Pour la première fois, il me semble (cela n’a, hélas par duré, mais c’est un autre problème), j’ai eu matière à me féliciter d’une décision de la Cour européenne des droits de l’homme : Vincent Lambert et avec lui tous les principes au cause dans son cas, avaient été provisoirement sauvés.
Depuis quarante ans, nous assistons au même phénomène : une minorité très agissante et particulièrement bien formée à la dialectique, obtient, dans des questions d’une importance capitale, mettant en cause la nature humaine, un franc succès grâce à un amalgame de termes et de notions qui manipulent efficacement les français en biaisant l’analyse.
De ce point de vue, le cas de Vincent Lambert est emblématique.
Vincent Lambert n’est pas en fin de vie, il a trente-neuf ans. Exit donc tous les arguments que l’on pourrait invoquer en faveur d’une disparition naturellement programmée à échéance proche et que l’on ne ferait que devancer de très peu.
Vincent Lambert n’est pas malade, il est handicapé. Il ne relève donc d’aucun protocole thérapeutique puisque sa situation parait consolidée. Comme toute personne handicapée qui ne peut pas pourvoir seule à ses besoins, il doit être alimenté, hydraté et avoir les soins d’hygiène et de maintien physique appropriés. De même, il n’y a pas lieu de mettre en avant le fait que, sauf découverte fondamentale (toujours possible, il ne faut quand même pas l’oublier), on ne peut pas améliorer son état.
Vincent Lambert n’est pas le sujet de douleurs insupportables qu’il serait impossible de calmer, ni de traitements dont la seule administration serait pénible pour lui. Ses photos montrent quelqu’un dont le spectacle est infiniment moins impressionnant que celui de personnes en réanimation après accident et qui, pour la plupart, en sortiront indemnes. Ajoutons, d’ailleurs, que les partisans de sa mort le disent, si on veut bien les entendre : c’est au moment où l’on cessera de lui fournir les éléments nécessaires à sa vie qu’il faudra lui administrer les antidouleurs qui rendront cet acte de mort supportable pour lui. Il n’y a pas de meilleure façon pour dire qu’actuellement il ne souffre pas.
Vincent Lambert n’est pas état végétatif. Il est pauci-relationnel c’est-à-dire réagit à certaines stimulation. Ce n’est pas un légume (expression au surplus insupportable même lorsqu’elle traduit un état réel, pour désigner quelqu’un qui est toujours un homme). C’est un homme avec des sensations et des émotions.
Aucun des arguments que l’on peut mettre en avant pour justifier, si tant est qu’il faille le faire, une euthanasie, n’est réalisé dans le cas de Vincent Lambert. Le seul élément qui pourrait avoir un rapport avec le domaine médical, dans le cas Lambert, est le fait qu’il est alimenté et hydraté par sonde gastrique. Mais on nous a abondamment expliqué que cela n’a pour but que d’éviter les fausses voies. Si cela est vrai, il serait donc techniquement possible d’alimenter Vincent Lambert comme tout un chacun, la sonde gastrique n’étant qu’un élément de confort au moins autant pour le personnel soignant que pour lui-même.
Et c’est là qu’on voit apparaitre le tour de passe-passe du Conseil d’Etat, heureusement contredit par la Cour européenne. Parce que Vincent Lambert est alimenté par un dispositif médical, il est donc dans le cadre d’un protocole de soins ; comme il n’y a aucune raison de prévoir une amélioration de l’état du « patient », le protocole de soins relève de l’acharnement thérapeutique ; il faut donc l’interrompre. C.Q.F.D. Gageons tout de même qu’il devrait être difficile de faire comprendre à toute personne de bon sens que l’alimentation, l’hydratation et l’hygiène relèvent d’un traitement médical, sinon nous sommes tous de grands malades dont il faut d’urgence abréger les souffrances. On pouvait au moins l’espérer jusqu’à ce qu’un jury, émanation du Peuple Français, rende la décision que nous évoquerons plus loin et qui est une éclatante illustration de la manipulation à laquelle le français de base est soumis.
Mais le cas Lambert pose, au-delà de lui-même, bien d’autres questions.
Tous ceux qui ont eu à faire partir pour un centre de soins une personne à qui quelque chose disait qu’elle n’en reviendrait pas se souviennent de ce qu’a été l’épreuve. Du moins ces futurs hospitalisés avaient-ils le sentiment, devenu depuis illusion, qu’on allait sinon les guérir, du moins les soigner et les soulager avant, peut-être de les accompagner. Maintenant ils savent que ceux à qui on les envoie ont toute licence sociale de les tuer. Je me féliciterais, personnellement, que mon épreuve de cette nature soit terminée si je n’étais pas immédiatement amenée à penser qu’à défaut d’en faire partir d’autres, je pourrais être la prochaine sur la liste et qu’en l’état actuel des choses, je ne vois guère ce que je peux faire pour me mettre à l’abri de la sollicitude de ceux qui vont me tuer, pour mon bien, naturellement.
Car le pire, dans cette affaire, pire sur lequel on est passé très vite est que les juridictions administratives avaient été saisies, entre autres demandeurs, par le C.H.U. De quel intérêt (pardon, si je ne peux pas accompagner ici cette notion du mot juridique habituel de « légitime ») peut bien se prévaloir un hôpital pour demander à cesser de soigner ? On peut retourner le problème dans tous les sens on n’en trouve que deux. Le premier est la volonté de libérer des lits pour d’autres malades considérés comme plus intéressants. Par qui ? Et est-ce seulement avant de les tuer aussi pour laisser leur place à d’autres encore plus intéressants qu’eux ? Le second est le coût des soins à ces sous-hommes qu’on leur demanderait de continuer à soigner. On vient de célébrer avec faste le soixante-dixième anniversaire du Débarquement qui marqua le début de la fin de la seconde guerre mondiale. Peut-être ne faudrait-t-il pas oublier pourquoi on a fait cette guerre et pourquoi des milliers de personnes sont mortes jeunes et en parfaite santé : lutter contre une idéologie qui prétendait établir une hiérarchie de valeur entre les hommes.
Mais il faudrait aussi réfléchir à ce qu’est, dans une affaire de cet ordre, la « famille » que l’on interroge. En premier lieu, ne jamais perdre de vue ce qu’il n’est pas correct de rappeler mais qui est la stricte vérité : ceux que l’on interroge sont, d’abord, ceux qui héritent du défunt et ensuite ceux qui supportent le poids matériel mais aussi affectif de l’intéressé. Qu’est-ce qui relève dans le « ça ne peut plus durer » de ce qui concerne la préoccupation du malade et de ce qui concerne la fatigue, bien réelle, de l’entourage qui va prendre la décision ? Bien malin qui pourrait le dire, et même le savoir, même quand on l’a vécu.
Et il faudrait aussi redéfinir la famille à interroger car la notion doit nécessairement varier avec le problème en cause. De ce point de vue il deviendrait utile de rappeler que le conjoint (époux, pacsé ou concubin) ne fait pas partie de la famille de la personne concernée. Ce n’est pas parce qu’un jour où il était particulièrement mal inspiré, le législateur a décidé que le conjoint ne paierait plus de droits de succession, qu’on en a fait un membre de la famille. Tout le monde a applaudit parce qu’on supprimait un impôt. Personne ne s’est demandé si le point d’appui de la mesure était le bon et surtout s’il ne risquait pas d’avoir des conséquences perverses. C’est fait. Les parents qui ont mis au monde le malade et les enfants qui ont été mis au monde par lui sont des membres de sa famille. Le conjoint n’est qu’un allié. Cela ne veut pas dire qu’il faut le tenir totalement à l’écart mais qu’il faut savoir ce que l’on fait. Des frères et sœurs sont aussi parents du malade et peuvent éventuellement s’exprimer à ce titre. Mais s’ils existent, les neveux, qui ne sont que les enfants des précédents ne peuvent que se taire. Comme les médias ne sont friands que de ce qu’ils appellent de « bons clients », on ne voit se pavaner sur tous les écrans, qu’un neveu de Vincent Lambert, lequel a plusieurs frères et sœurs dont le neveu en question est forcément l’enfant. Il est déjà assez pénible que ces frères et sœurs ne puissent pas s’entendre entre eux sans que l’on ajoute des tiers dont on peut se demander s’ils ne règlent pas, en cela, des comptes personnels avec leurs grands-parents, leurs parents ou leurs oncles et tantes.
Enfin, que faire des 1700 personnes qui sont, nous dit-on dans le même cas que Vincent Lambert ? Il ne suffit pas de paroles lénifiantes du Vice-président du Conseil d’Etat pour supprimer la règle constitutionnelle de l’égalité des citoyens devant la loi. Là encore, il faut choisir. C’est Soleil vert, tout le monde, tout de suite et à venir ou personne.
Et c’est là-dessus qu’intervient l’acquittement aberrant de Bonnemaison (là non plus je n’arrive pas parler de « docteur »). La première impression est que nos manipulateurs d’opinion sont décidément très forts et, pendant une seconde (une seconde seulement : qu’ils ne se réjouissent pas trop), la tentation est grande de jeter l’éponge. Passons sur l’étrangeté d’un réquisitoire qui tout en demandant une peine tellement ridicule qu’à la limite il vaut mieux qu’il n’y en ait pas eu du tout, n’a pas pu (tout de même) ne pas relever qu’on était en contradiction avec tous les protocoles préconisés même par les plus ardents défenseurs de l’euthanasie active au point que le Conseil de l’Ordre des médecins avait interdit l’intéressé d’exercice. Sans compter, précisément, l’absence d’interdiction pénale d’exercer pour quelqu’un dont on n’a pas pu ne pas noter, de l’avis unanime, une fragilité psychologique qui parait bien peu en accord avec les termes d’une profession aussi éprouvante.
Là les partisans de l’euthanasie sont au pied du mur. S’il n’y a pas appel de la décision, ils ne pourront plus continuer à berner les français : ils ne demandent pas une procédure mesurée, consensuelle, organisée. Ils veulent un droit général de mourir et surtout de tuer.