Le droit pénal ne soigne pas le Covid

Personne, pas même le Président de la République, ne nie qu’il y ait eu des insuffisances, des maladresses, des erreurs commises dans la façon dont la pandémie de Covid19 a été traitée.
L’honnêteté intellectuelle élémentaire conduit cependant à deux remarques.
La première est qu’il aurait été étrange qu’il en fut autrement dès lors qu’on est confronté à un phénomène qu’aucun de ceux qui le traitent ou le subissent n’a jamais connu.
La seconde est qu’il est plus facile de critiquer quand on se contente d’observer plutôt que quand on a les mains dans le cambouis. Tous les critiques sont-ils en leur âme et conscience, certains qu’ils n’auraient fait aucune des bêtises qu’ils reprochent à ceux qu’ils accusent de les avoir faites ? On peut en être certain pour quelques déclarations pour le moins cucu ou inopportunes, mais pour le reste, c’est-à-dire l’essentiel : le traitement de la pandémie ?

Pour autant, et dans la mesure où l’on n’apprend jamais mieux que de ses erreurs, il est évidemment indispensable de reprendre le fil des événements et d’en étudier tous les détails de façon, puisque cette fois-ci on connait le phénomène, de ne pas recommencer ce qui n’a pas été bien fait. Le bon instrument pour cela est l’enquête publique, pourquoi pas parlementaire, encore qu’il aurait paru préférable d’attendre que la pandémie soit passée, d’une part, parce qu’actuellement on a encore mieux à faire, et, d’autre part, parce que, par définition même, on ne connait pas tout. Et si l’on aboutit à la démonstration d’erreurs d’une particulière gravité, leur dénonciation conduira à la mise en œuvre de la seule responsabilité indiquée pour des gouvernants : la responsabilité politique qui est dans les mains des électeurs.

Là n’est donc pas le pire.

Le pire, c’est la folie qui semble s’être emparée de tous les éléments de la société (les individus, les associations, les professions, etc…) pour mettre en œuvre des poursuites pénales contre les gouvernants.
Ce phénomène de judiciarisation à outrance a longtemps été dénoncé comme une copie regrettable de ce qui se fait aux USA. C’est une erreur car ce n’est pas la judiciarisation, en général, qui est en cause, mais le recours au droit pénal. Aux USA ce qu’on recherche, notamment par les nombreuses actions collectives, c’est le profit que peut procurer l’action en justice. On peut trouver cela regrettable, mais c’est tout de même préférable à ce qui se passe en France où la volonté de recourir au droit pénal traduit ce que le pays a de pire : la jalousie, l’envie, la haine (que la loi Avia, comme d’autres avant elle, ne fera qu’exacerber). Ce qui est en cause, ce n’est pas la volonté de réparer et d’éviter pour l’avenir, c’est la jouissance mauvaise de faire punir. Or cette attitude nie ce qui est de l’essence du droit pénal : être l’ultima ratio sociale, c’est-à-dire n’intervenir que lorsqu’il n’y a pas d’autres moyens d’obtenir un objectif favorable à la société.

Heureusement pour lui, le droit pénal sait se défendre et si l’on en croit ce que rapportent les média, on a du mal à comprendre comment la hargne des demandeurs n’a pas été arrêtée par des avocats sérieux et connaissant un tant soit peu la discipline. Je sais bien que le Barreau est actuellement dans une situation difficile, mais cela n’excuse pas tout. Car aucune des actions envisagées et pour le moment annoncées n’a la moindre chance d’aboutir soit pour des raisons de procédure, soit pour des raisons de fond.

Il y aurait en cours, si l’on en croit les média, 71 plaintes déposées contre des ministres et 4 contre le président de la République.

Le cas le plus simple est évidemment celui du Président de la République puisque l’article 67 de la Constitution lui accorde une immunité (même s’il a le tort de ne pas employer la bonne terminologie) pour les actes de sa fonction accomplis en qualité de Président de la République. Quoiqu’il ait fait et du moment qu’il a agi dans le cadre de sa fonction et pour l’exercice de celle-ci, il ne peut être pénalement poursuivi et cela à titre définitif.
Il faut dire que les français ne sont guère aidés dans la compréhension de cette disposition par les journalistes prétendument spécialistes puisque tous ajoutent, lorsqu’ils évoquent la question, que cette immunité vaut « pour la durée de son mandat » ce qui est faux. Ce que vise la formule en question c’est l’hypothèse dans laquelle des infractions ordinaires auraient été commises par le président de la République soit avant son élection, soit même pendant la durée de son mandat du moment qu’elles ne sont pas en rapport avec la fonction (il commet un homicide par imprudence alors qu’il conduisait lui-même sa voiture). Dans cette hypothèse la prescription de l’action publique contre ces infractions est suspendue pendant la durée du mandat mais la poursuite pénale pourra débuter ou reprendre une fois le mandat terminé. Dès lors au contraire que les infractions évoquées ont été commises par le Président de la République, en cette qualité et dans le cadre de sa fonction (organisation des élections municipales, absence d’instructions afin de commander des masques ou des tests, réaction trop tardive devant un confinement, etc…) il bénéficie d’une immunité et elle est sans faille.
Exit donc la responsabilité pénale du président de la République et cela se comprend très bien puisque celui-ci doit pouvoir exercer ses fonctions ainsi qu’il l’estime bon sans avoir à craindre que son activité de président ne puisse être considérée comme constituant une infraction pénale et cela d’autant plus que les problèmes à résoudre sont complexes.

En ce qui concerne les ministres, et sous réserve d’une poursuite devant la Cour de justice de la République, des poursuites sont possibles, mais à la condition d’avoir commis des infractions pénales. Or aucune de celles qui ont été jusqu’à présent retenues ne peut être constituée. On a entendu évoquer l’abstention de mesures permettant de combattre un sinistre, la mise en danger de la vie d’autrui, la non-assistance à personne en péril et l’homicide ou les blessures involontaires.
Avant d’examiner le détail, il convient de rappeler deux principes généraux du droit pénal. En premier lieu, le mensonge n’est jamais, en lui-même, une infraction pénale et s’il peut faire partie de l’élément moral de nombre d’infractions, c’est toujours parce qu’il intervient dans un contexte particulier qu’on ne retrouve jamais ici. La seconde remarque, est que l’interprétation restrictive de la loi pénale interdit de traiter l’abstention comme l’action : si un texte punit le fait d’avoir fait quelque chose, il ne peut être appliqué à celui qui a obtenu le même résultat en ne faisant pas quelque chose.

Passons au détail.

L’infraction « d’abstention de mesures permettant de combattre un sinistre » n’existe pas. Deux articles du Code pénal, les articles 223-5 et 7 tournent autour, mais aucun n’est applicable.
L’article 223-5 punit le fait d’« entraver volontairement l’arrivée des secours destinés …à combattre un sinistre présentant un danger pour la sécurité des personnes ». Il est clair qu’il ne s’applique qu’à ce qui concerne l’arrivée des secours et ne peut donc être retenu pour la gestion générale de la pandémie. Si l’on peut penser que l’approvisionnement en matériel médical (qui peut seul être assimilé à l’arrivée de secours) a peut-être été insuffisant ou mal géré, rien ne permet de démontrer que le gouvernement l’aurait entravé ce qui suppose qu’on aurait fait obstacle à cette arrivée. Cette entrave, qui n’existe pas, aurait, au surplus dû être volontaire ce que personne ne soutient. Enfin, il n’est pas évident que la pandémie de Covid soit un « sinistre». Le mot sinistre n’est pas une expression classique du droit pénal. Il est essentiellement utilisé en droit des assurances et il n’est pas évident du tout que la jurisprudence pénale voudrait la faire sienne à propos du Covid. En droit des assurances, le sinistre est généralement retenu pour un événement qui peut faire des victimes mais qui est d’abord de nature matérielle : une tempête, des inondations, un carambolage automobile, etc…. Une pandémie de Covid qui atteint directement les personnes parait mal répondre à cette définition et la question de son application pénale, au titre d’un sinistre, est au minimum douteuse, sans oublier qu’il y a tout ce qui a déjà été examiné et suffit en lui-même à récuser l’application de l’article 223-5.
L’article 223-7 punit « Quiconque s’abstient volontairement de prendre ou de provoquer les mesures permettant…de combattre un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes… ». Son domaine est plus large que celui de l’infraction précédente puisqu’il ne se limite pas à l’arrivée des secours et permet de punir les faits relatifs à leur développement, mais il punit une infraction d’abstention visant celui qui n’a pas fait quelque chose et ne peut donc s’appliquer à celui qui a fait même s’il a mal fait. Or si l’on peut reprocher au gouvernement de ne pas avoir fait tout ce qu’il fallait, on ne peut prétendre qu’il n’a rien fait. Et l’obstacle du sinistre demeure.

Proche des deux précédentes certains invoquent aussi la non-assistance à personne en péril applicable à « quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance …(qu)’il pouvait lui prêter… ». La rédaction de l’article implique nécessairement qu’il envisage des rapports individuels puisqu’il punit la non-assistance d’« une » personne. Certes, même l’interprétation restrictive permet d’étendre l’infraction à plusieurs personnes (les occupants d’une voiture accidentée, par exemple). Mais l’infraction suppose que les victimes puissent être identifiées et en nombre limité. Elle n’est donc pas applicable à des faits qui auraient pour «victime » l’ensemble de la population. S’agissant de poursuivre un ministre, on imagine mal que son action aussi critiquable qu’elle puisse être démontrée, visait telle personne ou tel groupe de personnes déterminés. Mais surtout, depuis la création de l’infraction de non-assistance, la jurisprudence, consciente du risque qu’une semblable incrimination fait courir à la liberté individuelle, a toujours requis que le péril qui appelle assistance soit « imminent et constant » c’est-à-dire nécessite une intervention immédiate. Autrement dit, l’infraction de non-assistance à personne en péril est une infraction instantanée punissant le refus de porter secours, à un moment donné, en présence d’une situation dangereuse à ce moment-là. Elle ne saurait donc être utilisée pour punir la gestion d’une situation prolongée comme le fait de ne pas apporter à un malade durable les soins dont il a besoin, raison pour laquelle on a dû créer des textes spécifiques pour punir de tels faits lorsqu’ils semblaient devoir l’être (pour les enfants, par exemple). L’application de l’article 223-6 du Code pénal à la gestion gouvernementale du Covid, situation de longue durée, n’est donc pas possible. Elle pourrait, en revanche être envisageable pour des individus ou des institutions qui auraient abusivement différé, à un moment donné et pour leurs proches ou des personnes dont ils avaient la charge l’intervention des soins médicaux adaptés.

Il suffit de recopier l’article 223-1 du Code pénal (prototype, au surplus, de la mauvaise qualité législative) pour comprendre que l’infraction dite de «mise en danger d’autrui» n’est pas applicable à notre espèce puisqu’il réprime « Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement … ». Ce n’est pas le gouvernement qui a exposé la population à un risque sanitaire, c’est le Covid. Fort heureusement, ce risque n’a jamais été ni immédiat, ni nécessairement de mort, de mutilation ou d’infirmité permanente. L’action du gouvernement n’aurait pas été, dans cette perspective, «manifestement délibérée». Enfin, il faudrait, pour pouvoir retenir l’infraction à propos d’un ministre qu’il se soit abstenu volontairement d’appliquer un texte précis lui imposant une obligation particulière de prudence ou de sécurité. Dans les hypothèses où l’on pourrait songer à retenir cette infraction, toujours celles d’une insuffisante alimentation en matériel médical, il faudrait pouvoir produire un texte énonçant combien de masques, de matériel de réanimation, de médicaments adaptés, etc… la France devrait posséder à un moment donné, démontrer que le ministre avait connaissance du texte en question et apporter la preuve qu’il aurait délibérément refusé de l’appliquer. On a du mal à imaginer que ce soit possible.

Reste le plus basique mais pas nécessairement le plus efficace : l’homicide ou les blessures involontaires. L’infraction d’homicide et de blessures par imprudence ne punit pas une faute, quelle qu’en soit la gravité, qui a un rapport quelconque avec un préjudice de nature physique, elle punit une faute qui a directement ou indirectement causé le préjudice en question. Il ne suffit pas d’une éventualité ou d’une possibilité mais d’une preuve qu’entre l’action de la personne poursuivie et l’état du plaignant, il y avait un lieu de causalité. En présence d’une pandémie au regard de laquelle on ne possède ni moyen préventif ni moyen curatif il sera donc toujours impossible de démontrer qu’une action ou une abstention l’ont provoqué ou aggravé. La grande majorité des malades a guérit spontanément sans que l’on ait fait quoique ce soit pour cela alors surtout que la plupart ont ignoré qu’ils étaient malades. La gestion de la pandémie aurait-t-elle été catastrophique que rien ne permettrait d’établir que c’est en raison de cette gestion que des personnes sont tombées malades ni que leur état s’est aggravé. Il est possible d’établir des statistiques globales qui permettent d’évaluer a posteriori la qualité des différentes gestions publiques mais cela n’a rien à voir avec le droit pénal des infractions corporelles d’imprudence qui réclame l’établissement de liens précis entre telle action et tel résultat.

On peut donc se féliciter que le droit pénal ne puisse être détourné de son objectif fondamental pour créer de vulgaires troubles politiciens.

Cela ne fait naturellement pas obstacle à ce que, dans des cas particuliers de relations administratives, de travail ou de soins, des fautes aient pu être commises qui ont sinon causé du moins aggravé des préjudices en rapport avec le Covid. Mais cela relève de la responsabilité civile ou administrative et pourra aboutir à une indemnisation justifiée et équitable et non à une vengeance par principe détestable.

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