Archives mensuelles : septembre 2016

KERVIEL : le cafouillage et l’amalgame.

Jusqu’à ce qu’elle statue, le 19 mars 2014, dans l’Affaire Kerviel, il était jugé par la Cour de cassation et admis par tout juriste de bon sens, que la faute éventuelle de la victime ne pouvait être prise en considération pour réduire la responsabilité civile de l’auteur des faits, lorsque l’infraction commise était une infraction contre les biens :
« Attendu qu’aucune disposition de la loi ne permet de réduire, en raison d’une négligence de la victime, le montant des réparations civiles dues à celle-ci par l’auteur d’une infraction intentionnelle contre les biens ;
Attendu que, pour décider que la Caisse du Crédit Mutuel de Cannes devait supporter pour moitié les conséquences du vol commis à son préjudice par Michel X…, la cour d’appel énonce que les investigations des enquêteurs ont fait apparaître, au sein de l’agence, un laxisme généralisé et que cette entreprise s’était trouvée, par la tolérance prolongée, ou l’insuffisante prévention de ses dysfonctionnements à l’origine de son propre dommage dans des proportions fixées à la moitié ;
Mais attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé, et du principe ci-dessus énoncé » (Crim. 7 nov. 2001).
La raison de cette position, au-delà de l’absence de texte, relevée par la Cour de cassation, en 2001, et qui devrait, d’ailleurs, suffire, est que l’auteur de l’infraction (un fraudeur quelconque) commet un acte intentionnel alors que la victime, même si elle s’est rendue coupable d’une faute de surveillance, n’est l’auteur que d’un fait d’imprudence, les deux choses ne pouvant, à l’évidence, être mises sur le même plan.

L’arrêt Kerviel du 19 mars 2014 était donc un revirement de jurisprudence, que la plupart de ses commentateurs ont considéré comme expliqué par le caractère exceptionnel de l’affaire, oubliant que la Cour de cassation ne statue par en fait mais en droit et que la question qui lui était posée était uniquement celle de savoir si la faute de la victime d’une infraction contre les biens peut avoir une influence sur la responsabilité civile de l’auteur des faits, indépendamment du point de savoir quel était le montant sur lequel portait les différentes infractions retenues et sanctionnées et qu’elle n’a pas normalement à prendre en considération.

Ayant ainsi jugée, mais bien obligée de constater que lorsque plusieurs fautes ont concouru à un unique dommage, seuls les juges du fond sont compétents pour répartir le poids de la responsabilité de ce dommage unique, la Chambre criminelle renvoya devant la Cour d’appel de Versailles qui vient de rendre une décision pour le moins surprenante.

Sur le terrain juridique, la Cour de Versailles se rallie à la position de la Cour de cassation pour admettre que même en matière d’infractions contre les biens on peut tenir compte de la faute de la victime pour déterminer son préjudice, ce que, rappelons-le, une fois de plus (Voir notre Blog « Qu’est-ce que faire jurisprudence ? »), elle n’était pas obligée de faire.
La Cour commence par rappeler que Jérôme Kerviel a bien développé des « agissements délictueux » ; qu’il a fait preuve de « ruse et de détermination » et exploité les failles qu’il avait repérées dans l’organisation de la banque pour « concevoir et couvrir ses activités délictueuses », tous faits intentionnels et éminemment graves.
La Cour confirme ensuite le montant du préjudice global causé à la banque et fixé à 4,9 milliards d’Euros.
Puis elle détaille avec un soin tellement grand qu’il finit par interpeller, les dites failles de surveillance reprochées à la banque.
Enfin elle termine par condamner Jérôme Kerviel, à payer à la banque le somme de 1 million d’Euros.

Autrement dit, le « partage » de responsabilité entre l’auteur de multiples fautes intentionnelles et celui d’un manque de surveillance fait que le premier est déclaré responsable pour d’1/5000 du préjudice, soit 0,0002% ce qui implique que la banque est responsable, elle, pour 4999/5000, soit, 99,9998% du même préjudice!!!
Il est, d’ailleurs, à noter, que la Cour s’en est tenue à l’énonciation des chiffres et n’a précisément pas fait, ce que font habituellement les juridictions : répartir les responsabilités en pourcentage, sans doute pour ne pas se couvrir du ridicule que nous venons de démontrer.

Une fois admis le principe éminemment contestable d’un partage de responsabilité entre l’auteur d’une infraction contre les biens et la victime dont on peut relever l’imprudence, un partage par moitié, compte tenu, il est vrai de l’importance de l’imprudence de la banque et sans doute des avantages qu’elle en a retiré, aurait pu se comprendre. Mais ce simulacre de partage après qu’on ait relevé la gravité des fautes commises par l’auteur des faits (condamné pénalement et définitivement, rappelons-le, à 5 ans d’emprisonnement dont trois fermes) est ahurissant.

Et ce n’est pas tout.

Au moment où l’on est en train, partout en France, de faire passer les épreuves du Certificat d’aptitude à la profession d’avocat, on ne peut qu’être surpris d’entendre l’avocat de la Société générale, qui passe pour être un des grands pénalistes parisiens, se féliciter de cette condamnation au motif qu’elle répond aux aptitudes financières de Jérôme Kerviel. Et il faut dire que la précédente condamnation (à 4,9 milliards d’Euros) avait été fustigée par les plupart des médias (dont les parties prenantes feraient mieux la plupart du temps de tourner sept fois leurs mains au-dessus de leur clavier avant d’écrire des âneries) au nom de sa « stupidité ».

Une fois de plus rappelons LE DROIT.
Actuellement la règle est que l’auteur ou les auteurs multiples d’une faute doivent réparer la totalité du préjudice souffert par la victime, ni plus, ni moins. Si l’on veut désormais que l’importance de la responsabilité à retenir à la charge de l’auteur d’une faute soit calibrée en fonction de sa capacité de contribution, ce n’est pas impossible, mais il faut changer la loi et bien en concevoir les incidences car cela voudrait dire que tout « pauvre » peut faire n’importe quoi à un « riche ».
En outre, il y a une différence fondamentale EN DROIT à être condamné à 4,9 milliards d’Euros, même si la victime ne peut en récupérer qu’une infime partie et être condamné à 1 million d’Euros, même si celui-ci est intégralement payé.

Et que le lecteur non juriste (si j’en ai…) ne se dise pas que tout cela est sans importance car il s’agit d’une affaire atypique qui n’aura pas d’autre incidence sur la vie du droit et donc potentiellement sur la sienne propre.
Qu’il ne nourrisse pas cette illusion car le droit est comme le froid, c’est une chaine.

La conséquence logique de la nouvelle règle posée par la Cour de cassation, suivie par la Cour d’appel de Versailles et réitérée par la Chambre criminelle dans une affaire d’abus de confiance des plus banales (25 juin 2014) et selon laquelle la faute d’imprudence de la victime peut exonérer l’auteur intentionnel d’une infraction contre les biens des conséquences civiles de son infraction implique forcément qu’un jour proche le cambriolé ne pourra plus être indemnisé du préjudice souffert s’il n’a pas transformé son appartement en Fort Knox pourvu de trois verrous certifiés et de deux alarmes ce qui en l’état actuel de l’insécurité peut apparaitre comme d’une folle imprudence. Et il y a fort à parier que nous allons voir réapparaitre le serpent de mer du vol dans les grands magasins.

Depuis une quarantaine d’années, un mouvement « doctrinal » milite pour la dépénalisation des vols chez les commerçants au motif qu’en exposant à la libre appréhension du public des produits que certaines personnes ne peuvent s’offrir, ils commettent l’imprudence de favoriser la convoitise de ces personnes dont le vol deviendrait compréhensible, voire légitime. Et ce n’est pas purement théorique puisque ce mouvement de pensée avait même convaincu le législateur de la loi « Sécurité et Liberté » de 1981 (qui était parait-il d’une terrible sévérité ???) dont le projet entérinait cette dépénalisation qui n’a été supprimée que pendant les travaux préparatoires grâce à la vigilance du Sénat. Si les voleurs des grandes surfaces ne peuvent plus être pénalement punis et que leur responsabilité civile est diminuée du fait de l’inconscience des vendeurs, cela risque de ne pas faciliter l’exercice du commerce.

En clair, toute cette affaire confirme qu’en matière de politique pénale, on marche sur la tête : affirmation que les infractions de profit sont au moins aussi graves que les infractions contre les personnes (Voir notre Blog : « Réquisitoire Cahuzac et politique pénale ») et aujourd’hui mise sur le même plan, quand ce n’est pas, comme ici, avec une hiérarchie inversée, d’infractions intentionnelles graves et de simples imprudences.
Les candidats que se bousculent à la magistrature suprême et dont les programmes (au-delà du traitement du terrorisme) sont bien maigrelets sur la politique pénale, feraient bien de se réveiller.

REQUISITOIRE CAHUZAC ET POLITIQUE PENALE

Le « nouveau » (Sic, ???) Code pénal de 1992, en vigueur depuis 1994 est, en matière de choix des peines et donc de politique pénale, d’un désolant conservatisme.
Toutes les infractions prévues par lui sont punies et ne sont punies, sur la base des textes qui les prévoient, que d’une peine d’emprisonnement et d’une peine d’amende, prévues ensemble et qui plus dans en rapport l’une avec l’autre (un an, 15000€ ; deux ans, 30000€, etc…). C’est la négation de l’idée même de politique pénale véritable qui voudrait que l’on adapte la peine, non seulement, dans son quantum, à la personnalité du délinquant, mais d’abord, dans sa nature au type d’infraction commis. Et le plus beau de l’histoire est que ce Code est dû à une majorité politique qui n’a de cesse d’accuser ses adversaires d’être pour le « tout carcéral ».

Il est clair que l’emprisonnement est la peine de choix pour les infractions de violence qui atteignent ou menacent l’intégrité de la personne (homicides et blessures volontaires, atteintes sexuelles, etc…, pour la première catégories ; trafics de drogue, d’armes , d’êtres humains, mais également vol, etc… pour la seconde). Il importe, en effet, d’avoir bien présent à l’esprit que si le vol est juridiquement le type même de l’infraction contre les biens, il est criminologiquement la première cause d’atteinte aux personnes (40 % des blessures et homicides volontaires selon les statistiques policières, sont commis pour le préparer, l’exécuter, s’enfuir ou régler des comptes). Dans ces hypothèses, il convient de neutraliser ces forces mauvaises et l’emprisonnement est la meilleure façon d’y parvenir avec, éventuellement, mais éventuellement seulement (s’il y a eu, en plus, un profit – cas du vol – des sanctions pécuniaires).
C’est pratiquement le seul domaine où l’emprisonnement s’impose.

Pour les infractions de profit (l’escroquerie, l’abus de confiance, les infractions économiques et financières, etc…), il est beaucoup plus efficace de frapper là où ça fait le plus mal, c’est-à-dire au portefeuille par des peines pécuniaires et celles-là seulement qui devraient d’ailleurs être beaucoup plus diversifiées et développées qu’elles ne le sont aujourd’hui ou l’on ne retient pratiquement que l’amende et la confiscation. Il serait notamment utile de mettre en place une amende obligatoire d’un type particulier, qui, au-delà de ce qui serait prononcé pour sanctionner les faits eux-mêmes, ferait qu’aucune infraction ne puisse laisser un bénéfice à son auteur. En matière de fraude fiscale il ne suffit pas de redresser les déclarations et d’appliquer la sanction prévue, il faut aussi confisquer la valeur de l’intégralité des sommes dissimulées. Et pour que ce soit efficace, rendre cette peine imprescriptible de façon à pouvoir, toute sa vie, rattraper le fraudeur. Cela priverait la littérature et le cinéma policiers des nombreuses productions relatives à la récupération d’un butin (« L’année sainte ») devenue inutile, mais permettrait de sanctionner efficacement.

Et bien d’autres sanctions pourraient être créées ou voir leur usage s’étendre au-delà du rôle de peine complémentaire ou de substitution à l’emprisonnement qu’elles jouent aujourd’hui, quand elles existent, sans être, dans le second cas, adaptées. Quand un professionnel tenu au secret viole son obligation, la seule peine logique est l’interdiction professionnelle temporaire, de plus en plus longue s’il récidive, voire définitive s’il persiste. Prévoir que la violation du secret professionnel sera sanctionnée par un emprisonnement (qu’on ne prononce jamais) et une peine d’amende (qui n’a rien à faire ici) est d’une totale absurdité.
Et sans doute faut-il créer d’autres sanctions qui conduiraient, par exemple, les condamnés à mettre leurs talents au service de la communauté, par une vraie peine de travail dans l’intérêt général qui ne consisterait plus à faire faire un médiocre bricolage pendant un petit nombre d’heures comme aujourd’hui (et qui plus est appliqué à des auteurs d’infractions de violence qui n’en relèvent pas), mais à travailler pendant plusieurs mois ou plusieurs années au service de collectivités publiques ou d’associations humanitaires. On oppose à cette idée le fait que la Convention européenne des droits de l’homme ferait obstacle à ces travaux forcés. C’est inexact. Une disposition spécifique de la Convention prévoit expressément la licéité du travail pénitentiaire. On ne voit pas pourquoi elle interdirait le travail pénal en liberté. En outre la Cour européenne des droits de l’homme, qui de temps en temps a du bon sens, vient de répondre à un détenu suisse qui refusait de travailler au motif qu’il avait dépassé l’âge de la retraite, que le travail pénal était un élément de la peine auquel il devait satisfaire tant qu’il en était capable.

C’est à la lumière des observations précédentes qu’il faut apprécier le réquisitoire prononcé par Madame le Procureur financier à l’encontre de Jérôme Cahuzac car le conservatisme du Code pénal et pire, l’absence de maitrise de la criminologie et de la police pénale nécessaire, ne fait pas qu’habiter le Code pénal, elle semble aussi régner dans l’esprit de certains magistrats et non des moindres.
Madame le Procureur financier a, en effet, requis, à l’encontre de Jérôme Cahuzac une peine de trois ans d’emprisonnement ferme au motif qu’il ne faut pas être plus clément avec les délinquants en « col blanc » qu’avec les « petits délinquants ». Cela signifie, en premier lieu, que Madame le Procureur financier considère que l’emprisonnement est la seule peine véritable ce qui est complètement faux et totalement dépassé (encore un adepte du « tout carcéral » !). L’emprisonnement est une peine adaptée à certains comportements. Il n’est ni plus ni moins punitif que d’autres sanctions qui seraient plus adaptées à des faits qui, pour être tout à fait inadmissibles, ne sont pas violents. En second lieu, les « petits délinquants » (expression criminologiquement dénuée de sens) auxquels pense Madame le Procureur financier, sont pour l’essentiel des voleurs dont on sait qu’ils peuvent à tout moment, déraper dans la violence quand ce n’est pas dans le terrorisme, ce qui n’est évidemment pas comparable.
On comprend bien l’idée qui anime Madame le Procureur financier qui est qu’il conviendrait de priver les plus grands délinquants en col blanc de liberté et on ne peut pas lui reprocher de ne pas requérir une peine qui n’existe pas. Mais c’est là que devrait entrer en scène un vrai travail dans l’intérêt général qui n’existe pas encore mais qu’il faudrait créer.

Pour Jérôme Cahzac, comme avant lui pour Jérôme Kerviel ou Loïc le Floch Prigent, l’application d’une peine de prison ferme est une absurdité : ils sont parfaitement insérés socialement et l’emprisonnement ne pourrait que les désinsérer ; ils ont des talents qu’ils ont mal utilisés mais qui pourraient l’être mieux. La meilleure sanction possible qui atteindrait leur liberté sinon d’aller et venir, du moins de vie, serait de les condamner à travailler pour une rémunération n’assurant que leur minimum vital, durant plusieurs mois ou années pouvant aller jusqu’à trois, au service d’un agent servant le public, en fonction de leurs possibilités.
Jérôme Cahuzac est médecin même s’il semble avoir perverti son art au profit d’un exercice moins thérapeutique que lucratif. L’idéal serait de pouvoir le mettre pendant trois ans à la disposition d’un service d’aide ou de secours : SAMU social, accueil médical des demandeurs d’asile, Protection civile, Médecins sans frontières, etc… Selon une formule souvent galvaudée mais qui serait vraie ici, ce régime de peine serait gagnant-gagnant. Gagnant pour l’ordre public en créant une peine véritablement pénible pour le condamné et en accord avec la gravité des faits commis ; gagnant pour les organismes d’aide peu fortunés et qui ne trouvent pas forcément assez de bénévoles formés ; gagnant pour le trésor public qui, même en assurant le coût de l’ensemble de l’opération y gagnerait surement beaucoup en comparaison du prix de journée de la détention.
Les candidats à la future élection à la Présidence de la République se préoccupent, disent-ils de sécurité. C’est vrai, mais comme toujours avec les politiques, sur des points de détail, certes non négligeables comme le terrorisme, mais qui ne sauraient suffire à traiter la totalité des problèmes posés. Souhaitons qu’ils prennent conscience au minimum de la nécessité de revoir tout le système français des peines et de leur application.