Comme à peu près chaque fois que se développe un débat public, les affrontements actuels sur une éventuelle déchéance de leur nationalité française pour les français condamnés pour des infractions d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, et spécialement pour terrorisme, se caractérisent par l’affirmation de formules erronées ou trompeuses.
Il est d’abord bien entendu que, comme tout problème juridique, la question de savoir comment s’acquiert, doit s’acquérir et peut se perdre la nationalité, peut être débattue. L’infinie variété mondiale des modes d’acquisition d’une nationalité, au sein de laquelle le droit du sang ou du sol, seuls évoqués en France, ne sont que deux possibilités parmi beaucoup d’autres, ne peut qu’y inviter. Il est donc absurde d’affirmer comme le faisait récemment une autorité socialiste que le Code de la nationalité est « sacré ». Il ne l’est ni plus ni moins que les autres codes. Ce qui pourrait éventuellement être sacré est la nationalité elle-même. Mais là n’est pas actuellement la question.
Sur ce qui est la question, on peut citer, au titre d’un concours au plus inexact, une phrase prononcée non pas par un des traditionnels trublions du Parti Socialiste, mais par un membre des Républicains. Selon cet auteur, la mesure serait stigmatisante pour « une population d’origine étrangère et soupçonnée de ne pas être intégrée », formule qui comprend à peu près autant d’erreur que de mots.
Il est, en premier lieu absurde de prétendre que la déchéance de la nationalité de délinquants français bi-nationaux, si elle était adoptée, mettrait en danger toute une catégorie de citoyens qui se sentiraient comme de seconde zone parce qu’ils auraient acquis la nationalité par application du droit du sol lequel serait remis en cause par la disposition envisagée.
A lire ce qui se dit et s’écrit, tout le monde semble oublier, dans cette affaire, qu’il ne s’agit pas de déchoir de leur nationalité, des personnes choisies au hasard, ou stigmatisées comme telles, mais les auteurs reconnus coupables par une décision de justice définitive des infractions les plus graves parce qu’elles portent atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation (d’où découle la nationalité).
L’immense majorité de la population française issue de l’immigration, ne cesse de répéter qu’elle condamne les monstruosités perpétrées en janvier et en novembre dernier. Et tous ceux qui combattent aujourd’hui l’idée de déchéance de la nationalité font partie de la cohorte de ceux qui, après chaque attentat, s’égosillent en psalmodiant « pas d’amalgame ».
Si la quasi-totalité des bi-nationaux d’origine étrangère réprouve le terrorisme et n’a aucunement l’intention de s’y adonner, on ne voit pas pourquoi ils se sentiraient atteints par une sanction qui ne les concerne pas.
Mais surtout, ce qui est fondamentalement faux dans cette affaire est de vouloir en faire une question de xénophobie ou de distinction selon les origines.
Il y a bien longtemps qu’on débat, parmi les spécialistes de politique pénale et au titre des mesures utiles, sur l’intérêt qu’il pourrait y avoir à déchoir certains délinquants, éventuellement de droit commun, de la nationalité française. Ceux qui n’ont pas la mémoire trop courte pourraient se souvenir qu’on avait notamment débattu de la question au moment de la suppression de la peine de mort et alors qu’on cherchait une mesure qui manifesterait que certains actes commis par certaines personnes plaçaient celles-ci hors de la communauté nationale. Le seul problème réel qui se pose alors est un problème technique : pour éviter de remplacer une difficulté par un autre, cette déchéance ne doit pas créer des apatrides. Elle n’est donc concevable que pour les français qui possèdent deux ou plusieurs nationalités. Il est cependant gravement erroné de considérer que cette situation n’est que celle de personnes issues de l’immigration.
Etant donné la variété des modes acquisitions possibles d’une nationalité évoquée plus haut, il ne manque pas de français « de souche » (nés de parents français, eux-mêmes nés de parents français, etc…) qui sont bi ou pluri-nationaux : nationalité acquise par une naissance fortuite dans un pays qui fait de cette seule naissance la source de sa nationalité ; acquisition par mariage avec un étranger ; acquisition par un très long séjour dans un pays étranger ; par «récompense» pour service rendu, etc… sans compter les petits États qui se sentent menacés dans leur existence et qui considèrent comme nationale toute personne ayant eu un ancêtre, même très lointain, de leur nationalité. Il serait intéressant, si de semblables statistiques pouvaient être faites et connues, de savoir combien de français non issues de l’immigration se trouvent dans une situation de pluri-nationalité. S’il est permis de penser que le plus grand nombre des bi-nationaux est bien le résultat de la prise en compte de la naissance sur le sol français, il y a tout lieu de penser aussi que les français de sang bi-nationaux sont loin de constituer une quantité négligeable.
Dès lors, et si une déchéance de nationalité pour atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation était adoptée pour les condamnés français ayant une ou plusieurs autres nationalités, elle ne serait pas une mesure traduisant la moindre xénophobie puisqu’elle s’appliquerait aussi bien à ceux qui ont acquis la nationalité par droit du sang que par ceux qui la tiennent du droit du sol.
Reste le problème de savoir si cette mesure serait utile. La première question à se poser est « utile à quoi ? ».
Utile à dissuader des individus de se rendre coupables d’actes de terrorisme ? Certainement pas. Dans la bulle qui est la leur, l’Occident et la France sont détestés et le fait de cesser de leur être rattaché pourrait peut-être, même, à la limite, être un élément favorisant. Le seul intérêt pratique et qui est loin d’être négligeable d’une déchéance de nationalité (si tant est qu’on soit capable de surveiller les frontières), serait de pouvoir interdire le territoire français à ces déchus. Mais la question n’est pas, d’abord pratique.
Car s’il s’agit de savoir si la mesure est utile à réaffirmer la primauté et la cohésion de la Nation, c’est autre chose de même nature que l’affichage des drapeaux français auquel on invite après chaque drame et le chant de l’Hymne national qui s’élance spontanément dans tout rassemblement proche des faits. C’est, au-delà des empoignades d’intellectuels largement déphasés de la réalité du terrain, ce que ressentent bien instinctivement (avec leurs tripes) les entre 85 et 94% de la population, selon les sondages (score rare en démocratie) qui se déclarent favorables à la mesure. La démocratie serait décidément bien malade s’ils n’étaient pas entendus.
Et, par pitié, qu’on nous épargne les accusations de « populisme ». La démocratie c’est le gouvernement par le peuple pour le peuple et non pas par quelques personnes se jugeant assez supérieures pour lui expliquer où est son bien ce qu’il ne serait pas assez intelligent pour comprendre tout seul.
On aura rarement vu, en effet, en politique française -et Dieu sait qu’elle est friande de débats « byzantins » !-, une polémique aussi surréaliste, artificielle, « hors sol » etc. Des milieux qu’on appellera « bobos » pour faire court ne pouvaient mieux trahir ainsi une obsession idéologique qui sacralise l’étranger et tend à voir, dans toute différence de traitement, le péché mortel de « discrimination » -en tout cas lorsqu’il touche des minorités « sanctuarisées »… Pour s’en tenir au droit, un principe fondamental, inscrit dans toute la tradition jurisprudentielle républicaine, veut que l’égalité ne soit pas l’identité, mais qu’elle consiste à traiter pareillement les situations identiques, et, différemment les situations qui ne le sont pas : or, entre un binational et un mononational, la différence -pardon pour cette lapalissade-, c’est que l’un a deux nationalités et l’autre une seule, ce qui, au regard du droit international, notamment, a des conséquences tout à fait dissemblables. Mais, commencer à argumenter, c’est, malgré soi, entrer dans un débat aussi oiseux…