Madame Saal, haut fonctionnaire du ministère de la culture a été pénalement poursuivie pour avoir fait supporter au budget de son ministère de l’ordre de 23.000€ de frais de taxis, dans chacun de ses deux emplois successifs qu’elle a occupés d’abord au Centre Pompidou puis à l’INA. Il importe, au surplus, de préciser qu’une partie des frais concerne des trajets effectués par son fils, ses deux filles et sa tante et qu’elle-même disposait d’une voiture et d’un chauffeur.
Dans un entretien dont il a été longuement expliqué qu’il était le premier et serait le seul donné par Madame Saal relativement aux ennuis judiciaires qui ont été les siens, celle-ci, après avoir dénoncé la longueur, la dureté et la violence de l’épreuve qui lui était infligée qualifiée de « peut-être disproportionnée », assurait qu’ayant commis une faute qu’elle avait reconnue, elle l’avait assumée et « payée très cher » et demandait qu’on l’autorise à tourner la page, à clore ce chapitre.
On peut comprendre qu’elle aspire à cela. Pour tous ceux qui ont une certaine responsabilité dans le rendu et l’appréciation de la justice pénale dans ce pays ce serait, cependant, inconséquent tant cette affaire continue à poser de questions.
Il arrive fréquemment qu’on demande à la justice beaucoup plus que ce qu’elle ne peut faire, notamment quand on veut lui faire jouer un rôle d’exorcisme permettant de faire un deuil de faits parfois beaucoup trop anciens et qui de toute façon ne peuvent s’effacer par une simple procédure.
Mais il y a un rôle que la justice pénale peut et doit remplir, c’est un rôle pédagogique amenant, l’auteur des faits, les citoyens et enfin les spécialistes du droit pénal à comprendre comment une affaire a été traitée. Or de ce point de vue l’affaire Saal, dont le jugement n’a pas été compris par son sujet est totalement incompréhensible pour les tiers.
Que les sanctions qui lui ont été infligées n’aient pas été comprises par Madame Saal est évident, au vue de ses déclarations. Celle-ci ayant démontré qu’elle avait quelque mal avec le calcul on ne lui fera pas l’injure supplémentaire de croire qu’elle ne sait pas lire. Et pourtant le texte de l’article 432-15 du Code pénal est lumineux lorsqu’il déclare que : « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public… de … soustraire un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés…ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission, est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 1.000.000€, dont le montant peut être porté au double du produit de l’infraction ». Cet article traduit, en effet, la gravité de l’infraction reprochée qui s’exprime ici moins par la nature ou la valeur des objets détournés (qu’on ne considère éventuellement que pour augmenter l’amende) que par la personnalité de son auteur agent public profitant de sa situation pour soustraire ce qui lui a été confié pour accomplir ladite mission. Ce délit appartient, en effet, à la plus grave des catégories de délits, dix ans d’emprisonnement étant le maximum possible des peines correctionnelles. En outre, l’amende prévue échappe aux règles habituelles de fixation des amendes par le Code pénal (en principe 15.000€ par tranche d’un an d’emprisonnement) pour atteindre 1.000.000€ au lieu des 150.000 qui résulteraient du calcul classique. Enfin, autre marque de sa gravité, elle fait partie des infractions qui peuvent relever de la compétence du Procureur de la République financier.
Ayant toujours soutenu que l’emprisonnement n’était pas une peine adaptée à ce type de délinquance, nous ne pouvons que déplorer les trois mois d’emprisonnement avec sursis qui ont été infligés à Madame Saal dans une des deux affaires. Cette peine est aussi inadaptée que ridicule. Mais prétendre, comme le dit Madame Saal qu’une condamnation à payer 4500, puis 3000€ est une condamnation excessive nous parait, à l’inverse, ahurissant. Il semble que le minimum que l’on pouvait attendre d’une sanction financière prononcée dans une situation de cet ordre aurait été le montant des fonds détournés, soit entre 50.000 et 60.000€.
A l’intention des non-juristes, il faut, en effet, tout d’abord rappeler, que le fait que Madame Saal ait dit avoir remboursé les sommes litigieuses (et encore, partiellement, si l’on en croit son avocat ???) n’est d’aucun intérêt pour la question pénale. L’effacement du résultat d’une infraction dès lors que celle-ci a été entièrement accomplie, relève de ce qu’on appelle le repentir actif qui n’a aucune incidence sur la responsabilité pénale de son auteur et peut, tout au plus, inciter les juges à plus d’indulgence dans le choix de la peine. Le seul effet juridique de ce remboursement est de faire obstacle à la constitution de partie civile de la victime puisque celle-ci a été dédommagée ce qui n’est pas totalement neutre puisque cela élimine un adversaire. Condamner Madame Saal à payer une amende équivalente aux sommes détournées n’aurait donc fait aucunement double emploi avec le remboursement invoqué : rappelons tout de même que le maximum de l’amende encourue pour l’infraction reprochée est de 1.000.000€ ce qui rend les 4500, puis 3000€ prononcés effectivement « disproportionné(s) » mais dans le sens de dérisoires et non pas d’excessifs.
Mais l’affaire est surtout incompréhensible pour les justiciables et les juristes et la faute en revient probablement à ce qui est la première source d’étonnement dans cette affaire : le choix pour la traiter de la procédure de poursuite sur reconnaissance préalable de culpabilité. Nous n’y avons jamais été favorable. Elle était particulièrement contre indiquée en l’espèce en raison d’un de ses traits caractéristiques : l’opacité difficilement compatible avec une bonne justice. La question se règle, en effet, pour l’essentiel dans le bureau du procureur de la République sans publicité et si l’audience d’homologation par un juge du siège est bien publique, elle se tient sans la présence du ministère public et n’est donc pas contradictoire. Ce n’est pas la meilleure façon d’éclairer un débat.
La première source d’étonnement est donc, d’abord, le choix de cette procédure. On aimerait, en premier lieu, savoir si ce choix a été opéré par le ministère public d’initiative ou s’il a été sollicité par la prévenue ce qui n’est pas anodin même si, en toute hypothèse, le ministère public n’était pas tenu d’accepter. S’il est, d’autre part possible de juger selon cette procédure des délits justiciables de dix ans d’emprisonnement, la pratique montre que c’est tout à fait exceptionnel ne serait-ce que parce qu’il n’est pas possible d’y prononcer plus d’un an d’emprisonnement. Et surtout le public n’est pas véritablement informé alors que s’il y a une affaire dont les citoyens auraient dû connaître tous les tenants et aboutissants, c’est bien celle-là.
On aurait, en effet, aimé comprendre ce qui a bien pu amener Madame Saal, elle-même, ancienne élève de l’ENA et haut fonctionnaire à avoir une attitude que toute personne moyennement intelligente et responsable ne peut que juger invraisemblable. On nous a dit que l’INA était à Bry-sur-Marne et que Madame Saal n’a pas de permis de conduire. L’ennui c’est que la seconde procédure menée contre elle, bien que pour des faits antérieurs, concerne une époque où elle était en poste au Centre Pompidou. On peut difficilement trouver plus central et mieux desservi. En outre, Madame Saal bénéficiait d’une voiture et d’un chauffeur. Certes, il est possible que ceux-ci ne soient pas à tout moment disponibles, mais Madame Saal qui est un haut fonctionnaire de la culture, n’est pas un membre d’une administration régalienne qui peut avoir à se déplacer d’urgence à toute heure du jour ou de la nuit sur un événement imprévu. Aucune urgence n’étant susceptible de requérir la présence de Madame Saal sur les lieux qui dépendent de ses fonctions, rien ne l’empêchait de prendre pour se déplacer, comme l’immense majorité des habitants de l’Ile de France, les transports en commun. Il aurait donc été intéressant qu’une audience publique permette à l’intéressée de s’expliquer sur son choix du taxi.
On peut, en second lieu s’étonner de l’évaporation pénale du fils, des filles et de la tante de Madame Saal qui auraient été responsables d’une bonne part des factures de taxi litigieuses dans la mesure où ils auraient utilisé les codes d’accès de l’agent public pour commander des taxis. La question ne se posant pas pour sa tante, on peine à croire que les enfants de Madame Saal n’aient pas dépassé l’âge où l’on peut retenir une responsabilité pénale, même s’ils étaient encore mineurs au moment des faits, ce que l’on ignore, comme beaucoup d’autres choses. Il devient alors bien contestable de les exonérer des conséquences pénales de leurs actes. Certes, ils ne pouvaient pas entrer dans le cadre d’une procédure sur reconnaissance préalable de culpabilité. Certainement s’ils étaient mineurs, puisque la procédure ne leur est pas applicable et juridiquement en toute hypothèse puisque qu’elle ne permet pas de juger plusieurs personnes en même temps pour les mêmes faits. Peut-être, d’ailleurs est-ce une des raisons du choix qui a été fait, surtout s’il est intervenu à la demande de Madame Saal. Mais une explication n’est pas une justification alors qu’une fois de plus, on ne sait pas ce qui s’est réellement passé et que la qualification retenue pour les faits risque alors d’être inexacte.
Car il y a deux possibilités.
La première est que les intéressés aient usurpé les codes d’accès de Madame Saal à l’insu de celle-ci. Si c’est le cas, les auteurs des faits sont coupables de deux infractions dont le texte d’incrimination de l’une d’elles précise que les peines prononcées doivent s’exécuter cumulativement. La première est le détournement, par un particulier, de biens publics confiés à un agent public pour l’exercice de ses fonctions (art. 433-4 du Code pénal, sept ans d’emprisonnement et 100.00€ d’amende). La seconde consiste à prendre le nom d’un tiers dans des circonstances qui auraient pu déterminer contre celui-ci des poursuites pénales (art. 434-21 du Code pénal, cinq ans d’emprisonnement et 75.000€ d’amende). Pour autant et dans cette éventualité, Madame Saal, elle-même, n’aurait pas été quitte, même pour les faits imputables à sa famille car l’article 432-16 du Code pénal punit d’un an d’emprisonnement et 15.000€ d’amende, l’agent public qui a, par négligence, laissé un tiers détourner les biens qui lui avaient été confiés pour l’exercice de sa mission.
La deuxième possibilité est que Madame Saal ait délibérément autorisé les membres de sa famille à utiliser son nom et son code d’accès. Dans cette hypothèse elle reste l’auteur principal d’une infraction intentionnelle de détournement de biens publics par un agent public, mais sa parentèle peut être retenue, au choix, les deux possibilités s’avérant applicables, soit comme complice du délit de Madame Saal, encourant les mêmes peines, soit comme auteur principal du délit de détournement par un tiers des biens confiés à un agent public (art.433-4 du Code pénal déjà cité).
On ne peut donc qu’être choqué de l’étonnante mansuétude dont ont bénéficié toutes ces personnes. Même si le ministère public bénéficie du droit d’apprécier l’opportunité des poursuites, on aimerait comprendre ce qui a ici dicté un choix tellement surprenant.
Et il y encore bien d’autres surprises.
Au-delà du niveau de la sanction financière (4500€) dans la première affaire jugée, on peine à comprendre ce qui a bien pu inspirer au ministère public le choix étrange de la sanction. Madame Saal n’a pas, en effet, été condamnée à une amende de 4500€ mais à une peine de 150 jours-amende de 30€ chacun.
La sanction des jours-amende est une complication inutile, car on obtiendrait plus facilement le même résultat en fractionnant une amende en capital. Elle a été, à l’origine, conçue pour faciliter le paiement de leurs sanctions financières par des personnes disposant de peu de moyens. On a quelque mal à croire que Madame Saal ne puisse pas disposer de 4500€ pour payer une amende normale prononcée en capital, même en y ajoutant, les 3000€ de la seconde condamnation et le montant des dommages-intérêts. En outre et si c’est le cas, le Trésor public est toujours ouvert à un aménagement.
L’anomalie va, enfin, jusqu’à se glisser dans l’action civile. L’association Anticor qui s’agite beaucoup pour faire poursuivre les infractions contre la probité qui, selon elle, sont les plus graves, s’était constituée partie civile dans l’affaire. Soit. On voit mal cependant de quel préjudice matériel elle pouvait bien se plaindre et si son but est effectivement de restaurer la morale publique, la seule demande rationnelle qu’elle puisse présenter est une condamnation symbolique à 1€. On ne peut que demeurer sans voix lorsqu’on lit qu’elle a obtenu 5500€ de dommages-intérêts (d’autres sources disent 3000€ mais cela ne change rien au fond), soit plus que chacune des condamnations pénales prononcées. On aimerait savoir sur quoi Anticor a bien pu s’appuyer pour justifier une pareille demande (qui s’élevait parait-il à 9000€) et pourquoi les autorités publiques ont estimé utile de lui donner raison.
On ne peut, enfin, demeurer sans évoquer, même si ce n’est plus du droit pénal, le volet disciplinaire de l’affaire. On sait que le système disciplinaire, en France, toutes manifestations confondues, est, pour l’essentiel, une vaste plaisanterie (poids du corporatisme, dans certains cas et du terrorisme syndical dans d’autres). Mais tout de même. Madame Saal n’y a écopé que de deux ans de suspension de ses fonctions dont six mois seulement fermes. Après six mois, elle retournera donc au ministère de la culture et retrouvera son poste.
Même si Madame Saal semble ne pas avoir bien réalisé la gravité de ses agissements passés, souhaitons qu’elle ait tout de même compris qu’elle aurait intérêt à découvrir l’existence et l’utilité, à défaut des charmes, des transports en commun.