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POUR UNE POLITIQUE ANTI-CRIMINELLE DU BON SENS (bis ou ter)

Peut-être y aura-t-il une ou deux personnes pour se souvenir que j’ai publié, il y a bien longtemps un ouvrage qui portait ce titre. Mais les temps changent (et, en l’occurrence, pas en bien) et il n’est sans doute pas inutile de revenir, au moins sur les détails d’une application de cette politique jamais suivie, ce qui nous a amené là où nous en sommes. En outre, arrivé à un certain âge, il est connu qu’on n’a plus le choix qu’entre deux choses, se répéter ou se contredire, la première attitude nous paraissant plus rassurante quant à l’état mental de l’intéressé. D’autres, qui suivent ce blog verront donc qu’un article de même titre y a déjà été publié, mais la question rebondissant ces dernières semaines, justifie une republication légèrement mise à jour.

Il n’y a pratiquement pas de jour où une manifestation, un article, une émission ne soit consacré à la violence contre les policiers, les pompiers, les élus, le personnel enseignant, les médecins hospitaliers ou libéraux qui refusent désormais certaines destinations, les femmes, etc… On annonce aujourd’hui l’envoi d’une circulaire du Garde des Sceaux aux parquets pour une poursuite plus sévère des atteintes aux élus tandis qu’un sondage annonce que 93% des français estiment que le gouvernement n’en fait pas assez contre la délinquance (qui, pour les non juristes n’est que la délinquance violente). Or personne ne semble s’apercevoir que le problème ce ne sont pas les élus, les policiers, les pompiers, les médecins ou le personnel enseignant, mais … la violence.

Le Code pénal de 1992 a été préparé et voté par une minorité doctrinale et une majorité politique totalement inféodées au mouvement de la défense sociale nouvelle. Il était mauvais en 1992 et il n’est pas devenu bon depuis. Il suffit, d’ailleurs, même pour un non juriste, d’ouvrir au hasard un Code pénal pour comprendre à quel point il est inadapté puisque quels que soient les crimes ou les délits qu’il désire punir, la peine prévue est toujours de même nature : une peine d’emprisonnement et une amende, prévues ensemble et qui plus est dans en rapport l’une avec l’autre (un an et 15000€ ; deux ans et 30000€, etc…). Quel peut bien être l’intérêt de prévoir pour une infraction de violence une peine d’amende si ce n’est pour permettre à ceux qui en ont les moyens, de s’offrir, au sens propre du terme, la tête de leur voisin qui ne leur revient pas et à la majorité impécunieuse des poursuivis d’échapper à toute sanction ? Et pourquoi punir d’une peine d’emprisonnement (qui n’est, d’ailleurs, jamais prononcée) ou même d’une peine d’amende une violation du secret professionnel pour laquelle la seule sanction adaptée, pour une infraction de nature professionnelle, serait une interdiction professionnelle plus ou moins étendue ? Il est temps de redéfinir une véritable échelle des peines, considérablement enrichie en possibilités, limitant l’emprisonnement à ce pour quoi il est fait : la violence, mais s’assurant que cet emprisonnement est effectivement prononcé et exécuté.

Le fait que le Code pénal que tout le monde continue à qualifier de « nouveau » soit récent ne lui confère aucune vocation à perdurer mais la droite, qui a peur de son ombre, n’a jamais su ou voulu revenir sur la totale inadaptation de la politique pénale que ce code mettait en œuvre si ce n’est pour en rajouter. Car c’est tout de même Madame Dati, Garde des Sceaux, qui a fait voter que les peines d’emprisonnement de deux ans fermes (Sic) prononcées par les juridictions (et qui, la plupart du temps, concernent des infractions violentes) seraient immédiatement transformées en autre chose, à faire exécuter en milieu libre, par le juge de l’« application » des peines. Et ce n’est que très récemment et par une autre majorité politique, de qui on ne l’attendait pas, que les deux ans ont été réduits à un an, ce qui est moins mal, mais guère. On aurait dû savoir d’avance où cela mènerait et on y est parvenu. Or ce n’est pas à coup de déclarations, d’entretiens ou de solutions partielles, même prononcés sur le plus martial des tons qu’on arrangera les choses. Si l’opposition espère redevenir la majorité en 2022, il est plus que temps non pas d’organiser des forums ou des conventions divers et variés où l’on répète toujours, en boucle, la même chose, mais de mettre au travail des gens sérieux et aptes à préparer un projet de nouveau Code pénal qui pourra être voté dès la première législature, ce qui lui permettrait d’être appliqué dans les deux ans suivants. Un an et demi c’est à peu près ce qu’il faut pour rédiger ce texte, d’autant plus que certains avaient déjà beaucoup travaillé…avant 2017 ! Mais cela devient tout de même très juste.

Dans le cadre d’une politique pénale rationnelle, une différence de nature s’impose, en tous domaines mais d’abord pour celui de la peine à prononcer et de son exécution (raison pour laquelle il ne faut pas se contenter de modifier des solutions partielles mais changer de code pénal), entre les infractions de violence et les autres. La question qui se pose aujourd’hui n’est pas de savoir s’il faut punir plus sévèrement les infractions violentes qui atteignent les policiers, les pompiers ou les enseignants (seule « idée » qui jaillit dans quelques esprits), mais d’abord de savoir comment on doit traiter les infractions de violence, en général, et quelles différences s’imposent entre celles-ci et les autres infractions.

La première tâche, et elle n’est pas simple, est de définir quelles sont les infractions de violence et celles qui ne le sont pas car on ne peut, sur ce point, se fier entièrement à une classification juridique (infractions contre les biens – infractions contre les personnes) car il y a de la violence dans les deux catégories, le cas le plus emblématique étant celui du vol qui est juridiquement le type même de l’infraction contre les biens, alors qu’il est criminologiquement la première cause d’atteinte aux personnes (40 % des blessures et homicides volontaires selon les statistiques policières, sont commis pour préparer, exécuter, s’enfuir ou régler des comptes avant, pendant ou après un vol). En outre le principe de la légalité, dès lors qu’on choisit de traiter différemment telles et telles infractions impose qu’elles soient énumérées dans des listes exhaustives.
Sans entrer ici dans le détail qui serait celui d’un vrai nouveau code, devraient être considérées comme violentes les infractions qui atteignent ou menacent l’intégrité des personnes, c’est-à-dire:
– Les atteintes volontaires à la vie et à l’intégrité corporelle des personnes et les agressions (voire les atteintes) sexuelles;
– Les atteintes violentes à la liberté individuelle (disparitions forcées; réduction en esclavage et exploitation ; enlèvement, séquestration et détournement de moyens de transports ; traite d’êtres humain; proxénétisme, etc…) ;
– Les atteintes à des personnes vulnérables (délaissement d’une personne hors d’état de se protéger elle-même ; abus de faiblesse ; mise en péril des mineurs ; trafic de stupéfiants etc..) ;
– Les menaces de mort et les menaces sous condition ;
– Le vol et l’extorsion violente ; les destructions, dégradations et détériorations de choses dont on n’est jamais certain, une fois déclenchées, qu’on pourra en limiter les effets; les sévices graves et actes de cruauté envers les animaux qui manifestent un état d’esprit qui appelle la vigilance ; l’entrave à l’arrivée des secours sur un sinistre et les fausses nouvelles relatives à un sinistre ;
– Toutes les infractions relatives aux personnes ou aux groupes détenant ou utilisant des armes (groupes de combat ; groupements dissous ; organisation illégale de forces armées ; mouvements insurrectionnels ; terrorisme etc…). Les infractions relatives à la législation sur les armes et non déjà incriminées à un autre titre.
– L’aide apportées, a posteriori, aux malfaiteurs, l’association de malfaiteurs, le recel et le blanchiment du produit des infractions figurant dans la liste des infractions violentes, l’enregistrement et la diffusion de la commission des infractions violentes ;
– Une assimilation de toutes les infractions violentes pour l’application des règles de la récidive.

Pour ces infractions là et celles-là seulement, la peine prévue devrait être l’emprisonnement à la fois prononcé et exécuté et non bénéficiaire de la multitude d’institutions permettant d’en grignoter l’exécution. Certes, on ne manquera jamais de faire valoir que tout le monde a droit à une seconde chance ce qui n’est pas faux, mais à condition que ce ne soit par la trente-cinquième ! Il faudrait donc, d’abord, préciser que chacune des institutions qui permet de réduire ou modifier la peine (dispense, sursis, semi-liberté, etc…) ne pourrait être appliquée qu’une seule fois aux infractions de violence ce qui ferait, tout de même, avec la totalité de l’arsenal existant six ou sept chances, c’est-à-dire un peut-être trop auquel il faudrait réfléchir. Il faudrait, ensuite, supprimer le crédit de réduction de peine qu’on attribue généreusement, sans la moindre justification, à tout entrant en prison et restreindre d’éventuelles réductions aux cas de véritables efforts objectivement constatables, notamment en matière de formation éducative ou professionnelle.

Pour les infractions autres que de violence, qui sont pratiquement toutes des infractions de profit, il est beaucoup plus efficace de frapper là où ça fait le plus mal, c’est-à-dire au portefeuille par des peines pécuniaires et celles-là seulement, mais qui devraient être beaucoup plus diversifiées et développées qu’elles ne le sont aujourd’hui ou l’on ne retient pratiquement que l’amende et la confiscation.
Il serait d’abord utile de créer une sanction obligatoire d’un type particulier, qu’on pourrait appeler, par exemple amende-confiscatoire et qui aurait pour objet de prononcer une privation matérielle équivalent exactement au profit réalisé par la commission de l’infraction et récupérée par les services dédiés soit en nature soit en valeur sur le patrimoine existant de l’intéressé. Cette sanction ne serait, d’ailleurs pas, à proprement parler une peine puisqu’elle aurait pour but et pour effet de remettre les choses dans l’état où elles étaient avant la commission de l’infraction, raison pour laquelle il paraitrait opportun de la déclarer imprescriptible. Et ce n’est qu’ensuite que l’infraction serait punie soit par les peines classiques (amende ou confiscation des autres biens présents ou à venir du condamné) soit par bien d’autres sanctions qui pourraient être créées ou voir leur usage s’étendre au-delà du rôle de peine complémentaire ou de substitution à l’emprisonnement qu’elles jouent aujourd’hui et notamment tout ce qui concerne l’activité professionnelle.
Quant à l’emprisonnement, il parait ici aussi inutile qu’inefficace. Détenir Loïc Le Floch-Prigent, Jérôme Cahuzac ou Patrick Balkany est totalement absurde et pour plusieurs raisons. Il est bien connu, tout d’abord, que l’emprisonnement est d’autant plus difficile à supporter qu’on n’a pas ou peu de bases intellectuelles (voire spirituelles). La prison n’est certainement pas pour eux une partie de plaisir mais elle n’est pas si intolérable que ça et elle leur est, en tout cas, infiniment plus facile que pour les têtes vides. Il y a tout lieu de croire que ce type de délinquants serait infiniment plus puni par des peines de nature professionnelle (qui auraient, de plus, la vertu préventive d’une éventuelle récidive) : une longue période d’inéligibilité et une aussi longue période d’interdiction de gérer ou de diriger des entreprises, par exemple. En second lieu, il est clair que ces condamnés ont du talent. Un talent qu’ils ont mal exploité, certes, mais qui pourrait être récupéré au profit de la collectivité. Dans cette perspective, il pourrait être utile de créer une vraie peine de travail dans l’intérêt général qui ne consisterait plus à faire faire un médiocre travail de bricolage pendant un petit nombre d’heures comme aujourd’hui (et qui plus est appliqué à des auteurs d’infractions de violence qui n’en relèvent pas), mais à travailler pendant plusieurs mois ou plusieurs années au service de collectivités publiques ou d’associations humanitaires pour une rémunération correspondant aux minima sociaux. Et tout le monde y gagnerait : l’ordre public en créant une peine véritablement pénible pour le condamné et en accord avec la gravité des faits commis ; les organismes d’aide et d’assistance peu fortunés et qui ne trouvent pas forcément assez de bénévoles formés ; le trésor public qui, même en assurant le coût de l’ensemble de l’opération y gagnerait surement beaucoup en comparaison du prix de journée de l’emprisonnement.

Il est clair que face à la proposition de ce système, il se trouvera toujours des gens pour dire qu’il s’agit d’une faveur faite aux riches ce qu’on a entendu dire même dans des réquisitoires définitifs ce qui ne peut qu’inquiéter sur l’état de la « formation » criminologique de certains magistrats. Cette idée part, d’abord, du principe que l’emprisonnement est plus sévère que toutes les autres peines ce qui n’est pas forcément vrai ainsi que nous venons de le dire. La seule caractéristique de l’emprisonnement est de permettre sinon de neutraliser, dans l’absolu, l’activité des personnes dangereuses pour autrui (des exemples célèbres montrent que l’emprisonnement n’exclue pas nécessairement la violence, y compris la pire) mais, du moins, d’en réduire fortement l’impact. En outre, aucune étude sérieuse réalisée où que ce soit n’a jamais démontré que la violence était le fait des classes sociales les moins favorisées et que la délinquance économique n’était que celle des « cols blancs » ainsi que le démontre, en pratique l’importance des fraudes aux prestations sociales. Et en admettant même que ce soit vrai, ce qui n’est pas, les difficultés de la vie quotidienne à laquelle on se heurte ne sauraient être invoquées comme justifiant le droit de porter atteinte à la personne d’autrui, ce que fait la violence.