La procédure pénale est une mécanique et il est indispensable qu’elle le soit pour assurer que tous les citoyens ayant commis des actes comparables sont bien traités de la même façon.
Mais lorsqu’une mécanique traite de l’homme, il est aussi indispensable, pour conserver un aspect humain, qu’elle soit dotée de soupapes de sécurité pour se charger ce qui ne rentre pas dans le moule commun.
En procédure pénale, deux institutions jouent ce rôle. A l’origine de la poursuite pénale, le ministère public est chargé d’en apprécier l’opportunité, en sorte qu’il lui est loisible, même en présence d’une infraction qui semble effectivement commise, de ne pas la poursuivre s’il pense que cette poursuite, loin de rétablir l’ordre public, ce qui est sa vocation, ne ferait que le troubler davantage. A la fin de la procédure, le droit de grâce présidentiel permet de dispenser de l’exécution de la peine le condamné à l’égard duquel il parait que la mécanique s’est quelque part enrayée.
Outre l’unité de leur but, ces deux institutions ont en commun d’être les bêtes noires de la bien bienpensance pénale. Celle-ci, ayant peu d’idées, tient au petit nombre de celles qui sont les siennes et ne cesse de répéter que ces deux institutions sont le moyen offert aux puissants, par les possibilités de pression dont ils disposent sur l’ensemble des institutions, pour échapper aux conséquences de leurs actes. Toute personne moyennement intelligente comprend bien l’absurdité de semblables assertions compte tenu de la surveillance permanente dont l’institution judiciaire fait l’objet de la part de médias spécialisés.
Et dans le cas particulier de la grâce, on ajoute qu’elle porte atteinte à la séparation des pouvoirs en autorisant le pouvoir exécutif à s’opposer à l’autorité de la chose jugée par l’institution judiciaire. Ici l’argument est certain mais peut être combattu par un usage approprié de la mesure.
Précisément parce qu’ils sont menacés, le droit d’apprécier l’opportunité des poursuites et de faire grâce doivent être utilisés avec discernement par ceux qui en ont la charge et l’honneur.
En premier lieu, il s’agit de soupapes de sécurité ce qui suppose qu’ils soient peu utilisés. Il faut donc se féliciter de la disparition de l’habitude prise par nombre de présidents de la République de gracier, en masse, à l’occasion du 14 juillet, des centaines de détenus dont ils ignoraient tout, dans le seul but de désengorger les prisons à une époque de chaleur propice aux incidents.
En second lieu, leur usage doit être réservé à des cas particuliers clairement justifiés.
Enfin il faut que leurs titulaires soient bien conscients que tout mauvais usage de ces méthodes ne peut que réanimer la détestation comme toujours limitée mais bruyante dont elles font l’objet alors que leur nécessité est indispensable au bon fonctionnement de la procédure pénale, dans son ensemble.
Dans cette perspective, il est clair que la grâce accordée à Jacqueline Sauvage a tout faux.
En premier lieu, rien ne serait pire que de faire de Jacqueline Sauvage l’exemple de la lutte contre les violences domestiques.
Il est, d’abord difficile de comprendre et surtout d’excuser qu’elle ait elle-même supporté des années de mauvais traitements sans faire ce qu’il fallait, c’est-à-dire non pas tuer son compagnon mais s’adresser aux autorités de son pays dont c’est le rôle que de combattre semblables comportements. Quel peut bien être, désormais, l’efficacité du message des associations de lutte contre les violences domestiques lorsqu’elles s’efforcent, avec parfois bien du mal, de faire comprendre aux victimes qu’elles doivent dénoncer immédiatement les violences dont elles font l’objet ?
Mais il est surtout intolérable que Jacqueline Sauvage ait laissé ses filles faire l’objet de violences et de viols sans réagir. Cette attitude aurait, d’ailleurs été susceptible de qualifications pénales supplémentaires, sous réserve d’une éventuelle prescription dont il est impossible, sans le dossier, de savoir ce qu’il en était.
Enfin, il est évident que le droit et même le devoir de se défendre et de défendre les siens n’accorde pas un permis de tuer dans des circonstances de temps et de méthode qui excluent toutes le moindre fait justificatif.
Ce n’est certainement pas avec une grâce de cette nature qu’on peut espérer faire progresser la cause de la lutte contre les violences domestiques, ni défendre l’intérêt de l’institution appliquée.
Il est, en second lieu, parfaitement clair, que rien n’a dysfonctionné dans le traitement judiciaire de cette affaire et que l’atteinte ici portée à l’autorité de la chose jugée par la grâce accordée est patente et sans la moindre justification. De ce point de vue, il est assez affligeant d’avoir entendu un membre rapproché de l’équipe de celui dont on dit qu’il pourrait être le prochain président de la République, soutenir le contraire, sans, bien entendu et pour cause, donner la moindre explication à son propos.
Jacqueline Sauvage a été jugée par deux juridictions successives et pas n’importe lesquelles : deux cour d’assises. Lorsqu’une décision judiciaire est contestée, il se trouve toujours quelqu’un pour mettre en cause l’autorité des magistrats qui, il y vrai, ne sont issus que d’une formation et d’épreuves de recrutement qui, en elles-mêmes, ne sont pas un gage de la représentativité du Peuple Français au nom duquel ils statuent. En présence d’une cours d’assises et, ici de deux, l’argument ne peut plus être utilisé. La cour d’assises est, en effet, constituée d’un jury qui est l’émanation directe et donc le représentant direct du Peuple Français dont le souveraineté est le fondement de notre démocratie. En cour d’assises la justice au nom du Peuple Français n’est donc pas rendue en vertu d’un principe mais d’une réelle incorporation de celui-ci à la décision. C’est donc contre le Peuple Français que le président de la République s’est prononcé.
Certes, les condamnations, mêmes rendues par les cours d’assises peuvent, au cours de leur exécution, être aménagées par d’autres juridictions. C’est comme cela (et pas seulement par l’impossibilité de décider dont on l’affuble souvent) que s’explique la double intervention du président de la République dans cette affaire.
Dans un premier temps, il s’est borné à agir sur la peine prononcée, dans l’espoir que les magistrats chargés de l’exécution profiteraient de cette nouvelle situation juridique, qui le permettait, pour placer immédiatement Jacqueline Sauvage en libération conditionnelle. Las, non seulement les magistrats n’ont pas fait ce qu’on attendait d’eux mais ils l’ont même décidé en première instance, puis en appel (ce qui soit dit en passant n’est pas bon signe de la part de professionnels ayant le dossier entre les mains). En graciant totalement Jacqueline Sauvage, c’est donc bien la guerre à l’institution judiciaire que déclare François Hollande. On comprend l’exaspération des magistrats.
On l’aura compris, nous demeurons favorable au droit de grâce. Nous serions même favorable à ce qu’il soit rendu totalement au président de la République par la suppression de l’intervention du Ministère de la Justice dans les dossiers de grâce et le transfert à l’Elysée du bureau des grâces.
Mais à la condition que ce droit de gracier soit intelligemment utilisé.
Cela n’a pas été le cas ici.
On a pu, récemment, voir cette dame sur la 2, complaisamment interviewée. Il fallait s’attendre à cette apparition médiatique -et ce n’est qu’un début : nul doute qu’elle ne fasse, flanquée de ses anges gardiens, la une des magazines et suive pieusement le « parcours du combattant » médiatique, de Ruquier à Ardisson, en passant par Hanouna et consorts…, pour poser à la victime et cracher sur la justice et la loi, en remerciant avec effusion son protecteur élyséen. Sans oublier, bien entendu, le best seller qui ne manquera pas de paraître prochainement dès qu’on le lui aura écrit…
Cette affaire est, à tous égards, une honte sans nom et peu ont osé le dire : merci à Mme RASSAT.
Il en est pour avoir, effectivement, appelé à la suppression du droit de grâce : on ne pet les suivre non par nostalgie monarchique (on rappellera que le droit de grâce, contrairement à l’idée reçue -on serait surpris si l’on connaissait le nom de certaines très éminentes personnalités à qui on a eu l’occasion de l’apprendre…-, n’est pas, dans la Constitution, un pouvoir propre du Président : il est exercé avec contreseing, et, engage donc, nolens volens, le Gouvernement, même si, par opportunité politique, pour éviter un débat parlementaire sur les peines de mort, la coutume s’est établie à une époque, pour les ministres, de ne pas discuter la décision présidentielle), mais parce que c’est une soupape de sûreté, dont les vrais présidents conscients de leurs responsabilités -pas les fantômes et fantoches d’Etat qui en tiennent lieu-, doivent savoir user à bon escient (ne serait-ce, en dehors même de toute éthique, que pour ne pas être trop sollicités et ne plus pouvoir maîtriser les groupes de pression médiatiques…). En revanche, on ne voit pas l’intérêt de supprimer l’intervention du parquet dans la procédure d’instruction des recours en grâce -il est normal, pour nous et tout à fait dans son rôle, qu’il ait son avis à donner sur l’application d’une peine ; pas plus que pour un rattachement du bureau des grâces à la Présidence : la Chancellerie est bien dans son rôle et d’autant plus qu’elle doit contresigner le décret -outre diverses considérations pratiques.
On peut ajouter que cette meurtrière et ses apologistes prétendent qu’elle aurait vécu un demi-siècle d’enfer conjugal -ce qui, de toute façon, n’excuserait pas son geste-, mais que cela reste à établir plus précisément (même s’il est vraisemblable qu’elle ait subi des violences de son époux -qui n’est plus là pour se défendre, et, n’a personne pour le faire à sa place), et, qu’elle n’a jamais, ni demandé le divorce, ni même porté plainte -pas plus que ses filles, supposées avoir été victimes de violences sexuelles et qui avaient 20 ans après leur majorité pour dénoncer les faits…-, ni tout l’entourage, censé avoir été au courant… On peut imaginer, devant cette conclusion tragique, le sentiment rétrospectif de culpabilité de tous ceux qui ont laissé faire et se sont tus… Les psys de service viennent nous expliquer qu’elle était en état de « sidération », ce qui vaudrait absolution et permis de tuer, comme des parlementaires foutraques voudraient l’écrire dans la loi (« légitime défense différée »: sic !) : les plus « sidérés » ne sont pas ceux qu’ils pensent !…