Nous croyons avoir été une des premières à déclarer ici même que Christiane Taubira soulevait les passions, y compris exprimées par les moyens les plus contestables et qui (devaient) être fustigés à la hauteur de ce qu’ils (étaient). Les faits qui justifiaient notre remarque étaient antérieurs à ceux jugés à l’encontre de Madame Leclère, nous paraissaient plus critiquables, et n’ont, semble-t-il, fait l’objet d’aucune poursuite. En outre, notre formule faisait appel à une raison et une mesure qui paraissent avoir totalement échappé au Tribunal correctionnel de Cayenne.
Comme nous en avons adopté le principe, et même si certains ne se laisseront de toute façon pas convaincre, notre propos sera ici purement juridique. C’est la raison pour laquelle, quitte à ne pas satisfaire d’autres lecteurs, nous ne ferons aucun commentaire sur un ton très polémique aux allures de prises de position militantes que l’on n’est pas accoutumé à rencontrer dans les décisions rendues au nom de l’ensemble du peuple français par les membres d’un corps soumis à une obligation de réserve.
Ainsi que l’exprimait, à juste titre, dans la cour de l’Elysée, la principale intéressée, le Garde des Sceaux, les juges statuent en droit.
Là où le bât blesse, c’est lorsque cette phrase est prononcée à propos du jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Cayenne, relatif à des propos la concernant, car cette décision peut se prévaloir de tout ce qu’on veut, sauf du droit.
Quand une juridiction correctionnelle est saisie d’un ou plusieurs délits, elle doit, une fois vérifiée sa compétence, ici bizarre mais indiscutable, examiner d’abord chacun des délits. A ce titre elle doit énumérer les faits commis, les qualifier et s’assurer qu’ils remplissent les éléments constitutifs, matériel et moral, des infractions en cause ; puis s’assurer qu’ils ne peuvent bénéficier d’aucun fait justificatif. Elle doit, ensuite, déterminer à quelles personnes ces faits, à les supposer établis, sont imputables et à quel titre (auteur principal, coauteur, complice, et, dans ce dernier cas, par quel moyen de complicité ils ont été accomplis). Elle doit enfin déterminer la peine à appliquer en fonction des règles légales et, surtout, du passé de la personne poursuivie.
Sous le vocable « Sur l’action publique », la juridiction, d’après le texte publié sur divers sites, le seul que nous ayons lu, nous informe qu’une personne physique (nous avons bien dit une personne physique) est poursuivie devant elle pour les infractions d’injure raciale et de provocation à la haine raciale. Elle relève ensuite « qu’il ressort des documents versés aux débats que dans le cadre de sa campagne électorale à l’élection municipale de mars 2014 à RETHEL où elle représentait le Front National, elle a édité une page Facebook sur laquelle elle a diffusé un montage dans lequel figuraient les photographies d’un jeune singe et de Mme Christiane TAUBlRA avec pour légende les mots: » à 18 mois » et « maintenant »; qu’en outre, interrogée dans le cadre d’un reportage diffusé dans l’émission « Envoyé spécial » sur France2, elle a commenté ce montage en ajoutant; « je préfère la voir dans un arbre après les branches qu’au gouvernement ».
Puis la juridiction ajoute « Attendu que la matérialité des faits ne saurait être contestée », ce qui est, à peu près, les seuls mots se rattachant au droit qui figureront dans la décision concernant Madame Leclère.
Si la matérialité des faits ne peut être contestée, de quels faits s’agit-il et surtout, de laquelle des deux infractions poursuivies ? On attend, ensuite, en vain, l’examen des éléments constitutifs de chacune d’elles qui doivent, pourtant, être déduits de la matérialité des faits.
En reprenant un raisonnement un petit peu plus traditionnel, on relève deux catégories d’éléments matériels différents : une caricature sur une page Internet comparant le Garde des Sceaux à un singe, et une déclaration lors d’une émission de télévision.
Une première réflexion s’impose au vu de l’ensemble des faits commis : il n’est nulle part fait la moindre allusion au moindre élément de nature raciale ou ethnique. Certes, le caractère souple de la formule légale (« propos tenus à raison de ») doit permettre d’atteindre aussi bien les diffamations ou injures dont le caractère discriminatoire est intrinsèquement constatable (« sale nègre », « sale pédé »…) que les imputations, allégations ou invectives, banales en elles-mêmes, mais dont il pourrait être démontré qu’elles ont tout de même été inspirées par des sentiments racistes, sexistes, etc. Mais encore faut-il que cela soit démontré. Or rien dans cette affaire de comparaison d’un ministre à un singe ne permet de trouver cette connotation puisqu’ainsi que nous allons y revenir, à peu près tous les dirigeants politiques du moyen-âge à aujourd’hui y ont eu droit et ils étaient tous blancs. C’est le ministre qui est attaqué en raison de son activité ministérielle, qui n’est pas approuvée par la prévenue, qui ne fait en rien allusion à son origine, son ethnie, ou sa couleur. Et pire que tout, c’est le Tribunal qui sombre dans la discrimination en voulant voir dans une formule qui ne le contient pas, un motif discriminatoire.
On peut donc éliminer tout de suite le délit d’incitation à la haine raciale qui ne peut être constitué, de même d’ailleurs que l’injure discriminatoire, faute de discrimination. Mais reste-t-il à l’encontre du ministre une injure ordinaire ?
Ici il faut distinguer entre les deux faits matériels différents qui ont été commis.
Quant à la caricature, elle procède de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme associée à une tradition française persistante à laquelle nous avons déjà fait allusion.
Sans nier qu’il peut être légitime de recourir au droit pénal pour sanctionner l’atteinte à certaines valeurs, dont l’atteinte à l’honneur, lui-même protégé par l’article 8 de la Convention, la Cour européenne constate qu’une condamnation constitue une ingérence de l’Etat dans le droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention qui n’est admissible que si elle est nécessaire et proportionnée dans une société démocratique. L’article 10 de la Convention est donc la permission de la loi qui justifie des faits qu’il serait, sans lui, légitime de sanctionner. La Cour de cassation en conclut que « les restrictions à la liberté d’expression sont d’interprétation étroite ».
Or les faits ici en cause s’inscrivent dans une telle tradition nationale qu’on ne peut pas croire que la Cour les condamnerait.
Non seulement depuis le moyen-âge et le Roman de Renard, il est coutumier de comparer les gouvernants à des animaux, mais encore le singe a une situation tout à fait particulière dans ce zoo politique. Sans doute parce que c’est le désintéressement des politiques qui est le plus souvent contesté et parce qu’on dit depuis bien longtemps aussi « Malin comme un singe », la caricature a concerné une bonne partie des rois (y compris Louis XIV, qui n’était pourtant pas un rigolo, sous la plume de La Fontaine) ; les deux empereurs y compris celui qui a été historiquement le plus grand et physiquement le plus petit qui n’était pas non plus tendre avec ses critiques ; la plupart des présidents de la troisième République et jusqu’à nos présidents les plus contemporains. Personne ne semble s’être ému de certaines caricatures de Valéry Giscard d’Estaing en ouistiti ou de Nicolas Sarkozy sous forme de chimpanzé. Pourquoi la même chose devrait-elle devenir critiquable pour un ministre ? Sauf naturellement si l’on veut, comme le Tribunal de Cayenne, trouver à ce ministre une particularité que la Constitution interdit de prendre en compte.
Quant aux déclarations faites sur Antenne 2, elles sont beaucoup plus critiquables. Déclarer qu’on préfèrerait voir un ministre sur un arbre qu’au gouvernement est manifestement une injure. C’est une injure publique simple qui encourt au maximum 12.000€ d’amende. Exit donc la peine de prison et l’inéligibilité.
Mais ne voilà-t-il pas que brusquement, le Tribunal de Cayenne découvre à la page 5 de son jugement qu’il y avait un autre prévenu, personne morale celui-là : le Front national.
Première remarque .
Ainsi que le précise la circulaire d’application du Code pénal, soulignant cette interprétation par des caractères italiques, « La responsabilité pénale d’une personne morale, en tant qu’auteur ou complice, suppose que soit établie la responsabilité pénale, en tant qu’auteur ou complice, d’une ou plusieurs personnes physiques représentant la personne morale ». Comme l’écrivent des commentateurs bien placés du Code, en l’état du droit positif, il faut, pour engager la responsabilité pénale d’une personne morale, que « Les éléments constitutifs (des) infractions, tant matériels qu’intellectuels (soient) réunis sur la tête d’une personne physique et non par la personne morale ». Il était donc impossible au Tribunal de Cayenne de condamner le Front national sans avoir précisé quelle personne physique de ses représentants avait commis les faits qu’il lui reprochait. A défaut de cela le jugement est, de toute façon nul. Mais il est vrai qu’il aurait fallu d’abord savoir quels faits lui étaient reprochés.
Après avoir constaté que le Front national n’est pas l’auteur matériel de l’infraction (laquelle des deux ?), le Tribunal annonce qu’il va démontrer qu’il y a participé par « instigation et fourniture de moyens ». Le Front national serait donc complice. Mais outre que la retenue d’une complicité par instigation ou fourniture de moyens requiert toute une série de précisions qu’on chercherait en vain dans le jugement, ce ne semble pas être le point de vue du Tribunal puisqu’il termine en déclarant que « Le FRONT NATIONAL doit être considéré comme auteur de l’infraction (il semble que s’agisse une troisième ?) dont l’élément matériel est la fourniture d’une investiture, d’un programme, d’affiches reproduites sur le site incriminé, et dont l’élément moral est constitué d’une volonté exprimée de s’en prendre aux étrangers, et plus généralement aux hommes de races ou d’origines différentes ». En premier lieu, on ne sait pas de quelle infraction il s’agit. En second lieu il faudrait analyser le matériel électoral en cause pour y trouver l’élément matériel de l’infraction commise en admettant qu’on sache de laquelle il s’agit. En troisième lieu, aucune infraction n’a, à notre connaissance, un élément moral consistant à « s’en prendre aux étrangers et, plus généralement aux hommes de races et d’origines différentes », ce qui, au surplus serait un élément matériel et non moral. Enfin et surtout, si c’est bien le cas, il s’agit d’une infraction différente de celle retenue à l’encontre de Madame Leclère et dont, à défaut de connexité alléguée ni démontrée, la juridiction n’était pas saisie.
Si les juridictions doivent statuer en droit, il faudrait peut-être s’intéresser de près à celle de Cayenne.