ENCORE UN PROJET DE LOI SUR LE TERRORISME

Après que la polémique sur une éventuelle déchéance de leur nationalité pour les criminels condamnés pour faits de terrorisme soit en train au mieux de s’essouffler et au pire de se perdre dans des délires supplémentaires, nous voilà repartis sur une nouvelle empoignade à propos d’un projet de loi de procédure, dont les grandes lignes ont été révélées par un journal du soir sans qu’il semble possible, pour le moment et pour le vulgum pecus, d’avoir des précisions officielles.
Ce texte serait pris dans le but de renforcer la lutte contre le terrorisme (mais pas seulement et c’est surtout en cela qu’il nous parait, a priori, mériter la critique).

Le premier aspect critiquable et qui devrait donner de saines idées à ceux qui aspirent à remplacer éventuellement les actuels dirigeants, c’est le nombre, pour ne pas dire l’accumulation de textes disant avoir la même vocation depuis quelques trente ans. Il n’y a pas de meilleure preuve que personne ni dans la majorité, ni dans l’opposition, n’a de vision suffisante de la politique pénale pour élaborer des textes appuyés sur un socle d’idées de base précises leur permettant d’avoir une vie durable et sans qu’il soit nécessaire de les triturer à tout moment pour faire face à des situations qu’on a eu le tort de ne pas prévoir. On continue imperturbablement à légiférer au coup par coup, après à peu près tout fait divers nouveau de quelque retentissement, ce qui est la négation même de l’idée de politique pénale qui n’est plus une politique mais une girouette si elle change à tout propos.
De ce point de vue et si l’on croit que la France mériterait un changement, l’idée qu’il faut une «primaire » qui oppose dans tous les partis politique les aspirants à la désignation comme chef de file à ce qui est devenu l’événement essentiel de notre vie publique ne peut qu’aggraver les chose et en tout cas certainement pas les réparer. Obliger les différents candidats, d’une même famille de pensée, à se positionner les uns à l’égard des autres et donc à s’opposer avec des équipes et des programmes différents, ne facilite pas une réflexion de fond sur les problèmes et l’on ne pourra ainsi que continuer dans le cafouillis. A quand une politique pénale sérieuse, appuyée sur quelques idées force unanimement admises déclinée par les meilleurs techniciens et dont on pourrait espérer qu’elle aura une durée de vie autre que les quelques années, voire les quelques mois des régimes actuels ?

Sur le fond et d’après ce qu’on peut savoir du projet actuellement en cours d’élaboration, trois volets sont concernés.

I. L’augmentation des pouvoirs d’enquête du ministère public.

On envisage, tout d’abord, d’accorder au ministère public agissant par voie d’enquête des pouvoirs étendus de recherche de preuve tels que les perquisitions de nuit et les captations technologiques (de conversations, d’images et de géolocalisation) qui ne sont actuellement permises que dans le cadre d’une instruction préparatoires.

On oppose, en premier lieu, à cette réforme, le fait que les membres du parquet ne sont pas des juges du siège indépendants. Mais leurs pouvoirs ici, comme en d’autres domaines, seront contrôlés par le Juge des libertés et de la détention qui l’est, lui. Lire dans une interview à la presse, que des magistrats s’indignent au motif que le JLD ne connait généralement rien aux dossiers dans lesquels il intervient a de quoi laisser sans voix : 1) Comment des magistrats ont-ils pu laisser passer jusqu’à présent un contrôle qui s’exerce déjà en nombre de domaines non négligeables, dont la détention provisoire, alors qu’ils savaient que ce contrôle n’en était pas un ?; 2) Et si c’est vrai il faut tout simplement que ça change en renforçant spécifiquement cette fonction dans les créations qu’on nous annonce.

On critique en second lieu cette innovation au motif qu’elle va priver le juge d’instruction d’une partie de ses fonctions et qu’il s’agirait d’une chronique annoncée de sa mort qui interviendrait non pas en tant que telle, comme cela avait été malencontreusement tenté autrefois, mais à petit feu en lui retirant de sa substance. Ayant toujours été (y compris au cours des missions officielles dont j’ai été chargée) et étant toujours un farouche défenseur du juge d’instruction, je ne soutiendrais évidemment pas une réforme qui pourrait avoir une telle conséquence. Mais sur la base de ce qu’on sait du texte, je ne vois vraiment pas en quoi c’est le cas.
Il est évidemment hors de question de supprimer une instruction obligatoire pour les crimes de terrorisme et il parait difficile de l’envisager pour les plus compliqués de ses délits. En outre il faut rappeler que seule l’instruction permet de placer en détention provisoire dont on imagine mal qu’on puisse se passer en matière de terrorisme. La seule question qui demeure est celle de savoir si le juge d’instruction va perdre quelque chose à une réforme qui augmente les pouvoirs d’enquête du procureur de la République. Je ne le crois pas et pense même qu’il va y gagner en rapidité la lenteur demeurant la principale critique qu’on peut faire à l’instruction préparatoire. Il n’y a que dans les feuilletons télévisés que les juges d’instruction ne traitent que d’un dossier à la fois ce qui leur laisse le loisir d’aller eux-mêmes à la pêche aux preuves. Dans la vraie vie, les juges d’instruction restent dans leurs cabinets pour faire ce qui ne peut relever que d’eux et délivrent des commissions rogatoires aux policiers pour rechercher les preuves. Ces policiers qui ont de fortes chances d’être les mêmes que ceux auxquels le ministère public demandera les mêmes recherches dans le cadre des enquêtes et qui plus est dans des temps beaucoup plus courts puisque les enquêtes sont enfermées dans des délais ce qui n’est que peu le cas des instructions. Lorsque le juge d’instruction sera saisi après ces enquêtes, non seulement il ne lui aura rien été enlevé mais il recevra un dossier substantiel qui lui permettra d’avancer plus vite, une partie des recherches étant déjà faite. Ajoutons que rien ne peut lui interdire de faire mener d’autres investigations, s’il les estime utiles, ni même d’ailleurs, de faire poursuivre ou recommencer les mêmes. Rien ne met donc réellement le juge d’instruction en danger.

Certes il semble y avoir dans le projet actuel quelques maladresses rédactionnelles comme celle qui ferait dire que le ministère public conduit ses enquêtes « à charge et à décharge » ce qui recopie une des règles phares de l’instruction préparatoire. Cela relève bien évidemment d’une ineptie qui procède, comme souvent, d’une volonté de bien faire associée à une ignorance abyssale. Dans le cadre des enquêtes on ne recherche pas des charges mais soit des « raisons plausibles » soit « des indices graves et concordants » qu’une personne ait fait ou n’ait pas fait quelque chose. Savoir si tout cela implique un soupçon de culpabilité ne relève pas de l’enquête mais procède d’une démarche de jugement et ne peut donc émaner que d’un juge d’instruction ou du siège selon les cas. Le ministère public dirige des enquêtes qui rassemblent des éléments de preuve. Au-delà de la position qu’il va adopter lui-même quant aux décisions qu’il va prendre pour la suite à donner à ces éléments, il n’a ni le pouvoir ni le droit de se demander ce qu’ils peuvent bien impliquer ni quelles conséquences ils peuvent bien avoir. Il rassemble, il transmet et il fait connaitre son avis à un juge d’instruction s’il y est obligé ou, dans les autres cas, s’il choisit de le faire ou à une juridiction de jugement s’il cite directement devant elle. Le seul problème est qu’il faudra éviter qu’une extension des pouvoirs d’enquête ne conduise à une augmentation du nombre des saisines directes de juridictions de jugement. Mais le risque n’existe pas en matière de crime où l’instruction est et doit demeurer obligatoire et peu pour le reste en raison de la nécessité du placement en détention provisoire.

II. La reconnaissance de certains pouvoirs aux préfets.

L’interview de magistrats déjà évoquée fait part, ensuite de l’indignation de l’un d’eux devant certains pouvoirs de recherche accordés au préfet ce « nouveau venu de la procédure pénale ».
Cette fois encore le professeur des Facultés de droit ne peut qu’être atterré qu’à un semblable niveau de formation on puisse traduire une aussi totale absence de culture juridique générale et aussi et peut-être surtout, par ce qu’on peut bien enseigner actuellement dans certaines, au moins des Facultés de droit, pour qu’on en arrive là.

En 1810, les pouvoirs de police judiciaire des préfets étaient alignés sur ceux des procureurs de la République et des juges d’instruction. Ils le sont restés jusqu’en 1933 où ils ont momentanément disparu à la suite d’une bévue purement formelle dans un texte de navette parlementaire budgétaire. Dès l’erreur découverte ils ont été rétablis quoiqu’un peu diminués. Conservés intacts en temps de guerre et d’état d’urgence, ils ont été limités, en temps de paix aux infractions contre l’Etat auxquelles appartient le terrorisme qui était inconnu à l’époque. Les dits pouvoirs ont été repris à l’identique dans le Code de procédure pénale de 1958 d’où ils n’ont été supprimés que par une loi du 4 janvier 2013. Nouveau venu en procédure pénale, un fonctionnaire qui a eu des pouvoirs de police judiciaire complets pendant 123 ans, des pouvoirs dans le domaine en cause aujourd’hui pendant 58 ans et qui ne les a perdus que depuis 23 ans?

Mais surtout, on fait ici encore beaucoup de bruit pour pas grand-chose. Ce qui est envisagé, en effet, c’est, d’abord, le pouvoir de faire pratiquer certaines visites de coffres de voiture et de sacs dans des lieux dits « sensibles » qui pourraient être un peu plus précisés mais dont tout le monde voit bien de quoi il s’agit : les lieux de culte et ceux des rassemblements de masse. C’est ensuite la possibilité de retenir une personne pendant 4 heures, le temps de vérifier son identité, ce qui, dans le contexte actuel, est une atteinte bien légère à la liberté d’aller et de venir.

III. L’extension des procédures nouvelles à d’autres domaines que le terrorisme.

Si l’on en croit les informations qui circulent, le texte en cause aurait non seulement pour but de « mieux prendre en compte la réalité du terrorisme » mais ses dispositions devraient aussi être étendues à la délinquance organisée et à la délinquance financière.

C’est là, à notre avis, que le bât blesse.

La définition de la délinquance organisée figure actuellement aux article 706-73, 706-73-1 et 706-74 du Code de procédure pénale qui sont un véritable capharnaüm notamment parce qu’ils contiennent et citent dans n’importe quel ordre, des infractions de violence pour lesquelles un régime plus sévère est pleinement justifié, mais aussi un grand nombre d’infractions qui ne sont pas violentes et qui n’ont rien à faire là comme le Conseil constitutionnel a eu l’occasion récente de le dire sur QPC pour l’escroquerie, par exemple. Etendre à l’ensemble de ces infractions les mesures spécifiques envisagées pour le terrorisme proprement dit n’a aucune justification.

Quant à la délinquance financière elle n’est là que comme un gage donné à la gauche de la gauche qui considère que seule cette forme de délinquance est vraiment grave, le reste, et notamment la violence, étant toujours explicable sinon excusable. On espère donc faire passer des mesures utiles en promettant de les appliquer aussi aux ennemis de classe (présupposé criminologiquement absurde mais qui a la vie dure, les infractions financières étant commises dans toutes les classes sociales).

Ce n’est pas à dire que la lutte contre le terrorisme ne doive pas avoir un volet financier, mais pas énoncé sous cette forme générale. Il s’agit de pouvoir poursuivre d’une façon renforcée, parce que cela confine au terrorisme, tout ce qui a trait à la collecte et à la gestion financière des avoirs qui servent à financer le terrorisme mais cela seulement. Il faudra donc, sur ce point, être parfaitement clair.

Et l’on rejoint ici une remarque qu’on aurait pu faire à propos de la loi sur le renseignement pour laquelle elle n’a pas davantage été faite. Peu importe les informations qu’on rassemble et la façon dont on les rassemble ; Ce qui doit être bien précisé, c’est l’usage que l’on peut faire de ce qu’on a rassemblé. Et il faudra ici bien veiller à ce qu’il soit clairement précisé que les enquêtes et investigations menées d’une façon particulière ne pourront être utilisées que dans des poursuites pour terrorisme et détruites on cancellées si elles révélaient d’autres infractions qui ne doivent pouvoir être recherchées et poursuivies que selon le droit commun.

1 réflexion sur « ENCORE UN PROJET DE LOI SUR LE TERRORISME »

  1. Desfontaines

    On est bien d’accord sur les deux premiers points. On peut ajouter, pour ce qui est des préfets, que toute la tradition républicaine admet la distinction de la police administrative, à but préventif, et de la police judiciaire, à but répressif : dans une situation de danger grave, comme la guerre terroriste, il n’est pas choquant qu’une autorité administrative se voit dotée de pouvoirs élargis pour prévenir les attentats et menées terroristes, et, si la frontière entre les deux polices, sur le terrain, ne peut pas toujours être tracée au scalpel, ce n’est pas dramatique et seuls les malfaiteurs pourront s’en plaindre ! Ajoutons que l’autorité administrative est sous le contrôle du juge administratif -qui en cas d’abus, peut recourir à la théorie de la voie de fait pour transférer compétence à l’autorité judiciaire.
    En revanche, sur le dernier point, sans contester la pertinence des observations de Mme Rassat, on serait plus nuancé, par pragmatisme.

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