ou pas, quel que soit l’état dans lequel il est retrouvé et qu’il y ait ou non des victimes pour le réclamer. La seconde est de privilégier, pour le surplus, un autre arsenal de peines que l’emprisonnement avec toute une série de possibilités dont des peines d’interdiction professionnelles longues et de véritables travaux dans l’intérêt général ne consistant pas en quelques heures de bricolage mais éventuellement en plusieurs années de gestion d’organismes humanitaires ou de secours assorties des mesures de contrôle qui conviendraient.

Cela étant dit et la parenthèse étant refermée, revenons à nos terroristes ou futurs terroristes.
Tous avaient donc déjà commis des infractions de violence et se retrouvaient en liberté au résultat soit de peines dérisoires prononcées pour des faits qui paraissent très graves, soit d’un système d’exécution des peines (que certains mauvais esprits continuent à appeler, pas tout à fait à tort, d’inexécution des peines) qui fait fondre les peines prononcées comme neige au soleil.
Raisonnons simplement sur le cas de Lahouaiej Bouhlel d’après les bribes qu’on nous distille. Avouons avoir été profondément agacée par la ritournelle qu’on avait déjà entendue pour tous les autres terroristes dans le même cas et qui a été reprise ici par tous les médias et hélas par beaucoup d’hommes politiques, même critiquant le système, selon laquelle Lahouaiej Bouhlel était un « petit délinquant » déjà condamné pour de « petits délits ». Il est totalement aberrant de considérer que la commission, surtout à répétition, de faits de violence, laisse son auteur dans la catégorie des « petits » délinquants. Dès lors qu’on utilise la violence il est quasiment impossible d’en prévoir, à l’avance, le résultat et ce n’est que si la victime et, par ricochet l’auteur des faits, ont de la chance qu’on demeure dans l’ordre des délits, car on pourrait tout aussi bien déraper sur le crime sans que ni l’un ni l’autre aient quoique ce soit de plus à faire.
Il semble que Lahouaiej Bouhlel avait déjà commis trois infractions de violence depuis 2010. Il était donc probablement en état de récidive, ce qui n’est cependant pas certain compte tenu de la complexité du système qui devrait, au moins pour les infractions de violence être simplifié en les assimilant toutes de façon à rendre la récidive automatique même en matière de délit. Mais en admettant qu’il n’ait pas été en état de récidive, il était, au moins en état de réitération d’infractions lors de son dernier jugement. Il a été condamné pour avoir blessé une personne qui lui demandait de déplacer son camion de livraison qui gênait la circulation en lui jetant une palette de bois sur la tête. Il semble que le résultat n’ait été qu’une plaie au cuir chevelus mais, ainsi que nous venons de le dire, ce peu de gravité ne peut être porté au crédit de Lahouaiej Bouhlel car ce fana de musculation aurait pu tout aussi bien provoquer, par ce même geste, un traumatisme crânien, voire tuer sa victime. Dans le cadre, naturellement des peines prévues par la loi, la dangerosité du personnage était donc certaine. Or, dans ce contexte, on nous dit qu’il a été condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis. Aurait-on appliqué ne serait-ce que la moitié de la peine encourue pour incapacité de la victime de plus de huit jours avec usage d’une arme, qu’il aurait dû être condamné à deux ans et demi de prison, ce qui paraitrait raisonnable et proportionné. On voit mal, au surplus, ce qui justifie ici un sursis pour quelqu’un dont on sait qu’il réitère. Enfin et même en appliquant le régime général qui veut que tout entrant en prison bénéficie automatiquement d’un crédit de réduction de peine de six jours par mois de condamnation, régime qui devrait être supprimé, au moins pour les auteurs de faits de violence, une condamnation raisonnable et proportionnée aurait conduit à ce que Lahouaiej Bouhlel n’aurait pas été en liberté, le 14 juillet.

L’opposition actuelle est évidemment dans son rôle et son calendrier lorsqu’elle rend Christiane Taubira responsable de l’état actuel de notre politique pénale. Elle a cependant tort, sur le fond car cette politique ne date pas de 2012 mais de 1981 et c’est ce qui la rend à la fois forte (elle a perverti trop d’esprits) et difficile à renverser (il y faudrait du courage, encore du courage et toujours du courage ce qui sera plus difficile à faire qu’à proposer).
Un petit dessin en disant toujours plus long qu’un long discours, je propose l’expérience que j’ai toujours suggérée à mes étudiants pour comprendre la politique pénale de leur pays. Faire, dans Paris une promenade qui commence au Palais de justice, au sommet d’un bâtiment, dans lequel des juges d’instruction ne font, qu’instruire, dans des locaux ou s’entassent des dossiers et on l’on manque de tout, des meurtres, des viols, des vols en bande organisée avec usage d’armes par nature et, bien entendu, des infractions de terrorisme ; puis de se rendre Rue des italiens, dans les locaux consacrés à la délinquance financière où siègent, sans grand problèmes matériels, les juges d’instructions spécialisés dans les infractions économiques. La comparaison est éloquente.

Le temps nous parait donc venu de revoir de fond en comble notre politique pénale pour appliquer aux infractions de violence le régime qu’elles méritent. Bien des spécialistes politiques qui semblent partager (aujourd’hui) cette analyse réclament, comme d’habitude, une augmentation des moyens de la police et de la justice. Il faut être bien naïf pour croire que c’est vraiment envisageable à grand échelle dans l’état actuel des finances de la France. Ce qui peut se faire, en revanche, c’est un changement des priorités et ici une inversion, avec affectation prioritaire des moyens existants sur le traitement de la violence au lieu de le faire sur la délinquance intellectuelle de profit qui, une fois de plus, ne tue personne. Répétons qu’il n’est pas question de ne jamais poursuivre et de ne jamais punir les infractions économiques et financières mais seulement de limiter les moyens qui leur sont attribués et qui sont, proportionnellement parlant, énormes en termes de temps/policier et magistrat, d’expertises multiples et complexes, etc…pour les rediriger vers une réelle prise en charge préventive et répressive de la violence. Et il est bien entendu qu’il faudrait mettre à part les infractions économiques et financières qui servent à financer le terrorisme et la délinquance violente et qui sont, par connexité, elles-mêmes violentes.
Bien sûr, il faudrait aussi muscler les services sociaux et les convaincre que leur rôle prioritaire n’est pas de distribuer des allocations mais de surveiller la façon dont les enfants sont traités dans leur famille. Enfin, on ne nous fera jamais croire qu’il n’est pas matériellement possible de nettoyer les cités du trafic de drogue qui a un lien évident avec tous ces dysfonctionnements. Mais il faudrait naturellement revoir les hypothèses et les méthodes d’intervention et cela sous les hurlements de la gauche prétendument bien-pensante.