DE LA LOYAUTÉ DU PROCÈS PÉNAL

La loyauté des preuves.

Alors que la jurisprudence est normalement sourcilleuse pour admettre au procès pénal des preuves obtenues par des procédés déloyaux comme les perquisitions illégales ou la provocation policière, lorsque ces comportements ont été le fait d’autorités publiques, elle estime, depuis une trentaine d’années, que les règles de loyauté ne concernent que les agents publics et ne s’imposent donc pas aux simples particuliers. Elle admet, en conséquence, le dépôt au procès pénal, par des parties civiles ou de simples témoins ou même n’importe qui, de tous éléments de conviction quels qu’aient été le moment de leur obtention (avant les faits ou durant la procédure) ou le moyen utilisé et cela même s’ils ont été acquis par une infraction pénale, même éventuellement sanctionnée comme telle (écoutes sauvages, atteinte à l’intimité de la vie privée, violation du secret de l’instruction, documents volés ou dont la publication était pénalement sanctionnée, violation de secret des correspondances, etc.). Ce faisant, la jurisprudence consacre, au profit des simples particuliers, un pouvoir d’investigation exempt de toutes règles et contraintes, sans réelle justification, avec des conséquences regrettables et, en toute hypothèse, en contradiction avec la Convention E.D.H.

Les conséquences de cette jurisprudence sont regrettables d’une part sur le terrain de la fiabilité des preuves et d’autre part dans la mesure où elles ouvrent la porte à une fraude des agents publics. Sur le premier point, on ne peut avoir, en effet, aucune garantie sérieuse sur la qualité, le lieu exact d’appréhension ou encore la consistance réelle de ce qui est apporté par des particuliers pour servir de preuve et qui a parfaitement pu être fabriqué ou falsifié pour la circonstance. Qu’est-ce qui prouve qu’un enregistrement sauvage de conversations n’a pas été purgé de ce qui démontrait le contraire de ce qu’on voulait prouver ou que l’enregistreur n’a pas été déclenché qu’à propos de ce qu’on cherchait ? Sur le second point, il est clair qu’on crée une forte tentation, pour les agents publics qui savent qu’ils ne sont pas autorisés à faire quelque chose (procéder à une écoute téléphonique en enquête, par exemple ), à inciter des particuliers intéressés aux faits, voire de simples hommes de main recrutés pour la circonstance, à faire ce qu’ils ne peuvent pas faire eux-mêmes puis à accepter le dépôt des preuves ainsi frauduleusement obtenues.

La Chambre criminelle fournit deux justifications à cette position surprenante :
– La première est que la liberté des preuves doit prévaloir dès lors qu’il n’y a pas de texte en sens contraire et que la réglementation de l’obtention des preuves n’étant prévue et sanctionnée que pour les agents publics et non pas pour les particuliers (on ne peut qu’être tenté d’ajouter « et pour cause ! »), la liberté de ceux-ci reste entière dans la recherche et le dépôt des preuves.
– Le second argument est qu’il appartient à la juridiction saisie de quelque mode de preuve que ce soit, d’en apprécier la valeur probante.

Aucune de ces justifications n’est recevable.
L’argument tiré de l’absence de réglementation légale des pouvoirs de recherche des particuliers constitue la négation de toute la procédure pénale car on ne voit pas pourquoi on se donnerait le mal de réglementer les droits et obligations des agents publics si d’autres qu’eux peuvent obtenir les mêmes éléments de preuve sans respecter aucune des règles ou restrictions qui leur sont imposées : quel est l’intérêt de réglementer les perquisitions publiques si les particuliers sont autorisés à voler les éléments qui devraient être saisis ? Si seul le récolement des preuves par les agents publics est réglementé, c’est parce qu’il est invraisemblable que l’on autorise de simples particuliers à se livrer à des investigations personnelles et que le Code de procédure pénale n’a donc pas pu le prévoir. Les simples particuliers peuvent participer à la procédure par leurs déclarations ou, éventuellement, en fournissant des éléments de preuve qu’ils possédaient avant les faits en cause. Il ne devrait pas pouvoir être question d’autoriser ces simples particuliers à se livrer, pendant le cours de la procédure, à des enquêtes sauvages, forcément partiales et libérées de toute contrainte.
L’argument selon lequel le juge apprécie librement la valeur des preuves peut être immédiatement récusé dans la mesure où la question de l’appréciation de la valeur d’une preuve ne peut se poser que si l’élément de preuve en cause est recevable, ce qui est tout le problème en cause ici. En fait, la connaissance d’éléments de preuve, même si le juge du fond les récuse ensuite pour manque de loyauté ou de fiabilité, ne peut pas faire qu’il n’en ait pas eu connaissance et par conséquent que cela n’exerce pas une influence sur la formation de son opinion surtout dans un système d’intime conviction et tout particulièrement lorsqu’interviennent des jurés mal formés à faire la différence entre preuves officielles et preuves illégales censées être supprimées du dossier.

La jurisprudence criminelle a cependant maintenu, jusqu’à présent, ce point de vue malgré une critique unanime de tous les auteurs ayant annoté ou rendu compte de ses décisions et malgré l’avis contraire de l’ensemble des chambres civiles de la même Cour et même de l’Assemblée plénière de celle-ci qui a annulé, le 7 janvier 2011, une procédure commerciale au cours de laquelle l’une des parties avait obtenu une preuve de manière illicite.
Il convient de regretter que ce point de vue inadmissible et jusqu’à présent isolé ait été récemment conforté, au moins dans sa lettre, par le Conseil constitutionnel encore que la décision rendue soit moins claire, au fond. Dans une décision concernant les articles 37 et 39 de la loi du 6 décembre 2013 qui autorisent les administrations fiscales et douanières à exploiter toutes les informations qui leur parviennent, même si elles sont d’origine illicite, le Conseil a formulé une réserve d’interprétation disant que cette possibilité ne sera pas ouverte quand les pièces ou documents concernés auront été obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions ultérieurement déclarées illégales par le juge. Puisque l’on condamne la preuve déloyale obtenue par une autorité publique, cela semble confirmer que la fraude commise par un particulier est considérée comme normale du point de vue probatoire. Mais d’un autre côté, la même décision a annulé les articles 38 et 40 de la même loi qui autorisaient les mêmes administrations à se prévaloir de documents illicites pour solliciter du juge un droit de perquisition sans distinguer selon que l’origine illicite était imputable à l’administration ou à un particulier. Il n’est donc pas aussi évident que cela que cette décision ait la même portée que celle de la Chambre criminelle, mais la question reste incertaine.

La comparution des personnes jugées.

Sur une question voisine, la Chambre criminelle vient de franchir une étape supplémentaire.

Le jugement en France d’une personne qui ne s’y trouve pas ne peut intervenir, à l’initiative des pouvoirs publics, autrement que sous forme d’une procédure par défaut, si le prévenu ou l’accusé ou bien n’est pas venu spontanément dans le pays, ou bien n’a pas été remis au résultat de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen ou d’une procédure d’extradition. Or il vient d’être jugé qu’il est loisible à une partie civile d’obtenir le jugement en France d’une personne qu’elle a fait arrêter et détenir illégalement depuis l’étranger par des hommes de main.
Il y avait eu, certes, quelques précédents mais soit en matière d’atteinte à la sureté de l’État, soit de crimes contre l’humanité, ce qui peut expliquer à défaut de justifier. En outre et dans tous ces cas, on ne savait pas avec une parfaite précision comment et par qui les personnes retrouvées en France dans des conditions bizarres y étaient revenues et l’on ne s’était pas donné grand mal pour essayer de le savoir.
Cette fois-ci nous sommes en présence d’une infraction de droit commun et l’arrestation illégale est revendiquée par celui qui l’a organisée, d’ailleurs poursuivi pour cela mais condamné à une peine tellement ridicule, eu égard à la gravité objective des faits, que la Justice ne s’est pas couverte de gloire en la prononçant.

On ne peut donc qu’être surpris de lire dans l’arrêt de la Chambre criminelle que « l’exercice de l’action publique et l’application de la loi pénale à l’égard d’une personne se trouvant à l’étranger ne sont pas subordonnés à son retour volontaire en France, à la mise en œuvre d’une procédure d’extradition ou à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen…(que) les conditions dans lesquelles cette personne a été enlevée, transportée sur le territoire national et livrée à la justice n’apparaissent pas imputables, directement ou indirectement, aux autorités françaises, (qu’)enfin, le demandeur, ayant fait l’objet d’un mandat d’arrêt, a pu bénéficier de l’assistance d’un avocat, être immédiatement présenté au juge des libertés et de la détention, auquel il a fait valoir ses moyens de défense, puis a été mis en mesure d’exercer l’ensemble de ses droits à chaque étape de la procédure ».
On est, en effet, nécessairement amené à se demander à quoi peuvent bien servir les procédures des mandats d’arrêts européens et d’extradition si leur utilisation est facultative et n’a pour effet que de gêner l’exercice de la justice par les pouvoirs publics laissant les particuliers libres de faire arrêter et détenir n’importe qui dans n’importe quelles conditions.

Mais il y a pire. Alors que la France est enfermée dans un processus de construction d’une justice européenne l’amenant à entériner nombre de décisions ou de directives européennes pourtant en parfaite contradiction avec nos principes fondamentaux en la matière, cette affaire l’amène à nier toute espèce d’autorité à plusieurs décisions rendues en Allemagne, en Autriche et même par la Cour européenne des droits de l’homme. La position de la Chambre criminelle, sur ce point, que certains qualifieraient de « juridisme », ce que nous ne ferons pas, attachée que nous sommes à la régularité de la procédure, reste inattaquable. Aucune des décisions visées n’avait l’autorité de la chose jugée et les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme n’ont aucun effet direct sur les juridictions des pays signataires de la Convention. Mais cette position n’en est pas moins incohérente : comment justifier la recherche d’une construction unitaire avec des pays voisins si l’on pose en principe que leur attitude en matière pénale et l’application des conventions que l’on a signées ensemble, ne vaut pas d’être considérée ?

 

Il est grand temps d’intervenir pour rappeler que la justice pénale est et ne peut être qu’une affaire d’État et ne peut, dans une démocratie, que se dérouler d’une manière loyale. Si la victime est admise à la procédure en vertu d’une longue tradition historique, elle ne peut en perturber le cours dans son intérêt propre en commettant des atteintes évidentes à la loyauté indispensable de ce procès.

5 réflexions sur « DE LA LOYAUTÉ DU PROCÈS PÉNAL »

  1. Desfontaines

    Il y a quand même une différence entre personnes publiques et privées : la loi confie aux premières des pouvoirs exorbitants dont ne jouissent pas les autres, pour la constatation des infractions et l’interpellation de leurs auteurs ; il est donc normal que l’on soit exigeant sur la manière dont elles les exercent et que toute fraude puisse corrompre une procédure : il y va des libertés, et, de la confiance publique envers les titulaires de l’autorité. En revanche, s’agissant des personnes privées, s’il leur est interdit de commettre des infractions, même pour un bon motif, lorsqu’elles le font quand même, il est cohérent que, d’un côté, elles soient poursuivies et jugées pour leurs méfaits (quitte à ce que l’intérêt public du résultat soit un motif d’atténuation de la peine) et, de l’autre, que les éléments de preuve mis ainsi à disposition de la justice puissent être pris en compte : ce sont des données de pur fait qu’il serait gênant d’ignorer (eût-il fallu -pour mettre un nom sur les allusions que l’on devine codées de Mme Rassat-, renvoyer en Allemagne le colonel Argoud -qui ne s’était pas retrouvé de son plein gré saucissonné dans une voiture de l’autre côté de la frontière par on ne sait qui mais, en tout état de cause, en violation de la loi !-, ou, en Bolivie, Klaus Barbie -livré à la France dans des conditions un peu obscures, comme le professeur Jean-Claude Soyer l’avait, en son temps, et l’un des seuls, relevé d?

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    1. mlr Auteur de l’article

      Même si on suit votre raisonnement, il reste qu’on n’a aucune garantie sur le sérieux et l’authenticité des preuves rassemblées.
      J’étais assistante de Georges Levasseur, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’était pas un homme de droite, à l’époque du procès Argoud, et il avait écrit quelque chose qu’il m’avait fait lire, dont je ne me souviens plus s’il s’agissait d’une consultation ou d’un article (je ne le retrouve pas dans les bibliographies classiques) dans lequel il écrivait textuellement que dans une carrière déjà longue il n’avait jamais vu, dans une affaire quelconque, autant de causes de nullité que dans celle-là. Il se prononçait clairement pour l’incompétence française pour le jugement.

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      1. Desfontaines

        Certes, mais, le juge apprécie la pertinence des éléments qu’on lui soumet -spécialement au stade de l’enquête ou de l’instruction. Sur Argoud, il est vrai que la Cour de cassation n’a pas fait preuve d’audace, mais, dès lors qu’une personne recherchée et faisant l’objet d’un mandat d’arrêt est trouvée sur le sol français, même si elle ne s’y est pas retrouvée de son plein gré, que faire d’autre que de mettre à exécution ? (on ne peut pas la renvoyer dans ses foyers avec des excuses…). Summum jus, summa injuria…

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        1. mlr Auteur de l’article

          D’accord pour faire quelques cas particuliers. Mais de là à établir la règle générale que dès lors qu’on en veut à quelqu’un on peut l’enlever librement n’importe où, dans n’importe quelles conditions et avec l’aide de n’importe qui, je pense qu’il y a une marge. C’est ce que je croyais avoir dit.

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          1. Desfontaines

            C’est bien aussi ce que l’on a compris. Et, dans ce cas, il est, bien entendu, nécessaire que l’infraction commise soit sanctionnée : ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de nullité de la procédure suivie contre la personne enlevée que celui qui l’a enlevée peut le faire librement ; il doit, dans tous les cas, être poursuivi et sanctionné -et sévèrement s’il n’a pas d’aussi bons motifs que dans le cas évoqué initialement (sur lequel on peut discuter la peine prononcée).

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