Cela fait déjà plusieurs semaines qu’il ne se passe pas de jour sans qu’un media ne s’interroge doctement sur ce que doit être l’âge d’une prétendue majorité sexuelle qui serait celui au-dessous duquel l’auteur d’une infraction sexuelle en serait automatiquement présumé coupable parce que la victime n’aurait pas pu consentir.
Cette façon de présenter les choses témoigne d’un confusionnisme peut être pardonnable pour des non-juristes mais qui, hélas n’est pas non plus étranger à certaines personnes qui prétendent l’être.
Si nos sociétés développées ont jugé utile de spécialiser les diverses branches de leur droit, c’est parce que celles-ci doivent répondre à des objectifs particuliers. Dans cette perspective la question posée intéresse le droit pénal dont, malheureusement, on tend de plus en plus à ignorer ou nier l’objectif social spécifique, ce dont la question ici posée fournit un éclatant exemple.
Le droit pénal n’est pas fait pour protéger les victimes et cela d’autant moins que nombre d’infractions pénales atteignent directement l’ordre public et ne sont pas susceptibles de faire des victimes individuelles, mais pour traiter le cas des coupables : les punir, neutraliser leur dangerosité et, autant que fait se peut, éviter qu’ils ne recommencent. La protection des victimes privées, s’il y en a, dans le cadre de l’infraction considérée, relève naturellement d’une impérieuse nécessité mais elle doit être traitée par les branches du droit dont c’est la vocation, c’est-à-dire, selon les cas, le droit civil de la responsabilité civile, de l’état des personnes ou de la famille ou le droit de l’aide sociale.
Dans le cadre des infractions sexuelles, la question de l’âge à considérer n’est donc pas celle de savoir s’il existe une majorité sexuelle au-delà de laquelle les mineurs pourraient avoir librement les relations sexuelles qu’ils veulent avec qui ils veulent. La question de la fixation d’une majorité relève du droit civil de l’état des personnes et elle ne varie pas selon l’activité considérée : scolaire, sportive, artistique, politique, etc… et sexuelle. Un mineur de dix-huit ans n’a pas le droit d’avoir une activité sexuelle, quelle qu’elle soit, si le titulaire de l’autorité parentale n’y consent pas expressément ou tacitement. Des parents peuvent interdire toute activité sexuelle à leur enfant mineur de dix-huit ans et prendre toutes les dispositions légales pour l’en empêcher si l’enfant ne parait pas adhérer à cette façon de voir les choses : le mettre en pension, l’éloigner, contrôler son courrier, etc… Et si quelqu’un qui sait que les parents d’un mineur de dix-huit ans sont opposés à ce que leur enfant ait des relations sexuelles, en a ou continue d’en avoir avec lui, il commet une faute qui engage à leur égard, sa responsabilité civile.
Il faut donc cesser d’invoquer une majorité sexuelle différente de la majorité civile et qui n’existe pas.
Ce qui amène les non-juristes à soutenir cela est que les actes de nature sexuelle non violents et qui ne sont pas le fait d’une personne ayant autorité ne sont pas incriminés s’ils sont commis sur un mineur de plus de quinze ans. Cela ne signifie pas, cependant qu’un mineur de plus de quinze ans a le droit d’avoir des relations sexuelles parce qu’il serait sexuellement majeur, ce qu’il n’incombe pas au droit pénal de décider, mais que dans le cadre de sa vocation propre (déterminer qui est au non socialement dangereux) le droit pénal estime que la personne qui a des relations sexuelles normales et consenties avec un mineur de quinze à dix-huit ans ne présente pas un danger social suffisant pour son comportement constitue une infraction pénale. On ne voit aucune véritable raison de modifier cela. Surtout dès lors que les parents peuvent en décider autrement.
La question qui se pose dans le droit pénal des infractions sexuelles est tout autre et dépend de la définition de ces infractions et de l’opposition classique entre les agressions et les atteintes sexuelles. L’agression sexuelle est le rapport sexuel imposé par la violence, la contrainte, la menace ou la surprise qu’il vaudrait mieux, d’ailleurs, définir comme l’acte de nature sexuelle auquel la victime n’a pas consenti. Elle constitue un crime (viol) ou un délit grave (agression sexuelle). L’atteinte sexuelle est un acte de nature sexuelle qui n’est pas imposé. Il est punissable moins sévèrement que l’agression s’il est commis sur une victime de moins de quinze ans et, sauf circonstances particulières, ne l’est plus au-delà de cet âge.
La question qui a été la plus controversée, dans les dernières années, quant à l’absence de consentement de la victime, a été celle de l’influence que l’âge de celle-ci est ou non susceptible d’exercer sur un éventuel consentement, autrement dit, comment se fait la distinction entre agression sexuelle et atteinte sexuelle quand la victime est mineure de quinze ans.
Dans cette perspective et selon le bon sens, il conviendrait de distinguer. Si l’enfant est hors d’état de comprendre la portée de ses actes, on doit considérer qu’il ne peut y consentir. Cette considération ne dépend pas d’un âge préfixé mais d’une appréciation de la situation de fait, quant au discernement de l’enfant. Si l’enfant ne peut pas comprendre ce qu’est la sexualité, l’absence de consentement de sa part est automatiquement établie et l’acte commis à son égard est réputé violent et constitue donc une agression. Dès que l’enfant est en mesure de comprendre ce qu’il fait, son âge ne constitue plus, à lui seul, l’absence de consentement. Il faut, pour retenir une agression sexuelle, établir une contrainte qui doit alors être fondée sur des circonstances de même nature que s’il était adulte. A défaut l’auteur des faits ne peut se voir reprocher qu’une atteinte sexuelle.
La jurisprudence avait, d’abord admis que l’absence de consentement résultait de plein droit de l’âge des mineurs victimes lorsque celui-ci était suffisamment peu élevé pour que les enfants ne puissent avoir aucune idée de ce qu’est la sexualité ce qui les rendait incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés et, par conséquent d’y consentir. Puis, plusieurs décisions de la Chambre criminelle, considérées par leurs commentateurs comme des décisions de principe, sont venues assurer, au contraire, que l’absence de consentement ne peut être déduite du seul âge des victimes et qu’il fallait dans tous les cas établir la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Cette position n’a cependant pas emporté l’adhésion des cours d’appel qui continuaient à considérer, avec un certain bon sens, qu’il n’y a pas de consentement possible, en pratique, pour des enfants de moins de six ans. La Chambre criminelle a, d’abord, semblé moins ferme dans certaines décisions où elle a validé des arrêts de renvoi en cour d’assises qui semblaient bien uniquement justifiés soit par l’âge de la victime soit par l’ignorance de celle-ci en matière de sexualité (cinq ans et demi), même si la Chambre criminelle croyait devoir s’en défendre dans la lettre de ses arrêts. Puis, elle a franchi le pas en jugeant que justifie sa décision la cour d’appel qui, pour déclarer un prévenu susceptible d’être coupable d’actes sexuels commis avec violence, contrainte, menace ou surprise sur trois mineurs âgés d’un an et demi à cinq ans, énonce que l’état de contrainte ou de surprise des victimes résulte de leur très jeune âge qui les rendait incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés. Au contraire, des âges compris entre onze et treize ans étaient jugés suffisants pour établir le discernement et donc le consentement et transformer l’agression sexuelle en atteinte sexuelle, les âges intermédiaires n’ayant pas été soumis à la jurisprudence.
Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas de dire que les auteurs d’actes sexuels non violents commis sur des mineurs de onze ans ou treize ans ne commettent pas d’infractions pénales, mais que celles-ci sont réputées moins graves que si les victimes étaient inconscientes de la situation et ne constituent que des atteintes sexuelles.
Ce sont ces âges qui sont aujourd’hui l’objet de toutes les critiques certains proposant de réputer, par la voie légale, l’absence de consentement jusqu’à treize, voire quinze ans et donc de retenir systématiquement l’agression sexuelle sans s’interroger sur le discernement de la victime dès lors qu’elle a moins que cet âge.
Ce point de vue peut se comprendre, mais à condition, une fois encore, de resituer convenablement le problème compte tenu de l’objectif du droit pénal. La vraie question n’est pas, en effet, de savoir si une victime mineure peut ou non consentir à avoir des relations sexuelles mais celle de savoir jusqu’à quel âge de la victime une personne qui a des rapports sexuels avec un mineur présente une dangerosité particulière qui doit faire réputer l’infraction commise par elle plus ou moins grave.
Or et la chose est suffisamment peu courante pour être relevée : tous les criminologues sont, pour une fois, d’accord pour considérer que cet âge se situe à treize ans. On peut donc se déclarer favorable à une modification des normes légales actuellement retenues et réputant désormais agression tout acte sexuel commis sur un mineur de treize ans, mais certainement pas comme on s’apprête à le faire.
Il est indispensable de distinguer, dans leur définition, les agressions sexuelles sur adultes ou sur mineurs. Rien n’est à modifier en ce qui concerne les adultes, si ce n’est la précision que les articles actuels du Code pénal ne concernent désormais plus que les victimes de plus de treize ans. Il faut ajouter un article du Code spécifique aux mineurs de treize ans et précisant que tout acte de nature sexuelle est considéré comme une agression dès lors qu’il est commis sur un mineur de cet âge. Il faut préciser que les atteintes sexuelles concernent les mineurs de treize à quinze ans et conserver le régime actuel pour les mineurs de plus de quinze ans.
Mais il faut cependant être bien conscient de ce que l’on fait. Même si l’on reprend le problème comme il doit être pris, c’est-à-dire par rapport à l’auteur des faits, il n’en demeure pas moins que réputer agression sexuelle tout acte commis sur un mineur de treize ans constituera une présomption de culpabilité au-dessous de cet âge et que la Cour européenne des droits de l’homme n’aime pas ces présomptions et ne les admet que jusqu’à une preuve contraire dont on voit mal ici ce qu’elle pourrait être.
Globalement, bien d’accord ! On peut ajouter que :
1°) On se demande pourquoi ce projet paraît piloté par Mme SCHIAPPA, au mépris de la compétence naturelle de la Chancellerie : on ne voit pas en quoi « l’égalité entre les hommes et les femmes » peut être concernée en l’espèce, alors qu’il s’agit d’une problématique de rapports entre majeurs et mineurs, et, que tous les sexes peuvent indifféremment être en cause (la pédophilie n’est pas l’apanage exclusif des hommes à l’égard des petites filles !).
2°) On a, une fois de plus, un cas de la très détestable pratique « un fait divers, une loi » : soit, de cette législation de circonstance et d’émotion, destinée moins au progrès du droit qu’à la prise de posture médiatique de responsables politiques ; ce qui est d’autant plus paradoxal, en l’occurrence que les deux faits divers qui en ont été le prétexte concernent des procédures judiciaires en cours, qui n’ont pas trouvé leur conclusion définitive –rien n’interdit de penser, a priori, que cette dernière ne sera pas de nature à apaiser les craintes qui ont pu s’exprimer !
3°) Sur le fond, ce projet est, à la fois inutile et dangereux :
– C’est un projet inutile, parce que le droit en vigueur offre toutes les possibilités de sanctionner, quand il y a lieu, l’abus, par un majeur, de l’avantage moral que peut lui donner son âge : l’article 222-22-1 du code pénal prévoit que la « contrainte », qui, avec la « violence », « menace » ou « surprise », peut être constitutive de l’agression sexuelle, peut être aussi bien physique que « morale », et, que cette « contrainte morale peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime » : bien comprise, cette disposition peut permettre de sanctionner le cas où un majeur bénéficie d’une faveur sexuelle du seul fait de l’autorité de pur fait que peut lui conférer la supériorité de son âge. L’article 222-29, pour sa part, prévoit même une circonstance aggravante en raison de la « particulière vulnérabilité » due à l’âge de la victime : ce qui est une circonstance de fait à apprécier cas par cas, mais, peut couvrir l’hypothèse d’un très jeune âge, exclusif, normalement, de la pratique des relations sexuelles.
– C’est un projet dangereux, qui peut aboutir à des situations aberrantes : sans même évoquer l’absurdité –manifestement anticonstitutionnelle-, que serait une automaticité de l’infraction d’agression sexuelle, sans considération de la réalité des circonstances, on aboutira, si l’on pénalise de cette manière le seul fait, pour une personne majeure, d’avoir des relations avec une personne mineure avant 15 ans, à ce paradoxe que deux mineurs, l’un d’eux serait-il très proche de 18 ans quand l’autre aurait moins de 15 ans, seront parfaitement libres d’avoir des relations entre eux –et, seront supposés avoir tout le discernement à cette fin, pour peu que le consentement de l’un d’eux ne soit pas altéré dans des conditions relevant du code pénal-, mais, passé le seuil de 18 ans pour le plus âgé, les foudres de la loi s’abattront, et le ou la partenaire sera considéré(e) comme une « victime »… C’est faire fi de toute réalité sociologique et humaine, et, ignorer l’état des mœurs ambiantes ! (on peut gager que si un gouvernement d’une autre tendance politique avait proposé une pareille réforme, toute la gauche intellectuelle, médiatique et politique n’eût pas manqué de hurler au « retour à l’ordre moral » et à « l’atteinte à la liberté sexuelle des jeunes »…).
4°) En fait, la question posée est, effectivement, celle du discernement du partenaire mineur : eu égard à la très grande variété des situations, et, aux différences considérables de maturité qui peuvent exister entre des jeunes du même âge, c’est, par définition, une question à laisser, in concreto, à l’appréciation des juridictions ; au demeurant, c’est une problématique qui leur est familière, et, si, dans un cas particulier, une décision peut surprendre, il n’est, alors, que de faire jouer les mécanises habituels de recours. Si un seuil doit être fixé, il doit l’être à un âge qui, comme celui de 13 ans, par exemple, présente une cohérence avec le reste de notre droit, puisque c’est celui de la responsabilité pénale : comment justifier qu’entre 13 et 15 ans, avec ce projet, on pourrait être jugé apte à commettre des infractions et à en répondre en justice, et, incapable de consentir à une relation sexuelle ?!
Mais, il est clair qu’on est ici au-delà de tout débat rationnel : il ne s’agit, de toute évidence, dans un contexte de véritable « macccathysme » féministe, que d’instrumentaliser la loi au service de fins militantes parfaitement indifférentes à sa qualité…