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« FINANCEMENT LIBYEN » DE LA CAMPAGNE PRESIDENTIELLE de 2007 de NICOLAS SARKOZY, Le droit rien que le droit.

La condamnation du Président Sarkozy suivie de son incarcération, en vertu d’une décision d’exécution provisoire de la condamnation prononcée, a soulevé une grande vague de réactions. La plupart de celles-ci a été de nature politique ou morale, sans compter de nombreux rassemblements pacifiques. Il y a eu aussi des réactions juridiques sur lesquelles il y a beaucoup à dire. La plus invraisemblable a été celle de plusieurs personnes, dont des parlementaires (ce qui n’est pas sans inquiéter s’agissant de membres du pouvoir législatif), demandant au Président de la République de gracier Nicolas Sarkozy. Il est regrettable de s’exprimer sur cette question quand on ignore que la grâce présidentielle ne peut concerner qu’une condamnation définitive ce que n’est pas celle de Nicolas Sarkozy puisqu’il a fait appel.

Il était donc nécessaire de laisser l’émotion retomber pour avoir une chance d’être entendu sur la valeur juridique et purement juridique de ce jugement car telle est la question.

Le jugement de la Chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire de Paris soulève des questions de droit tant sur le droit pénal de fond que sur la procédure pénale.

 

I . Sur le fond du droit, la décision appelle un commentaire sur la qualification retenue et sur la peine appliquée.

 

Qualification retenue.

Initialement, Nicolas Sarkozy était poursuivi pour avoir tenté d’obtenir du dictateur Libyen Mouammar Kadhafi des fonds en vue de la campagne pour l’élection présidentielle de 2007.  La poursuite retenait les tentatives de financement illégal de campagne électorale et de corruption et le recel de détournement de fonds publics.

Le Tribunal commence par relaxer Nicolas Sarkozy de l’ensemble de cette poursuite car il estime ne pas en trouver de preuves suffisantes.

La culpabilité de Nicolas Sarkozy était appuyée par une note datant de 2006, adressée par le chef des services extérieurs libyens au directeur de cabinet de Kadhafi et faisant état d’un accord de principe pour que la Libye finance la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy et par de nombreux témoignages émanant tant de libyens que d’intermédiaires dont le fameux Ziad Takieddine

La note a été publiée par Médiapart le 28 avril 2012 (entre les deux tours de l’élection présidentielle). Le Tribunal judiciaire de Paris déclare aujourd’hui qu’il s’agit « probablement d’un faux » et n’étant pas saisi de la question, il ne peut pas en dire plus. Pour autant cela n’est pas en contradiction avec la décision rendue par la Cour de cassation en 2019 et par laquelle elle avait validé l’analyse des juges du fond dans le jugement rendu sur constitution de partie civile pour faux de Nicolas Sarkozy contre Médiapart. Ces juges avaient, en effet, estimé qu’ils ne voyaient, dans le document figurant à la procédure ni « un support fabriqué par montage » ni des « falsifications ». Autrement dit le jugement sur le faux prétendu de Médiapart s’est basé sur un document papier et s’est focalisé sur un examen de faux matériel qui n’a pas été trouvé. Ce faisant il semble qu’il se fonde sur une erreur de fait puisqu’il s’avère que les magistrats ont été saisis d’un document qui était un tirage papier mais que le « vrai » document, si tant est qu’il ait existé, était un fichier informatique. L’examen de son authenticité devait donc concerner non pas un faux matériel mais un faux intellectuel : rechercher si le document disait vrai ou non ce sur quoi répond aujourd’hui le Tribunal judiciaire de Paris mais qui ne figure pas dans la procédure Mediapart.

Quant aux témoignages, nombreux, y compris celui de la personne qui aurait été l’auteur de la note, ils se caractérisent tous, soit par leur imprécision soit par leurs contradictions, y compris internes.

Mais après avoir relaxé Nicolas Sarkozy des infractions principales, le Tribunal le condamne cependant pour association de malfaiteurs, avec des proches, en vue de commettre les infractions en question.

 

La quasi-totalité des commentateurs a dit que l’infraction d’association de malfaiteurs était une qualification à tout faire qui permettrait de condamner n’importe qui, pour n’importe quoi, commis dans n’importe quelles conditions. Cela n’est pas exact.

Il est vrai que dans notre droit, l’association de malfaiteurs est une infraction atypique puisqu’elle a pour but de pallier le principe du droit français de ne pas incriminer, au titre de la tentative d’infraction, les actes préparatoires à celle-ci mais seulement ceux qui constituent un commencement d’exécution. À défaut de renoncer à cette règle, qui a sa valeur, le législateur a songé à incriminer cette préparation à titre d’infraction autonome au moins lorsqu’elle associe plusieurs personnes. C’est ce que fait l’article 450-1 du Code pénal : « Constitue une association de malfaiteurs tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement …».

Il est vrai aussi que les éléments matériel et moral de l’infraction sont particuliers en ce que le premier est moins précis qu’il ne l’est pour d’autres infractions et que les deux sont plus étroitement liés que d’habitude. Mais il est faux de soutenir qu’on peut les appliquer à n’importe quoi.

L’élément matériel de l’infraction suppose une « préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels ». Cette condition est évidement remplie lorsque la préparation des infractions envisagées s’est matérialisée par le rassemblement, l’accumulation ou la préparation d’objets, ce qui ne peut s’appliquer à l’Affaire Nicolas Sarkozy. Mais l’incrimination est encore constituée lorsque les différents membres du groupement ont opéré ensemble ou séparément des déplacements ou des repérages, se sont rencontrés, ont distribué des rôles dans les opérations à venir en présentiel ou à distance (mail, SMS ou webcam) pour organiser la préparation de l’infraction envisagée. Il est certain, dans notre affaire, que les différents mis en cause se sont rencontrés quasi quotidiennement avec Nicolas Sarkozy puisque l’un (Claude Guéant) était directeur de son cabinet ministériel et que l’autre (Brice Hortefeux) était secrétaire général du parti politique au nom duquel Nicolas Sarkozy allait se présenter à l’élection présidentielle. Et il est encore établi qu’ils se sont rendus tous les trois en Libye à l’occasion d’un voyage officiel du ministre. Mais encore faudrait-il qu’à l’occasion de ces rencontres ou déplacements ils aient envisagé un éventuel financement libyen de la future campagne électorale de Nicolas Sarkozy entre eux ou avec Mouammar Kadhafi. Or il n’y a pas plus de preuves de cela qu’il n’y en avait de la tentative des infractions principales. Le Tribunal s’interroge longuement sur les détails de la visite en Libye pour conclure que rien de la distingue des visites extérieures habituelles d’un ministre. Il s’interroge même sur les relations de la France et de la Libye après l’élection de Nicolas Sarkozy pour savoir s’il y aurait la trace d’une quelconque forme de reconnaissance, qui pourrait faire croire à des relations privilégiées, avant de conclure qu’« elles ne paraissent pas… d’une nature et d’une intensité différentes de ce qui s’est pratiqué dans d’autres pays ».

Quant à l’élément moral de l’association de malfaiteurs, il est évidemment intentionnel et l’infraction ne peut être retenue que si chaque participant connaissait la nature du groupement dont il faisait partie et entendait s’associer à son action (comportements dépourvus d’équivoque). Or le Tribunal se contente d’affirmer que Nicolas Sarkozy « ne pouvait ignorer » ce que faisaient ses collaborateurs. Non seulement il ne retient pas un élément intentionnel, ni même une imprudence, mais seulement un désintérêt qui n’est que très exceptionnellement envisagé dans notre droit (non-assistance à personne en péril).

L’infraction d’association de malfaiteurs n’était donc pas plus susceptible d’être retenue contre Nicolas Sarkozy que toutes les autres.

 

Peine prononcée

Nicolas Sarkozy est condamné à cinq ans d’emprisonnement, une amende de 100.000 euros, une interdiction des fonctions publiques et une privation du droit d’éligibilité. Ces peines sont toutes dans les limites de ce qui est prévu par les textes d’incrimination mais la question est de savoir si elles correspondent aux principes généraux de nécessité et de proportionnalité des peines qui doivent présider à la décision du juge. Pour sévères qu’elles soient, les peines extra-carcérales ne sont pas discutables dans leur principe : elles répondent à l’idée générale, déjà exprimée par Montesquieu, que le peine doit correspondre l’infraction sanctionnée. Il en va autrement de la peine d’emprisonnement surtout aussi longue et prononcée ferme. Le Tribunal l’a justifiée par « l’exceptionnelle gravité (des faits) de nature à altérer la confiance des citoyens dans ceux qui les représentent …mais aussi dans les institutions même de la République ». On peut avoir des doutes très sérieux sur la validité de cette appréciation lorsqu’on connait les peines infiniment plus légères, souvent affectée du sursis et/ou d’un aménagement qui sont aujourd’hui prononcées pour de graves infractions de violence contre les personnes. Quant au risque d’entraver le jugement des citoyens-électeurs, il y a déjà été répondu puisque l’Affaire ayant éclaté entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy n’a pas été réélu.

 

II . Sur la procédure pénale, il se pose deux questions.

 

Compétence du Tribunal judiciaire de Paris.

La défense de Nicolas Sarkozy a soutenu l’idée que les faits qui étaient reprochés à leur client ayant été commis (s’ils l’avaient été) alors que celui-ci était ministre, seule La Cour de Justice de la République était compétente pour en juger. Le refus de tenir compte de cet argument est le seul point, à notre avis, sur lequel le Tribunal a raison. La compétence de la Cour de Justice de la République ne s’applique pas à tout crime ou délit commis par un ministre mais seulement à ceux qui ont « un lien direct avec les affaires de l’Etat ». Ce n’est pas le cas si le ministre n’a en vue que son intérêt personnel de candidat à l’élection présidentielle. Il n’est pas alors ministre mais simple citoyen. Il relevait de la chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire.

 

Incarcération de Nicolas Sarkozy

Le prononcé d’un mandat de dépôt et l’exécution provisoire de la décision sont justifiés par le Tribunal au nom de « l’exceptionnelle gravité des faits » et du « quantum prononcé ». Or dans le cadre du prononcé de la peine, le premier point (gravité des faits) est celui qui a été utilisé pour justifier le second (nature et quantum de la peine). Cette motivation relève du serpent qui se mord la queue : le Tribunal semble en panne, il bégaie. Mais surtout, le Tribunal ne peut ignorer que sa décision ne sera pas exécutée comme une décision de condamnation, mais comme une détention provisoire puisque Nicolas Sarkozy ayant fait appel, la décision de première instance n’a pas l’autorité de la chose jugée. Et la meilleure preuve que leTribunal le sait est sa phrase selon laquelle l’exécution provisoire est une « mesure indispensable pour garantir l’efficacité de la peine au regard de l’importance du trouble à l’ordre public causé par l’infraction ».  On peut d’abord remarquer que si quelque chose a troublé l’ordre public, c’est davantage la condamnation à l’emprisonnement de Nicolas Sarkozy que l’infraction (au surplus inexistante). On peut ajouter que si le Tribunal souhaitait vraiment que la détention soit exécutée, il aurait dû motiver la décision d’exécution provisoire, sans le dire expressément, mais par les motifs qui permettent de placer en détention provisoire ou de la prolonger et qui sont énumérés par l’article 144 du Code de procédure pénale (protection des preuves – 1° à 3° de l’art. 144 ;  protection de l’intéressé – 4° – ; Obstacle au renouvellement de l’infraction et à la fuite de la personne poursuive – 5° et 6° – ) . Or il ne le fait pas et le seul motif invoqué est encore le trouble à l’ordre public (7° de l’art. 144) alors que celui-ci n’est pas applicable à la détention provisoire en matière correctionnelle. Et s’il ne le fait pas, c’est parce que ces motifs n’existent pas. La poursuite ou le renouvellement de l’infraction ne sont pas possibles et l’atteinte aux preuves dix-huit ans après les faits non plus. On ne peut pas dire que le placement en détention protège Nicolas Sarkozy alors que les derniers jours ont montré que c’est le fait d’être en détention qui lui fait courir des risques au point d’avoir dû installer deux policiers armés (en contradiction avec les principes pénitentiaires) dans une cellule voisine de la sienne. Quant à la fuite de Nicolas Sarkozy, on l’imagine mal quitter la France déguisé ou caché dans un container ou un coffre de voiture.

Le Tribunal ne pouvait donc ignorer que l’emprisonnement de Nicolas Sarkozy ne devrait probablement pas se poursuivre très longtemps et surement, quoiqu’il arrive, pas pendant cinq ans. Et l’on en arrive à la conclusion qu’en prononçant l’exécution provisoire de sa décision le Tribunal a voulu s’offrir la joie d’assister à une entrée de Nicolas Sarkozy en prison. Mais nous avons dit que nous ne parlerions que de droit…

HALTE A UNE FEMINISATION aussi inutile que ridicule

Depuis quelques années, des femmes probablement pleines de complexes mais dont certaines sont puissantes, militent pour la féminisation de la langue avec un certain succès.

 

Cela a commencé avec les titres et les fonctions. Nous avons vu fleurir les procureures, les docteures, les professeures. C’est totalement inutile, c’est contestable et souvent ridicule.

C’est inutile parce que cela résulte de la langue Française qui ne connait pas de neutre, contrairement à d’autres langues (he, she, it). En conséquence, le neutre, et les titres et fonction sont neutres par principe, se dit comme le masculin ( se dit, pas est). Une femme est procureur, docteur ou professeur sans que son sexe change quoique ce soit à la situation.

C’est, ensuite, ridicule car il est d’abord difficile de ne pas voir que cette féminisation se fait par une torture de la langue française dans l’indifférence, quand ce n’est pas la collaboration de l’Académie Française pourtant instituée défenseur (oui, défenseur) de la langue du même nom. Car le féminin de procureur, s’il fallait lui en donner un, n’est pas procureure mais procuratrice et celui de docteur, doctoresse. Quant au professeur…tiens, il n’a pas de féminin connu. Ce pourrait être Professoresse. Mais cela n’est ni revendiqué, ni usité (confirmé par le fait que les ordinateurs le signalent comme incorrect). Cela devrait commencer à interpeller. Une autre raison de le faire, abordée avec la professoresse, est le fait que la méthode trouve ses limites en elle-même lorsque le ridicule du résultat ne peut échapper à personne. A notre connaissance personne n’a revendiqué d’être qualifiée de pompière, d’officière, de ministresse, de chevalière, de médecine (qui a un autre sens) ou de chasseuse-alpine. Les membres féminins promus dans l’Ordre de la Légion d’honneur ont toujours été qualifiées, et c’est heureux, de Grand officier, Commandeur, Officier et chevalier !

Il est vrai qu’il y a des exceptions traditionnelles. La première et la plus certaine concerne les prénoms. Il y a toujours eu des Danielle, Pierrette et Alphonsine. La seconde exception est relative à certains langages spécifiques comme celui de la justice : les personnes impliquées dans un procès ont toujours été qualifiée, de « demanderesse » et « défenderesse ». D’autres, comme époux et épouse, sont traditionnels. Il n’est pas question de revenir sur cette tradition lorsqu’elle existe. Il faut toutefois se méfier de certains féminins, eux aussi traditionnels, notamment dans le commerce. S’il y a toujours eu des bouchère, bonlangère ou pâtissière, ce ne sont pas des personnes qui découpent la viande, font du pain ou des gâteaux mais ce sont celles qui les vendent aux clients. Il s’agit donc de deux choses différentes et il est normal de les qualifier différemment.

Mais il y a plus grave car en modifiant les termes on sous-entend nécessairement que le même titre et la même fonction sont différemment invoqués et exercés selon qu’ils le sont par un homme ou par une femme. C’est une discrimination injustifiée.

 

Il y a pire : lorsque le féminisme (et même un ministre féminin en exercice) entend s’attaquer à certaines formules ou certains textes fondamentaux : la devise du Panthéon (« Aux grands hommes la Patrie reconnaissante ») ; l’intitulé et l’article essentiel de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, (« Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit » ).

Nous avons déjà constaté que la langue française est insuffisante, comparée à d’autres langues. Elle emploie, en effet,  le mot « homme » pour désigner à la fois les personnes de sexe masculin et les êtres humains. Mais il faut être d’une particulière mauvaise foi pour soutenir que les hommes du Panthéon ou ceux de la Déclaration ne comprennent pas les femmes. On a tourné la difficulté en citant désormais les « droits humains ». Ce n’est pas faux mais bien laid. Il vaudrait mieux, à la limite, parler de « droits des hommes » ou de « droits des personnes humaines » mais certainement pas de « droits des hommes et des femmes ». Ce faisant, en effet, on les sépare les uns des autres, on fracture l’humanité qui n’a pas besoin de ça. Et l’on peut même fournir à quelques extrémistes l’idée de soutenir qu’on fait des femmes des sous-hommes. Faudrait-il parler des « femmes et des hommes » ? Personne ne l’a demandé jusqu’à présent mais ça pourrait venir !

 

Halte à ces discriminations que rien de justifie.

Il y a une Affaire Fillon mais par d’Affaire Houlette

Certaines des personnes qui me font l’honneur de me lire m’ont reproché de ne pas m’être exprimée à propos des polémiques récemment intervenues notamment sur le rôle joué par le parquet national financier dans l’affaire Fillon. La raison, d’ordre éthique, en est extrêmement simple : je ne me manifeste jamais quand un jugement est en délibéré. Les choses étant maintenant connues, je me sens libre d’y revenir.

L’affaire Fillon

Je tiens à dire, en premier lieu, que je n’ai rien à retirer à l’article déjà publié dans ce Blog, sur cette affaire, à son commencement (Fillon…comment dire ? … Assez, 16 fév. 2017).

En l’état actuel des choses, le débat sur la plus ou moins grande sévérité de la décision de condamnation des époux Fillon n’a pas lieu d’être car celle-ci n’aurait jamais dû être rendue. Il demeure, en effet, parfaitement évident que la justice n’était pas compétente pour être saisie des faits dont il s’agit et dans aucune de ses formations, parquet national financier ou autre. Outre les arguments de droit pénal et de procédure pénale exposés en février 2017, la démocratie et la République Françaises ce sont des élections libres, une Constitution et des Principes fondamentaux des lois de la République. Or le premier de ces principes, à la fois historiquement et dans l’importance est celui de la séparation des fonctions illustré par Montesquieu. Le pouvoir de la justice s’arrête devant la porte de l’Assemblée nationale, devant celle du Sénat et devant celle de l’Elysée, dès lors que les faits reprochés sont en rapport avec l’exercice du pouvoir législatif, dans un cas et exécutif dans l’autre. Il est invraisemblable que les présidents des assemblées parlementaires acceptent de fournir à la justice, dans quelque cadre que ce soit, des documents sur le fonctionnement de leurs assemblées ou tolèrent des perquisitions dans leurs locaux, car c’est manifester bien peu de respect pour les éminentes fonctions qu’ils et qu’on y exerce. Et je regrette tout particulièrement que, contrairement à ce qui m’avait paru évident en février 2017, François Fillon et les personnes poursuivies en rapport avec ses activités de parlementaires aient accepté de participer à la procédure dans le cadre de laquelle ils étaient poursuivis et n’aient pas eu le courage de faire à toute interrogation la seule réponse adéquate et digne qu’ils auraient dû faire : « le pouvoir judiciaire ne peut pas contrôler l’action d’un parlementaire qui relève du pouvoir législatif ». De la part d’un ancien Premier ministre candidat à la Présidence de la République, c’est regrettable.

Si Madame Fillon et leurs enfants ont été rémunérés à tort pour des travaux fictifs, c’était à l’Assemblée nationale et au Sénat : 1) de vérifier que les sommes à verser étaient réellement dues ; 2) d’en demander le remboursement s’il s’avérait que ce n’était pas le cas. N’étant pas publiciste j’ignore le détail des règlements intérieurs des Assemblées parlementaires, mais s’ils ne comportent pas de dispositifs de cette nature, ce qui serait fort étonnant, il faut les y introduire, les appliquer et s’en tenir là, la justice n’ayant aucunement le droit de contrôler la façon dont les parlementaires exercent leurs missions.

Mais il y a pire dans la confusion et sur deux points.
En premier lieu, on apprend que l’Assemblée Nationale s’est constituée partie civile dans le procès fait à François Fillon pour demander le remboursement de ce qu’elle prétend avoir versé à tort. Non seulement l’Assemblée Nationale n’est pas capable de défendre ses prérogatives face aux autres institutions de l’Etat et ses droits à l’égard de ses membres, mais encore elle a suffisamment peu de respect pour elle-même pour aller demander de l’aide à la Justice. Ajoutons, d’ailleurs, que si l’Assemblée Nationale a versé à tort les sommes en question et n’en a pas déjà demandé le remboursement, c’est de sa faute par manque d’attention et de contrôle et qu’il faut, une fois de plus, avoir bien peu de respect pour l’Etat pour aller exposer publiquement, si ce n’est revendiquer ses erreurs, quand on est le pouvoir législatif. Le pauvre Montesquieu n’avait pas envisagé une telle petitesse de ces fonctions qui lui paraissaient être la meilleure garantie d’une démocratie.
En second lieu, il est aberrant de voir traité dans la même décision les faits relatifs à un travail fictif de la famille Fillon dans le cadre des fonctions parlementaires de François Fillon et une banale affaire de rémunération excessive de Pénélope Fillon par une entreprise de droit privé qui relève bien, elle, mais elle seule de la justice judiciaire.

Le problème Houlette.

Tout le monde ne pratiquant pas le même devoir de réserve à propos des affaires en délibéré, Madame Houlette, ancien procureur national financier aujourd’hui à la retraite entendue par une commission parlementaire a fait état de lourdes pressions exercées sur son action dans l’affaire Fillon par le procureur général passant notamment par l’ordre de mettre un terme à son enquête préliminaire et par un contrôle étroit manifesté par des demandes d’information répétées.

On a quelque mal à comprendre ce qui peut soulever ici la moindre interrogation ou critique (Voir, sur ce Blog, Ministère public : état des lieux, 24 fév. 2014). Ce qui peut poser problème, pour le ministère public, ce sont les pressions que le pouvoir politique, par le biais du Garde des Sceaux, peut exercer sur les magistrats du ministère public. Pour le reste, quelles que soient les réformes demandées ou à venir, il ne peut pas être question de supprimer, au sein du ministère public, ni la dépendance des substituts à l’égard de leur chef de parquet ni davantage l’organisation hiérarchique entre les parquets de première instance et le parquet général car il en va de la cohérence de l’action publique tandis qu’il n’y a pas de risque de pressions inappropriées dès lors qu’on est entre soi, c’est-à-dire entre membres du ministère public. Cohérence de l’action publique car il ne peut être question de poursuivre de façon différente des faits comparables ni sur l’ensemble du territoire, ni au sein d’un même parquet. Absence de risque puisque les demandes d’information et les ordres du parquet général relatifs à l’action du parquet de première instance (national financier) sont prévus par le Code de procédure pénale et aussi légaux que légitimes.

Il est tout d’abord normal que le procureur général ait donné l’ordre d’ouvrir une instruction car dès lors qu’il était connu qu’une enquête préliminaire avait été mise en route contre une personne dénommée, il était dans l’intérêt de cette personne que l’instruction soit ouverte car cela lui donne de plus grandes facilités pour l’exercice de sa défense. Ce qui a posé problème dans l’affaire Fillon c’est la maladresse de l’intéressé lui-même qui, étant allé chercher des verges pour se faire battre, avait déclaré que seule une mise en examen pourrait l’amener à retirer sa candidature ce qui était, au minimum et à l’évidence aussi inopportun qu’injustifié. Soit dit en passant cela démontre, une fois de plus, à quel point le personnel politique, y compris du plus haut niveau, est le plus souvent ignorant en matière de droit et de justice et, la plupart du temps, mal entouré de ce point de vue.
Quant à l’importance des demandes de renseignements on la comprend car ce n’est tout de même pas tous les jours qu’un ancien premier ministre est poursuivi ce qui justifie l’intérêt nécessairement très grand que le parquet général doit porter à la façon dont les choses sont conduites.

Mais surtout, Madame Houlette semble oublier l’essentiel, que c’est elle et elle seule (du moins n’a-t-elle jamais dit le contraire) qui a décidé, 24h après la parution du Canard enchainé faisant état des faits reprochés à François Fillon, d’ouvrir une enquête préliminaire et de le dire. Rien ne l’empêchait, en effet, avant de donner une publicité à son action, de mener des investigations complémentaires, dans le silence que permet l’enquête préliminaire, alors surtout qu’il s’agissait de faits très anciens (pour la plupart, d’ailleurs, prescrits à mon avis). Nous ne ferons pas à l’intelligence de Madame Houlette l’outrage de croire que s’agissant d’un candidat à la Présidence de la République de droite et que tout le monde déclarait archi favori, elle a pu penser que les propos du Canard enchainé étaient suffisamment objectifs pour qu’un parquet puisse les prendre pour argent comptant. Si elle n’avait pas ouvert cette enquête préliminaire, dans ces conditions, au moins, rien de ce dont elle se plaint, ensuite, ne serait arrivé.

Fillon, Houlette et l’instrumentalisation de la justice

Sans que soit en rien remis en cause, sur le plan juridique, ce qui a été dit jusque-là, personne ne peut être assez naïf pour croire que la justice n’a pas été instrumentalisée contre François Fillon.

D’abord parce que si rien ne s’oppose à une hiérarchie interne du ministère public faisant circuler les informations et les ordres, il faudrait être certain qu’il ne s’est agi que de cela et que le parquet général n’agissait pas comme courroie de transmission du pouvoir politique en place. Rien ne permet de le dire. On ne le sait pas et on ne le saura jamais, mais on ne pourra jamais empêcher que beaucoup le pensent.

Mais il faut surtout regretter qu’on ait abandonné la coutume ancienne et très sage qui voulait qu’en période électorale les poursuites pénales ne soient pas mises en route ou soient suspendues à l’égard des candidats à l’élection en cours et seulement reprises ensuite (sauf à l’égard du Président de la République élu). Aujourd’hui la règle est inversée et l’ouverture d’une campagne électorale sonne comme l’hallali qui fait se précipiter des chasseurs mal intentionnés à la recherche de tout ce qui pourrait plomber les candidats.
Puisque l’éthique des magistrats n’est plus suffisante pour leur faire respecter la traditionnelle coutume, il faut l’institutionnaliser dans la loi organique pour le président de la République et au Code électoral pour les autres élections en précisant que l’action publique contre les infractions autres que de violence reprochées à un candidat ne peut être ni mise en route ni poursuivie durant une campagne électorale, la prescription étant suspendue durant cette période. Et il faudrait aussi que l’on réfléchisse à un moyen qui, sans porter une atteinte excessive à la liberté d’expression permette d’être plus strict sur le respect de la présomption d’innocence des candidats qui n’ont pas été définitivement condamnés.

Les diners de l’hôtel de Lassay

L’UNESCO a classé la gastronomie française au patrimoine mondial immatériel de l’Humanité.

C’est un honneur mais c’est surtout un devoir au regard tant de la réputation de la France que de la bonne santé de son économie.

Il devrait en résulter qu’a minima, la Présidence de la République, les présidences des Assemblées parlementaires, le gouvernement, les présidence de régions et les préfectures ne devraient servir dans leurs hôtels respectifs que des repas gastronomiques et être sévèrement rappelés à l’ordre quand ils ne le font pas. Il ne s’agit pas, pour les élites, qu’il est de bon ton de vilipender, de se goinfrer aux frais des contribuables mais de remplir les devoirs de leurs fonctions dans l’intérêt de notre pays en mettant en lumière ses produits et son savoir-faire.
Si cela s’est fait, durant un certain temps, à la présidence de l’Assemblée Nationale (ce dont on peut discuter, nous allons le voir) tant mieux. Que Mediapart donc le rêve est de semer la pagaille fasse feu de tout bois est une chose, que la presse réputée sérieuse emboite le pas en est une autre et que nos politiques ne soient pas capables de faire le minimum de pédagogie pour faire comprendre, même au plus borné des gilets jaunes, ce qu’il en est réellement, en est une troisième et franchement désespérante.
Et quand un secrétaire d’Etat réputée pour réagir plus vite que son ombre et le plus souvent bêtement, ce qui n’a pas loupé ici, se vante que dès son arrivée dans son ministère elle a donné pour instructions que l’on n’y serve que de l’eau en carafe ( !!!) et des plats très simples, elle devrait être convoquée par le Premier ministre, en compagnie, au moins, du ministre de la culture, de celui de l’agriculture et de celui en charge du commerce extérieur pour lui rappeler les devoirs d’une fonction qu’on a été bien léger de lui confier.

Certes, ce qu’on a dit des diners de l’Hötel de Lassay n’est pas totalement bienvenu, du point de vue qui est le nôtre, et il est inquiétant, pour la gastronomie francaise, de voir que personne, à notre connaissance, n’a fait les trois remarques qui suivent ce qui nous a conduite à les faire.
Il n’est pas, d’abord, satisfaisant de voir présenter le homard comme un produit d’un luxe extrême. Dans l’ordre des crustacés, le homard est plutôt du milieu de gamme, le haut du panier étant occupé par la langouste qui devrait être préférée.
Un reproche pourrait peut-être être fait à Monsieur de Rugy s’il n’a pas pris la précaution, dès lors qu’il manifestait une préférence pour le homard, de s’assurer que l’on servait bien, chez lui, du homard français. Il est bien connu, en effet, que la quasi-totalité du homard consommé en dehors des régions côtières est de provenance nord-américaine et plus précisément canadienne ce que la signature du CETA ne devrait pas arranger. Si les palais nationaux doivent faire de la gastronomie ce ne peut être qu’avec des produits de France.
Enfin il semble que l’ire de médiapart ait été stimulée par une photo montrant des homards en compagnie d’un Premier grand cru classé du Bordelais qui est, bien, lui, un produit d’exception. Si l’on peut se féliciter que les deux aient été servis, il faut tout de même souhaiter que cela n’ait pas été en même temps, le Château d’Yquem sur du homard relevant du désastre œnologique.

HALTE AUX VIOLENCES FAITES AUX « FEMMES »

La violence, sous quelque forme qu’elle se présente est une abomination.

De ce point de vue, il me parait indiscutable et je l’ai déjà beaucoup écrit, y compris sur ce Blog, que la politique pénale menée dans ce pays contre toutes les formes de la violence manque fâcheusement de l’efficacité et de la sévérité qui seraient nécessaires. Il est, en effet, manifeste que tous les dispositifs faits pour atténuer soit la rigueur du droit pénal, soit celle de la procédure pénale, soit celle de l’exécution des peines profitent essentiellement aux infractions de violence alors qu’ils devraient, au minimum, être limités, voire supprimés dans leur extension et leurs effets à l’égard de cette forme de délinquance. Il reste une thèse à faire sur la violence telle qu’elle est traitée par Code pénal de 1992. J’avais bien proposé à un candidat au doctorat de la faire mais il n’a pas abouti pour des raisons personnelles.

Cela étant dit, ce n’est certainement pas par l’oubli ou, pire, le travestissement de la réalité des choses qu’il faut commencer et, de ce point de vue la répétition permanente d’une nécessité de lutter contre les violences faites aux « femmes » lorsqu’on traite, en réalité, des violences domestiques peut en agacer plus d’un dont je suis.

Il ne faut pas perdre de vue, en effet, que, selon les statistiques officielles, les hommes représentent 17% des victimes d’infractions domestiques. C’est, certes, une minorité mais pas une minorité négligeable et on se demande bien comment elle peut, en permanence être oubliée dans les nombreuses déclarations d’un secrétaire d’Etat qualifié de « à l’égalité des hommes et des femmes ».

Et cela d’autant plus que ce chiffre officiel est très probablement fortement sous-évalué.

Pour les violences physiques ou sexuelles, on ne cesse de répéter qu’il est très difficile pour les femmes de porter plainte. Mais croit-on vraiment qu’il est simple pour un homme de se rendre au commissariat de police pour dire qu’il est maltraité par sa compagne ? S’il y a un chiffre noir pour infractions commises contre les femmes, il y a tout lieu de penser que celui-ci est beaucoup plus élevé pour les infractions du même type commises contre les hommes.

Quant au pire, les homicides, on a de forte raisons de penser qu’ils échappent largement à leur qualification véritable lorsque la victime est un homme.

Quoiqu’en dise les maniaques du genre et de l’uniformité, les hommes et les femmes sont différents, notamment, dans la majorité des cas (il y a toujours des exceptions) sur le plan de la force physique. Quand un homme veut tuer sa compagne, il le fait généralement lui-même. Quand une femme veut voir mourir son compagnon, elle le fait tuer par un autre, le plus souvent son amant et le meurtre est enregistré comme meurtre ordinaire puisque l’auteur et la victime n’ont pas de lien de famille. Il n’est donc pas recensé comme meurtre domestique.

Qu’on veuille faire de la lutte contre les violences domestiques une cause particulière, pourquoi pas. Toute forme de lutte efficace contre la violence est bienvenue. Mais qu’on cesse de ne parler que des violences faites « aux femmes ». Et surtout que l’on n’oublie pas que les vraies victimes ce sont les enfants.

ELOGE ET DEFENSE DE L’ATTENDU

Il y a quelques jours je suppliais, dans Droit pénal , la Chambre criminelle de la Cour de cassation de bien vouloir lorsqu’elle rendait une décision de principe la motiver de façon telle que ses interprètes naturels comprennent ce qu’elle veut dire, mais non sans avoir débuté le paragraphe en stigmatisant l’affreuse démagogie qui fait périodiquement réclamer que les textes de lois et les décisions de justice soient directement accessibles à tout un chacun.
La lecture de mon quotidien du matin m’apprend que j’ai perdu sur les deux tableaux puisqu’on y annonce que la Cour de Cassation a décidé de renoncer à la rédaction de ses décisions sous forme d’« attendus ».
Autrement dit, la Cour de cassation, sombrant dans la démagogie du temps (et jugeant intelligent de suivre le Conseil D’État) à décider de sacrifier le droit en renonçant à rédiger ses décisions sous la seule forme susceptible de leur donner sens et complétude.

Certes, je ne suis pas suffisamment prétentieuse pour croire que la Chambre criminelle n’est là que pour me faire plaisir, ni même me lire (et j’ai de nombreuses preuves qu’elle ne le fait pas), mais la question ici posée relève de l’essence du Droit et de la Justice.
Car il faut bien comprendre de quoi il s’agit et les linguistes ont de tout temps attiré l’attention sur le fait que la forme a nécessairement une influence sur le fond.

La rédaction sous forme d’attendus (que les juridictions de droit public, nées plus tard, avaient traduit en « considérant » ce qui n’est qu’une façon de se singulariser mais ne touchait pas, ici, au fond du problème) n’a pas été inventée par des pédants soucieux de compliquer la vie de ceux qui rédigent et de cultiver l’hermétisme pour ceux qui lisent. Elle a été inventée parce qu’elle est, dans le domaine concerné, la seule façon raisonnable de raisonner.
Quand on rédige sous forme d’attendus (et tous ceux qui l’ont fait le savent, à peine de faire preuve de mauvaise foi ou de privilégier l’air du temps) et qu’on oublie quelque chose qui doit être dans la décision, on est inévitablement bloqué et dans l’impossibilité de continuer. C’est un indispensable et unique garde-fou pour ceux qui doivent répondre à toutes les questions posées par l’affaire à juger et, en toute hypothèse à toutes celles qui leur ont été posées.

On pourrait se consoler en se disant que la Cour de cassation qui ne cesse de militer (c’est un autre problème) pour la réduction de son contentieux va être punie par où elle pêche en voyant exploser les recours suscités par des décisions des juges du fond, rédigées en langue vulgaire, et qui auront de ce fait oublié une partie de ce sur quoi elles devaient statuer faute d’avoir eu le signal d’alarme de l’attendu. Mais ce serait faire fi du Droit et de la Justice.

Petit conseil à tous ceux qui se forment pour être magistrats et à tous ceux qui le sont et veulent bien réfléchir. Il ne va pas plaire car il oblige, a priori, à passer davantage de temps (un ingrédient de plus en plus précieux dans la magistrature) sur la rédaction, même si je suis convaincue, qu’à terme il en fera gagner et si, en tout état de cause, il évitera bien des mécomptes de fond. Commencez toujours par rédiger vos décisions sous forme d’attendus. Et si les fous qui nous gouvernent s’entêtent à vous contraindre à rédiger en langue ordinaire, faites ensuite une traduction de votre décision. Et mettez la bonne en mémoire. Cela vous aidera pour la suite et tout le monde y gagnera, vous, le Droit et la Justice. Sinon…

ALEXANDRE BENALLA ET LES ECOUTES SAUVAGES

On apprend que Messieurs Benalla et Crase viennent d’être incarcérés pour non-respect du contrôle judiciaire qui leur avait interdit de se rencontrer, sur la base de l’enregistrement d’une conversation qu’ils auraient eue lors d’une rencontre qui leur était interdite.
Au regard des règles du droit, cet enregistrement ne peut être qualifié autrement que de «sauvage » dans la mesure où il n’a été réalisé, ni sur demande de l’autorité judiciaire, ni sur celle de l’autorité administrative dans les cas où elle aurait été autorisée à le faire. A proprement parler, d’ailleurs, on ignore tout des conditions dans lesquelles ledit enregistrement a été réalisé, de son lieu, de son auteur et du cheminement qu’il a bien pu parcourir pour parvenir dans un media bien connu pour être spécialisé dans ce genre de collecte et qui l’a diffusé.
On comprend donc que les défenseurs des deux mis en examen soutiennent la nullité de la procédure qui a admis, comme preuve du manquement sanctionné, le dit enregistrement.
Pour autant, on ne peut, en l’état actuel de la jurisprudence de la Cour de cassation, que douter qu’ils puissent réussir malgré la critique doctrinale pratiquement unanime dont cette jurisprudence fait l’objet depuis des années.
On aurait évidemment préféré que la question fut posée à propos de personnages plus sympathiques que ceux ici concernés, mais c’est tout de même assez fréquent en droit pénal et le droit est le droit et ne dépend pas de ceux à qui on l’applique.

Si, sauf cas particuliers, tous les modes de preuve sont admissibles en procédure pénale, il est également vrai qu’on ne peut ni obtenir, ni produire n’importe comment des éléments de conviction. Chacun d’eux répond à des procédures précises de récolement et de production que l’on traduit en parlant de la légalité et de la loyauté de la preuve. De cela il se déduit logiquement que doivent être repoussées les preuves obtenues par des procédés déloyaux comme les perquisitions illégales, les pièces issues de la commission d’une infraction pénale, l’intervention d’agents publics sous une fausse identité…ou les sonorisations ou enregistrements sauvages de conversations.
Malheureusement et depuis toujours, la Chambre criminelle de la Cour de cassation juge que les règles de loyauté ne concernent que les agents publics et ne s’imposent donc pas aux simples particuliers. Elle admet, en conséquence, le dépôt au procès pénal, par des parties civiles ou de simples témoins, de tous éléments de conviction sans tenir compte du moment de leur obtention (avant les faits ou durant la procédure) ou du moyen utilisé (ils peuvent avoir été acquis par une infraction pénale, même éventuellement sanctionnée comme telles – vol de documents – ). Ce faisant, la jurisprudence consacre, au profit des simples particuliers, un pouvoir d’investigation exempt de toutes règles et contraintes, sans la moindre justification. Rappelons que dans cet ordre d’idées on a récemment estimé convenable le jugement en France d’une personne que la partie civile avait fait arrêter et détenir illégalement depuis l’étranger par des hommes de main alors qu’un jugement en France ne peut intervenir, à l’initiative des pouvoirs publics, que si le prévenu ou l’accusé est venu ou revenu spontanément dans le pays ou a été remis au résultat de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen ou d’une procédure d’extradition.

Les conséquences de cette jurisprudence sont regrettables d’abord sur le terrain de la fiabilité de la preuve car on ne peut avoir aucune garantie sérieuse sur la qualité, le lieu exact d’appréhension ou encore la consistance réelle de ce qui est apporté par des particuliers pour servir de preuve et qui a parfaitement pu être fabriqué ou falsifié pour la circonstance. Il est clair, ensuite, qu’on crée une forte tentation pour les agents publics qui savent qu’ils ne sont pas autorisés à faire quelque chose (procéder à une sonorisation sans que les conditions en soient remplies, par exemple), à inciter des particuliers intéressés aux faits, voire de simples hommes de paille recrutés pour la circonstance, à faire ce qu’ils ne peuvent pas faire eux-mêmes puis à accepter le dépôt des preuves ainsi frauduleusement obtenues.

La première justification que donne la jurisprudence de la Chambre criminelle à cette position surprenante est que la liberté des preuves doit prévaloir dès lors qu’il n’y a pas de texte en sens contraire et que la réglementation de l’obtention des preuves n’étant prévue et sanctionnée que pour les agents publics et non pas pour les particuliers (on serait tenté d’ajouter « et pour cause » !), la liberté de ceux-ci reste entière dans la recherche et le dépôt des preuves. Le second argument est qu’il appartient à la juridiction saisie de quelque mode de preuve que ce soit d’en apprécier la valeur probante.
En droit, l’argument selon lequel le juge apprécie librement la valeur des preuves peut être immédiatement récusé dans la mesure où la question de l’appréciation de la valeur d’une preuve ne peut se poser que si l’élément de preuve en cause est recevable ce qui est tout le problème ici discuté. En fait, la connaissance d’éléments de preuve, même si le juge du fond les récuse ensuite pour manque de loyauté ou de fiabilité, ne peut pas ne pas exercer une influence sur la formation de son opinion surtout dans un système d’intime conviction et tout particulièrement lorsqu’interviennent des jurés mal formés à faire la différence entre preuves officielles et officieuses. Quant à l’argument tiré de l’absence de réglementation des pouvoirs de recherche des particuliers, il constitue toute la négation de la procédure pénale car on ne voit pas pourquoi on se donnerait le mal de réglementer les droits et obligations des agents publics si d’autres qu’eux peuvent obtenir les mêmes éléments de preuve sans respecter aucune des règles ou restrictions qui leur sont imposées, à eux : quel est l’intérêt de réglementer les perquisitions publiques si les particuliers sont autorisés à voler les éléments qui devraient être saisis ? Si seul le récolement des preuves par les agents publics est réglementé c’est parce qu’il est invraisemblable que l’on autorise de simples particuliers à se livrer à des investigations personnelles et que le Code de procédure pénale n’a donc pas pu le prévoir. Les simples particuliers peuvent participer à la procédure par leurs déclarations. Il ne devrait pas pouvoir être question de les autoriser à se livrer, pendant le cours de la procédure, à des enquêtes forcément partiales et libérées de toute contrainte.

Dans la ligne de sa jurisprudence générale, la Chambre criminelle de la Cour de cassation applique naturellement le même principe à la question des enregistrements de conversations téléphoniques, télématiques ou directes. Elle l’a jugé d’abord dans le cas de l’interception par des victimes de persécutions téléphoniques du « corps des délits » au motif qu’entièrement dédié à l’enregistrement d’une infraction pénale ce comportement n’atteignait pas l’intimité de la vie privée. L’argument peut convaincre sur le strict terrain de l’atteinte à la vie privée mais ne répond nullement à l’exigence d’une fiabilité de la preuve qui n’existe pas quand un simple particulier enregistre ce qu’il veut, quand il veut, comme il le veut (ou le peut). Il en est de même de la jurisprudence qui justifie, au nom des droits de la défense, le fait qu’une partie civile se procure illicitement les moyens de cette défense. Qu’est-ce qui garantit que la personne qui produit des éléments qu’elle a appréhendés sans contrôle n’a pas fait un choix dans ceux qui étaient disponibles pour ne garder que ceux qui soutenaient sa thèse ?
La même solution a été ensuite reprise à propos d’une partie civile « enquêtant » en cours de procédure (et qui plus est, à la demande des policiers chargés de l’affaire) et qui produisait l’enregistrement d’une conversation de longue durée avec le suspect pendant, après et peut-être même pendant qu’ils entretenaient des relations sexuelles. Outre le même grief de non-fiabilité (attesté ici par un rapport d’expertise acoustique), l’atteinte à l’intimité de la vie privée était patente.
La même justification par la qualité de victime enregistrant une infraction pénale a été encore retenue par la Chambre criminelle à propos d’un policier ayant enregistré en enquête de police, une conversation qu’il avait eue avec un suspect lui ayant fait des offres de corruption. Si la fiabilité et l’absence d’atteinte à l’intimité de la vie privée peuvent être ici admises, la justification par la qualité de « victime » est ridicule, la victime d’une infraction de corruption de policier n’étant pas le policier qui n’en est que le moyen mais la collectivité publique.
Enfin, le procédé est aujourd’hui justifié en ce qui concerne des enregistrements réalisés par un tiers « dans l’intérêt » d’une personne qu’il estimait victime d’infractions et qu’il souhaitait défendre, hypothèse qui réunit tous les défauts de la méthode alors surtout que les propos enregistrés étaient une conversation entre un avocat et son client.

Quelles sont, dans ces conditions, les chances pour M. Benalla d’obtenir l’annulation qu’il demande ? Elles sont minces, à moins que la Chambre criminelle ne veuille bien se rendre compte du caractère indéfendable de sa position.
On a pu nourrir quelques espoirs lorsque l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a annulé le 7 janvier 2011 une procédure commerciale au cours de laquelle l’une des parties avait obtenu une preuve de manière illicite ; que les chambres civiles ont adopté le même point de vue et que la Chambre criminelle a invalidé le dépôt d’un enregistrement fait par un particulier au motif que les agents publics avaient été associés au mécanisme tout au long de son déroulement. Elle empêchait ainsi la collusion entre des agents publics qui feraient faire par un particulier quelque chose qui n’entre pas dans leurs pouvoirs mais la déloyauté privée pure demeurait admise. Malheureusement, ce qui demeure incompréhensible, un arrêt de 2015 de l’Assemblée plénière statuant en matière de droit privé semble être revenu sur sa position de 2011 et un autre arrêt statuant, cette fois en matière pénale, a affaibli la dernière position de la Chambre criminelle en relevant que les juges du fond sont libres dans leur appréciation sur le point de savoir s’il y a eu ou non collusion entre les agents publics et les particuliers rassemblant des preuves. Enfin le Conseil constitutionnel lui-même est entré dans la danse même si sa décision rendue le 4 décembre 2013 à propos de la loi du 6 décembre 2013 reste ambiguë.
Dans une décision concernant les articles 37 et 39 de la loi 2013 qui autorisent les administrations fiscales et douanières à exploiter toutes les informations qui leur parviennent, même si elles sont d’origine illicite, le Conseil a formulé une réserve d’interprétation disant que cette possibilité ne sera pas ouverte quand les pièces ou documents concernés auront été obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions ultérieurement déclarées illégales par le juge. Cela semble confirmer que la fraude commise par un particulier est considérée comme normale du point de vue probatoire. Mais d’un autre côté, la même décision a annulé les articles 38 et 40 de la même loi qui autorisaient les mêmes administrations à se prévaloir de documents illicites pour solliciter du juge un droit de perquisition sans distinguer selon que l’origine illicite était imputable à l’administration ou à un particulier ce qui laisse subsister une marge de doute.

En clair (si l’on peut dire) la jurisprudence de la Chambre criminelle considère que l’illégalité et donc la déloyauté d’une preuve n’altère pas la force probante de l’élément fourni dès lors qu’on est certain qu’il n’émane pas d’agents publics et cela quelles que soient les autres circonstances de l’appréhension de cet élément.
Mais on trouve dans la jurisprudence des autres formations de la Cour et du Conseil constitutionnel des décisions qui contredisent cette jurisprudence.
Le moment n’est-il pas venu pour la Chambre criminelle de se rendre compte que sa position n’est pas défendable ?

MORT DE LA THEORIE DE LA PEINE JUSTIFIEE ???

Depuis quelques semaines, les rubriques de procédure pénale des revues classiques bruissent de murmures aux termes desquels une vénérable vieille compagne de route de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, connue sous le nom de Théorie de le peine justifiée aurait été abandonnée dans les épaves juridiques par la même Chambre criminelle.

Et plusieurs praticiens m’ont contactée directement pour connaitre mon avis.

Compte tenu de l’importance de la question et du fait qu’une nouvelle édition de ma procédure pénale n’est pas prévue avant quelques temps, j’estime pouvoir répondre ici.

Je vais cependant devoir encore une fois (la 2ème ou la 3ème ?) présenter des excuses à ceux qui suivent ce blog pour se tenir informés sans trop de prise de tête de l’actualité pénale. Ici on va battre les records précédents de technicité. Mais pour tenter de maintenir une balance, je préviens tout de suite les juristes que je ne donnerai pas des références qui sont accessibles partout.

 

Depuis le début du XIXe siècle (on a l’habitude faire remonter cette jurisprudence aux années 1830), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a adopté une position prétorienne selon laquelle elle peut rejeter les pourvois formés devant elle pour des décisions rendues sur le fond, même si les décisions déférées sont erronées, du moment que l’erreur commise n’a pas eu d’incidence sur la peine prononcée. Elle estime, en effet, que la peine qui est prononcée par la décision annulable étant la même que celle qui aurait pu l’être, sans l’erreur de droit commise, la décision critiquée n’a pas porté préjudice au plaignant qui n’a donc pas intérêt à agir : une condamnation à un an d’emprisonnement pour escroquerie est justifiée même si les faits constituent un vol car la peine d’un an aurait pu être prononcée sous cette qualification correcte. La Cour de cassation se borne donc, dans ce cas, à redresser l’erreur commise et à rejeter le pourvoi sans cassation ni renvoi.

Cette jurisprudence s’est assise sur deux articles (411 et 414) du Code d’instruction criminelle regroupés à l’identique dans l’article 598 du Code de procédure pénale et selon lequel l’annulation doit être évitée en cas d’erreur « dans la citation du texte de loi ». Il est clair, qu’est seule envisagée ici, l’erreur matérielle commise dans la citation de la loi (remplacement d’un numéro d’article par un autre) et non les erreurs de fond. Mais la Chambre criminelle ne s’en est jamais tenue là. Elle rejette, en effet, non seulement les erreurs de qualification que nous avons utilisées comme exemple, mais aussi (et ce ne sont que quelques exemples) les confusions de rôle entre les co-auteurs et complices ou encore les erreurs commises dans des poursuites sur qualifications multiples ou des circonstances aggravantes multiples du moment qu’une d’entre elles, au moins, correspond à la peine prononcée ou encore si l’erreur de qualification a profité à la personne poursuivie en lui faisant attribuer une peine inférieure à celle encourue sur la qualification exacte.
Pour que la chambre criminelle casse un arrêt rendu sur le fond il faut donc une erreur de qualification ou s’attachant aux faits ou aux personnes et ayant eu une influence sur les limites de la peine.

Si l’on met de côté l’intérêt, jamais négligeable, de la réduction du contentieux, la théorie de la peine justifiée n’a que des défauts ce qui fait qu’elle s’est exposée de tout temps à de graves critiques unanimes (ce qui est rare) de la doctrine pénaliste (y compris, parfois, nous allons y revenir, celle émanant de magistrats). Une première remarque s’impose : pour avoir résisté à cette déferlante depuis cent quatre-vingts ans, il faut avoir une solide santé.

La première critique que l’on peut faire est que la théorie n’a pas la moindre base textuelle sérieuse. La seconde, traditionnelle de tout ce qui est jurisprudentiel, est l’incertitude et la tendance à l’extension bien compréhensible dans la mesure où la Cour de cassation, inventeur du système, en est aussi le bénéficiaire. La troisième est de confondre intérêt de droit et immédiat et intérêt de fait et à plus long terme. Même si une erreur de qualification est, en droit, sans influence immédiate sur la peine qui pouvait être prononcée, il est inexact de dire qu’il est, en fait, sans intérêt, d’être condamné sous telle ou telle qualification qui peut avoir une connotation sociale variable et particulièrement pour une infraction génériquement plus grave (un délit) que celle réellement commise (une contravention). Pis encore, il ne peut être sérieusement dit qu’il est indifférent d’être condamné pour une seule infraction ou pour plusieurs. De plus, la solution n’est pas, quoiqu’on en dise, sans effets juridiques défavorables car la décision jugée conforme, grâce à la théorie de la peine justifiée, voit son pourvoi rejeté et acquiert donc l’autorité de la chose jugée. Les qualifications retenues, pour fausses qu’elles soient, n’en doivent pas moins avoir leurs effets habituels en termes d’incapacité et de récidive, par exemple
.
Pour répondre à ces critiques, et dans un premier temps, la Cour de cassation s’est efforcée quelquefois (et très vite: 1837, 1847) d’inclure dans son arrêt de rejet une disposition selon laquelle l’arrêt dont le pourvoi était rejeté n’entraînerait aucune conséquence d’aggravation (notamment en matière de récidive). Mais il s’agissait là d’un vœu pieux qui n’avait pas plus de base sérieuse que le raisonnement qui y avait conduit et ne pouvait donc s’opposer au jeu normal de l’autorité de la chose jugée accordée à une décision devenue définitive.

Jusqu’à il y a une quinzaine d’année, aucune question ne se posait sur l’application d’une jurisprudence que personne n’avait réussi à abattre. Il est vrai qu’il se pose aujourd’hui cette question.

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation, qui est censée avoir une autorité particulière et être suivie par les décisions postérieures des chambres statuant seules, a rendu en 2005 une décision prononçant une cassation pour le tout dans une espèce où une seule déclaration de culpabilité était irrégulière et alors que d’autres, retenues à la charge de la même personne, justifiaient la peine prononcée. Elle rejetait donc (mais sans le dire expressément) la théorie de la peine justifiée. Malheureusement pour la bonne compréhension du « revirement », la Chambre criminelle ne s’inclinait pas et rendait, en 2009, un arrêt qui ne s’explique que par la théorie de la peine justifiée. Enfin, en 2018, la Chambre criminelle, dans une situation de fait très comparable à celle de 2005, reprend la même jurisprudence.

Faut-il en conclure pour autant, comme le font certains commentateurs un peu pressés, que la Chambre criminelle a renoncé tacitement mais certainement à la théorie de la peine justifiée ?

Rien n’est moins certain.

D’abord parce qu’il est clair qu’aucun arrêt n’a expressément rejeté la formule.
Ensuite parce qu’il est aventureux de se contenter d’une attitude tacite sur une jurisprudence aussi ancienne et tellement répétée.
Encore parce qu’il ne faut pas oublier que celui (Maurice Patin) qui écrivait en 1936 dans sa thèse de doctorat consacrée à la peine justifiée « J’ai compris un jour qu’il y avait dans le principe…quelque chose de profondément inhumain qu’il n’est pas possible de ne pas prendre en considération…Il n’est pas démontré que l’abandon de la théorie de la peine justifiée soit de nature à énerver la répression, à multiplier le nombre des cassations dans des conditions telles que le bon fonctionnement de la justice criminelle en serait compromis », s’est bien gardé, une fois devenu Président de la Chambre criminelle (et quel président !) de toucher à la méthode et oh combien !
Enfin parce que, beaucoup plus récemment, la même Chambre criminelle a refusé par deux fois de renvoyer au Conseil constitutionnel des QPC qui critiquaient l’application de la théorie de la peine justifiée ce qu’elle n’aurait pas manqué de faire si elle avait véritablement voulu se débarrasser du problème.

La position la plus raisonnable consiste donc à attendre une décision formelle dans un sens ou dans un autre pour savoir ce qu’il en est et je ne peux donc que faire deux choses en conclusion:

1) Inciter les praticiens à ne pas renoncer à invoquer dans leurs écritures la théorie de la peine justifiée si elle peut être utile à leur défense : la morte remue encore beaucoup.

2) Tout en prenant acte de l’affreuse démagogie qui fait périodiquement réclamer que les textes de lois et les décisions de justice soient directement accessibles à tout un chacun (et que l’on verra sans doute refleurir, pour peu qu’il s’intéresse au droit et à la justice, dans le grand débat national), supplier la Chambre criminelle de la Cour de cassation qu’elle veuille bien, lorsqu’elle rend une décision de principe et surtout s’il s’agit d’un revirement sur près de deux siècles de jurisprudence, motiver ses décisions de façon telle que ses interprètes naturels comprennent ce qu’elle veut dire au lieu de se livrer à un « implicite très explicite (!) dont a cru devoir se fendre un commentateur magistrat dans une revue spécialisée à propos de la dernière décision.

JACQUELINE SAUVAGE : PERDANT ; PERDANT.

La procédure pénale est une mécanique et il est indispensable qu’elle le soit pour assurer que tous les citoyens ayant commis des actes comparables sont bien traités de la même façon.
Mais lorsqu’une mécanique traite de l’homme, il est aussi indispensable, pour conserver un aspect humain, qu’elle soit dotée de soupapes de sécurité pour se charger ce qui ne rentre pas dans le moule commun.
En procédure pénale, deux institutions jouent ce rôle. A l’origine de la poursuite pénale, le ministère public est chargé d’en apprécier l’opportunité, en sorte qu’il lui est loisible, même en présence d’une infraction qui semble effectivement commise, de ne pas la poursuivre s’il pense que cette poursuite, loin de rétablir l’ordre public, ce qui est sa vocation, ne ferait que le troubler davantage. A la fin de la procédure, le droit de grâce présidentiel permet de dispenser de l’exécution de la peine le condamné à l’égard duquel il parait que la mécanique s’est quelque part enrayée.

Outre l’unité de leur but, ces deux institutions ont en commun d’être les bêtes noires de la bien bienpensance pénale. Celle-ci, ayant peu d’idées, tient au petit nombre de celles qui sont les siennes et ne cesse de répéter que ces deux institutions sont le moyen offert aux puissants, par les possibilités de pression dont ils disposent sur l’ensemble des institutions, pour échapper aux conséquences de leurs actes. Toute personne moyennement intelligente comprend bien l’absurdité de semblables assertions compte tenu de la surveillance permanente dont l’institution judiciaire fait l’objet de la part de médias spécialisés.
Et dans le cas particulier de la grâce, on ajoute qu’elle porte atteinte à la séparation des pouvoirs en autorisant le pouvoir exécutif à s’opposer à l’autorité de la chose jugée par l’institution judiciaire. Ici l’argument est certain mais peut être combattu par un usage approprié de la mesure.

Précisément parce qu’ils sont menacés, le droit d’apprécier l’opportunité des poursuites et de faire grâce doivent être utilisés avec discernement par ceux qui en ont la charge et l’honneur.
En premier lieu, il s’agit de soupapes de sécurité ce qui suppose qu’ils soient peu utilisés. Il faut donc se féliciter de la disparition de l’habitude prise par nombre de présidents de la République de gracier, en masse, à l’occasion du 14 juillet, des centaines de détenus dont ils ignoraient tout, dans le seul but de désengorger les prisons à une époque de chaleur propice aux incidents.
En second lieu, leur usage doit être réservé à des cas particuliers clairement justifiés.
Enfin il faut que leurs titulaires soient bien conscients que tout mauvais usage de ces méthodes ne peut que réanimer la détestation comme toujours limitée mais bruyante dont elles font l’objet alors que leur nécessité est indispensable au bon fonctionnement de la procédure pénale, dans son ensemble.

Dans cette perspective, il est clair que la grâce accordée à Jacqueline Sauvage a tout faux.

En premier lieu, rien ne serait pire que de faire de Jacqueline Sauvage l’exemple de la lutte contre les violences domestiques.
Il est, d’abord difficile de comprendre et surtout d’excuser qu’elle ait elle-même supporté des années de mauvais traitements sans faire ce qu’il fallait, c’est-à-dire non pas tuer son compagnon mais s’adresser aux autorités de son pays dont c’est le rôle que de combattre semblables comportements. Quel peut bien être, désormais, l’efficacité du message des associations de lutte contre les violences domestiques lorsqu’elles s’efforcent, avec parfois bien du mal, de faire comprendre aux victimes qu’elles doivent dénoncer immédiatement les violences dont elles font l’objet ?
Mais il est surtout intolérable que Jacqueline Sauvage ait laissé ses filles faire l’objet de violences et de viols sans réagir. Cette attitude aurait, d’ailleurs été susceptible de qualifications pénales supplémentaires, sous réserve d’une éventuelle prescription dont il est impossible, sans le dossier, de savoir ce qu’il en était.
Enfin, il est évident que le droit et même le devoir de se défendre et de défendre les siens n’accorde pas un permis de tuer dans des circonstances de temps et de méthode qui excluent toutes le moindre fait justificatif.
Ce n’est certainement pas avec une grâce de cette nature qu’on peut espérer faire progresser la cause de la lutte contre les violences domestiques, ni défendre l’intérêt de l’institution appliquée.

Il est, en second lieu, parfaitement clair, que rien n’a dysfonctionné dans le traitement judiciaire de cette affaire et que l’atteinte ici portée à l’autorité de la chose jugée par la grâce accordée est patente et sans la moindre justification. De ce point de vue, il est assez affligeant d’avoir entendu un membre rapproché de l’équipe de celui dont on dit qu’il pourrait être le prochain président de la République, soutenir le contraire, sans, bien entendu et pour cause, donner la moindre explication à son propos.
Jacqueline Sauvage a été jugée par deux juridictions successives et pas n’importe lesquelles : deux cour d’assises. Lorsqu’une décision judiciaire est contestée, il se trouve toujours quelqu’un pour mettre en cause l’autorité des magistrats qui, il y vrai, ne sont issus que d’une formation et d’épreuves de recrutement qui, en elles-mêmes, ne sont pas un gage de la représentativité du Peuple Français au nom duquel ils statuent. En présence d’une cours d’assises et, ici de deux, l’argument ne peut plus être utilisé. La cour d’assises est, en effet, constituée d’un jury qui est l’émanation directe et donc le représentant direct du Peuple Français dont le souveraineté est le fondement de notre démocratie. En cour d’assises la justice au nom du Peuple Français n’est donc pas rendue en vertu d’un principe mais d’une réelle incorporation de celui-ci à la décision. C’est donc contre le Peuple Français que le président de la République s’est prononcé.
Certes, les condamnations, mêmes rendues par les cours d’assises peuvent, au cours de leur exécution, être aménagées par d’autres juridictions. C’est comme cela (et pas seulement par l’impossibilité de décider dont on l’affuble souvent) que s’explique la double intervention du président de la République dans cette affaire.
Dans un premier temps, il s’est borné à agir sur la peine prononcée, dans l’espoir que les magistrats chargés de l’exécution profiteraient de cette nouvelle situation juridique, qui le permettait, pour placer immédiatement Jacqueline Sauvage en libération conditionnelle. Las, non seulement les magistrats n’ont pas fait ce qu’on attendait d’eux mais ils l’ont même décidé en première instance, puis en appel (ce qui soit dit en passant n’est pas bon signe de la part de professionnels ayant le dossier entre les mains). En graciant totalement Jacqueline Sauvage, c’est donc bien la guerre à l’institution judiciaire que déclare François Hollande. On comprend l’exaspération des magistrats.

On l’aura compris, nous demeurons favorable au droit de grâce. Nous serions même favorable à ce qu’il soit rendu totalement au président de la République par la suppression de l’intervention du Ministère de la Justice dans les dossiers de grâce et le transfert à l’Elysée du bureau des grâces.
Mais à la condition que ce droit de gracier soit intelligemment utilisé.
Cela n’a pas été le cas ici.

KERVIEL : le cafouillage et l’amalgame.

Jusqu’à ce qu’elle statue, le 19 mars 2014, dans l’Affaire Kerviel, il était jugé par la Cour de cassation et admis par tout juriste de bon sens, que la faute éventuelle de la victime ne pouvait être prise en considération pour réduire la responsabilité civile de l’auteur des faits, lorsque l’infraction commise était une infraction contre les biens :
« Attendu qu’aucune disposition de la loi ne permet de réduire, en raison d’une négligence de la victime, le montant des réparations civiles dues à celle-ci par l’auteur d’une infraction intentionnelle contre les biens ;
Attendu que, pour décider que la Caisse du Crédit Mutuel de Cannes devait supporter pour moitié les conséquences du vol commis à son préjudice par Michel X…, la cour d’appel énonce que les investigations des enquêteurs ont fait apparaître, au sein de l’agence, un laxisme généralisé et que cette entreprise s’était trouvée, par la tolérance prolongée, ou l’insuffisante prévention de ses dysfonctionnements à l’origine de son propre dommage dans des proportions fixées à la moitié ;
Mais attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé, et du principe ci-dessus énoncé » (Crim. 7 nov. 2001).
La raison de cette position, au-delà de l’absence de texte, relevée par la Cour de cassation, en 2001, et qui devrait, d’ailleurs, suffire, est que l’auteur de l’infraction (un fraudeur quelconque) commet un acte intentionnel alors que la victime, même si elle s’est rendue coupable d’une faute de surveillance, n’est l’auteur que d’un fait d’imprudence, les deux choses ne pouvant, à l’évidence, être mises sur le même plan.

L’arrêt Kerviel du 19 mars 2014 était donc un revirement de jurisprudence, que la plupart de ses commentateurs ont considéré comme expliqué par le caractère exceptionnel de l’affaire, oubliant que la Cour de cassation ne statue par en fait mais en droit et que la question qui lui était posée était uniquement celle de savoir si la faute de la victime d’une infraction contre les biens peut avoir une influence sur la responsabilité civile de l’auteur des faits, indépendamment du point de savoir quel était le montant sur lequel portait les différentes infractions retenues et sanctionnées et qu’elle n’a pas normalement à prendre en considération.

Ayant ainsi jugée, mais bien obligée de constater que lorsque plusieurs fautes ont concouru à un unique dommage, seuls les juges du fond sont compétents pour répartir le poids de la responsabilité de ce dommage unique, la Chambre criminelle renvoya devant la Cour d’appel de Versailles qui vient de rendre une décision pour le moins surprenante.

Sur le terrain juridique, la Cour de Versailles se rallie à la position de la Cour de cassation pour admettre que même en matière d’infractions contre les biens on peut tenir compte de la faute de la victime pour déterminer son préjudice, ce que, rappelons-le, une fois de plus (Voir notre Blog « Qu’est-ce que faire jurisprudence ? »), elle n’était pas obligée de faire.
La Cour commence par rappeler que Jérôme Kerviel a bien développé des « agissements délictueux » ; qu’il a fait preuve de « ruse et de détermination » et exploité les failles qu’il avait repérées dans l’organisation de la banque pour « concevoir et couvrir ses activités délictueuses », tous faits intentionnels et éminemment graves.
La Cour confirme ensuite le montant du préjudice global causé à la banque et fixé à 4,9 milliards d’Euros.
Puis elle détaille avec un soin tellement grand qu’il finit par interpeller, les dites failles de surveillance reprochées à la banque.
Enfin elle termine par condamner Jérôme Kerviel, à payer à la banque le somme de 1 million d’Euros.

Autrement dit, le « partage » de responsabilité entre l’auteur de multiples fautes intentionnelles et celui d’un manque de surveillance fait que le premier est déclaré responsable pour d’1/5000 du préjudice, soit 0,0002% ce qui implique que la banque est responsable, elle, pour 4999/5000, soit, 99,9998% du même préjudice!!!
Il est, d’ailleurs, à noter, que la Cour s’en est tenue à l’énonciation des chiffres et n’a précisément pas fait, ce que font habituellement les juridictions : répartir les responsabilités en pourcentage, sans doute pour ne pas se couvrir du ridicule que nous venons de démontrer.

Une fois admis le principe éminemment contestable d’un partage de responsabilité entre l’auteur d’une infraction contre les biens et la victime dont on peut relever l’imprudence, un partage par moitié, compte tenu, il est vrai de l’importance de l’imprudence de la banque et sans doute des avantages qu’elle en a retiré, aurait pu se comprendre. Mais ce simulacre de partage après qu’on ait relevé la gravité des fautes commises par l’auteur des faits (condamné pénalement et définitivement, rappelons-le, à 5 ans d’emprisonnement dont trois fermes) est ahurissant.

Et ce n’est pas tout.

Au moment où l’on est en train, partout en France, de faire passer les épreuves du Certificat d’aptitude à la profession d’avocat, on ne peut qu’être surpris d’entendre l’avocat de la Société générale, qui passe pour être un des grands pénalistes parisiens, se féliciter de cette condamnation au motif qu’elle répond aux aptitudes financières de Jérôme Kerviel. Et il faut dire que la précédente condamnation (à 4,9 milliards d’Euros) avait été fustigée par les plupart des médias (dont les parties prenantes feraient mieux la plupart du temps de tourner sept fois leurs mains au-dessus de leur clavier avant d’écrire des âneries) au nom de sa « stupidité ».

Une fois de plus rappelons LE DROIT.
Actuellement la règle est que l’auteur ou les auteurs multiples d’une faute doivent réparer la totalité du préjudice souffert par la victime, ni plus, ni moins. Si l’on veut désormais que l’importance de la responsabilité à retenir à la charge de l’auteur d’une faute soit calibrée en fonction de sa capacité de contribution, ce n’est pas impossible, mais il faut changer la loi et bien en concevoir les incidences car cela voudrait dire que tout « pauvre » peut faire n’importe quoi à un « riche ».
En outre, il y a une différence fondamentale EN DROIT à être condamné à 4,9 milliards d’Euros, même si la victime ne peut en récupérer qu’une infime partie et être condamné à 1 million d’Euros, même si celui-ci est intégralement payé.

Et que le lecteur non juriste (si j’en ai…) ne se dise pas que tout cela est sans importance car il s’agit d’une affaire atypique qui n’aura pas d’autre incidence sur la vie du droit et donc potentiellement sur la sienne propre.
Qu’il ne nourrisse pas cette illusion car le droit est comme le froid, c’est une chaine.

La conséquence logique de la nouvelle règle posée par la Cour de cassation, suivie par la Cour d’appel de Versailles et réitérée par la Chambre criminelle dans une affaire d’abus de confiance des plus banales (25 juin 2014) et selon laquelle la faute d’imprudence de la victime peut exonérer l’auteur intentionnel d’une infraction contre les biens des conséquences civiles de son infraction implique forcément qu’un jour proche le cambriolé ne pourra plus être indemnisé du préjudice souffert s’il n’a pas transformé son appartement en Fort Knox pourvu de trois verrous certifiés et de deux alarmes ce qui en l’état actuel de l’insécurité peut apparaitre comme d’une folle imprudence. Et il y a fort à parier que nous allons voir réapparaitre le serpent de mer du vol dans les grands magasins.

Depuis une quarantaine d’années, un mouvement « doctrinal » milite pour la dépénalisation des vols chez les commerçants au motif qu’en exposant à la libre appréhension du public des produits que certaines personnes ne peuvent s’offrir, ils commettent l’imprudence de favoriser la convoitise de ces personnes dont le vol deviendrait compréhensible, voire légitime. Et ce n’est pas purement théorique puisque ce mouvement de pensée avait même convaincu le législateur de la loi « Sécurité et Liberté » de 1981 (qui était parait-il d’une terrible sévérité ???) dont le projet entérinait cette dépénalisation qui n’a été supprimée que pendant les travaux préparatoires grâce à la vigilance du Sénat. Si les voleurs des grandes surfaces ne peuvent plus être pénalement punis et que leur responsabilité civile est diminuée du fait de l’inconscience des vendeurs, cela risque de ne pas faciliter l’exercice du commerce.

En clair, toute cette affaire confirme qu’en matière de politique pénale, on marche sur la tête : affirmation que les infractions de profit sont au moins aussi graves que les infractions contre les personnes (Voir notre Blog : « Réquisitoire Cahuzac et politique pénale ») et aujourd’hui mise sur le même plan, quand ce n’est pas, comme ici, avec une hiérarchie inversée, d’infractions intentionnelles graves et de simples imprudences.
Les candidats que se bousculent à la magistrature suprême et dont les programmes (au-delà du traitement du terrorisme) sont bien maigrelets sur la politique pénale, feraient bien de se réveiller.