Archives mensuelles : novembre 2014

RETOUR SUR LA PERQUISITION DU CABINET D’AVOCAT

Il est bien évident que c’est au cabinet de son avocat qu’on peut trouver le plus de preuves accusatoires contre une personne pénalement poursuivie. La perquisition des cabinets d’avocats serait donc bien utile à l’efficacité de la procédure pénale.
Mais il est tout aussi évident qu’en démocratie, le droit de se défendre qui que l’on soit et quoiqu’on ait fait, doit être un droit absolu.
Par ailleurs, les avocats n’ayant que très rarement un seul client, toute perquisition menée dans un cabinet d’avocat met en péril, même sans prêter aucune arrière-pensée à ceux qui perquisitionnent, les intérêts de ses clients autres que ceux qui sont à l’origine de la décision de perquisitionner en amenant nécessairement au moins à la manipulation physique ou informatique de leurs dossiers.
Enfin, il est évident que les avocats ne doivent pas être pour autant à l’abri de toute poursuite s’ils commettent eux-mêmes des infractions et que la perquisition les concernant à ce titre doit pouvoir être menée.

Cette énumération des différents aspects de la chose prouve, à elle seule, la complexité du problème.

Nous avons déjà consacré à la question sur ce Blog un article de fond de type « universitaire » (Avocats, secret professionnel et droits de la défense), auquel on peut renvoyer. Mais l’actualité impose d’y revenir, quitte à se répéter ce qui ne sera pas forcément une preuve de gâtisme mais traduira le sentiment que c’est important.
Dans cet article précédent nous avions posé le problème et dressé quelques pistes. Le moment est venu de choisir.

Pour nous :

Seul un soupçon pesant sur l’avocat lui-même (seul ou avec un client) doit permettre une perquisition le régime dérogatoire étant cependant réservé au cabinet et non étendu au domicile et aux différentes résidences secondaires qui n’ont rien de plus professionnel que ceux de tout un chacun.

Compte tenu du caractère plus que particulier de la perquisition d’un cabinet d’avocat nous serions favorable à ce qu’à tout stade de la procédure (sauf celui exceptionnel d’un supplément d’information demandé par une juridiction de jugement), elle soit préalablement autorisée par une ordonnance du juge des libertés obtenue par une procédure secrète et non contradictoire sur simple demande de l’enquêteur, mais sur des bases sérieuses. Nous aimerions bien qu’à ce propos, au moins, on reprenne, la formule ancienne d’« indices graves et concordants de culpabilité » malencontreusement remplacée depuis par celle beaucoup plus floue de « raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ». Cela éviterait qu’on initie des perquisitions sur de vagues soupçons comme cela semble avoir été le cas tant à Paris qu’à Amiens où les opérations donnent l’impression que la perquisition était davantage faite pour découvrir les charges que pour les confirmer. La perquisition n’est pas une procédure pour « aller à la pêche » mais pour trouver de quoi asseoir ce que l’on a, d’ores et déjà, de bonnes raisons de croire.

Par ailleurs, nous sommes, pour les cabinets d’avocats, favorables à un retour à la procédure antérieure à 1958, que les rédacteurs du Code ont dit vouloir conserver mais qu’ils n’ont pas été capables de rédiger d’une façon suffisamment claire pour qu’elle s’impose : lors de la perquisition dans un cabinet d’avocat c’est le bâtonnier ou son représentant qui perquisitionne en présence du magistrat qui lui a préalablement dit ce qu’il cherchait et non l’inverse.
Et il reste à tenir compte des nouveautés technologiques. L’exploitation des ordinateurs et des disques durs doit être soumise au bâtonnier avant d’être communiquée aux magistrats. Et sauf opérations d’écoutes officielles et règlementaires qui se font de manière dématérialisée, la saisie d’un smartphone d’avocat doit être impossible.

Enfin, même si c’est un vœu pieu, il faudrait s’interroger sérieusement et dans chaque cas particulier, pour savoir par qui et comment la presse a été prévenue à l’avance de certaines perquisitions et en tirer les conséquences quel que soit l’auteur de ces indiscrétions qui sont aussi des fautes professionnelles et une infraction pénale.

Pour autant les avocats doivent être mis en garde.

On a quand même vu, ces dernières années, la profession faire preuve d’une regrettable tolérance à l’égard d’actes qui auraient dû être fustigés par tous. L’avocat qui abuse de son statut pour donner des informations qui ne doivent pas l’être, surtout à des personnes qui pourraient bien éventuellement être poursuivies par la suite, ne mérite certainement pas une mobilisation, en sa faveur, de la profession. Et nous devons rappeler qu’on a tout de même vu (rarement, Dieu Merci) des avocats apporter, en prison, des armes à leurs clients

Pour être respecté il faut être respectable et une profession qui ne fait pas sa police elle-même s’expose à voir sa police faite par d’autres.

Les comportements anti-déontologiques et à fortiori illégaux ne sauraient être couverts et les procédures disciplinaires doivent cesser d’être des tigres de papier qu’on ne sort des placards que lorsqu’on ne peut vraiment plus faire autrement.

Sous ces réserves, l’émotion actuelle de la profession est légitime.

LE BESTIAIRE DU DROIT ET SES ZOZOS

Un des reproches qui m’est fait sur un Blog voisin est d’avoir eu un jour l’idée jugée saugrenue de publier, sur la couverture d’un de mes livres, une photo de mon chien de l’époque (la photo de l’auteur était une exigence de l’éditeur pour la collection en cause et la présence de ma chienne avec moi une décision personnelle). Et certains de mes étudiants se souviendront peut-être de m’avoir vu aller faire cours (de doctorat seulement, dont l’auditoire est moins fourni) avec elle.
Personne, donc, ne pourra sérieusement croire que je n’aime pas les animaux. Mais on peut aimer les animaux sans pour autant devenir ni stupide ni outrecuidant et surtout sans chercher à parler doctement de ce qu’on ignore.
Un intellectuel connu et titulaire d’une chronique dans un journal du matin se félicitait la semaine dernière de ce que qu’ayant signé avec nombre d’autres intellectuels un manifeste pour la reconnaissance d’un nouveau statut juridique de l’animal, ils avaient été entendus puisque le Code civil déclare désormais que les animaux sont des êtres vivants et sensibles. Très honnêtement, on voit mal comment qui qui ce soit aurait pu en douter et qu’on le dise ou non ne change rien à la chose. Cela ressemble à la non-reconnaissance officielle de la Chine avant le Général de Gaulle. Mais surtout cela ne change strictement rien à ce qui déclenchait l’ire de nos intellectuels : le fait que les animaux soient, c’est du moins ce qu’ils affirmaient, qualifiés de meubles par le droit. Car là encore, qu’on le dise ou non ne peut rien changer à ce qui est un état du droit sur lequel personne n’a aucune prise dès lors qu’on a besoin d’un système juridique pour réguler les rapports sociaux et que les catégories qu’il contient ne sont pas là pour faire plaisir à tel ou tel mais pour permettre de déterminer ce qu’on peut faire ou non à propos de l’objet ou du sujet dont il s’agit.
Rappelons, d’abord, à nos intellectuels (qui manifestement ne sont pas des juristes – mais ils ont une tendance récurrente à considérer que les juristes ne sont pas des intellectuels) que la catégorie juridique des meubles ne se limite pas uniquement à ce que le vrai juriste appelle un meuble « meublant » (un canapé, une chaise, une table, etc…) mais que la qualification s’applique aussi à tout ce qui n’est ni une personne, ni un immeuble : les contrats, les lettres (y compris d’amour), les actions et les obligations émises par les sociétés, les plantes d’appartement qui, elles aussi sont vivantes (et peut-être sensibles) et même, pour faire référence à une chose qu’ils connaissent et à laquelle ils tiennent, les droits d’auteur, y compris sous l’aspect droit moral de ceux-ci.
Rappelons leur, ensuite, même si cela ne doit pas les rassurer, que le plus grand nombre des animaux vivants au voisinage des hommes ne sont pas et n’ont jamais été des meubles, mais sont des immeubles (pour être tout à fait précis, des « immeubles par destination ») et qu’ils continueront à l’être malgré le changement né de la reconnaissance, bouleversante pour certains et évidente pour les plus sérieux, de leur caractère vivant et sensible. Il en est ainsi de tous les animaux d’exploitation : les bovins, les ovins, les lapins des clapiers, les pigeons de colombiers, les oies et les canards des basses-cours, les poissons des fermes piscicoles, les gibiers d’élevage tant qu’ils n’ont pas été relâchés et même les chiens et chats tant qu’ils ne trouvent chez leur éleveur. Et aussi naturellement les animaux des parcs animaliers. Et pour comble, tous ceux-là, qui sont immeubles dans l’exploitation dont ils proviennent ou font partie, deviendront meubles au moment où ils quitteront l’exploitation (en pratique au moment où ils sont vendus).
Il y a bien une troisième catégorie d’animaux qui n’est ni meuble, ni immeuble et que le droit français qualifie, non par pédantisme mais parce qu’il n’y a pas de mot français équivalent de «res nullius » ou en mauvais français de « rien » ou de bien n’appartenant à personne ce qui est encore pire que d’être un meuble ! Ce sont le gibier libre, les oiseaux de la nature, les insectes, les grenouilles des rivières (mais pas celles des étangs privés qui sont des immeubles appartenant au propriétaire de l’étang), les reptiles sauvages, etc… encore faut-il préciser que la catégorie n’a véritablement d’autonomie que pour les animaux qui ne volent pas, ne sont pas d’élevage et ne sont pas pris, d’une façon ou d’une autre par un homme. Si c’est un animal qui ne vole pas ou un animal qui vole mais qui fait l’objet d’une exploitation comme les abeilles, il appartient, en qualité d’immeuble, à celui sur la propriété de qui il se rend ou se trouve. Quant à l’oiseau attrapé par quelqu’un il devient un meuble lui appartenant (la capture illicite peut donner lieu à une infraction, mais c’est un autre problème sur lequel nous allons venir).
Cela étant dit, comme personne de sérieux ne peut envisager ni d’interdire les exploitations agricoles et piscicoles ou les professions d’éleveurs, ni interdire d’avoir un chien un ou un chat (ce qui suppose qu’on les ait d’abord achetés, reçus ou accueillis), ni interdire la consommation de viande et de poisson, ni démoustiquer les zones humides afin d’éviter la propagation de maladies graves, on ne pourra jamais rien changer à la qualification juridique des animaux car toutes ces opérations ne peuvent avoir lieu que si les animaux concernés sont qualifiés ou de meubles, d’immeubles ou de « res nullius » et cela qu’on les déclare ou non, et en plus, vivants et sensibles.

Est-ce à dire que tout est pour le mieux dans le monde juridique des animaux ? Certainement pas et là encore je suis probablement parmi ceux qui le disent avec le plus de force et depuis le plus longtemps mais sans avoir l’autorité de ceux qui pétitionnent à tout va et, par conséquent, pour le moment sans succès. La solution n’est pas dans une qualification juridique qui n’a aucun effet sur la vie réelle des animaux mais seulement sur la bonne conscience de certains de leurs propriétaires, mais dans un système pénal prenant mieux en compte les qualités d’être vivants et sensibles des animaux pour punir ceux qui les négligent et éventuellement les leur reprendre et leur interdire d’en posséder de nouveaux. On a fait quelques progrès en ce domaine mais encore très insuffisants.
Étrangement, les animaux les mieux protégés par le droit pénal sont les animaux sauvages (res nullius) qui sont pris en compte d’une façon satisfaisante (peut-être un peu trop au gré de certains éleveurs) par les textes sur l’environnement. Il y a quelques temps un bon esprit écrivait qu’alors que la vie du petit de l’homme n’est plus protégée depuis plusieurs décennies, le projet parental de nombre d’animaux sauvages l’est avec une volonté affirmée, puisque la destruction de nids ou d’œufs d’oiseaux ou de reptiles est sévèrement punie. Il en est également ainsi, quoiqu’en dise notre intellectuel dans sa chronique et en France, bien entendu, des animaux de consommation car je doute que les pétitions françaises, quelles que soient la notoriété de leurs signataires, puissent avoir quelque résonance dans les campagnes chinoises profondes où l’on massacre scandaleusement des chiens de consommation. L’abattage officiel français est enfermé dans une règlementation précise et la jurisprudence fait état de condamnations de directeurs d’abattoirs lorsqu’ils ne l’ont pas respectée. Le seul problème ici, mais qui dépasse largement l’objet de ces remarques, est un problème religieux dont nous laissons le traitement à d’autres.
Là où l’insuffisance est bien connue, se fait sentir depuis longtemps et perdure sans qu’aucun obstacle sérieux ne puisse être invoqué, c’est dans le cas des animaux vivants au voisinage de l’homme définis par le Code pénal comme étant les animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité. Le fait de les maltraiter relève d’une part d’une contravention de mauvais traitement (quatrième classe, amende maximale de 750€, possibilité de confiscation de l’animal et des autres animaux détenus par le condamné et de remise à une œuvre mais pas d’interdiction d’en détenir de nouveaux), et un délit de sévices graves et actes de cruauté envers un animal dont l’histoire est intéressante. Le délit d’origine (et d’origine socialiste comme l’ensemble du nouveau Code pénal) ne le punissait que de six mois d’emprisonnement, heureusement devenus, ultérieurement deux ans et 30.000€ d’amende et la possibilité d’une interdiction de détenir un animal (avec toute les réserves inhérentes aux moyens efficaces de faire respecter une semblable interdiction). Sur le papier les choses paraissent donc adaptées. Ce qui l’est moins, c’est qu’en reprenant de la jurisprudence antérieure les mots « sévices graves et actes de cruauté » pour définir le délit, le Code pénal a entériné celle-ci qui a toujours limité l’application de ce délit à un élément moral de volonté perverse de faire souffrir l’animal. Des comportement graves qui peuvent être extrêmement pénibles pour celui-ci comme ne pas lui fournir la nourriture ou l’espace dont il a besoin, ne pas le faire soigner s’il est blessé, disparaitre d’une exploitation déficitaire en abandonnant sans soin les animaux qui s’y trouvent, transporter des animaux dans des conditions pénibles parce que c’est plus facile et moins couteux pour le responsable du transport, ne constituent donc pas le délit s’il ne s’agit que d’indifférence, de bêtise, de méconnaissance, d’impécuniosité ou de souci de profit puisqu’ils ont été induits par autre chose que la volonté de faire souffrir l’animal. Il serait donc utile d’introduire entre la contravention et le délit d’actes de cruauté qu’il convient de conserver (voire de punir plus sévèrement ne serait-ce que parce qu’un semblable comportement est un indice de dangerosité criminologique qui pourrait dépasser l’animal), un délit intermédiaire qui pourrait appréhender ces comportements sans qu’ils soient nécessairement la manifestation d’une volonté perverse de faire souffrit l’animal mais dès lors qu’ils traduisent une indifférence au sort de celui-ci. Le problème est connu et piétine. On peut penser que la ratification par la France de la Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie obligera à cette modification mais uniquement pour les animaux de compagnie, seul objet de la convention.

Une fois de plus, cependant, cela n’a rien à voir avec le point de savoir si les animaux sont juridiquement meubles ou immeubles. La seule certitude est qu’on ne peut pas déclarer qu’ils sont des personnes ce qui, pour le reste, ne laisse aucun choix le droit français ne distinguant que les personnes et les choses, d’une part, et parmi celles-ci les meubles et les immeubles (et subsidiairement les « res nullius »), de l’autre.