Archives mensuelles : juin 2014

VINCENT LAMBERT et subsidiairement BONNEMAISON

Pour la première fois, il me semble (cela n’a, hélas par duré, mais c’est un autre problème), j’ai eu matière à me féliciter d’une décision de la Cour européenne des droits de l’homme : Vincent Lambert et avec lui tous les principes au cause dans son cas, avaient été provisoirement sauvés.

Depuis quarante ans, nous assistons au même phénomène : une minorité très agissante et particulièrement bien formée à la dialectique, obtient, dans des questions d’une importance capitale, mettant en cause la nature humaine, un franc succès grâce à un amalgame de termes et de notions qui manipulent efficacement les français en biaisant l’analyse.
De ce point de vue, le cas de Vincent Lambert est emblématique.

Vincent Lambert n’est pas en fin de vie, il a trente-neuf ans. Exit donc tous les arguments que l’on pourrait invoquer en faveur d’une disparition naturellement programmée à échéance proche et que l’on ne ferait que devancer de très peu.

Vincent Lambert n’est pas malade, il est handicapé. Il ne relève donc d’aucun protocole thérapeutique puisque sa situation parait consolidée. Comme toute personne handicapée qui ne peut pas pourvoir seule à ses besoins, il doit être alimenté, hydraté et avoir les soins d’hygiène et de maintien physique appropriés. De même, il n’y a pas lieu de mettre en avant le fait que, sauf découverte fondamentale (toujours possible, il ne faut quand même pas l’oublier), on ne peut pas améliorer son état.

Vincent Lambert n’est pas le sujet de douleurs insupportables qu’il serait impossible de calmer, ni de traitements dont la seule administration serait pénible pour lui. Ses photos montrent quelqu’un dont le spectacle est infiniment moins impressionnant que celui de personnes en réanimation après accident et qui, pour la plupart, en sortiront indemnes. Ajoutons, d’ailleurs, que les partisans de sa mort le disent, si on veut bien les entendre : c’est au moment où l’on cessera de lui fournir les éléments nécessaires à sa vie qu’il faudra lui administrer les antidouleurs qui rendront cet acte de mort supportable pour lui. Il n’y a pas de meilleure façon pour dire qu’actuellement il ne souffre pas.

Vincent Lambert n’est pas état végétatif. Il est pauci-relationnel c’est-à-dire réagit à certaines stimulation. Ce n’est pas un légume (expression au surplus insupportable même lorsqu’elle traduit un état réel, pour désigner quelqu’un qui est toujours un homme). C’est un homme avec des sensations et des émotions.

Aucun des arguments que l’on peut mettre en avant pour justifier, si tant est qu’il faille le faire, une euthanasie, n’est réalisé dans le cas de Vincent Lambert. Le seul élément qui pourrait avoir un rapport avec le domaine médical, dans le cas Lambert, est le fait qu’il est alimenté et hydraté par sonde gastrique. Mais on nous a abondamment expliqué que cela n’a pour but que d’éviter les fausses voies. Si cela est vrai, il serait donc techniquement possible d’alimenter Vincent Lambert comme tout un chacun, la sonde gastrique n’étant qu’un élément de confort au moins autant pour le personnel soignant que pour lui-même.

Et c’est là qu’on voit apparaitre le tour de passe-passe du Conseil d’Etat, heureusement contredit par la Cour européenne. Parce que Vincent Lambert est alimenté par un dispositif médical, il est donc dans le cadre d’un protocole de soins ; comme il n’y a aucune raison de prévoir une amélioration de l’état du « patient », le protocole de soins relève de l’acharnement thérapeutique ; il faut donc l’interrompre. C.Q.F.D. Gageons tout de même qu’il devrait être difficile de faire comprendre à toute personne de bon sens que l’alimentation, l’hydratation et l’hygiène relèvent d’un traitement médical, sinon nous sommes tous de grands malades dont il faut d’urgence abréger les souffrances. On pouvait au moins l’espérer jusqu’à ce qu’un jury, émanation du Peuple Français, rende la décision que nous évoquerons plus loin et qui est une éclatante illustration de la manipulation à laquelle le français de base est soumis.

Mais le cas Lambert pose, au-delà de lui-même, bien d’autres questions.

Tous ceux qui ont eu à faire partir pour un centre de soins une personne à qui quelque chose disait qu’elle n’en reviendrait pas se souviennent de ce qu’a été l’épreuve. Du moins ces futurs hospitalisés avaient-ils le sentiment, devenu depuis illusion, qu’on allait sinon les guérir, du moins les soigner et les soulager avant, peut-être de les accompagner. Maintenant ils savent que ceux à qui on les envoie ont toute licence sociale de les tuer. Je me féliciterais, personnellement, que mon épreuve de cette nature soit terminée si je n’étais pas immédiatement amenée à penser qu’à défaut d’en faire partir d’autres, je pourrais être la prochaine sur la liste et qu’en l’état actuel des choses, je ne vois guère ce que je peux faire pour me mettre à l’abri de la sollicitude de ceux qui vont me tuer, pour mon bien, naturellement.

Car le pire, dans cette affaire, pire sur lequel on est passé très vite est que les juridictions administratives avaient été saisies, entre autres demandeurs, par le C.H.U. De quel intérêt (pardon, si je ne peux pas accompagner ici cette notion du mot juridique habituel de « légitime ») peut bien se prévaloir un hôpital pour demander à cesser de soigner ? On peut retourner le problème dans tous les sens on n’en trouve que deux. Le premier est la volonté de libérer des lits pour d’autres malades considérés comme plus intéressants. Par qui ? Et est-ce seulement avant de les tuer aussi pour laisser leur place à d’autres encore plus intéressants qu’eux ? Le second est le coût des soins à ces sous-hommes qu’on leur demanderait de continuer à soigner. On vient de célébrer avec faste le soixante-dixième anniversaire du Débarquement qui marqua le début de la fin de la seconde guerre mondiale. Peut-être ne faudrait-t-il pas oublier pourquoi on a fait cette guerre et pourquoi des milliers de personnes sont mortes jeunes et en parfaite santé : lutter contre une idéologie qui prétendait établir une hiérarchie de valeur entre les hommes.

Mais il faudrait aussi réfléchir à ce qu’est, dans une affaire de cet ordre, la « famille » que l’on interroge. En premier lieu, ne jamais perdre de vue ce qu’il n’est pas correct de rappeler mais qui est la stricte vérité : ceux que l’on interroge sont, d’abord, ceux qui héritent du défunt et ensuite ceux qui supportent le poids matériel mais aussi affectif de l’intéressé. Qu’est-ce qui relève dans le « ça ne peut plus durer » de ce qui concerne la préoccupation du malade et de ce qui concerne la fatigue, bien réelle, de l’entourage qui va prendre la décision ? Bien malin qui pourrait le dire, et même le savoir, même quand on l’a vécu.

Et il faudrait aussi redéfinir la famille à interroger car la notion doit nécessairement varier avec le problème en cause. De ce point de vue il deviendrait utile de rappeler que le conjoint (époux, pacsé ou concubin) ne fait pas partie de la famille de la personne concernée. Ce n’est pas parce qu’un jour où il était particulièrement mal inspiré, le législateur a décidé que le conjoint ne paierait plus de droits de succession, qu’on en a fait un membre de la famille. Tout le monde a applaudit parce qu’on supprimait un impôt. Personne ne s’est demandé si le point d’appui de la mesure était le bon et surtout s’il ne risquait pas d’avoir des conséquences perverses. C’est fait. Les parents qui ont mis au monde le malade et les enfants qui ont été mis au monde par lui sont des membres de sa famille. Le conjoint n’est qu’un allié. Cela ne veut pas dire qu’il faut le tenir totalement à l’écart mais qu’il faut savoir ce que l’on fait. Des frères et sœurs sont aussi parents du malade et peuvent éventuellement s’exprimer à ce titre. Mais s’ils existent, les neveux, qui ne sont que les enfants des précédents ne peuvent que se taire. Comme les médias ne sont friands que de ce qu’ils appellent de « bons clients », on ne voit se pavaner sur tous les écrans, qu’un neveu de Vincent Lambert, lequel a plusieurs frères et sœurs dont le neveu en question est forcément l’enfant. Il est déjà assez pénible que ces frères et sœurs ne puissent pas s’entendre entre eux sans que l’on ajoute des tiers dont on peut se demander s’ils ne règlent pas, en cela, des comptes personnels avec leurs grands-parents, leurs parents ou leurs oncles et tantes.

Enfin, que faire des 1700 personnes qui sont, nous dit-on dans le même cas que Vincent Lambert ? Il ne suffit pas de paroles lénifiantes du Vice-président du Conseil d’Etat pour supprimer la règle constitutionnelle de l’égalité des citoyens devant la loi. Là encore, il faut choisir. C’est Soleil vert, tout le monde, tout de suite et à venir ou personne.

Et c’est là-dessus qu’intervient l’acquittement aberrant de Bonnemaison (là non plus je n’arrive pas parler de « docteur »). La première impression est que nos manipulateurs d’opinion sont décidément très forts et, pendant une seconde (une seconde seulement : qu’ils ne se réjouissent pas trop), la tentation est grande de jeter l’éponge. Passons sur l’étrangeté d’un réquisitoire qui tout en demandant une peine tellement ridicule qu’à la limite il vaut mieux qu’il n’y en ait pas eu du tout, n’a pas pu (tout de même) ne pas relever qu’on était en contradiction avec tous les protocoles préconisés même par les plus ardents défenseurs de l’euthanasie active au point que le Conseil de l’Ordre des médecins avait interdit l’intéressé d’exercice. Sans compter, précisément, l’absence d’interdiction pénale d’exercer pour quelqu’un dont on n’a pas pu ne pas noter, de l’avis unanime, une fragilité psychologique qui parait bien peu en accord avec les termes d’une profession aussi éprouvante.

Là les partisans de l’euthanasie sont au pied du mur. S’il n’y a pas appel de la décision, ils ne pourront plus continuer à berner les français : ils ne demandent pas une procédure mesurée, consensuelle, organisée. Ils veulent un droit général de mourir et surtout de tuer.

DE LA LOYAUTÉ DU PROCÈS PÉNAL

La loyauté des preuves.

Alors que la jurisprudence est normalement sourcilleuse pour admettre au procès pénal des preuves obtenues par des procédés déloyaux comme les perquisitions illégales ou la provocation policière, lorsque ces comportements ont été le fait d’autorités publiques, elle estime, depuis une trentaine d’années, que les règles de loyauté ne concernent que les agents publics et ne s’imposent donc pas aux simples particuliers. Elle admet, en conséquence, le dépôt au procès pénal, par des parties civiles ou de simples témoins ou même n’importe qui, de tous éléments de conviction quels qu’aient été le moment de leur obtention (avant les faits ou durant la procédure) ou le moyen utilisé et cela même s’ils ont été acquis par une infraction pénale, même éventuellement sanctionnée comme telle (écoutes sauvages, atteinte à l’intimité de la vie privée, violation du secret de l’instruction, documents volés ou dont la publication était pénalement sanctionnée, violation de secret des correspondances, etc.). Ce faisant, la jurisprudence consacre, au profit des simples particuliers, un pouvoir d’investigation exempt de toutes règles et contraintes, sans réelle justification, avec des conséquences regrettables et, en toute hypothèse, en contradiction avec la Convention E.D.H.

Les conséquences de cette jurisprudence sont regrettables d’une part sur le terrain de la fiabilité des preuves et d’autre part dans la mesure où elles ouvrent la porte à une fraude des agents publics. Sur le premier point, on ne peut avoir, en effet, aucune garantie sérieuse sur la qualité, le lieu exact d’appréhension ou encore la consistance réelle de ce qui est apporté par des particuliers pour servir de preuve et qui a parfaitement pu être fabriqué ou falsifié pour la circonstance. Qu’est-ce qui prouve qu’un enregistrement sauvage de conversations n’a pas été purgé de ce qui démontrait le contraire de ce qu’on voulait prouver ou que l’enregistreur n’a pas été déclenché qu’à propos de ce qu’on cherchait ? Sur le second point, il est clair qu’on crée une forte tentation, pour les agents publics qui savent qu’ils ne sont pas autorisés à faire quelque chose (procéder à une écoute téléphonique en enquête, par exemple ), à inciter des particuliers intéressés aux faits, voire de simples hommes de main recrutés pour la circonstance, à faire ce qu’ils ne peuvent pas faire eux-mêmes puis à accepter le dépôt des preuves ainsi frauduleusement obtenues.

La Chambre criminelle fournit deux justifications à cette position surprenante :
– La première est que la liberté des preuves doit prévaloir dès lors qu’il n’y a pas de texte en sens contraire et que la réglementation de l’obtention des preuves n’étant prévue et sanctionnée que pour les agents publics et non pas pour les particuliers (on ne peut qu’être tenté d’ajouter « et pour cause ! »), la liberté de ceux-ci reste entière dans la recherche et le dépôt des preuves.
– Le second argument est qu’il appartient à la juridiction saisie de quelque mode de preuve que ce soit, d’en apprécier la valeur probante.

Aucune de ces justifications n’est recevable.
L’argument tiré de l’absence de réglementation légale des pouvoirs de recherche des particuliers constitue la négation de toute la procédure pénale car on ne voit pas pourquoi on se donnerait le mal de réglementer les droits et obligations des agents publics si d’autres qu’eux peuvent obtenir les mêmes éléments de preuve sans respecter aucune des règles ou restrictions qui leur sont imposées : quel est l’intérêt de réglementer les perquisitions publiques si les particuliers sont autorisés à voler les éléments qui devraient être saisis ? Si seul le récolement des preuves par les agents publics est réglementé, c’est parce qu’il est invraisemblable que l’on autorise de simples particuliers à se livrer à des investigations personnelles et que le Code de procédure pénale n’a donc pas pu le prévoir. Les simples particuliers peuvent participer à la procédure par leurs déclarations ou, éventuellement, en fournissant des éléments de preuve qu’ils possédaient avant les faits en cause. Il ne devrait pas pouvoir être question d’autoriser ces simples particuliers à se livrer, pendant le cours de la procédure, à des enquêtes sauvages, forcément partiales et libérées de toute contrainte.
L’argument selon lequel le juge apprécie librement la valeur des preuves peut être immédiatement récusé dans la mesure où la question de l’appréciation de la valeur d’une preuve ne peut se poser que si l’élément de preuve en cause est recevable, ce qui est tout le problème en cause ici. En fait, la connaissance d’éléments de preuve, même si le juge du fond les récuse ensuite pour manque de loyauté ou de fiabilité, ne peut pas faire qu’il n’en ait pas eu connaissance et par conséquent que cela n’exerce pas une influence sur la formation de son opinion surtout dans un système d’intime conviction et tout particulièrement lorsqu’interviennent des jurés mal formés à faire la différence entre preuves officielles et preuves illégales censées être supprimées du dossier.

La jurisprudence criminelle a cependant maintenu, jusqu’à présent, ce point de vue malgré une critique unanime de tous les auteurs ayant annoté ou rendu compte de ses décisions et malgré l’avis contraire de l’ensemble des chambres civiles de la même Cour et même de l’Assemblée plénière de celle-ci qui a annulé, le 7 janvier 2011, une procédure commerciale au cours de laquelle l’une des parties avait obtenu une preuve de manière illicite.
Il convient de regretter que ce point de vue inadmissible et jusqu’à présent isolé ait été récemment conforté, au moins dans sa lettre, par le Conseil constitutionnel encore que la décision rendue soit moins claire, au fond. Dans une décision concernant les articles 37 et 39 de la loi du 6 décembre 2013 qui autorisent les administrations fiscales et douanières à exploiter toutes les informations qui leur parviennent, même si elles sont d’origine illicite, le Conseil a formulé une réserve d’interprétation disant que cette possibilité ne sera pas ouverte quand les pièces ou documents concernés auront été obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions ultérieurement déclarées illégales par le juge. Puisque l’on condamne la preuve déloyale obtenue par une autorité publique, cela semble confirmer que la fraude commise par un particulier est considérée comme normale du point de vue probatoire. Mais d’un autre côté, la même décision a annulé les articles 38 et 40 de la même loi qui autorisaient les mêmes administrations à se prévaloir de documents illicites pour solliciter du juge un droit de perquisition sans distinguer selon que l’origine illicite était imputable à l’administration ou à un particulier. Il n’est donc pas aussi évident que cela que cette décision ait la même portée que celle de la Chambre criminelle, mais la question reste incertaine.

La comparution des personnes jugées.

Sur une question voisine, la Chambre criminelle vient de franchir une étape supplémentaire.

Le jugement en France d’une personne qui ne s’y trouve pas ne peut intervenir, à l’initiative des pouvoirs publics, autrement que sous forme d’une procédure par défaut, si le prévenu ou l’accusé ou bien n’est pas venu spontanément dans le pays, ou bien n’a pas été remis au résultat de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen ou d’une procédure d’extradition. Or il vient d’être jugé qu’il est loisible à une partie civile d’obtenir le jugement en France d’une personne qu’elle a fait arrêter et détenir illégalement depuis l’étranger par des hommes de main.
Il y avait eu, certes, quelques précédents mais soit en matière d’atteinte à la sureté de l’État, soit de crimes contre l’humanité, ce qui peut expliquer à défaut de justifier. En outre et dans tous ces cas, on ne savait pas avec une parfaite précision comment et par qui les personnes retrouvées en France dans des conditions bizarres y étaient revenues et l’on ne s’était pas donné grand mal pour essayer de le savoir.
Cette fois-ci nous sommes en présence d’une infraction de droit commun et l’arrestation illégale est revendiquée par celui qui l’a organisée, d’ailleurs poursuivi pour cela mais condamné à une peine tellement ridicule, eu égard à la gravité objective des faits, que la Justice ne s’est pas couverte de gloire en la prononçant.

On ne peut donc qu’être surpris de lire dans l’arrêt de la Chambre criminelle que « l’exercice de l’action publique et l’application de la loi pénale à l’égard d’une personne se trouvant à l’étranger ne sont pas subordonnés à son retour volontaire en France, à la mise en œuvre d’une procédure d’extradition ou à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen…(que) les conditions dans lesquelles cette personne a été enlevée, transportée sur le territoire national et livrée à la justice n’apparaissent pas imputables, directement ou indirectement, aux autorités françaises, (qu’)enfin, le demandeur, ayant fait l’objet d’un mandat d’arrêt, a pu bénéficier de l’assistance d’un avocat, être immédiatement présenté au juge des libertés et de la détention, auquel il a fait valoir ses moyens de défense, puis a été mis en mesure d’exercer l’ensemble de ses droits à chaque étape de la procédure ».
On est, en effet, nécessairement amené à se demander à quoi peuvent bien servir les procédures des mandats d’arrêts européens et d’extradition si leur utilisation est facultative et n’a pour effet que de gêner l’exercice de la justice par les pouvoirs publics laissant les particuliers libres de faire arrêter et détenir n’importe qui dans n’importe quelles conditions.

Mais il y a pire. Alors que la France est enfermée dans un processus de construction d’une justice européenne l’amenant à entériner nombre de décisions ou de directives européennes pourtant en parfaite contradiction avec nos principes fondamentaux en la matière, cette affaire l’amène à nier toute espèce d’autorité à plusieurs décisions rendues en Allemagne, en Autriche et même par la Cour européenne des droits de l’homme. La position de la Chambre criminelle, sur ce point, que certains qualifieraient de « juridisme », ce que nous ne ferons pas, attachée que nous sommes à la régularité de la procédure, reste inattaquable. Aucune des décisions visées n’avait l’autorité de la chose jugée et les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme n’ont aucun effet direct sur les juridictions des pays signataires de la Convention. Mais cette position n’en est pas moins incohérente : comment justifier la recherche d’une construction unitaire avec des pays voisins si l’on pose en principe que leur attitude en matière pénale et l’application des conventions que l’on a signées ensemble, ne vaut pas d’être considérée ?

 

Il est grand temps d’intervenir pour rappeler que la justice pénale est et ne peut être qu’une affaire d’État et ne peut, dans une démocratie, que se dérouler d’une manière loyale. Si la victime est admise à la procédure en vertu d’une longue tradition historique, elle ne peut en perturber le cours dans son intérêt propre en commettant des atteintes évidentes à la loyauté indispensable de ce procès.