CHRISTIANE TAUBIRA ET L’ŒUF DE CHRISTOPHE COLOMB

Christiane Taubira soulève les passions y compris exprimées par les moyens les plus contestables et qui doivent être fustigés à la hauteur de ce qu’ils sont.

Mais ce n’est pas une raison pour perdre toute lucidité dans l’analyse comme on le fait à gauche comme à droite à propos de la réforme pénale qu’elle soutient. Ce n’est ni « une grande réforme » ni une catastrophe pour la sécurité publique car ce qu’on peut en dire, si l’on veut résumer en une phrase, c’est au choix « nulle et non avenue » ou « circulez, il n’y a rien à voir ».

La France aime charger des commissions, des personnalités ou des ministres d’élaborer des projets qui seront abandonnés le jour même où ils sont dévoilés. Elle a fait particulièrement fort, depuis quarante ans, en matière de justice pénale. Du moins tous ces projets, totalement ou partiellement abandonnés, avaient-ils présenté une ou plusieurs idées originales, qui ont finalement laissé quelques traces, et qu’on a retrouvées au fil de réformes postérieures. Ce qui caractérise le Projet Taubira, c’est l’absence totale de toute idée neuve, le degré zéro de la réflexion en matière de politique pénale.

Le principal effet de ce projet de loi, comme d’ailleurs d’autres de ce même gouvernement en d’autres domaines, c’est la suppression de ce qui avait été fait auparavant. Exit donc les tentatives pour sanctionner plus sévèrement les récidivistes et dont les peines dites « plancher » étaient le symbole. On ne peut pas dire que ce soit une idée transcendante. Mais sur le fond et si c’est à l’évidence regrettable, ce n’est pas pour autant le drame que d’aucuns nous décrivent tant, ce qui avait été fait, si c’était mieux qu’avant, demeurait insuffisant. Il est évident : qu’il faudrait se décider à mener une vraie politique de lutte contre la récidive ; que cela n’a jamais été fait ; que ce n’est certainement pas ce que fait le projet actuel ; et, enfin, que pour que l’actuelle opposition revenue au pouvoir le fasse un jour, il faudrait qu’elle cesse d’avoir peur de son ombre et des critiques des bien pensants qui parlent beaucoup pour faire croire qu’ils pensent mais ignorent plus encore.

Il y a dans ce projet une seule innovation intéressante, celle à laquelle aucun de ses commentateurs n’a consacré la moindre ligne : la possibilité accordée aux juridictions de jugement de suspendre celui-ci pour permettre de rechercher les éléments susceptibles de mieux évaluer la personnalité du prévenu et qui ne figureraient pas au dossier. On ne peut cependant pas dire que cette idée soit nouvelle. Je l’avais moi-même suggérée…il y a trente ans… (Pour une politique anti-criminelle du bon sens) et d’autres l’avaient fait aussi avant et après.

Pour le reste, le projet Taubira se contente d’organiser un désordre encore plus grand que celui qui existe aujourd’hui dans le prononcé et l’exécution des peines correctionnelles.

La prétendue « contrainte pénale » n’est rien d’autre que le sursis avec mise à l’épreuve, qui existe depuis 1958, sinon tel qu’il figure dans la loi, du moins tel qu’il est appliqué par la pratique. On nous dit que la différence entre les deux institutions viendrait du fait qu’en cas de non-respect des obligations qui lui ont été imposées ou de commission d’une nouvelle infraction, la personne aujourd’hui condamnée avec un sursis va tout de même en prison alors qu’avec la contrainte pénale elle n’y ira plus. Outre qu’on peut douter du bien-fondé de la méthode, c’est doublement faux. Depuis 1975, le sursis avec mise à l’épreuve n’est automatiquement révoqué par rien. C’est à la nouvelle juridiction saisie à la suite de la mauvaise conduite du probationnaire qu’il incombe de dire si elle veut ou non révoquer le (ou hélas, le plus souvent, les) sursis précédent(s). En outre et si elle opte pour la révocation, elle peut ne le faire que de façon partielle (un des sursis précédent et non les autres ou une partie seulement de la peine d’emprisonnement qui avait été assortie des sursis). Par ailleurs, à l’inverse, et quoiqu’elle en pense ou dise, Madame Taubira a bien été obligée de prévoir l’emprisonnement de son « contraint » s’il ne veut décidément rien entendre. La différence, c’est qu’ici la durée de l’emprisonnement est préfixée à la moitié de la peine initialement prononcée (on est de gauche ou on ne l’est pas). Mais compte tenu de ce qui se passe actuellement avec le sursis avec mise à l’épreuve et que nous venons de rappeler, cela ne changera pratiquement rien. Quant à savoir quand et comment les juges choisiront l’une ou l’autre formule, qui subsistent toutes les deux, sans parler de beaucoup d’autres possibilités, mystère.

Mais c’est surtout quant aux obligations susceptibles d’être imposées que le texte est d’une anémie affligeante. Ce ne sont, en effet, que les seules obligations ou interdictions connues aujourd’hui et actuellement prévues au titre du sursis avec mise à l’épreuve ou qui existent, en tant que telles, qui pourront être imposées au contraint. On aurait attendu mieux d’une mesure devant s’appliquer à des prévenus dont « la personnalité … et les circonstances de la commission des faits justifient un accompagnement socio-éducatif individualisé et renforcé » alors surtout que la mesure peut s’appliquer pour cinq ans ce qui laisse tout de même, si on le veut, la possibilité de faire quelque chose. Il aurait convenu, par exemple, d’imposer des obligations non pas de moyens (faire tout son possible pour…) ce qui compte tenu de la clientèle concernée relève, la plupart du temps, du cautère sur une jambe de bois, mais des obligations de résultat (apporter une preuve de désintoxication effective ; obtenir une qualification professionnelle ; garder le même logement et le même travail pendant plus d’un an, par exemple), à condition, bien entendu, que l’intéressé l’accepte car il ne peut être question, en démocratie, d’imposer un mode de vie à quelqu’un qui n’en veut pas . Le prévenu devrait donc avoir le choix entre les moyens d’une resocialisation offerte et la prison. Bien entendu, on chercherait vainement tout ça dans le texte, où l’on continue dans le domaine de l’incantation en priant poliment les condamnés de faire tout leur possible pour se réinsérer socialement. On ne commencera donc à faire quelque chose de sérieux aux délinquants que lorsqu’ils commettront une infraction qui encourt une peine supérieure à cinq ans d’emprisonnement, ce qui ne manquera pas de se produire dans un nombre de cas significativement plus élevé que si l’on avait efficacement réagi plus tôt. Jusque-là ils ne craignent pas grand-chose à gagner leur vie par des moyens illégaux mais tellement moins fatigants et plus rentables que ceux qu’appliquent la majorité des français qui respectent la loi et doivent, en plus, subir les attaques de ceux qui ne le font pas.

Reste enfin, l’insuffisance criante et qui le restera du personnel chargé d’encadrer tous ces condamnés laissés en milieu libre (les sursitaires, les contraints, les sortants de prison, etc…) et ce ne sont pas les quelques créations de poste qui sont annoncées qui y changeront quelque chose. On peut faire un calcul simple : un mois compte 24 jours ouvrables, on ne peut pas dire qu’un condamné qui a besoin d’un « accompagnement socio-éducatif individualisé et renforcé » est convenable suivi s’il ne rencontre pas la personne chargée de l’encadrer au moins une demi-journée par mois ; conclusion : chaque membre du personnel ne doit pas avoir en charge plus de 48 dossiers. C’est en toute hypothèse impossible. Le budget de la justice ne supporterait pas le poids des rémunérations du nombre de personnes nécessaires à cette prise en charge et, en admettant qu’il le fasse, on ne trouverait pas suffisamment de personnes motivées et convenablement formées capables de le faire. Une semblable méthode qui n’a rien, en elle-même de fondamentalement mauvais doit être très précisément ciblée sur quelques prévenus choisis après un examen approfondi de leur situation et non étendue à tous, ce qui est le vice fondamental du projet mais aussi, répétons-le, du droit positif.

Alors, le projet Taubira, un coup pour rien ? Techniquement oui. Mais en matière de politique pénale, il n’y a pas que la technique.

En 1981, l’élection de François Mitterrand a été saluée par des chahuts d’applaudissements dans toutes les prisons françaises. Rien n’avait encore été fait, mais les délinquants avérés ou en puissance avaient acquis le sentiment que leur situation allait s’améliorer et l’explosion de la délinquance qui a suivi n’était pas uniquement due à la politique menée, aussi mauvaise qu’elle ait été, mais aussi, et d’abord, à un sentiment d’impunité qui s’était installé avant même que cette politique ne se développe. C’est un message du même ordre qu’envoie Christiane Taubira, mais qui, là encore, avait commencé avant même que son texte ne soit connu, la personnalité de Manuel Valls ne semblant pas suffisante pour contrebalancer ce sentiment d’impunité aujourd’hui bien installé.

Pour une fois il serait vraiment utile de jeter un projet à la poubelle. Il est clair qu’on l’a déjà retardé, mais comme je viens de le dire le mal était déjà fait et il faudra beaucoup plus qu’un retard ou même qu’un abandon pour qu’on fasse reculer le sentiment d’impunité qui prévaut aujourd’hui, et que suscitent la personnalité et le discours de Christiane Taubira.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *