Certaines des personnes qui me font l’honneur de me lire m’ont reproché de ne pas m’être exprimée à propos des polémiques récemment intervenues notamment sur le rôle joué par le parquet national financier dans l’affaire Fillon. La raison, d’ordre éthique, en est extrêmement simple : je ne me manifeste jamais quand un jugement est en délibéré. Les choses étant maintenant connues, je me sens libre d’y revenir.
L’affaire Fillon
Je tiens à dire, en premier lieu, que je n’ai rien à retirer à l’article déjà publié dans ce Blog, sur cette affaire, à son commencement (Fillon…comment dire ? … Assez, 16 fév. 2017).
En l’état actuel des choses, le débat sur la plus ou moins grande sévérité de la décision de condamnation des époux Fillon n’a pas lieu d’être car celle-ci n’aurait jamais dû être rendue. Il demeure, en effet, parfaitement évident que la justice n’était pas compétente pour être saisie des faits dont il s’agit et dans aucune de ses formations, parquet national financier ou autre. Outre les arguments de droit pénal et de procédure pénale exposés en février 2017, la démocratie et la République Françaises ce sont des élections libres, une Constitution et des Principes fondamentaux des lois de la République. Or le premier de ces principes, à la fois historiquement et dans l’importance est celui de la séparation des fonctions illustré par Montesquieu. Le pouvoir de la justice s’arrête devant la porte de l’Assemblée nationale, devant celle du Sénat et devant celle de l’Elysée, dès lors que les faits reprochés sont en rapport avec l’exercice du pouvoir législatif, dans un cas et exécutif dans l’autre. Il est invraisemblable que les présidents des assemblées parlementaires acceptent de fournir à la justice, dans quelque cadre que ce soit, des documents sur le fonctionnement de leurs assemblées ou tolèrent des perquisitions dans leurs locaux, car c’est manifester bien peu de respect pour les éminentes fonctions qu’ils et qu’on y exerce. Et je regrette tout particulièrement que, contrairement à ce qui m’avait paru évident en février 2017, François Fillon et les personnes poursuivies en rapport avec ses activités de parlementaires aient accepté de participer à la procédure dans le cadre de laquelle ils étaient poursuivis et n’aient pas eu le courage de faire à toute interrogation la seule réponse adéquate et digne qu’ils auraient dû faire : « le pouvoir judiciaire ne peut pas contrôler l’action d’un parlementaire qui relève du pouvoir législatif ». De la part d’un ancien Premier ministre candidat à la Présidence de la République, c’est regrettable.
Si Madame Fillon et leurs enfants ont été rémunérés à tort pour des travaux fictifs, c’était à l’Assemblée nationale et au Sénat : 1) de vérifier que les sommes à verser étaient réellement dues ; 2) d’en demander le remboursement s’il s’avérait que ce n’était pas le cas. N’étant pas publiciste j’ignore le détail des règlements intérieurs des Assemblées parlementaires, mais s’ils ne comportent pas de dispositifs de cette nature, ce qui serait fort étonnant, il faut les y introduire, les appliquer et s’en tenir là, la justice n’ayant aucunement le droit de contrôler la façon dont les parlementaires exercent leurs missions.
Mais il y a pire dans la confusion et sur deux points.
En premier lieu, on apprend que l’Assemblée Nationale s’est constituée partie civile dans le procès fait à François Fillon pour demander le remboursement de ce qu’elle prétend avoir versé à tort. Non seulement l’Assemblée Nationale n’est pas capable de défendre ses prérogatives face aux autres institutions de l’Etat et ses droits à l’égard de ses membres, mais encore elle a suffisamment peu de respect pour elle-même pour aller demander de l’aide à la Justice. Ajoutons, d’ailleurs, que si l’Assemblée Nationale a versé à tort les sommes en question et n’en a pas déjà demandé le remboursement, c’est de sa faute par manque d’attention et de contrôle et qu’il faut, une fois de plus, avoir bien peu de respect pour l’Etat pour aller exposer publiquement, si ce n’est revendiquer ses erreurs, quand on est le pouvoir législatif. Le pauvre Montesquieu n’avait pas envisagé une telle petitesse de ces fonctions qui lui paraissaient être la meilleure garantie d’une démocratie.
En second lieu, il est aberrant de voir traité dans la même décision les faits relatifs à un travail fictif de la famille Fillon dans le cadre des fonctions parlementaires de François Fillon et une banale affaire de rémunération excessive de Pénélope Fillon par une entreprise de droit privé qui relève bien, elle, mais elle seule de la justice judiciaire.
Le problème Houlette.
Tout le monde ne pratiquant pas le même devoir de réserve à propos des affaires en délibéré, Madame Houlette, ancien procureur national financier aujourd’hui à la retraite entendue par une commission parlementaire a fait état de lourdes pressions exercées sur son action dans l’affaire Fillon par le procureur général passant notamment par l’ordre de mettre un terme à son enquête préliminaire et par un contrôle étroit manifesté par des demandes d’information répétées.
On a quelque mal à comprendre ce qui peut soulever ici la moindre interrogation ou critique (Voir, sur ce Blog, Ministère public : état des lieux, 24 fév. 2014). Ce qui peut poser problème, pour le ministère public, ce sont les pressions que le pouvoir politique, par le biais du Garde des Sceaux, peut exercer sur les magistrats du ministère public. Pour le reste, quelles que soient les réformes demandées ou à venir, il ne peut pas être question de supprimer, au sein du ministère public, ni la dépendance des substituts à l’égard de leur chef de parquet ni davantage l’organisation hiérarchique entre les parquets de première instance et le parquet général car il en va de la cohérence de l’action publique tandis qu’il n’y a pas de risque de pressions inappropriées dès lors qu’on est entre soi, c’est-à-dire entre membres du ministère public. Cohérence de l’action publique car il ne peut être question de poursuivre de façon différente des faits comparables ni sur l’ensemble du territoire, ni au sein d’un même parquet. Absence de risque puisque les demandes d’information et les ordres du parquet général relatifs à l’action du parquet de première instance (national financier) sont prévus par le Code de procédure pénale et aussi légaux que légitimes.
Il est tout d’abord normal que le procureur général ait donné l’ordre d’ouvrir une instruction car dès lors qu’il était connu qu’une enquête préliminaire avait été mise en route contre une personne dénommée, il était dans l’intérêt de cette personne que l’instruction soit ouverte car cela lui donne de plus grandes facilités pour l’exercice de sa défense. Ce qui a posé problème dans l’affaire Fillon c’est la maladresse de l’intéressé lui-même qui, étant allé chercher des verges pour se faire battre, avait déclaré que seule une mise en examen pourrait l’amener à retirer sa candidature ce qui était, au minimum et à l’évidence aussi inopportun qu’injustifié. Soit dit en passant cela démontre, une fois de plus, à quel point le personnel politique, y compris du plus haut niveau, est le plus souvent ignorant en matière de droit et de justice et, la plupart du temps, mal entouré de ce point de vue.
Quant à l’importance des demandes de renseignements on la comprend car ce n’est tout de même pas tous les jours qu’un ancien premier ministre est poursuivi ce qui justifie l’intérêt nécessairement très grand que le parquet général doit porter à la façon dont les choses sont conduites.
Mais surtout, Madame Houlette semble oublier l’essentiel, que c’est elle et elle seule (du moins n’a-t-elle jamais dit le contraire) qui a décidé, 24h après la parution du Canard enchainé faisant état des faits reprochés à François Fillon, d’ouvrir une enquête préliminaire et de le dire. Rien ne l’empêchait, en effet, avant de donner une publicité à son action, de mener des investigations complémentaires, dans le silence que permet l’enquête préliminaire, alors surtout qu’il s’agissait de faits très anciens (pour la plupart, d’ailleurs, prescrits à mon avis). Nous ne ferons pas à l’intelligence de Madame Houlette l’outrage de croire que s’agissant d’un candidat à la Présidence de la République de droite et que tout le monde déclarait archi favori, elle a pu penser que les propos du Canard enchainé étaient suffisamment objectifs pour qu’un parquet puisse les prendre pour argent comptant. Si elle n’avait pas ouvert cette enquête préliminaire, dans ces conditions, au moins, rien de ce dont elle se plaint, ensuite, ne serait arrivé.
Fillon, Houlette et l’instrumentalisation de la justice
Sans que soit en rien remis en cause, sur le plan juridique, ce qui a été dit jusque-là, personne ne peut être assez naïf pour croire que la justice n’a pas été instrumentalisée contre François Fillon.
D’abord parce que si rien ne s’oppose à une hiérarchie interne du ministère public faisant circuler les informations et les ordres, il faudrait être certain qu’il ne s’est agi que de cela et que le parquet général n’agissait pas comme courroie de transmission du pouvoir politique en place. Rien ne permet de le dire. On ne le sait pas et on ne le saura jamais, mais on ne pourra jamais empêcher que beaucoup le pensent.
Mais il faut surtout regretter qu’on ait abandonné la coutume ancienne et très sage qui voulait qu’en période électorale les poursuites pénales ne soient pas mises en route ou soient suspendues à l’égard des candidats à l’élection en cours et seulement reprises ensuite (sauf à l’égard du Président de la République élu). Aujourd’hui la règle est inversée et l’ouverture d’une campagne électorale sonne comme l’hallali qui fait se précipiter des chasseurs mal intentionnés à la recherche de tout ce qui pourrait plomber les candidats.
Puisque l’éthique des magistrats n’est plus suffisante pour leur faire respecter la traditionnelle coutume, il faut l’institutionnaliser dans la loi organique pour le président de la République et au Code électoral pour les autres élections en précisant que l’action publique contre les infractions autres que de violence reprochées à un candidat ne peut être ni mise en route ni poursuivie durant une campagne électorale, la prescription étant suspendue durant cette période. Et il faudrait aussi que l’on réfléchisse à un moyen qui, sans porter une atteinte excessive à la liberté d’expression permette d’être plus strict sur le respect de la présomption d’innocence des candidats qui n’ont pas été définitivement condamnés.