LA GARDE A VUE DE NICOLAS SARLOZY

L’un des intérêts principaux de la nouvelle affaire Sarkozy est de mettre dans une lumière crue plusieurs des défauts les plus importants de notre procédure pénale.

Et pour éviter que certains ne m’accusent d’instrumentaliser la science au profit de l’ancien Président, je leur suggère de consulter mes travaux déjà publiés pour prendre conscience de ce que je ne change pas d’avis selon ce que je veux critiquer ou défendre.

I. L’abus des commissions rogatoires.

La lecture du Code de procédure pénale comme, d’ailleurs, celle de son prédécesseur, le Code d’instruction criminelle montre qu’il impose au juge d’instruction d’accomplir toutes ses tâches lui-même : c’est le juge d’instruction qui doit rassembler personnellement les preuves, perquisitionner, interroger, entendre, confronter, etc… Sauf dans quelques fictions télévisuelles, c’est une vue de l’esprit. D’abord parce que les investigations à mener peuvent excéder le ressort territorial du juge et exiger de longs déplacements. Ensuite parce que le juge d’instruction est très sollicité. Or dans le cadre de ses fonctions, certaines, qui relèvent d’un imperium, ne peuvent être accomplies que par lui (usage des pouvoirs coercitifs ; fonction juridictionnelle). L’efficacité de l’instruction permet donc au juge de déléguer à d’autres certains actes d’investigation qui ne lui sont pas, de leur nature, réservés. Il le fait en délivrant des commissions rogatoires.

Mais si cela est une nécessité, cela ne doit pas devenir une facilité et, rapidement, un abus.

Le Code d’instruction criminelle ne faisait état ni d’une possibilité générale de délégation ni d’une réglementation d’ensemble de la matière. Une extension des possibilités de délégation s’était triplement manifestée : admission d’une possibilité générale de délivrance de commissions rogatoires alors que les cas prévus étaient limités à une impossibilité géographique ou matérielle ; admission d’un droit général de délégation de tous les actes de recherche au lieu de ceux qui étaient énumérés, admission de la possibilité de donner commission rogatoire à des officiers de police judiciaire alors que ceux-ci n’étaient cités qu’accessoirement, les attributaires normaux des délégations étant d’autres magistrats. L’insuffisance du Code d’instruction criminelle avait, enfin, permis une absence totale de limitation de la portée des commissions rogatoires. Celles-ci pouvaient être doublement générales ; générales quant aux actes à accomplir, le juge pouvant demander que soient faits « tous actes utiles à la recherche des preuves » dans telle affaire ; générale quant aux infractions, le magistrat étant autorisé à déléguer son pouvoir de recherche à « toutes les infractions susceptibles d’être reprochées à X… ».

On était parvenu à la veille de la rédaction du Code de procédure pénale à un véritable abus des commissions rogatoires par lequel le juge d’instruction se limitait en pratique à être une autorité juridictionnelle ayant délégué à la police tous ses pouvoirs d’investigation. C’est à cela que le Code de procédure pénale a souhaité réagir, mais il ne l’a fait que très légèrement en se bornant à prohiber les commissions rogatoires générales quant aux infractions visées. Les alinéas 2 et 3 de l’article 151 prévoient que « La commission rogatoire indique la nature de l’infraction objet des poursuites » et qu’« elle ne peut prescrire que des actes d’instruction se rattachant directement à la répression de l’infraction visée aux poursuites ».

Mais sous cette réserve il n’y a pas, ce qui serait bien utile, de véritable règlementation des commissions rogatoires qui, ou bien, en limiterait le domaine à ce que le juge ne peut vraiment pas faire lui-même et qu’on lui demanderait de justifier, ou bien en exclurait certains actes (ceux concernant les personnes notamment).

Le résultat est qu’on est revenu à une situation au moins équivalente à celle qui régnait sous le régime du Code d’instruction criminelle : les juges d’instructions ne se bornent pas à donner des commissions rogatoires pour ce qu’ils sont dans l’incapacité de faire eux-mêmes ; ils ont pris l’habitude d’en donner pour tout et n’importe quoi.

C’est ce qu’illustre clairement l’affaire Sarkozy. On a quelque mal, en effet, à voir ce que peut trouver à faire de plus important un juge d’instruction que d’entendre, si c’est nécessaire, un ancien président de la République. Et qu’on ne vienne pas nous dire qu’il s’agit d’égalité devant la loi car ce serait contredire la jurisprudence de bon sens du Conseil constitutionnel selon laquelle il est légitime de traiter différemment des situations et des personnes différentes. Les anciens présidents de la République ont un statut qui les différencie des autres citoyens. Ce ne sont pas des citoyens comme les autres. Les faire entendre sous commission rogatoire est légal mais ridicule.

II. L’absurdité de la garde à vue sous commission rogatoire.
La décision de placement en garde à vue, dans le cadre d’une enquête de police, est prise par un officier de police judiciaire, soit spontanément, soit sur ordre du procureur de la République. La disposition selon laquelle un officier de police judiciaire peut décider de la garde à vue se comprend, dans le cadre des enquêtes de police, où elle signifie que la décision ne peut être prise que par le plus élevé en grade des policiers. Mais elle a induit une autre interprétation selon laquelle le placement en garde à vue serait, en quelque sorte, une prérogative des officiers de police judiciaire, d’où l’on a tiré une conséquence erronée, dans le cadre de l’exécution des commissions rogatoires du juge d’instruction. Un policier agissant sur commission rogatoire d’un juge d’instruction est, en effet, autorisé à placer la personne qu’il entend en garde à vue ce qui est théoriquement incohérent et pratiquement regrettable.

Le fondement de la commission rogatoire étant une délégation de compétence du magistrat au policier, le premier ne devrait logiquement pouvoir déléguer au second que les pouvoirs qu’il possède lui-même. Or le juge d’instruction ne peut pas placer en garde à vue dans la mesure où cela lui est inutile. Le juge d’instruction n’est, en effet, limité en rien, dans le temps, pour l’accomplissement des actes d’investigation qu’il accomplit lui-même. Il n’a donc pas besoin de garde à vue puisqu’il peut conserver à sa disposition les personnes qu’il désire entendre aussi longtemps qu’il le souhaite, et cela qu’elles soient mis en examen, témoins ou témoins assistés. En bonne logique, un policier bénéficiaire d’une commission rogatoire devrait pouvoir exercer les droits dont bénéficie son délégant mais ne devrait pas pouvoir avoir plus de droits que celui-ci et notamment ne devrait donc pas pouvoir placer en garde à vue puisque le juge d’instruction ne le peut pas, Mais cette logique a été ici perturbée par l’idée que tout officier de police judiciaire posséderait, en quelque sorte de fonction, la possibilité de garder à vue.

On pourrait justifier cette solution par le fait qu’elle aboutit, en pratique, à limiter les droits du policier par rapport à ceux du juge d’instruction puisque le policier doit, pour conserver la personne entendue à sa disposition, respecter les conditions de la garde à vue, plus restrictives que ce qui est permis au juge d’instruction. Mais la solution présente, à l’inverse, de gros inconvénients, quel que soit le sens qu’on lui donne. S’il s’agit de permettre au policier de placer en garde à vue des personnes qu’il entend comme simples témoins, cela met cette forme de garde à vue en contradiction avec la garde à vue d’enquête ou la rétention des témoins n’est pas possible. S’il s’agit de permettre au policier de placer en garde à vue des personnes contre lesquelles il y a des raisons plausibles de penser qu’elles ont commis des infractions, cette règle permet au juge d’instruction de tourner, par le biais d’une commission rogatoire, cette autre règle qui s’impose à lui et qu’il lui est interdit d’entendre, sans mise en examen ou placement sous le régime du témoin assisté, la personne suspecte, ainsi que celle qui interdit aux policiers d’interroger les personnes mises en examen ou bénéficiant du statut de témoin assisté, qui ne peuvent, si le juge d’instruction ne les entend pas lui-même, être entendus que par un autre magistrat et pas par des policiers.

Cette forme de garde à vue qui reste, bizarrement, hors des foudres des principaux contempteurs de cette procédure, est une aberration dont la suppression s’impose.

III. Combinaison des principes précédents.

En choisissant de faire entendre l’ancien président de la République sous commission rogatoire, les juges d’instruction ont permis qu’il soit placé en garde à vue, puisque les policiers n’avaient que le choix de l’entendre librement, mais alors quatre heures seulement ou de le placer en garde à vue. Les juges d’instruction ne pouvaient pas l’ignorer. De même, ils ne pouvaient ignorer que Nicolas Sarkozy n’aurait pas été placé en garde à vue s’ils l’avaient entendu eux-mêmes. Autrement dit les juges d’instruction savaient (souhaitaient ?) que Nicolas Sarkozy soit placé en garde à vue.

Ce n’est pas nous qui instrumentalisons la procédure pénale.

1 réflexion sur « LA GARDE A VUE DE NICOLAS SARLOZY »

  1. Desfontaines

    Les analyses de Mme Rassat sont fort subtiles, et, tranchent sur ce que l’on a pu entendre en boucle ou lire ailleurs à satiété.
    Sur les délégations générales en commission rogatoire, outre les nécessités pratiques (d’autant que, dans bien des dossiers -spécialement ceux qui sont ouverts sur constitution de partie civile-, on n’a, au départ, souvent, que peu d’éléments -parfois, une simple plainte, où tout reste à faire), il y a aussi, la prudence juridique (à être trop restrictif, on s’expose au risque d’un dépassement de la saisine et de la délégation, avec une nullité à la clef…) ; il faut tenir compte aussi du fait que les O.P.J., surtout dans un contexte délicat -et on peut imaginer que celui-ci l’était entre tous !-, rendent compte au juge, en général, et sollicitent ses instructions, à tout le moins, font valider leurs propositions.
    Sur la garde à vue dans le cadre de l’instruction, on a une pratique bien établie -tellement établie qu’on ne s’interroge plus sur sa validité… Il faut sans doute considérer que c’est un pouvoir des O.P.J., (comme le rappelle Mme Rassat, ils peuvent la décider spontanément en enquête préliminaire), un moyen des investigations parmi tous ceux que le code prévoit ; dès lors, même si le juge d’instruction n’a pas la qualité d’O.P.J., on peut admettre qu’il tire de ses pouvoirs très généraux celui de décider d’une garde à vue et de déléguer ce pouvoir, l’exécution pratique de celle-ci, toutefois, pour respecter la lettre des textes, ne pouvant, dans tous les cas, que relever de l’O.P.J. dans le cadre d’une commission rogatoire. La difficulté, c’est, effectivement, le « télescopage » avec les textes qui ont organisé un « dosage » des présomptions de culpabilité, selon une gradation qui n’est simple que sur le papier, avec des conséquences juridiques sur les droits des personnes entendues ; alors qu’à l’origine, la frontière était assez nettement tranchée entre phase policière et phase judiciaire de la procédure, et, qu’en présence d’indices suffisamment graves de culpabilité, la personne ne pouvait plus être entendue que par le juge -sauf à encourir le grief d’avoir voulu « faire échec aux droits de la défense », avec nullité à la clef-, on a, de plus en plus, « judiciarisé » la phase policière, sous couleur d’augmenter les droits des personnes, sans souci de cohérence : notre procédure est devenue un « patchwork » de dispositions empilées les unes sur les autres, sans logique d’ensemble, infestée de « virus » anglo-saxons -alors que la procédure à l’américaine est un tout, avec sa logique, et, qu’on ne peut pas en importer des morceaux sans tenir compte de l’ensemble dans lequel ils s’inscrivent ! Notamment, la différence majeure était l’absence d’avocat et, a fortiori, d’accès au dossier, en phase policière : dès lors que ce n’est plus le cas, on ne peut plus considérer que l’intervention du juge s’impose de la même façon au titre des droits de la défense dès lors qu’il y a suffisamment de charges pour faire naître ces derniers au motif des exigences du procès équitable et du contradictoire… C’est un effet pervers qui aura échappé au législateur…

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