Lisant avec un certain retard l’éditorial du n° 16 du Recueil Dalloz et dans un tel état de fureur qu’à mon âge il pourrait produire des résultats regrettables (pour moi… j’ignore ce qu’éprouveraient les autres des malheurs susceptibles de m’atteindre), j’y réponds tout de suite car il est indispensable que cette fureur sorte.
On me dira que l’idéal serait de demander à Dalloz de publier cette réaction. Mais, d’une part, elle ne répond en rien au « droit de réponse » du Droit de la presse et, d’autre part, compte tenu de l’état d’esprit de plus en plus répandu dans des revues que tout le monde considéraient jusqu’à présent comme « scientifiques », j’ai peu de chance d’obtenir satisfaction (relire, une fois de plus l’éditorial de ce Blog et aussi l’éditorial en question pour être informé).
Intellectuel écrivant je ne peux pas être soupçonnée de ne pas être attachée à la liberté d’expression. Je trouve tout de même regrettable qu’une Revue laisse injurier dans un éditorial une grande partie de ses lecteurs et, en plus, deux d’entre eux, nommément cités, et qui appartiennent au nec plus ultra de la doctrine juridique française, par quelqu’un dont je n’avais pas l’heur jusqu’à présent de connaitre le nom et les travaux. Je laisse à Pierre Avril et Jean Gicquel le soin de défendre leur honneur et j’espère qu’ils le feront (à moins qu’ils n’estiment que tout ce qui est excessif est insignifiant), mais je souhaite pouvoir être en état de défendre celui d’une doctrine à laquelle je suis honorée d’appartenir.
Monsieur Chazal accuse Pierre Avril et Jean Gicquel d’avoir publié un article au Figaro pour défendre François Fillion alors qu’ils avaient été consultés par celui-ci sur la régularité de sa situation. Par là il entend que les professeurs consultés déforment le droit pour faire plaisir à ceux qui les paient et qu’en publiant, ensuite, la teneur de leurs travaux, ils manquent à l’honneur des professeurs des facultés de droit en prenant des positions partisanes et en publiant ce qu’ils avaient écrit « sur commande ».
Ce pauvre Monsieur Chazal ne comprend décidément rien à rien.
I . Qu’est-ce qu’une consultation ?
C’est un avis objectif (OBJECTIF) appliquant le droit positif à un cas particulier.
J’ai donné beaucoup de consultations et rendu quelques rapports officiels. Je n’ai jamais rien écrit « sur commande ». Quand on me demande une consultation je réponds au demandeur que je suis incapable d’avoir une opinion sur un dossier tant que je ne l’ai pas lu et que, par conséquent, je ne lui promets nullement que ce que je vais écrire corresponde à ce qu’il souhaite. Je suis bien convaincue que la moitié des consultations que j’ai données ne correspondait pas du tout à ce que voulait le demandeur et qu’il en a fait des cocottes en papier. Cela ne me concerne nullement, l’intéressé était prévenu et mon honneur est sauf : je ne travaille pas « sur commande ». J’ai du mal à croire que d’autres de mes pairs le fassent.
Quand on me demande quel est mon bien le plus précieux je réponds que c’est ma réputation scientifique. Il faudrait être inconscient pour mettre celle-ci en danger pour quelques centaines, milliers et même dizaines de milliers d’euros, de même que pour des affinités politiques ou autres. Je défie toute personne de trouver la moindre faille entre les consultations que j’ai pu donner et ce que j’ai publié dans des articles ou livres scientifiques. Et je suis bien convaincue qu’il en est de même de la quasi-totalité de la profession. Si ce qu’il exprime est la conception de cette profession qu’a Monsieur Chazal c’est infiniment triste pour lui et pour elle.
Je sais que Monsieur Chazal déclare qu’il ne croit pas à la neutralité de la doctrine, pense que les opinions des auteurs influencent nécessairement leurs analyses et regrette seulement un mélange des genres. L’ennui c’est que c’est lui qui mélange. Le professeur des facultés de droit est un citoyen comme les autres qui a le droit d’avoir des opinions, philosophiques, idéologiques et politiques et de les exprimer dans les formes qu’elles impliquent (le droit de vote, par exemple ou des comités de soutien). Le Professeur des facultés de droit, quand il enseigne ou publie, enseigne le droit positif qui ne se prête, à aucune distorsion. S’il en modifie l’exposé pour le faire coller à ses opinions, ce n’est plus un professeur des facultés de droit, c’est un militant ; les étudiants le savent très vite et lui accordent, par leur absence à ses cours, l’intérêt qu’il mérite. Enfin, le professeur des facultés de droit peut, dans ses cours et dans ses travaux et après avoir exposé le droit positif, critiquer celui-ci et proposer des réformes, mais la distinction est alors parfaitement claire et ne se prête à aucun mélange des genres.
II. Que peut-on faire après une consultation ?
Élevée au monde du droit par Robert Vouin, j’ai toujours appliqué la méthode qui était la sienne et qu’il m’avait recommandée.
Chaque fois que j’ai été consultée dans une affaire qui a donné lieu, ensuite, à une décision de justice, j’ai toujours annoté la décision en question. C’est ce que Monsieur Chazal considère comme intellectuellement malhonnête alors que nous y voyions Robert Vouin et moi, le summum de l’honnêteté intellectuelle. Quelle meilleur moyen existe, en effet, de montrer à la communauté scientifique que ce que l’on a écrit dans une consultation on ne l’a pas fait pour faire plaisir à quelqu’un qui vous était cher ou qui vous avait payé pour le faire, mais qu’on y croit, au point de le publier sous son nom et son titre en destination de la communauté de ses pairs ? C’est ce qu’ont fait Pierre Avril et Jean Gicquel même si le Figaro n’est pas une revue scientifique (distinction de plus en plus floue depuis que les revues dites « scientifiques » ce sont mises à faire de la politique) ce qui ne modifie en rien le principe.
Après de longues années de pratique l’article de Monsieur Chazal aura eu au moins l’intérêt de me faire comprendre le sens de la réflexion que m’ont parfois faites des magistrats rencontrés çà et là et selon laquelle « vos consultations, on les lit » avant d’ajouter « ce n’est pas le cas de tout le monde ». Il faut, hélas en conclure, que le point de vue de Monsieur Chazal n’est pas entièrement infondé. Espérons que même en l’ajoutant à la liste, il demeure fortement minoritaire.