Les avocats qui protestent aujourd’hui contre une perquisition particulièrement musclée ont tout à fait raison.
Pour autant la question ici posée est l’une des plus délicates de la procédure pénale dans la mesure où elle soulève des questions juridiques, techniques et factuelles. On ne peut qu’être béat d’admiration quand on lit qu’un député a trouvé tellement vite la solution qu’il se préparerait à déposer une proposition de loi. Beaucoup moins douée que lui, je vais tenter de raisonner et de chercher des pistes, sans être tout à fait certaine d’en trouver de parfaites.
I. Problématique.
A) Problèmes juridiques.
La perquisition effectuée dans un lieu dont le titulaire est tenu au secret professionnel pose à l’évidence des problèmes particuliers puisque l’enquêteur va être appelé à connaître de documents couverts par ce secret, concernant l’ensemble des clients de l’intéressé, et qui devraient donc lui demeurer théoriquement étrangers. Cette question est commune à tous les professionnels tenus au secret.
En dehors de cet aspect général, le cabinet de l’avocat pose des problèmes particuliers et d’une nature supplémentaire. Comme tous les autres professionnels, il conserve les secrets de ses clients, en général, mais, en outre, et dans une affaire particulière, le nécessaire respect des droits de la défense est en cause dès lors que les enquêteurs prétendent avoir accès aux éléments concernant la personne qui fait l’objet de cette enquête et qui se trouvent nécessairement au cabinet de son avocat.
Deux questions distinctes doivent donc être posées : d’une part, la question du risque de violation du secret professionnel, en général, c’est-à-dire à l’égard de tous les clients d’un professionnel concerné et tenu au secret, avocat compris, et, d’autre part, la question de l’atteinte aux droits de la défense, dans un dossier précis, qui est, elle, propre aux avocats et se cumule, pour eux, avec la première question.
Il convient de mettre en œuvre une double procédure de perquisition, d’une part, dans les locaux de tous les professionnels tenus au secret, dont les avocats, pour protéger la communauté de leurs clients, et d’autre part, s’interroger sur l’opportunité de la possibilité de perquisitionner et si oui mettre en place une procédure spécifique supplémentaire pour protéger le client concerné par la perquisition opérée chez un avocat. Or s’il existe bien, en droit positif, deux procédures distinctes, il semble que ni l’une, ni l’autre ne soit satisfaisante
Le Code d’instruction criminelle de 1810 était muet sur ces points, sans doute parce qu’il paraissait impensable, à l’époque qu’on puisse avoir à perquisitionner chez un avocat, un notaire ou un médecin. Lorsque la nécessité s’en est fait sentir, la pratique a mis en œuvre une procédure spécifique extra-légale. Le juge d’instruction (qui pouvait seul perquisitionner à l’époque) convoquait le bâtonnier ou les représentants des autres ordres, leur faisait part de ce qu’il cherchait et c’étaient ces personnes qui faisaient, en présence du juge, la perquisition, c’est-à-dire qui prenaient connaissance des documents détenus et lui remettaient ceux qui étaient recherchés. Les deux objectifs poursuivis (respect du secret professionnel et des droits de la défense) paraissaient donc, atteints. Les rédacteurs du projet de Code de procédure pénale attestent avoir voulu entériner cette pratique (Besson, Vouin et Arpaillange – respectivement président, membre actif et secrétaire de la commission de rédaction -, Code de procédure pénale annoté, à l’article 56). Ils ont seulement eu le tort de ne l’exprimer clairement que dans leur commentaire du nouveau Code et beaucoup moins dans le texte lui-même («Toutefois (l’enquêteur) a l’obligation de provoquer préalablement toutes mesures utiles pour que soit assuré le respect du secret professionnel et des droits de la défense »). La jurisprudence, d’abord et le législateur postérieur ensuite, se sont engouffrés dans la brèche, et ont admis que c’était l’enquêteur qui perquisitionnait et que si l’on continuait à convoquer le bâtonnier ou le président de l’ordre considéré, c’était uniquement à titre d’autorités morales ne servant pas réellement à grand-chose.
Il faut attendre 2000 pour qu’une procédure plus spécifique soit mise en place pour les avocats et eux seuls. Les perquisitions à son cabinet et à son domicile ne peuvent être effectuées que par un magistrat (juge d’instruction ou procureur de la République) qui « veille à ce que les investigations conduites ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession d’avocat ». Elles sont faites en présence du bâtonnier. Elles sont réalisées sur une décision écrite et motivée du magistrat demandeur qui indique la nature de l’infraction en cause, les raisons qui justifient la perquisition et l’objet de celle-ci. Ces justifications sont portées, dès le début de la perquisition à la connaissance de la personne qui y assiste pour le lieu concerné. Seuls le magistrat et le bâtonnier peuvent prendre connaissance des documents saisis. Seuls peuvent l’être ceux qui sont en rapport avec l’infraction qui motive la perquisition. Une procédure est, par ailleurs, mise en œuvre pour permettre au bâtonnier qui conteste une saisie de s’y opposer et de saisir le juge des libertés et de la détention qui prendra la décision de maintenir la saisie ou de l’interdire.
Or si cette procédure permet à peu près un respect du secret professionnel, en général (pour l’avocat mais pas pour les autres professionnels tenus au secret), elle ne permet aucunement celui des droits de la défense puisqu’il est clair qu’on va saisir, chez son avocat, des pièces contraires aux intérêts de la personne poursuivie, dès lors qu’elles ont un rapport avec l’infraction objet de la poursuite.
B. Problèmes techniques.
Les perquisitions envisagées par ces mesures sont uniquement celles qui concernent des documents ou objets, qui étaient seules concevables à l’époque de leur rédaction initiale sur laquelle les textes postérieurs n’ont fait que se greffer. Or le problème nouveau est que les «documents » sont essentiellement des fichiers informatiques qu’il est impossible de traiter sur place en sorte que la perquisition conduit essentiellement soit à la saisie des ordinateurs soit à la copie des disques durs de ceux-ci. Aucune garantie n’est prévue, ensuite, quant à leur exploitation, qui pourrait, en fait, donner lieu à toutes les dérives.
Le deuxième problème tient à l’apparition de smartphones qui, d’une part, peuvent permettre de téléphoner mais, d’autre part, peuvent servir à bien d’autres choses et notamment à contenir le fichier clientèle d’un avocat qui est couvert par le secret professionnel. La saisie de ce type d’appareil permet, en outre, et partiellement au moins, de tourner les règles relatives aux écoutes téléphoniques qui, lorsqu’il s’agit de la ligne d’un avocat, sont pourtant soumises à des règles particulières. Jusqu’à une loi de 2004, il était prévu que les enregistrements de conversations téléphoniques des avocats devaient être intégraux malgré l’atteinte susceptible d’être portée aux droits de la défense en cas de conversation entre le mis en examen et son défenseur. J’avais suggéré que les enregistrements soient purgées de ce point de vue (mes Propositions de réforme du Code de procédure pénale, p. 72 et s.). Après que la Chambre criminelle ait cassé une décision qui validait une semblable écoute, une loi de 2004 a repris cette proposition : à peine de nullité, ne peuvent être transcrites les communications entre l’avocat et son client (art. 100.5 al. 3 C.P.P.). Or, dès lors qu’on a le téléphone en main on peut avoir accès à toute une série de renseignements et notamment les SMS sans avoir à respecter la procédure prévue pour les écoutes.
C) Problèmes factuels.
Dès lors qu’il n’est plus impensable que les avocats commettent des infractions, il faut distinguer trois hypothèses.
La première est celle dans laquelle seul le client est visé par les poursuites qui donnent lieu à perquisition. La seconde est celle dans laquelle c’est l’avocat lui-même et lui seul qui est poursuivi. La troisième est celle dans laquelle l’avocat et le client sont soupçonnés d’avoir commis l’infraction ensemble.
Dans le silence de la loi, la jurisprudence estime que les règles relatives au secret professionnel et aux droits de la défense ne s’appliquent pas dès lors que l’avocat est impliqué dans la poursuite. C’est oublier que les intérêts généraux de la communauté de ses clients, pour le secret professionnel et du client poursuivi, pour les droits de sa défense, dans l’affaire en cause, n’ont pas cessé pour autant d’exister.
II. Pistes de réflexion.
Je reconnais, d’abord, avoir été un peu légère sur la question dans mes Propositions de réforme du Code de procédure pénale. A titre d’explication, il faut dire qu’à l’époque, on n’avait pas encore vu les perquisitions de cabinets d’avocats à la recherche de preuves concernant leurs clients, ce qui n’aurait pas pu ne pas me gêner. Il me semble qu’il faut distinguer entre les trois hypothèses factuelles ci-dessus identifiées.
En ce qui concerne la perquisition chez un avocat pour y rechercher des preuves relatives à ses clients poursuivis, dont il est bien évident qu’elles doivent s’y trouver, elle me parait, par principe, absurde. Je serais donc favorable à ce qu’elle soit purement et simplement interdite. La rédaction du texte sera cependant difficile et mérite réflexion. Pour autant l’interdiction me parait devoir se limiter au cabinet de l’avocat et non s’étendre à son domicile, ses résidences secondaires, ses voitures, etc…. Il nous arrive à tous de « sortir » des dossiers (ou des copies d’examen), mais c’est à nos risques et périls et en engageant notre responsabilité en cas de perte, d’inondation, de vol de voiture, et ici de perquisition. Seul le cabinet parait devoir être protégé.
Dans l’hypothèse où c’est l’avocat et lui seul qui fait l’objet d’une poursuite pénale, la perquisition peut évidemment avoir lieu. Pour autant, la jurisprudence qui admet qu’elle se fait sans formes me parait excessive, une fois de plus en raison du fait que son cabinet détient les secrets de ses clients. Je serais alors favorable à un retour au système antérieur à 1958 : perquisition par le bâtonnier en présence du juge et à la recherche des éléments qui lui ont été annoncés. Il conviendrait d’ajouter que l’exploitation des ordinateurs sera soumise par les techniciens qui y procéderont au bâtonnier avant d’être communiquée au magistrat et que la saisie des téléphones doit être, par principe interdite.
Reste l’hypothèse dans laquelle le client et l’avocat sont soupçonnés ensemble et qui est de loin la plus délicate. Une solution possible serait que le juge qui le découvre ou le soupçonne informe le bâtonnier lequel devrait demander à l’avocat concerné de transmettre le dossier de son client à un de ses confrères, la transmission se faisant sous la responsabilité du bâtonnier. On procéderait ensuite comme dans le cas précédent. Il ne faut pas se leurrer, cependant, sur le fait que bien des preuves auront eu le temps de disparaitre. Mais c’est sans doute le prix de la démocratie dont le droit de se défendre lorsqu’on est accusé est un des attributs principaux.
La question est délicate et je n’ai pas la prétention d’en détenir la clé. Il ne s’agit que de pistes de réflexion… Réfléchissez !
L’analyse de MLR est rigoureuse ; cependant :
En démocratie, il ne saurait exister de droit absolu (le député que vous citez sans le nommer (le jugeriez-vous innommable ?), Fenech, en l’occurrence, réclame, pour les avocats, une « protection absolue » : cela relève de la communication politicienne et non de la réflexion juridique…), et, la leur assurer, que ce soit en droit, ou, en fait, en posant des conditions telles que cela reviendrait au même en pratique (ne soyons pas naïfs : trop d’entraves et d’exigences les rendraient plus ou moins impossibles…), serait aussi le plus mauvais service qu’on pourrait leur rendre, car, ce serait concentrer sur eux, et le soupçon, et le risque d’être utilisés par leurs clients : dès lors que leur cabinet -et, n’en doutons pas si on met le doigt dans l’engrenage, leur domicile etc.-, deviendrait un sanctuaire inviolable, il s’en trouvera toujours pour franchir la ligne jaune, et, d’autant plus facilement que la pression, morale, financière ou même physique de leurs clients sera d’autant plus intense que la protection sera assurée (il n’y a pas tant de zones de non-droit de nos jours… : même les paradis fiscaux ne sont plus aussi sûrs…). Si l’on a supprimé les privilèges -au sens propre du terme : la lex privata-, la nuit du 4 août 1789, ce n’est pas pour en rétablir à l’égard d’une catégorie qui n’a pas à être au-dessus de la loi ; quand la Bâtonnier de Paris annonce qu’il a pris des dispositions pour mobiliser des « milliers de confrères en robe » (vraie tartarinade, car, quand on sait comment l’immense majorité des avocats parisiens se désintéressent de la vie de l’Ordre, -et, d’abord pour l’élection du Bâtonnier-, on sourit), en vue de faire échec à une éventuelle perquisition des juges à la recherche de l’auteur de la fuite en direction de « M. Bismuth », il n’exerce pas seulement une inacceptable pression sur les magistrats, il revendique clairement de pouvoir faire obstacle à l’application de la loi commune -les bâtonniers en exercice ou honoraires et leurs services ne sont pas exemptés, jusqu’à nouvel ordre, de la possibilité d’être perquisitionnés, dans les formes légales ! Attitude, au demeurant, suicidaire, puisqu’il accrédite, dans l’opinion, tous les soupçons.
Aucune rédaction ne sera jamais à l’abri des flottements et dévoiements dans l’application : le texte actuel réalise un équilibre satisfaisant, et, il revient ensuite aux juridictions compétentes de trancher, le cas échéant, les cas litigieux -qui ne sont pas si fréquents. ne tombons pas dans le piège : « un fait divers, une loi » ; la question, est, par définition, comme vous le dites, délicate, mais, entre gens de bon sens, qui ne s’en tiennent pas à des postures corporatistes a priori, il n’est pas si difficile, au cas par cas, de voir quand et comment un défenseur est sorti de son rôle de conseil et est passé de l’autre côté. Certains avocats contemporains ont fait un tort immense à leur profession en donnant le sentiment de s’identifier à la cause des malfaiteurs qu’ils défendaient : en volant au secours des quelques brebis galeuses de la profession, le législateur ne servirait pas la cause d’un corps pourtant si nécessaire à l’Etat de droit.
Nous sommes souvent d’accord. Il faut bien que nous ayons quelques désaccords, sinon, ce serait suspect.
Vous parlez de disques durs. Or, non seulement de nos jours ceux-ci peuvent être chiffrés (je pense même que ce devrait être le cas chez un professionnel soumis au secret professionnel: on n’est jamais à l’abri d’un cambriolage!), mais les données peuvent être stockées « dans le nuage », c’est-à-dire n’importe où dans le monde (avec là aussi éventuellement du chiffrement pour que même l’opérateur de stockage n’ait pas accès aux données). Les problèmes se complexifient !
Tout à fait, mais c’est une raison supplémentaire de réglementer. Le chiffrage n’empêche pas l’exploitation avec de bons experts et notamment les experts militaires.
MLR
« Le chiffrage n’empêche pas l’exploitation avec de bons experts et notamment les experts militaires. »
Permettez-moi de ne pas être d’accord avec cette affirmation. Certaines des technologies de chiffrement actuellement disponibles sur des postes de travail de simples particuliers ou professionnels sont les mêmes que celles utilisées pour certaines applications militaires… donc conçues pour résister aux « experts ».
Je vous accorde cependant que leur usage correct, avec toutes les précautions nécessaires, n’est pas forcément pour le tout-venant.
Une question intéressante: un stockage professionnel de données dans le « nuage » est-il considéré comme une extension du cabinet de travail de l’avocat, avec le régime spécifique pour les perquisitions? Sachant que ce stockage peut être physiquement à l’autre bout du monde, voire divisé en plusieurs modules physiquement séparés et dont un seul ne donne aucune information…
je pense d’abord que tous les cabinets ne sont pas équipés comme vous le dites.
Le CPP prévoit qu’on peut accéder aux données détenues ailleurs, en fonction de nos accords internationaux (art. 57-1). Mais cela vise le cas où il faut l’aide du fournisseur d’accès. Pour un accès direct, s’il est possible, il n’y a rien et par conséquent la réponse parait devoir être positive.
Je suis bien d’accord avec vous pour penser que tout cela doit être revu avec l’aide de techniciens.
MLR
Bien entendu, mais le stockage « dans le nuage » se développe rapidement. Il y a 10 ou 15 ans, seuls des professionnels de l’informatique ou de grandes entreprises stockaient leurs données à distance et utilisaient des disques durs chiffrés.
De nos jours, il existe diverses applications grand public qui stockent automatiquement les données « dans le nuage » (p.ex. Dropbox) ou qui chiffrent les données sur les disques durs (p.ex. TrueCrypt). Ce qui nécessitait naguère une certaine expertise en informatique est maintenant à la portée d’un avocat un peu « geek » comme « Maitre Eolas ».
Dans quelques années, cela se répandra peut-être sur les postes de travail des avocats. De nos jours, on utilise largement des ordinateurs portables; or ceux-ci peuvent être dérobés, avec tous les problèmes de confidentialité que cela pose. Déjà, des organismes comme le CNRS imposent l’usage du chiffrement sur les ordinateurs portables. Un avocat qui ne prendrait pas ce genre de précautions ne pourrait-il pas se voir accusé de négligence en cas de vol de son ordinateur contenant des données sensibles?
Pénalement non: la violation du secret professionnel est une infraction intentionnelle. Mais il pourrait engager sa responsabilité civile. A ma connaissance pas de précédent.