DEUX REMARQUES SUR LE TERRORISME

I. De la perpétuité « réelle »
(je n’insisterai pas sur l’absurdité intrinsèque de la formule)

Les médias ne tarissent pas de propos relatifs à la perte de considération et de crédibilité du personnel politique dans l’opinion publique. Ce que l’on voit ces derniers jours, à propos du terrorisme, n’est pas fait pour arranger les choses.

La classe politique vient, en effet, de s’illustrer à propos d’une revendication de perpétuité réelle pour les auteurs d’infractions de terrorisme dont il y a fort à parier qu’elle ne va pas redorer son blason dans l’opinion publique, au moins celle qui réfléchit, même si, sur le fond 90% de la population est favorable à cette solution.

Nos politiques de tous bords se sont, en effet, révélés fidèles à leur « mode d’emploi » habituel : un évènement ; une demande d’intervention législative ponctuelle et même pour ceux qui se croient les plus efficaces, le dépôt immédiat d’une proposition de loi en ce sens.

Faisant ainsi il ne font qu’accréditer un peu plus l’idée que ce qui les intéresse est moins de régler un problème que d’attirer l’attention des médias. Et cela marche parfaitement comme le montre l’invitation immédiate de Nathalie Kosciusko-Morizet à une émission politique de grande écoute le soir même. Et le comble dont on ne sait s’il faut rire ou pleurer est que Madame Kosciusko-Morizet a déclaré sans rire, elle, lors de cette émission, que le principal problème de la France en matière de terrorisme est qu’elle n’avait jamais eu de la chose qu’une vision à court terme !

Le sujet du jour était donc l’instauration d’une perpétuité dite « réelle » pour les auteurs d’infractions de terrorisme. Passons sur le fait que les infractions de terrorisme ne sont pas toutes de la même gravité et que la perpétuité, réelle ou pas, n’est pas envisageable pour nombre d’entre elles. Mais le vrai problème n’est pas là.
Qu’une rétention perpétuelle soit utile, voire nécessaire pour certains terroristes (et pas seulement) est parfaitement soutenable et la signataire de ces lignes soutient ce point de vue, comme 90 % des français. Mais la question est de savoir quelle est la bonne méthode pour y parvenir. Un point est certain : ce n’est certainement pas celle qui consiste à déposer aujourd’hui une proposition de loi limitée à cela même si on la raccroche à un projet de loi sur le terrorisme déjà en cours et un tout petit peu moins partiel. Le problème est double : de méthode et d’objet.

1) La méthode.

Parler de perpétuité réelle revient à envisager un problème d’exécution des peines. Passons une fois encore (vraie coïncidence, sans doute) sur le fait que ce soit le même jour que la Cour des comptes épingle la catastrophique gestion de l’administration pénitentiaire alors que c’est cette administration qui serait en charge des dites perpétuités.

Toute personne capable de raisonner normalement peut comprendre qu’avant d’envisager de faire exécuter une peine, il faut qu’elle ait été prononcée et que pour la prononcer il est utile que les juridictions aient à leur disposition un tableau raisonnable des peines dépendant lui-même de la définition d’une politique pénale.

Le code de 1992 était, dans son ensemble fort médiocre mais sa partie « peines » était la pire de toutes. En outre, elle a été, depuis défigurée par de nombreuses réformes aussi improvisées que celle aujourd’hui examinée et bouleversée par les inventions Taubira. Envisager des problèmes relatifs à l’exécution des peines sans reconfigurer tout le système des peines du Code pénal est un non-sens.

Mais pour faire ce travail encore faut-il avoir une vision claire de ce que doit être la politique pénale à mener c’est-à-dire avoir réfléchi aux problèmes qui se posent au pays au lieu de passer son temps à chasser la caméra.
Dans les années post 1981, une circulaire restée célèbre du Garde des sceaux vedette de l’époque a expliqué que la vraie délinquance était la délinquance économique et financière et que les moyens devaient être orientés en ce sens quitte à sacrifier la délinquance traditionnelle, même violente. On avait une politique pénale. Elle était absurde et dangereuse, la situation actuelle le révèle, mais elle existait. Il y a quelques années, une fable particulièrement bien vue dans la classe politique a été celle dite de la « tolérance zéro » qui soutenait qu’il fallait poursuivre effectivement et avec la même énergie toutes les infractions commises. C’était un mensonge et une erreur. C’était un mensonge car notre système pénal n’a pas et n’aura jamais, quoiqu’on fasse, la capacité de tout poursuivre. Mais c’était surtout une erreur, car dire que l’on va tout poursuivre avec la même énergie signifie qu’on n’a pas de politique pénale c’est-à-dire aucune conception de l’ordre public guidant ce qui doit être appréhendé d’abord et puni le plus sévèrement.

Si Madame Kosciusko-Morizet et tous ceux qui se bousculent pour accéder à la magistrature suprême veulent de nouveau être pris au sérieux par les électeurs, au moins dans le domaine pénal, il faudrait qu’ils cessent de s’agiter en vain dans une fin de règne qui a évidemment l’inconvénient pour la France de s’éterniser. Ils doivent tous dire clairement qu’ils ont pris conscience des erreurs des trente dernières années et quelle est la politique pénale, enfin sérieuse, qu’ils veulent pour l’avenir de la France (et qui ne se limite évidemment pas au terrorisme quelque affreux qu’il soit). Bien entendu, il faut dire aussi, parce qu’il y a urgence, quels textes ils ont d’ores et déjà fait préparer et qui lui permettraient d’annoncer un calendrier prévisible de réformes et quelle réorganisation ils envisagent pour l’ensemble de notre système pénitentiaire d’exécution des peines, ce qui lui permettrait alors, mais alors seulement, de dire comment ils feront éventuellement exécuter les condamnations à perpétuité qui ne sont qu’une toute petite partie du problème général posé par la délinquance de ce pays.

Il est vain de vouloir réparer le fermoir d’un collier si l’on n’a pas le collier. A défaut de démontrer qu’on a une vision d’ensemble des problèmes que l’on prétend traiter, le mieux à faire est de se taire.

2°) Le fond

Tout le monde parle de « terrorisme » et seulement de terrorisme et lorsqu’il s’agit d’envisager son traitement de « déradicalisation ». C’est faire comme si le terrorisme était un ilot isolé dans l’univers de la délinquance.
Or ce que nous savons de la personnalité des auteurs des faits récents confirme ce que nous savions depuis longtemps : même les plus jeunes d’entre eux avaient pratiquement tous commencé leur carrière délinquantielle bien avant leurs agissement terroristes et par de la délinquance de droit commun violente.

Une affirmation qui, à ma connaissance n’a jamais été scientifiquement confirmée, est que la prison serait favorable à la radicalisation islamique. C’est, partiellement au moins probable mais il est tout aussi probable qu’à défaut d’avoir rencontré l’illumination islamiste, les mêmes auraient continué dans la délinquance violente de droit commun. Ce sont des délinquants violents de vocation, à la personnalité instable et qui ont « sauté » sur la perspective du terrorisme dès qu’on la leur a présentée mais qui n’auraient pas manqué, à défaut, de trouver d’autres occasions de nuire. La différence, évidemment non négligeable, est que leur implication dans l’islamisme radical décuple leur faculté de nuire. Mais elle ne crée pas le phénomène.

Au lieu de faire, a posteriori, de la déradicalisation, ne vaudrait-il donc pas mieux se saisir sérieusement de la délinquance violente quand elle commence à se manifester au lieu de suivre l’angélisme qui a conduit nos kamikazes d’aujourd’hui là où ils sont allés. Car il est probable que si l’on décortiquait sérieusement leurs antécédents judiciaires on y trouverait bon nombre de mesures d’exécution en liberté des peines auxquelles ils avaient été condamnés, de sursis accumulés, de crédits de réduction de peines, de libérations anticipées, etc… Une limitation drastique de ces aménagements de peine dès lors qu’on se trouve en présence d’agissements violents serait certainement un des meilleurs moyens de lutter contre le terrorisme avant qu’il ne se manifeste.

Une fois de plus, la réponse pénale est une chaine : on ne traite pas une chaine en remplaçant un maillon.

II. Le Val de Grâce

Il y a bien longtemps que nos voisins belges font les frais de notre « humour » au travers des traditionnelles « histoires belges ». Les images des derniers jours montrent qu’il y a tout de même des domaines dans lesquels ils se montrent plus intelligents que nous.
Toutes les images diffusées de la prise en charge des victimes des attentats bruxellois montrent des arrivées d’ambulances à l’Hôpital militaire de Bruxelles. Nos voisins belges ont donc bien compris, que, quelles que soient les discussions sémantiques sur l’appellation adéquate à donner au phénomène, dans son ensemble, les blessés du terrorisme dont des blessés de guerre.

Et nous ?

Nous avions à Paris un hôpital militaire tellement excellent que les dirigeants du monde entier venaient s’y faire soigner. C’est au moment où flambent les attentats que le gouvernement, par les œuvres de l’ineffable Madame Touraine, non contrée sur ce point par un ministre des armées que tout le monde s’accorde pourtant à juger excellent, à décider de fermer l’établissement au nom d’une logique que n’apparait qu’à l’auteur de la décision.
S’il y a des cas dans lesquels on ferait mieux de se taire, il y en a d’autres qui doivent faire parler et même hurler. On ne peut, une fois encore, que se désoler que l’opposition et aussi les associations de victimes des attentats soient totalement muettes sur la question alors que la logistique étant encore partiellement au moins en place, on pourrait faire machine arrière en rajoutant, d’ailleurs à l’ensemble la traumatologie qui avait déjà, soyons équitable, été excentrée. Ce serait d’autant plus utile que les hôpitaux civils ont fait savoir qu’ils n’étaient pas loin, en novembre, d’avoir atteint leur point de saturation et qu’en toute hypothèse un établissement de plus susceptible d’accueillir les victimes les plus gravement atteintes de blessures spécifiques ne serait pas de trop.

Que se passera-t-il quand viendra le prochain attentat, et il viendra ?

Faire que les victimes soient convenablement soignées c’est aussi lutter contre le terrorisme. La réactivation de Val de Grâce est une nécessité dont on ne peut que se désoler qu’elle ne soit pas demandée avec une vraie fermeté.

1 réflexion sur « DEUX REMARQUES SUR LE TERRORISME »

  1. Dominique MATAGRIN

    Si l’expression « perpétuité réelle » est absurde, il faut savoir que c’est parce que, dans notre droit, il n’y a pas accord entre le mot et la chose : toute peine supposée « perpétuelle », peut, en fait, être abrégée et comporter une possibilité de libération (et même celle pour laquelle, sous le garde des sceaux Méhaignerie, la communication politique a inventé cette expression) ; autant dire, donc, qu’il n’existe pas de peine perpétuelle en France, sinon pour l’affichage ! C’est une vraie duperie de l’opinion. A chaque fait divers bien sanglant, on se lance dans une surenchère législative pour afficher des conditions de libération plus restrictives, mais, le principe n’est jamais remis en cause d’une « perpétuité à durée potentiellement limitée » -alors que, techniquement, une vraie « perpétuité réelle » ne supposerait qu’une très minime réforme des textes pour simplement supprimer la possibilité d’octroi de la libération conditionnelle à un condamné perpétuel ; ainsi, une libération exigerait d’abord une grâce présidentielle pour commuer la peine perpétuelle en peine à temps, et, aucun condamné « à perpétuité » ne sortirait de prison en tant que condamné à perpétuité. La Cour dite européenne des droits de l’homme y est réticente : cela pose, une fois de plus, la question de la soumission de la France à cette juridiction étrangère (mais, en attendant, il y aurait sans doute des moyens juridiques pour contourner l’obstacle).

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