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Agnès Saal, la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité et la bonne justice

Madame Saal, haut fonctionnaire du ministère de la culture a été pénalement poursuivie pour avoir fait supporter au budget de son ministère de l’ordre de 23.000€ de frais de taxis, dans chacun de ses deux emplois successifs qu’elle a occupés d’abord au Centre Pompidou puis à l’INA. Il importe, au surplus, de préciser qu’une partie des frais concerne des trajets effectués par son fils, ses deux filles et sa tante et qu’elle-même disposait d’une voiture et d’un chauffeur.
Dans un entretien dont il a été longuement expliqué qu’il était le premier et serait le seul donné par Madame Saal relativement aux ennuis judiciaires qui ont été les siens, celle-ci, après avoir dénoncé la longueur, la dureté et la violence de l’épreuve qui lui était infligée qualifiée de « peut-être disproportionnée », assurait qu’ayant commis une faute qu’elle avait reconnue, elle l’avait assumée et « payée très cher » et demandait qu’on l’autorise à tourner la page, à clore ce chapitre.
On peut comprendre qu’elle aspire à cela. Pour tous ceux qui ont une certaine responsabilité dans le rendu et l’appréciation de la justice pénale dans ce pays ce serait, cependant, inconséquent tant cette affaire continue à poser de questions.
Il arrive fréquemment qu’on demande à la justice beaucoup plus que ce qu’elle ne peut faire, notamment quand on veut lui faire jouer un rôle d’exorcisme permettant de faire un deuil de faits parfois beaucoup trop anciens et qui de toute façon ne peuvent s’effacer par une simple procédure.
Mais il y a un rôle que la justice pénale peut et doit remplir, c’est un rôle pédagogique amenant, l’auteur des faits, les citoyens et enfin les spécialistes du droit pénal à comprendre comment une affaire a été traitée. Or de ce point de vue l’affaire Saal, dont le jugement n’a pas été compris par son sujet est totalement incompréhensible pour les tiers.

Que les sanctions qui lui ont été infligées n’aient pas été comprises par Madame Saal est évident, au vue de ses déclarations. Celle-ci ayant démontré qu’elle avait quelque mal avec le calcul on ne lui fera pas l’injure supplémentaire de croire qu’elle ne sait pas lire. Et pourtant le texte de l’article 432-15 du Code pénal est lumineux lorsqu’il déclare que : « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public… de … soustraire un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés…ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission, est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 1.000.000€, dont le montant peut être porté au double du produit de l’infraction ». Cet article traduit, en effet, la gravité de l’infraction reprochée qui s’exprime ici moins par la nature ou la valeur des objets détournés (qu’on ne considère éventuellement que pour augmenter l’amende) que par la personnalité de son auteur agent public profitant de sa situation pour soustraire ce qui lui a été confié pour accomplir ladite mission. Ce délit appartient, en effet, à la plus grave des catégories de délits, dix ans d’emprisonnement étant le maximum possible des peines correctionnelles. En outre, l’amende prévue échappe aux règles habituelles de fixation des amendes par le Code pénal (en principe 15.000€ par tranche d’un an d’emprisonnement) pour atteindre 1.000.000€ au lieu des 150.000 qui résulteraient du calcul classique. Enfin, autre marque de sa gravité, elle fait partie des infractions qui peuvent relever de la compétence du Procureur de la République financier.

Ayant toujours soutenu que l’emprisonnement n’était pas une peine adaptée à ce type de délinquance, nous ne pouvons que déplorer les trois mois d’emprisonnement avec sursis qui ont été infligés à Madame Saal dans une des deux affaires. Cette peine est aussi inadaptée que ridicule. Mais prétendre, comme le dit Madame Saal qu’une condamnation à payer 4500, puis 3000€ est une condamnation excessive nous parait, à l’inverse, ahurissant. Il semble que le minimum que l’on pouvait attendre d’une sanction financière prononcée dans une situation de cet ordre aurait été le montant des fonds détournés, soit entre 50.000 et 60.000€.

A l’intention des non-juristes, il faut, en effet, tout d’abord rappeler, que le fait que Madame Saal ait dit avoir remboursé les sommes litigieuses (et encore, partiellement, si l’on en croit son avocat ???) n’est d’aucun intérêt pour la question pénale. L’effacement du résultat d’une infraction dès lors que celle-ci a été entièrement accomplie, relève de ce qu’on appelle le repentir actif qui n’a aucune incidence sur la responsabilité pénale de son auteur et peut, tout au plus, inciter les juges à plus d’indulgence dans le choix de la peine. Le seul effet juridique de ce remboursement est de faire obstacle à la constitution de partie civile de la victime puisque celle-ci a été dédommagée ce qui n’est pas totalement neutre puisque cela élimine un adversaire. Condamner Madame Saal à payer une amende équivalente aux sommes détournées n’aurait donc fait aucunement double emploi avec le remboursement invoqué : rappelons tout de même que le maximum de l’amende encourue pour l’infraction reprochée est de 1.000.000€ ce qui rend les 4500, puis 3000€ prononcés effectivement « disproportionné(s) » mais dans le sens de dérisoires et non pas d’excessifs.

Mais l’affaire est surtout incompréhensible pour les justiciables et les juristes et la faute en revient probablement à ce qui est la première source d’étonnement dans cette affaire : le choix pour la traiter de la procédure de poursuite sur reconnaissance préalable de culpabilité. Nous n’y avons jamais été favorable. Elle était particulièrement contre indiquée en l’espèce en raison d’un de ses traits caractéristiques : l’opacité difficilement compatible avec une bonne justice. La question se règle, en effet, pour l’essentiel dans le bureau du procureur de la République sans publicité et si l’audience d’homologation par un juge du siège est bien publique, elle se tient sans la présence du ministère public et n’est donc pas contradictoire. Ce n’est pas la meilleure façon d’éclairer un débat.

La première source d’étonnement est donc, d’abord, le choix de cette procédure. On aimerait, en premier lieu, savoir si ce choix a été opéré par le ministère public d’initiative ou s’il a été sollicité par la prévenue ce qui n’est pas anodin même si, en toute hypothèse, le ministère public n’était pas tenu d’accepter. S’il est, d’autre part possible de juger selon cette procédure des délits justiciables de dix ans d’emprisonnement, la pratique montre que c’est tout à fait exceptionnel ne serait-ce que parce qu’il n’est pas possible d’y prononcer plus d’un an d’emprisonnement. Et surtout le public n’est pas véritablement informé alors que s’il y a une affaire dont les citoyens auraient dû connaître tous les tenants et aboutissants, c’est bien celle-là.

On aurait, en effet, aimé comprendre ce qui a bien pu amener Madame Saal, elle-même, ancienne élève de l’ENA et haut fonctionnaire à avoir une attitude que toute personne moyennement intelligente et responsable ne peut que juger invraisemblable. On nous a dit que l’INA était à Bry-sur-Marne et que Madame Saal n’a pas de permis de conduire. L’ennui c’est que la seconde procédure menée contre elle, bien que pour des faits antérieurs, concerne une époque où elle était en poste au Centre Pompidou. On peut difficilement trouver plus central et mieux desservi. En outre, Madame Saal bénéficiait d’une voiture et d’un chauffeur. Certes, il est possible que ceux-ci ne soient pas à tout moment disponibles, mais Madame Saal qui est un haut fonctionnaire de la culture, n’est pas un membre d’une administration régalienne qui peut avoir à se déplacer d’urgence à toute heure du jour ou de la nuit sur un événement imprévu. Aucune urgence n’étant susceptible de requérir la présence de Madame Saal sur les lieux qui dépendent de ses fonctions, rien ne l’empêchait de prendre pour se déplacer, comme l’immense majorité des habitants de l’Ile de France, les transports en commun. Il aurait donc été intéressant qu’une audience publique permette à l’intéressée de s’expliquer sur son choix du taxi.

On peut, en second lieu s’étonner de l’évaporation pénale du fils, des filles et de la tante de Madame Saal qui auraient été responsables d’une bonne part des factures de taxi litigieuses dans la mesure où ils auraient utilisé les codes d’accès de l’agent public pour commander des taxis. La question ne se posant pas pour sa tante, on peine à croire que les enfants de Madame Saal n’aient pas dépassé l’âge où l’on peut retenir une responsabilité pénale, même s’ils étaient encore mineurs au moment des faits, ce que l’on ignore, comme beaucoup d’autres choses. Il devient alors bien contestable de les exonérer des conséquences pénales de leurs actes. Certes, ils ne pouvaient pas entrer dans le cadre d’une procédure sur reconnaissance préalable de culpabilité. Certainement s’ils étaient mineurs, puisque la procédure ne leur est pas applicable et juridiquement en toute hypothèse puisque qu’elle ne permet pas de juger plusieurs personnes en même temps pour les mêmes faits. Peut-être, d’ailleurs est-ce une des raisons du choix qui a été fait, surtout s’il est intervenu à la demande de Madame Saal. Mais une explication n’est pas une justification alors qu’une fois de plus, on ne sait pas ce qui s’est réellement passé et que la qualification retenue pour les faits risque alors d’être inexacte.

Car il y a deux possibilités.

La première est que les intéressés aient usurpé les codes d’accès de Madame Saal à l’insu de celle-ci. Si c’est le cas, les auteurs des faits sont coupables de deux infractions dont le texte d’incrimination de l’une d’elles précise que les peines prononcées doivent s’exécuter cumulativement. La première est le détournement, par un particulier, de biens publics confiés à un agent public pour l’exercice de ses fonctions (art. 433-4 du Code pénal, sept ans d’emprisonnement et 100.00€ d’amende). La seconde consiste à prendre le nom d’un tiers dans des circonstances qui auraient pu déterminer contre celui-ci des poursuites pénales (art. 434-21 du Code pénal, cinq ans d’emprisonnement et 75.000€ d’amende). Pour autant et dans cette éventualité, Madame Saal, elle-même, n’aurait pas été quitte, même pour les faits imputables à sa famille car l’article 432-16 du Code pénal punit d’un an d’emprisonnement et 15.000€ d’amende, l’agent public qui a, par négligence, laissé un tiers détourner les biens qui lui avaient été confiés pour l’exercice de sa mission.

La deuxième possibilité est que Madame Saal ait délibérément autorisé les membres de sa famille à utiliser son nom et son code d’accès. Dans cette hypothèse elle reste l’auteur principal d’une infraction intentionnelle de détournement de biens publics par un agent public, mais sa parentèle peut être retenue, au choix, les deux possibilités s’avérant applicables, soit comme complice du délit de Madame Saal, encourant les mêmes peines, soit comme auteur principal du délit de détournement par un tiers des biens confiés à un agent public (art.433-4 du Code pénal déjà cité).

On ne peut donc qu’être choqué de l’étonnante mansuétude dont ont bénéficié toutes ces personnes. Même si le ministère public bénéficie du droit d’apprécier l’opportunité des poursuites, on aimerait comprendre ce qui a ici dicté un choix tellement surprenant.

Et il y encore bien d’autres surprises.

Au-delà du niveau de la sanction financière (4500€) dans la première affaire jugée, on peine à comprendre ce qui a bien pu inspirer au ministère public le choix étrange de la sanction. Madame Saal n’a pas, en effet, été condamnée à une amende de 4500€ mais à une peine de 150 jours-amende de 30€ chacun.
La sanction des jours-amende est une complication inutile, car on obtiendrait plus facilement le même résultat en fractionnant une amende en capital. Elle a été, à l’origine, conçue pour faciliter le paiement de leurs sanctions financières par des personnes disposant de peu de moyens. On a quelque mal à croire que Madame Saal ne puisse pas disposer de 4500€ pour payer une amende normale prononcée en capital, même en y ajoutant, les 3000€ de la seconde condamnation et le montant des dommages-intérêts. En outre et si c’est le cas, le Trésor public est toujours ouvert à un aménagement.

L’anomalie va, enfin, jusqu’à se glisser dans l’action civile. L’association Anticor qui s’agite beaucoup pour faire poursuivre les infractions contre la probité qui, selon elle, sont les plus graves, s’était constituée partie civile dans l’affaire. Soit. On voit mal cependant de quel préjudice matériel elle pouvait bien se plaindre et si son but est effectivement de restaurer la morale publique, la seule demande rationnelle qu’elle puisse présenter est une condamnation symbolique à 1€. On ne peut que demeurer sans voix lorsqu’on lit qu’elle a obtenu 5500€ de dommages-intérêts (d’autres sources disent 3000€ mais cela ne change rien au fond), soit plus que chacune des condamnations pénales prononcées. On aimerait savoir sur quoi Anticor a bien pu s’appuyer pour justifier une pareille demande (qui s’élevait parait-il à 9000€) et pourquoi les autorités publiques ont estimé utile de lui donner raison.

On ne peut, enfin, demeurer sans évoquer, même si ce n’est plus du droit pénal, le volet disciplinaire de l’affaire. On sait que le système disciplinaire, en France, toutes manifestations confondues, est, pour l’essentiel, une vaste plaisanterie (poids du corporatisme, dans certains cas et du terrorisme syndical dans d’autres). Mais tout de même. Madame Saal n’y a écopé que de deux ans de suspension de ses fonctions dont six mois seulement fermes. Après six mois, elle retournera donc au ministère de la culture et retrouvera son poste.

Même si Madame Saal semble ne pas avoir bien réalisé la gravité de ses agissements passés, souhaitons qu’elle ait tout de même compris qu’elle aurait intérêt à découvrir l’existence et l’utilité, à défaut des charmes, des transports en commun.

DEUX REMARQUES SUR LE TERRORISME

I. De la perpétuité « réelle »
(je n’insisterai pas sur l’absurdité intrinsèque de la formule)

Les médias ne tarissent pas de propos relatifs à la perte de considération et de crédibilité du personnel politique dans l’opinion publique. Ce que l’on voit ces derniers jours, à propos du terrorisme, n’est pas fait pour arranger les choses.

La classe politique vient, en effet, de s’illustrer à propos d’une revendication de perpétuité réelle pour les auteurs d’infractions de terrorisme dont il y a fort à parier qu’elle ne va pas redorer son blason dans l’opinion publique, au moins celle qui réfléchit, même si, sur le fond 90% de la population est favorable à cette solution.

Nos politiques de tous bords se sont, en effet, révélés fidèles à leur « mode d’emploi » habituel : un évènement ; une demande d’intervention législative ponctuelle et même pour ceux qui se croient les plus efficaces, le dépôt immédiat d’une proposition de loi en ce sens.

Faisant ainsi il ne font qu’accréditer un peu plus l’idée que ce qui les intéresse est moins de régler un problème que d’attirer l’attention des médias. Et cela marche parfaitement comme le montre l’invitation immédiate de Nathalie Kosciusko-Morizet à une émission politique de grande écoute le soir même. Et le comble dont on ne sait s’il faut rire ou pleurer est que Madame Kosciusko-Morizet a déclaré sans rire, elle, lors de cette émission, que le principal problème de la France en matière de terrorisme est qu’elle n’avait jamais eu de la chose qu’une vision à court terme !

Le sujet du jour était donc l’instauration d’une perpétuité dite « réelle » pour les auteurs d’infractions de terrorisme. Passons sur le fait que les infractions de terrorisme ne sont pas toutes de la même gravité et que la perpétuité, réelle ou pas, n’est pas envisageable pour nombre d’entre elles. Mais le vrai problème n’est pas là.
Qu’une rétention perpétuelle soit utile, voire nécessaire pour certains terroristes (et pas seulement) est parfaitement soutenable et la signataire de ces lignes soutient ce point de vue, comme 90 % des français. Mais la question est de savoir quelle est la bonne méthode pour y parvenir. Un point est certain : ce n’est certainement pas celle qui consiste à déposer aujourd’hui une proposition de loi limitée à cela même si on la raccroche à un projet de loi sur le terrorisme déjà en cours et un tout petit peu moins partiel. Le problème est double : de méthode et d’objet.

1) La méthode.

Parler de perpétuité réelle revient à envisager un problème d’exécution des peines. Passons une fois encore (vraie coïncidence, sans doute) sur le fait que ce soit le même jour que la Cour des comptes épingle la catastrophique gestion de l’administration pénitentiaire alors que c’est cette administration qui serait en charge des dites perpétuités.

Toute personne capable de raisonner normalement peut comprendre qu’avant d’envisager de faire exécuter une peine, il faut qu’elle ait été prononcée et que pour la prononcer il est utile que les juridictions aient à leur disposition un tableau raisonnable des peines dépendant lui-même de la définition d’une politique pénale.

Le code de 1992 était, dans son ensemble fort médiocre mais sa partie « peines » était la pire de toutes. En outre, elle a été, depuis défigurée par de nombreuses réformes aussi improvisées que celle aujourd’hui examinée et bouleversée par les inventions Taubira. Envisager des problèmes relatifs à l’exécution des peines sans reconfigurer tout le système des peines du Code pénal est un non-sens.

Mais pour faire ce travail encore faut-il avoir une vision claire de ce que doit être la politique pénale à mener c’est-à-dire avoir réfléchi aux problèmes qui se posent au pays au lieu de passer son temps à chasser la caméra.
Dans les années post 1981, une circulaire restée célèbre du Garde des sceaux vedette de l’époque a expliqué que la vraie délinquance était la délinquance économique et financière et que les moyens devaient être orientés en ce sens quitte à sacrifier la délinquance traditionnelle, même violente. On avait une politique pénale. Elle était absurde et dangereuse, la situation actuelle le révèle, mais elle existait. Il y a quelques années, une fable particulièrement bien vue dans la classe politique a été celle dite de la « tolérance zéro » qui soutenait qu’il fallait poursuivre effectivement et avec la même énergie toutes les infractions commises. C’était un mensonge et une erreur. C’était un mensonge car notre système pénal n’a pas et n’aura jamais, quoiqu’on fasse, la capacité de tout poursuivre. Mais c’était surtout une erreur, car dire que l’on va tout poursuivre avec la même énergie signifie qu’on n’a pas de politique pénale c’est-à-dire aucune conception de l’ordre public guidant ce qui doit être appréhendé d’abord et puni le plus sévèrement.

Si Madame Kosciusko-Morizet et tous ceux qui se bousculent pour accéder à la magistrature suprême veulent de nouveau être pris au sérieux par les électeurs, au moins dans le domaine pénal, il faudrait qu’ils cessent de s’agiter en vain dans une fin de règne qui a évidemment l’inconvénient pour la France de s’éterniser. Ils doivent tous dire clairement qu’ils ont pris conscience des erreurs des trente dernières années et quelle est la politique pénale, enfin sérieuse, qu’ils veulent pour l’avenir de la France (et qui ne se limite évidemment pas au terrorisme quelque affreux qu’il soit). Bien entendu, il faut dire aussi, parce qu’il y a urgence, quels textes ils ont d’ores et déjà fait préparer et qui lui permettraient d’annoncer un calendrier prévisible de réformes et quelle réorganisation ils envisagent pour l’ensemble de notre système pénitentiaire d’exécution des peines, ce qui lui permettrait alors, mais alors seulement, de dire comment ils feront éventuellement exécuter les condamnations à perpétuité qui ne sont qu’une toute petite partie du problème général posé par la délinquance de ce pays.

Il est vain de vouloir réparer le fermoir d’un collier si l’on n’a pas le collier. A défaut de démontrer qu’on a une vision d’ensemble des problèmes que l’on prétend traiter, le mieux à faire est de se taire.

2°) Le fond

Tout le monde parle de « terrorisme » et seulement de terrorisme et lorsqu’il s’agit d’envisager son traitement de « déradicalisation ». C’est faire comme si le terrorisme était un ilot isolé dans l’univers de la délinquance.
Or ce que nous savons de la personnalité des auteurs des faits récents confirme ce que nous savions depuis longtemps : même les plus jeunes d’entre eux avaient pratiquement tous commencé leur carrière délinquantielle bien avant leurs agissement terroristes et par de la délinquance de droit commun violente.

Une affirmation qui, à ma connaissance n’a jamais été scientifiquement confirmée, est que la prison serait favorable à la radicalisation islamique. C’est, partiellement au moins probable mais il est tout aussi probable qu’à défaut d’avoir rencontré l’illumination islamiste, les mêmes auraient continué dans la délinquance violente de droit commun. Ce sont des délinquants violents de vocation, à la personnalité instable et qui ont « sauté » sur la perspective du terrorisme dès qu’on la leur a présentée mais qui n’auraient pas manqué, à défaut, de trouver d’autres occasions de nuire. La différence, évidemment non négligeable, est que leur implication dans l’islamisme radical décuple leur faculté de nuire. Mais elle ne crée pas le phénomène.

Au lieu de faire, a posteriori, de la déradicalisation, ne vaudrait-il donc pas mieux se saisir sérieusement de la délinquance violente quand elle commence à se manifester au lieu de suivre l’angélisme qui a conduit nos kamikazes d’aujourd’hui là où ils sont allés. Car il est probable que si l’on décortiquait sérieusement leurs antécédents judiciaires on y trouverait bon nombre de mesures d’exécution en liberté des peines auxquelles ils avaient été condamnés, de sursis accumulés, de crédits de réduction de peines, de libérations anticipées, etc… Une limitation drastique de ces aménagements de peine dès lors qu’on se trouve en présence d’agissements violents serait certainement un des meilleurs moyens de lutter contre le terrorisme avant qu’il ne se manifeste.

Une fois de plus, la réponse pénale est une chaine : on ne traite pas une chaine en remplaçant un maillon.

II. Le Val de Grâce

Il y a bien longtemps que nos voisins belges font les frais de notre « humour » au travers des traditionnelles « histoires belges ». Les images des derniers jours montrent qu’il y a tout de même des domaines dans lesquels ils se montrent plus intelligents que nous.
Toutes les images diffusées de la prise en charge des victimes des attentats bruxellois montrent des arrivées d’ambulances à l’Hôpital militaire de Bruxelles. Nos voisins belges ont donc bien compris, que, quelles que soient les discussions sémantiques sur l’appellation adéquate à donner au phénomène, dans son ensemble, les blessés du terrorisme dont des blessés de guerre.

Et nous ?

Nous avions à Paris un hôpital militaire tellement excellent que les dirigeants du monde entier venaient s’y faire soigner. C’est au moment où flambent les attentats que le gouvernement, par les œuvres de l’ineffable Madame Touraine, non contrée sur ce point par un ministre des armées que tout le monde s’accorde pourtant à juger excellent, à décider de fermer l’établissement au nom d’une logique que n’apparait qu’à l’auteur de la décision.
S’il y a des cas dans lesquels on ferait mieux de se taire, il y en a d’autres qui doivent faire parler et même hurler. On ne peut, une fois encore, que se désoler que l’opposition et aussi les associations de victimes des attentats soient totalement muettes sur la question alors que la logistique étant encore partiellement au moins en place, on pourrait faire machine arrière en rajoutant, d’ailleurs à l’ensemble la traumatologie qui avait déjà, soyons équitable, été excentrée. Ce serait d’autant plus utile que les hôpitaux civils ont fait savoir qu’ils n’étaient pas loin, en novembre, d’avoir atteint leur point de saturation et qu’en toute hypothèse un établissement de plus susceptible d’accueillir les victimes les plus gravement atteintes de blessures spécifiques ne serait pas de trop.

Que se passera-t-il quand viendra le prochain attentat, et il viendra ?

Faire que les victimes soient convenablement soignées c’est aussi lutter contre le terrorisme. La réactivation de Val de Grâce est une nécessité dont on ne peut que se désoler qu’elle ne soit pas demandée avec une vraie fermeté.

ENCORE UN PROJET DE LOI SUR LE TERRORISME

Après que la polémique sur une éventuelle déchéance de leur nationalité pour les criminels condamnés pour faits de terrorisme soit en train au mieux de s’essouffler et au pire de se perdre dans des délires supplémentaires, nous voilà repartis sur une nouvelle empoignade à propos d’un projet de loi de procédure, dont les grandes lignes ont été révélées par un journal du soir sans qu’il semble possible, pour le moment et pour le vulgum pecus, d’avoir des précisions officielles.
Ce texte serait pris dans le but de renforcer la lutte contre le terrorisme (mais pas seulement et c’est surtout en cela qu’il nous parait, a priori, mériter la critique).

Le premier aspect critiquable et qui devrait donner de saines idées à ceux qui aspirent à remplacer éventuellement les actuels dirigeants, c’est le nombre, pour ne pas dire l’accumulation de textes disant avoir la même vocation depuis quelques trente ans. Il n’y a pas de meilleure preuve que personne ni dans la majorité, ni dans l’opposition, n’a de vision suffisante de la politique pénale pour élaborer des textes appuyés sur un socle d’idées de base précises leur permettant d’avoir une vie durable et sans qu’il soit nécessaire de les triturer à tout moment pour faire face à des situations qu’on a eu le tort de ne pas prévoir. On continue imperturbablement à légiférer au coup par coup, après à peu près tout fait divers nouveau de quelque retentissement, ce qui est la négation même de l’idée de politique pénale qui n’est plus une politique mais une girouette si elle change à tout propos.
De ce point de vue et si l’on croit que la France mériterait un changement, l’idée qu’il faut une «primaire » qui oppose dans tous les partis politique les aspirants à la désignation comme chef de file à ce qui est devenu l’événement essentiel de notre vie publique ne peut qu’aggraver les chose et en tout cas certainement pas les réparer. Obliger les différents candidats, d’une même famille de pensée, à se positionner les uns à l’égard des autres et donc à s’opposer avec des équipes et des programmes différents, ne facilite pas une réflexion de fond sur les problèmes et l’on ne pourra ainsi que continuer dans le cafouillis. A quand une politique pénale sérieuse, appuyée sur quelques idées force unanimement admises déclinée par les meilleurs techniciens et dont on pourrait espérer qu’elle aura une durée de vie autre que les quelques années, voire les quelques mois des régimes actuels ?

Sur le fond et d’après ce qu’on peut savoir du projet actuellement en cours d’élaboration, trois volets sont concernés.

I. L’augmentation des pouvoirs d’enquête du ministère public.

On envisage, tout d’abord, d’accorder au ministère public agissant par voie d’enquête des pouvoirs étendus de recherche de preuve tels que les perquisitions de nuit et les captations technologiques (de conversations, d’images et de géolocalisation) qui ne sont actuellement permises que dans le cadre d’une instruction préparatoires.

On oppose, en premier lieu, à cette réforme, le fait que les membres du parquet ne sont pas des juges du siège indépendants. Mais leurs pouvoirs ici, comme en d’autres domaines, seront contrôlés par le Juge des libertés et de la détention qui l’est, lui. Lire dans une interview à la presse, que des magistrats s’indignent au motif que le JLD ne connait généralement rien aux dossiers dans lesquels il intervient a de quoi laisser sans voix : 1) Comment des magistrats ont-ils pu laisser passer jusqu’à présent un contrôle qui s’exerce déjà en nombre de domaines non négligeables, dont la détention provisoire, alors qu’ils savaient que ce contrôle n’en était pas un ?; 2) Et si c’est vrai il faut tout simplement que ça change en renforçant spécifiquement cette fonction dans les créations qu’on nous annonce.

On critique en second lieu cette innovation au motif qu’elle va priver le juge d’instruction d’une partie de ses fonctions et qu’il s’agirait d’une chronique annoncée de sa mort qui interviendrait non pas en tant que telle, comme cela avait été malencontreusement tenté autrefois, mais à petit feu en lui retirant de sa substance. Ayant toujours été (y compris au cours des missions officielles dont j’ai été chargée) et étant toujours un farouche défenseur du juge d’instruction, je ne soutiendrais évidemment pas une réforme qui pourrait avoir une telle conséquence. Mais sur la base de ce qu’on sait du texte, je ne vois vraiment pas en quoi c’est le cas.
Il est évidemment hors de question de supprimer une instruction obligatoire pour les crimes de terrorisme et il parait difficile de l’envisager pour les plus compliqués de ses délits. En outre il faut rappeler que seule l’instruction permet de placer en détention provisoire dont on imagine mal qu’on puisse se passer en matière de terrorisme. La seule question qui demeure est celle de savoir si le juge d’instruction va perdre quelque chose à une réforme qui augmente les pouvoirs d’enquête du procureur de la République. Je ne le crois pas et pense même qu’il va y gagner en rapidité la lenteur demeurant la principale critique qu’on peut faire à l’instruction préparatoire. Il n’y a que dans les feuilletons télévisés que les juges d’instruction ne traitent que d’un dossier à la fois ce qui leur laisse le loisir d’aller eux-mêmes à la pêche aux preuves. Dans la vraie vie, les juges d’instruction restent dans leurs cabinets pour faire ce qui ne peut relever que d’eux et délivrent des commissions rogatoires aux policiers pour rechercher les preuves. Ces policiers qui ont de fortes chances d’être les mêmes que ceux auxquels le ministère public demandera les mêmes recherches dans le cadre des enquêtes et qui plus est dans des temps beaucoup plus courts puisque les enquêtes sont enfermées dans des délais ce qui n’est que peu le cas des instructions. Lorsque le juge d’instruction sera saisi après ces enquêtes, non seulement il ne lui aura rien été enlevé mais il recevra un dossier substantiel qui lui permettra d’avancer plus vite, une partie des recherches étant déjà faite. Ajoutons que rien ne peut lui interdire de faire mener d’autres investigations, s’il les estime utiles, ni même d’ailleurs, de faire poursuivre ou recommencer les mêmes. Rien ne met donc réellement le juge d’instruction en danger.

Certes il semble y avoir dans le projet actuel quelques maladresses rédactionnelles comme celle qui ferait dire que le ministère public conduit ses enquêtes « à charge et à décharge » ce qui recopie une des règles phares de l’instruction préparatoire. Cela relève bien évidemment d’une ineptie qui procède, comme souvent, d’une volonté de bien faire associée à une ignorance abyssale. Dans le cadre des enquêtes on ne recherche pas des charges mais soit des « raisons plausibles » soit « des indices graves et concordants » qu’une personne ait fait ou n’ait pas fait quelque chose. Savoir si tout cela implique un soupçon de culpabilité ne relève pas de l’enquête mais procède d’une démarche de jugement et ne peut donc émaner que d’un juge d’instruction ou du siège selon les cas. Le ministère public dirige des enquêtes qui rassemblent des éléments de preuve. Au-delà de la position qu’il va adopter lui-même quant aux décisions qu’il va prendre pour la suite à donner à ces éléments, il n’a ni le pouvoir ni le droit de se demander ce qu’ils peuvent bien impliquer ni quelles conséquences ils peuvent bien avoir. Il rassemble, il transmet et il fait connaitre son avis à un juge d’instruction s’il y est obligé ou, dans les autres cas, s’il choisit de le faire ou à une juridiction de jugement s’il cite directement devant elle. Le seul problème est qu’il faudra éviter qu’une extension des pouvoirs d’enquête ne conduise à une augmentation du nombre des saisines directes de juridictions de jugement. Mais le risque n’existe pas en matière de crime où l’instruction est et doit demeurer obligatoire et peu pour le reste en raison de la nécessité du placement en détention provisoire.

II. La reconnaissance de certains pouvoirs aux préfets.

L’interview de magistrats déjà évoquée fait part, ensuite de l’indignation de l’un d’eux devant certains pouvoirs de recherche accordés au préfet ce « nouveau venu de la procédure pénale ».
Cette fois encore le professeur des Facultés de droit ne peut qu’être atterré qu’à un semblable niveau de formation on puisse traduire une aussi totale absence de culture juridique générale et aussi et peut-être surtout, par ce qu’on peut bien enseigner actuellement dans certaines, au moins des Facultés de droit, pour qu’on en arrive là.

En 1810, les pouvoirs de police judiciaire des préfets étaient alignés sur ceux des procureurs de la République et des juges d’instruction. Ils le sont restés jusqu’en 1933 où ils ont momentanément disparu à la suite d’une bévue purement formelle dans un texte de navette parlementaire budgétaire. Dès l’erreur découverte ils ont été rétablis quoiqu’un peu diminués. Conservés intacts en temps de guerre et d’état d’urgence, ils ont été limités, en temps de paix aux infractions contre l’Etat auxquelles appartient le terrorisme qui était inconnu à l’époque. Les dits pouvoirs ont été repris à l’identique dans le Code de procédure pénale de 1958 d’où ils n’ont été supprimés que par une loi du 4 janvier 2013. Nouveau venu en procédure pénale, un fonctionnaire qui a eu des pouvoirs de police judiciaire complets pendant 123 ans, des pouvoirs dans le domaine en cause aujourd’hui pendant 58 ans et qui ne les a perdus que depuis 23 ans?

Mais surtout, on fait ici encore beaucoup de bruit pour pas grand-chose. Ce qui est envisagé, en effet, c’est, d’abord, le pouvoir de faire pratiquer certaines visites de coffres de voiture et de sacs dans des lieux dits « sensibles » qui pourraient être un peu plus précisés mais dont tout le monde voit bien de quoi il s’agit : les lieux de culte et ceux des rassemblements de masse. C’est ensuite la possibilité de retenir une personne pendant 4 heures, le temps de vérifier son identité, ce qui, dans le contexte actuel, est une atteinte bien légère à la liberté d’aller et de venir.

III. L’extension des procédures nouvelles à d’autres domaines que le terrorisme.

Si l’on en croit les informations qui circulent, le texte en cause aurait non seulement pour but de « mieux prendre en compte la réalité du terrorisme » mais ses dispositions devraient aussi être étendues à la délinquance organisée et à la délinquance financière.

C’est là, à notre avis, que le bât blesse.

La définition de la délinquance organisée figure actuellement aux article 706-73, 706-73-1 et 706-74 du Code de procédure pénale qui sont un véritable capharnaüm notamment parce qu’ils contiennent et citent dans n’importe quel ordre, des infractions de violence pour lesquelles un régime plus sévère est pleinement justifié, mais aussi un grand nombre d’infractions qui ne sont pas violentes et qui n’ont rien à faire là comme le Conseil constitutionnel a eu l’occasion récente de le dire sur QPC pour l’escroquerie, par exemple. Etendre à l’ensemble de ces infractions les mesures spécifiques envisagées pour le terrorisme proprement dit n’a aucune justification.

Quant à la délinquance financière elle n’est là que comme un gage donné à la gauche de la gauche qui considère que seule cette forme de délinquance est vraiment grave, le reste, et notamment la violence, étant toujours explicable sinon excusable. On espère donc faire passer des mesures utiles en promettant de les appliquer aussi aux ennemis de classe (présupposé criminologiquement absurde mais qui a la vie dure, les infractions financières étant commises dans toutes les classes sociales).

Ce n’est pas à dire que la lutte contre le terrorisme ne doive pas avoir un volet financier, mais pas énoncé sous cette forme générale. Il s’agit de pouvoir poursuivre d’une façon renforcée, parce que cela confine au terrorisme, tout ce qui a trait à la collecte et à la gestion financière des avoirs qui servent à financer le terrorisme mais cela seulement. Il faudra donc, sur ce point, être parfaitement clair.

Et l’on rejoint ici une remarque qu’on aurait pu faire à propos de la loi sur le renseignement pour laquelle elle n’a pas davantage été faite. Peu importe les informations qu’on rassemble et la façon dont on les rassemble ; Ce qui doit être bien précisé, c’est l’usage que l’on peut faire de ce qu’on a rassemblé. Et il faudra ici bien veiller à ce qu’il soit clairement précisé que les enquêtes et investigations menées d’une façon particulière ne pourront être utilisées que dans des poursuites pour terrorisme et détruites on cancellées si elles révélaient d’autres infractions qui ne doivent pouvoir être recherchées et poursuivies que selon le droit commun.

DÉCHÉANCE DE NATIONALITÉ ET TERRORISME

Comme à peu près chaque fois que se développe un débat public, les affrontements actuels sur une éventuelle déchéance de leur nationalité française pour les français condamnés pour des infractions d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, et spécialement pour terrorisme, se caractérisent par l’affirmation de formules erronées ou trompeuses.

Il est d’abord bien entendu que, comme tout problème juridique, la question de savoir comment s’acquiert, doit s’acquérir et peut se perdre la nationalité, peut être débattue. L’infinie variété mondiale des modes d’acquisition d’une nationalité, au sein de laquelle le droit du sang ou du sol, seuls évoqués en France, ne sont que deux possibilités parmi beaucoup d’autres, ne peut qu’y inviter. Il est donc absurde d’affirmer comme le faisait récemment une autorité socialiste que le Code de la nationalité est « sacré ». Il ne l’est ni plus ni moins que les autres codes. Ce qui pourrait éventuellement être sacré est la nationalité elle-même. Mais là n’est pas actuellement la question.
Sur ce qui est la question, on peut citer, au titre d’un concours au plus inexact, une phrase prononcée non pas par un des traditionnels trublions du Parti Socialiste, mais par un membre des Républicains. Selon cet auteur, la mesure serait stigmatisante pour « une population d’origine étrangère et soupçonnée de ne pas être intégrée », formule qui comprend à peu près autant d’erreur que de mots.

Il est, en premier lieu absurde de prétendre que la déchéance de la nationalité de délinquants français bi-nationaux, si elle était adoptée, mettrait en danger toute une catégorie de citoyens qui se sentiraient comme de seconde zone parce qu’ils auraient acquis la nationalité par application du droit du sol lequel serait remis en cause par la disposition envisagée.
A lire ce qui se dit et s’écrit, tout le monde semble oublier, dans cette affaire, qu’il ne s’agit pas de déchoir de leur nationalité, des personnes choisies au hasard, ou stigmatisées comme telles, mais les auteurs reconnus coupables par une décision de justice définitive des infractions les plus graves parce qu’elles portent atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation (d’où découle la nationalité).
L’immense majorité de la population française issue de l’immigration, ne cesse de répéter qu’elle condamne les monstruosités perpétrées en janvier et en novembre dernier. Et tous ceux qui combattent aujourd’hui l’idée de déchéance de la nationalité font partie de la cohorte de ceux qui, après chaque attentat, s’égosillent en psalmodiant « pas d’amalgame ».
Si la quasi-totalité des bi-nationaux d’origine étrangère réprouve le terrorisme et n’a aucunement l’intention de s’y adonner, on ne voit pas pourquoi ils se sentiraient atteints par une sanction qui ne les concerne pas.

Mais surtout, ce qui est fondamentalement faux dans cette affaire est de vouloir en faire une question de xénophobie ou de distinction selon les origines.
Il y a bien longtemps qu’on débat, parmi les spécialistes de politique pénale et au titre des mesures utiles, sur l’intérêt qu’il pourrait y avoir à déchoir certains délinquants, éventuellement de droit commun, de la nationalité française. Ceux qui n’ont pas la mémoire trop courte pourraient se souvenir qu’on avait notamment débattu de la question au moment de la suppression de la peine de mort et alors qu’on cherchait une mesure qui manifesterait que certains actes commis par certaines personnes plaçaient celles-ci hors de la communauté nationale. Le seul problème réel qui se pose alors est un problème technique : pour éviter de remplacer une difficulté par un autre, cette déchéance ne doit pas créer des apatrides. Elle n’est donc concevable que pour les français qui possèdent deux ou plusieurs nationalités. Il est cependant gravement erroné de considérer que cette situation n’est que celle de personnes issues de l’immigration.
Etant donné la variété des modes acquisitions possibles d’une nationalité évoquée plus haut, il ne manque pas de français « de souche » (nés de parents français, eux-mêmes nés de parents français, etc…) qui sont bi ou pluri-nationaux : nationalité acquise par une naissance fortuite dans un pays qui fait de cette seule naissance la source de sa nationalité ; acquisition par mariage avec un étranger ; acquisition par un très long séjour dans un pays étranger ; par «récompense» pour service rendu, etc… sans compter les petits États qui se sentent menacés dans leur existence et qui considèrent comme nationale toute personne ayant eu un ancêtre, même très lointain, de leur nationalité. Il serait intéressant, si de semblables statistiques pouvaient être faites et connues, de savoir combien de français non issues de l’immigration se trouvent dans une situation de pluri-nationalité. S’il est permis de penser que le plus grand nombre des bi-nationaux est bien le résultat de la prise en compte de la naissance sur le sol français, il y a tout lieu de penser aussi que les français de sang bi-nationaux sont loin de constituer une quantité négligeable.
Dès lors, et si une déchéance de nationalité pour atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation était adoptée pour les condamnés français ayant une ou plusieurs autres nationalités, elle ne serait pas une mesure traduisant la moindre xénophobie puisqu’elle s’appliquerait aussi bien à ceux qui ont acquis la nationalité par droit du sang que par ceux qui la tiennent du droit du sol.

Reste le problème de savoir si cette mesure serait utile. La première question à se poser est « utile à quoi ? ».
Utile à dissuader des individus de se rendre coupables d’actes de terrorisme ? Certainement pas. Dans la bulle qui est la leur, l’Occident et la France sont détestés et le fait de cesser de leur être rattaché pourrait peut-être, même, à la limite, être un élément favorisant. Le seul intérêt pratique et qui est loin d’être négligeable d’une déchéance de nationalité (si tant est qu’on soit capable de surveiller les frontières), serait de pouvoir interdire le territoire français à ces déchus. Mais la question n’est pas, d’abord pratique.
Car s’il s’agit de savoir si la mesure est utile à réaffirmer la primauté et la cohésion de la Nation, c’est autre chose de même nature que l’affichage des drapeaux français auquel on invite après chaque drame et le chant de l’Hymne national qui s’élance spontanément dans tout rassemblement proche des faits. C’est, au-delà des empoignades d’intellectuels largement déphasés de la réalité du terrain, ce que ressentent bien instinctivement (avec leurs tripes) les entre 85 et 94% de la population, selon les sondages (score rare en démocratie) qui se déclarent favorables à la mesure. La démocratie serait décidément bien malade s’ils n’étaient pas entendus.
Et, par pitié, qu’on nous épargne les accusations de « populisme ». La démocratie c’est le gouvernement par le peuple pour le peuple et non pas par quelques personnes se jugeant assez supérieures pour lui expliquer où est son bien ce qu’il ne serait pas assez intelligent pour comprendre tout seul.

LA LOI SUR LA PRESSE DE 1881 N’EST PAS INTOUCHABLE

L’annonce de nouveaux textes en préparation pour réprimer les attitudes racistes ou antisémites, soulève, comme d’habitude un tollé chez les spécialistes du droit de la presse au nom de la défense de la liberté d’expression.

Notre propos n’est pas de savoir si ces nouvelles dispositions sont indispensables ou justifiées mais de rappeler, une fois de plus, aussi, le caractère, à notre avis délirant, d’un point de vue purement technique, du droit pénal des médias.

Pour une raison tout à fait incompréhensible, la loi du 29 juillet 1881 sur la presse est considérée dans ce pays, surtout, il est vrai, par ceux qui ne l’ont jamais lue, comme une espèce de divinité à laquelle il ne faut pas toucher. Mais comme il se trouve que la plupart de ceux qui ne l’ont jamais lue appartiennent au monde médiatique et que le moindre froncement de sourcils de celui-ci provoque la panique dans le personnel politique, nous continuons à vivre avec, pour certaines infractions, un régime totalement aberrant dont la moindre tentative de réforme soulève une tempête.

les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 qui ne concernent que les médias écrits qui ne sont plus aujourd’hui ceux qui jouent le plus grand rôle, la loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication et les nombreuses lois sur la communication audiovisuelle ont, à propos des infractions que ces médias sont susceptibles de commettre un objectif clair et compréhensible : rendre la poursuite de ces infractions plus difficile qu’en droit commun pour favoriser la liberté d’expression que poursuit la liberté de communication. Les incriminations sont donc étroites, il existe diverses possibilités particulières d’échapper à la répression, la procédure prévue est très compliquée avec une action publique dotée d’une prescription exceptionnellement courte (trois mois), en sorte qu’elle aboutit rarement à une condamnation.
Tout cela se comprend parfaitement, dans l’objectif de la liberté d’expression, lorsque les infractions dont il s’agit sont effectivement commises par la voie médiatique.

Le problème est que certaines infractions, telles que la diffamation, l’injure ou certaines provocations, par exemple, ne sont incriminées que par la loi sur la presse. On leur applique donc systématiquement, du fait qu’elles figurent dans un texte de presse, le régime particulier des infractions de presse, même si elles n’ont aucun rapport avec le droit médiatique. Lorsqu’un individu en injurie un autre dans une rue, il commet une infraction « de presse » et sera poursuivi conformément au droit prévu pour celle-ci encore que son comportement n’ait, en réalité, aucun rapport avec la presse.

Cette situation est tellement absurde, pour tout observateur de bonne foi, qu’on a du mal à comprendre comment le législateur a pu ne pas saisir l’occasion de la rédaction d’un nouveau Code pénal, en 1992, pour y mettre un terme, en réintégrant dans celui-ci la définition de toutes les infractions commises entre particuliers ou à l’égard de l’Etat qui figurent actuellement à la loi de 1881. Celles-ci seraient désormais soumises au droit commun, sauf, naturellement, si elles étaient effectivement commises dans un contexte médiatique qui conduirait à l’application des dispositions dérogatoires prévues par les textes de droit médiatique pour les infractions qui y sont accomplies.
L’explication n’est pas en réalité technique mais politique. Elle tient au fait que les hommes politiques que sont les gouvernants et les parlementaires tremblent tellement devant le pouvoir de la presse qu’ils font tout ce qu’ils peuvent pour ne jamais toucher à la loi de 1881 de peur de déclencher des foudres médiatiques, aussi injustifiées soient-elles, le monde médiatique accordant à la loi de 1881 une pouvoir mythique qu’elle n’a pas.

Mais l’absence de courage se paie toujours et les faits sont têtus.
Parce que certaines situations imposent, même à ceux que leur philosophie personnelle pousse au plus grand laxiste, de recourir à une plus grande sévérité, le gouvernement est périodiquement en proie à une agitation plus ou moins justifiée parce que, n’ayant pas eu le courage de mettre un terme à une situation globalement absurde, il tente de « tourner autour » de la loi de 1881 par des moyens partiels pour soustraire au plus gênant de celle-ci certains comportements par des moyens variés.
Soit en modifie une disposition particulière mais limitée la loi elle-même (allongement de certains délais de prescriptions pour les injures discriminatoires, par exemple) soit on retire partiellement certains comportements à sa procédure (pour l’incitation au terrorisme).

Et le résultat devient un vrai capharnaüm législatif. Coexistent, en effet, un droit commun pratiquement exclu, sans la moindre raison valable, pour certaines infractions ; un droit médiatique d’exception qui s’applique à des situations pour lesquelles il ne se justifie pas et, enfin, un droit bâtard, appliquant à quelques infractions, certaines dispositions du droit commun et d’autres du droit médiatique.

Répétons-le, une fois de plus, il n’y a, en bonne technique législative, qu’une seule solution :
– Prévoir dans la loi sur la liberté d’expression et non plus dans celles relatives à tel ou tel média, une procédure particulière, plus restrictive que celle du droit commun, applicable aux infractions commises par la voie médiatique ;
– Rendre au droit commun pénal la définition de toutes les infractions ;
– Leur appliquer la procédure dérogatoire du droit médiatique si et seulement si elles sont commises par la voie des médias.

On mettra ainsi un terme, tant à un désordre technique qu’à des occasions répétées de désordres politiciens.

Il restera, il est vrai, à se demander si le droit pénal et surtout la procédure pénale de la presse ne sont pas abusivement protecteurs, ou à l’inverse, ne permettent pas des poursuites qui ne devraient pas avoir lieu. Mais c’est un autre problème qui n’est pas le nôtre aujourd’hui.

Voiles dehors ?

Que les événements tragiques qui ont secoué la France en janvier aient bousculé aussi bien les personnes que les idées se comprend aisément.
Il ne faut cependant pas que cela vire au grand n’importe quoi comme on le voit depuis avec une confusion totale des discours sur des notions (laïcité, vivre ensemble, éducation « aux » religions ou au « fait » religieux, condition de la formation des membres du clergé, représentation et représentativité de telle ou telle communauté religieuse, etc…) dont on n’a pas pris la peine d’assurer d’abord une définition unique, seule susceptible de permettre la réflexion et qui, pour la plupart n’ont rien à voir les unes avec les autres.
Le débat rebondit ces jours derniers avec une conjonction UMPS qui devrait réjouir Marine Le Pen sur la question parfaitement hors de propos d’une éventuelle interdiction du « voile » (lequel ?) dans les établissements d’enseignement supérieur.

La laïcité est parfaitement définie par nos textes fondateurs :
Art. 11Premier de la Constitution : « La France respecte toutes les croyances », d’où il découle nécessairement qu’elle n’en privilégie aucune.
Et :
Art. 10 1010Dix de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi » (on peut passer sur une formulation discutable connotée par son époque).

La conséquence de cela est qu’une interdiction des signes religieux dans l’espace public n’est possible que si elle trouble l’ordre public, la question concernant, naturellement, tous les signes religieux, mais uniquement ceux qui sont ostensibles que ne peuvent être un bijou ou une boutonnière discrets, par exemple.

Seule question légitime ramenant au débat d’aujourd’hui: quand le port d’un vêtement religieux trouble-t-il l’ordre public ?

Première réponse certaine : quand l’espace public est dédié à des mineurs ou reçoit des mineurs en nombre significatif.
L’Etat, qui ne peut privilégier aucune religion, doit s’opposer à tout ce qui pourrait obérer une future liberté de choix des intéressés quant à la croyance à laquelle ils souhaiteront adhérer, quand ils seront en mesure de choisir, ou l’absence de croyance qu’ils jugeront préférable. Il n’est donc pas possible qu’ils soient confrontés à des modèles adultes fortement connotés à telle ou telle religion. Il faut toutefois préserver la liberté de choix des parents quant à l’éducation de leurs enfants mineurs qui leur permet, durant la minorité de ceux-ci, de choisir une religion pour eux, à la condition qu’ils soient libres de la quitter une fois devenus adultes.
La traduction de cela est que le port de toute forme de costume religieux doit être interdit dans les services publics d’accueil et de d’éducation qui ne reçoivent que des mineurs (crèches, enseignement primaire et collèges, centres aérés et d’une façon générale toutes activités périscolaires) ou peuvent en recevoir même s’ils comptent aussi des élèves devenus majeurs (lycées) et cela qu’il s’agisse des personnels de toutes activités, des enfants et, à notre avis des parents associés au service en accompagnant des sorties.
Une dérogation peut être faite en faveur des établissements d’enseignement ayant un projet d’éducation particulier, licite et reconnu par l’Etat, et auxquels les parents appartenant à telle ou telle religion préfèreraient inscrire leurs enfants mineurs ou qui seraient choisis par des élèves adultes.

Deuxième réponse : quand l’identification des personnes concernées est indispensable et que l’attribut religieux y ferait obstacle.
Cela concerne toutes les personnes qui vont faire des démarches administratives qui supposent toutes que les services puissent savoir à qui ils ont à faire et aussi celles qui doivent, pour une raison ou une autre, justifier de leur identité : demandes de documents, comparution en justice, présentation à un examen, etc… Dans ce cas, cependant, doit être seul prohibé ce qui fait réellement obstacle à l’identification, c’est-à-dire ce qui cache suffisamment le visage pour empêcher celle-ci. Sauf circonstances particulières (par exemple demande de confection de papiers d’identité et aussi comparution en justice, non seulement pour les justiciables mais aussi pour les auxiliaires de justice que les magistrats doivent pouvoir reconnaitre), un simple foulard ou un costume correct de religieuse catholique (ce n’est pas moi qui parle, c’est le Pape Jean-Paul II lors d’une visite en France à la Maison de la Médaille miraculeuse où il était accueilli par une religieuse qui portait un costume civil) et, naturellement une kipa ne paraissent pas faire obstacle à l’objectif d’ordre public visé.
C’est cela qui justifie pleinement la loi sur l’interdiction du costume dissimulant l’intégralité du visage dans l’espace public car la surveillance de celui-ci, qu’elle soit visuelle directe ou vidéo, doit pouvoir s’exercer.

Troisième réponse : pour tous les agents des services de l’Etat.
Celui-ci ne privilégiant aucune religion ne doit pas mettre les citoyens en contact avec des fonctionnaires qui revendiquent d’une manière visible leur appartenance ce qui serait une marque d’adhésion. Sans préjudice de tous les autres et pour en revenir au débat du jour, Il est donc parfaitement clair qu’aucun membre de l’enseignement supérieur public qu’il s’agisse de personnel d’enseignement, de personnel administratif ou de personnel d’entretien ne doit porter de signes religieux ostensibles dans les locaux d’enseignement.

Quatrième réponse : quand le port de l’attribut en cause fait obstacle ou gêne le déroulement normal de l’activité organisée par l’Etat ou avec son accord, à laquelle l’intéressé doit prendre part.
De ce point de vue, il ne semble pas pouvoir être fait de distinction entre public et privé (hôpital ou clinique et même entreprises privées) : tous les personnels de santé mais aussi les patients de ces services, tous les personnels de secours, les personnes participant à des activités sportives, les personnes travaillant sur des machines dans lesquelles leur attribut vestimentaire serait susceptible de se prendre ou de s’enflammer et ainsi de les mettre, elles, mais aussi les autres, en danger, etc…
C’est dans cette perspective et celle-là seulement que mérite de s’inscrire le débat sur le voile à l’Université (en y ajoutant ce qui est dit plus haut sur la présentation aux examens). Il convient, d’abord de remarquer que la façon de poser le problème n’est pas la bonne car aucune solution générale ne peut être définie sur la base, une fois de plus, du seul critère qui vaille : l’ordre public.
Rien ne s’oppose au port d’un costume religieux et donc d’un voile pour des étudiants en droit, en lettres, en langues ou en sciences sociales. Il m’est souvent arrivé d’avoir à mes cours, d’abord, dans le temps, des religieuses catholiques dans le costume de leur ordre, puis des étudiantes musulmanes plus ou moins voilées. Cela ne m’a jamais paru poser le moindre problème, ni avec moi, ni avec leurs condisciples. Il n’en est évidemment pas de même des étudiants des professions de santé, au moins dans le cadre de la pratique, des étudiants en sciences, soit si ce port met l’intéressé en danger, soit si le même port risque de perturber des résultats de recherches, des étudiants en éducation physique, etc…
C’est ce qui permet, à mon sens de trancher le problème qui semble s’être récemment posé à l’Ecole de formation du Barreau de Paris. Je ne vois personnellement aucune objection à ce qu’une étudiante voilée suive les enseignements, ni même plus tard, exerce sa profession de cette façon si des clients choisissent de s’adresser à elle. Mais il est clair qu’elle devra être identifiable au moment des examens et qu’elle devra s’abstenir de tout signe distinctif, autre que l’attribut de son état, lors de son exercice dans le cadre juridictionnel.

Ceux qui envisagent aujourd’hui d’interdire le voile dans l’enseignement supérieur ne le font donc pas pour la bonne et unique raison possible, celle de l’ordre public, mais sur la base d’un jugement de valeur religieux ou social (statut de la femme), interdit, par principe, par nos textes fondamentaux. Une loi ainsi présentée ne pourrait que se heurter, si elle était votée sans nuances, à la censure du Conseil constitutionnel.

ATTENTION VOL

Un certain nombre de faits récents et apparemment disparates amènent à penser qu’on se trouve dans une période de banalisation du vol susceptible de conduire à une dépénalisation ou à une moindre pénalisation de celui-ci, au moins dans certaines circonstances, sans bien en avoir mesuré les conséquences possibles.

Il y a eu, d’abord, la dernière « Loi Taubira » qui n’a pas fait que créer la contrainte pénale sur laquelle tout le monde s’est focalisé. La loi du 15 août 2014 a, en effet, autorisé les officiers de police judiciaire, dès le stade de l’enquête, à transiger sur la poursuite du vol (donc à éviter des poursuites pénales) lorsque la valeur de l’objet volé sera inférieur à un seuil qui devra être fixé par décret.
La presse s’est ensuite fait l’écho de curieux « accords » qui vont jusqu’à être écrits, entre des centres commerciaux, leurs agents de « sécurité » et les autorités et qui prévoient de ne pas donner de suite à des vols, si la valeur des objets volés est inférieure à 150115une certaine somme150 et qu’ils sont restitués (comment faire autrement si l’on s’est fait prendre ?). Seule la réitération (comment en établira-t-on la réalité ?) ou une valeur supérieure donnerait lieu à des suites judiciaires.
Ces informations ont été confirmées par les assemblées de membres du parquet et des premiers présidents de cours d’appel, faisant connaitre le dénuement de leurs juridictions, et se disant être obligés d’établir des « priorités » ce qui veut dire, en clair, de négliger certains contentieux parmi lesquels figure manifestement le vol. Les informations provenant des parquets de Créteil et de Bobigny, qui gèrent une grosse partie de la délinquance de la Région parisienne sont particulièrement inquiétantes puisqu’on peut pratiquement en déduire qu’on ne poursuit plus réellement, et en tout cas qu’on ne punit plus le vol simple.

L’idée n’est pas nouvelle et elle figurait déjà en bonne place dans la loi « Sécurité et liberté » 1981 pourtant dénoncée, à l’époque, comme « liberticide ». Celle-ci a, d’abord, considérablement diminué les peines encourues par l’infraction de vol, solution conservée par le nouveau Code pénal en sorte que le vol est aujourd’hui, au moins s’il n’y a pas de circonstances aggravantes, la moins punie des infractions classiques contre les biens. Dans le même ordre d’idées et cela nous rapproche de la tendance actuelle, le projet de cette loi allait même jusqu’à transformer en contravention le vol dans les grands magasins et l’on ne doit qu’à la clairvoyance du Sénat d’avoir évité cette bévue. Il est vrai que certains « criminologues » (auto-proclamés comme tous puisque le titre n’est pas protégé) prônent une totale décriminalisation du vol dans les grandes surfaces aux motifs que les choses ainsi dérobées sont de faible valeur (ce qui est une pétition de principe) et qu’elles sont laissées à la libre appréhension du public créant ainsi une tentation à laquelle il serait sinon légitime du moins compréhensible de ne pas résister (mais ce qu’on reproche à un délinquant n’est-il pas précisément de ne pas savoir résister à ses tentations antisociales ?). Quels que soient les arguments moraux (?) ou économiques avancés (les magasins incluent le montant des vols dans leur prix de revient ce qui, soit dit en passant, fait bon marché, dans le raisonnement, de l’intérêt des clients honnêtes), il ne faut pas perdre de vue que ce type d’argumentaire fait totalement abstraction du rôle joué par le vol comme vecteur des infractions contre les personnes.

La responsabilité des juristes classiques (ceux des XIXe et de la première partie du XXe siècle) dans cette analyse est écrasante, car c’est l’époque où il était de bon ton de ridiculiser la criminologie alors que s’il est clair que celle-ci n’est pas tout (comme le disait, à l’époque aussi, il est vrai, ses principaux chantres), elle met tout de même en évidence un certain nombre de réalités. La dite doctrine juridique classique n’a eu de cesse de mettre en lumière la parenté de droit des trois principales infractions contre les biens que sont le vol, l’escroquerie et l’abus de confiance au point de les appeler, en jargon de spécialiste de Droit pénal spécial, « les trois glorieuses ». Or, si ces infractions sont bien trois façons de porter atteinte à la propriété d’autrui, elles présentent essentiellement, sur le plan criminologique, des différences, leur mode de réalisation les opposant catégoriquement.

Le vol est une infraction de soustraction d’une chose alors que l’escroquerie et l’abus de confiance sont des infractions d’abus de la crédulité des personnes. C’est dire que déjà, dans leur mode de réalisation, le vol se sépare des deux autres infractions, en ce qu’il est intrinsèquement et indépendamment de ses autres modes de réalisation, une infraction de violence par opposition à deux infractions astucieuses. La Cour de cassation le répète depuis 1937bien longtemps  1837 : voler c’est « prendre, enlever, ravir ».
Mais le vol s’oppose surtout à l’escroquerie et à l’abus de confiance par le contexte dans lequel il se développe. S’il est vrai, ainsi que l’a relevé le Conseil constitutionnel, que le vol ne porte pas « nécessairement » atteinte aux personnes, il n’en demeure pas moins qu’il le fait très souvent.

Quelques exemples.
Quand une femme (parce que c’est généralement à une femme que cela arrive), qui vient de se faire arracher son sac à main par un motard qui circulait sur le trottoir, se rend au commissariat de police elle ne dit pas « On vient de me voler mon sac », elle dit « J’ai été agressée ». Et elle a raison car si la bandoulière du sac à main n’avait pas cédé, elle aurait pu être trainée, blessée voir tuée pour peu que sa tête rencontre la bordure en ciment d’un arbre. Ils auraient alors eu l’air malin ceux qui s’obstinent à traiter les voleurs à l’arraché de « petits délinquants ».
Et une semaine de lecture des journaux de province, qui consacrent davantage de place aux faits divers, ne pourrait manquer de rapporter une histoire du genre de celle-ci. Un gamin qui volait un jeu électronique ou un DVD dans un supermarché s’aperçoit qu’il est dans le champ d’une caméra. Il prend peur et se met à courir vers la sortie. Il bouscule une poussette ou une personne âgée et le bébé éjecté ou la vieille dame se blessent gravement contre une gondole. Parce qu’il est bien vu dans son quartier d’avoir un couteau sur lui, il le sort, menace la caissière et fini par en donner un coup au vigile qui tentait de l’arrêter. Tout ça probablement pour une valeur bien peu élevée.
Et la dangerosité du vol continue même pour les délinquants plus affirmés qui ont bien dû commencer un jour par quelque chose et qui la plupart du temps, commencent par le vol simple, puis utilisent les atteintes aux personnes pour voler. Les statistiques policières révèlent, en effet, que le vol est la première (environ 40 quarante pour cent) des sources de violences contre les personnes commises soit pour le préparer, soit en l’exécutant, soit pour s’enfuir, soit pour régler des comptes entre protagonistes. C’est ce que montre l’étude des carrières criminelles de ceux qui deviendront, ensuite, de grands délinquants contre les personnes. Et l’on rencontre une nouvelle banalisation du vol dont les événements les plus récents donnent une claire illustration. On a dit qu’Amedy Coulibaly avait été condamné et emprisonné pour vol en réunion et avec port d’arme. Et les plus critiques se sont focalisés sur le temps d’emprisonnement qui lui avait été effectivement appliqué par rapport avec celui auquel il avait été condamné. C’est une chose à ne pas négliger, mais ce qu’il fallait voir, surtout, c’est que le vol avec port d’arme constitue un crime alors que Coulibaly n’a jamais été traduit en cour d’assises, ce qui permettait de le considérer toujours comme un « petit » délinquant et est peut-être à l’origine de la légèreté de sa surveillance. Car lorsque les parquets ne laissent pas purement et simplement tomber les poursuites pour vol, on le correctionnalise, c’est-à-dire qu’on oublie opportunément de mentionner dans la procédure les circonstances aggravantes qui les transformeraient en crime. Que les cours d’assises n’aient pas la capacité de juger tout ce qui constitue réellement des crimes est connu de tous. Mais une fois de plus, et dans les choix qu’on est désespérément obligé de faire, il faut être rationnel et traiter en fonction des infractions commises et de ce que l’on sait de leurs auteurs. Or il semble que c’est toujours le vol qui est passé, à tort, par pertes et profits.

Morale de tout cela :
a1) un vol n’est jamais anodin et il faut intervenir dès qu’il s’en produit un ;
b2) La gravité du vol n’a rien à voir avec le montant matériel des objets volés.
c3) Cette gravité ne doit jamais être sous-évaluée notamment lorsque l’intéressé n’est pas un débutant.

Ces observations devraient donc conduire, en matière de politique pénale, à un régime juridique du vol qui, d’une part, suppose qu’on ne le prenne jamais à la légère et, d’autre part, qu’on lui donne un régime plus sévère que celui des deux autres infractions classiques contre les biens. Punir sévèrement le vol pour dissuader d’y recourir ne témoigne pas d’un attachement forcené à la protection de la propriété privée, mais constitue un bon moyen, peut-être le meilleur, de protéger l’intégrité corporelle des personnes. Car si le vol est juridiquement une infraction contre les biens, il est criminologiquement une infraction contre les personnes dont il menace toujours, même s’il ne l’atteint que parfois, l’intégrité corporelle.

Cela n’a jamais été fait par la loi puisque le vol est la moins punie des principales infractions contre les biens.
Cette solution irrationnelle a été adoptée au résultat de présupposés idéologiques en parfaite contradiction avec la réalité démontrée par la criminologie. L’idée est qu’il serait injuste de punir le vol plus que l’escroquerie et l’abus de confiance parce que les infractions violentes, dont le vol en l’occurrence, seraient le fait d’éléments défavorisés de la société alors que les infractions astucieuses, dont l’escroquerie et l’abus de confiance, seraient commises par des « cols blancs ». Une répression plus sévère du vol serait donc l’indice d’une « justice de classe ».
Cette affirmation ne repose sur aucune réalité tangible. Le vol est commis par des auteurs appartenant à toutes les classes sociales ; quant à l’escroquerie, les plus importantes de ces dernières années, sont des escroqueries aux prestations sociales souvent commises par ceux que l’on déclare les plus démunis.
Mais surtout, la remarque, même si elle était exacte, négligerait ce qui doit être l’objectif de toute politique pénale : lutter contre ce qui est le plus dangereux et le plus grave sur les plans individuel et social. En admettant que quelqu’un trouve dans son origine familiale ou sociale toutes les justifications à se mal conduire (ce qui n’a jamais été démontré), on ne peut raisonnablement admettre qu’il menace, blesse ou tue son prochain. Or c’est à cela que l’on aboutit en se montrant tolérant à l’égard du vol.
L’idée contraire, plus réaliste, semblait commencer à faire son chemin ainsi qu’en témoigne une décision récente du Conseil constitutionnel. Saisie d’une requête en QPC estimant que les prolongations exceptionnelles de la garde à vue en matière de délinquance organisée ne se justifiaient pas pour l’escroquerie, même commise en bande organisée, la Chambre criminelle a transmis au Conseil constitutionnel une demande qu’elle a jugée sérieuse au motif que l’escroquerie ne porte pas atteinte, en elle-même, à la sécurité, la dignité ou la vie des personnes et que le délai prolongé est donc susceptible de porter une atteinte disproportionnée à la liberté individuelle. Et le Conseil constitutionnel lui a donné raison. Il se déduit nécessairement de ces décisions que le vol, lui, peut porter atteinte, en lui-même à la sécurité ou à la vie des personnes.

Malheureusement et même si l’on en vient à renforcer le régime juridique du vol poursuivi, les faits rappelés en commençant montrent que la pratique s’oriente vers la négligence des premiers vols commis au nom de la valeur infime de leur objet alors que celle-ci n’est pas une donnée significative et qu’une absence de prise en compte ne peut qu’inciter leurs auteurs à récidiver.

Si la pauvreté des juridictions doit nécessairement les amener à définir des « priorités », la négligence du vol, quel qu’il soit, n’est certainement pas le bon choix. De même, l’utilisation des alternatives à la poursuite (le « rappel à la loi » : est-il vraiment utile de rappeler qu’on ne doit pas prendre le bien d’autrui ?), les procédures rapides, le jugement à juge unique, la correctionnalisation quasi-systématique de vols criminels et les allègements systématiques de peines, quand il arrive qu’il en soit prononcé, devraient être exclus en matière de vol.

LE BESTIAIRE DU DROIT ET SES ZOZOS

Un des reproches qui m’est fait sur un Blog voisin est d’avoir eu un jour l’idée jugée saugrenue de publier, sur la couverture d’un de mes livres, une photo de mon chien de l’époque (la photo de l’auteur était une exigence de l’éditeur pour la collection en cause et la présence de ma chienne avec moi une décision personnelle). Et certains de mes étudiants se souviendront peut-être de m’avoir vu aller faire cours (de doctorat seulement, dont l’auditoire est moins fourni) avec elle.
Personne, donc, ne pourra sérieusement croire que je n’aime pas les animaux. Mais on peut aimer les animaux sans pour autant devenir ni stupide ni outrecuidant et surtout sans chercher à parler doctement de ce qu’on ignore.
Un intellectuel connu et titulaire d’une chronique dans un journal du matin se félicitait la semaine dernière de ce que qu’ayant signé avec nombre d’autres intellectuels un manifeste pour la reconnaissance d’un nouveau statut juridique de l’animal, ils avaient été entendus puisque le Code civil déclare désormais que les animaux sont des êtres vivants et sensibles. Très honnêtement, on voit mal comment qui qui ce soit aurait pu en douter et qu’on le dise ou non ne change rien à la chose. Cela ressemble à la non-reconnaissance officielle de la Chine avant le Général de Gaulle. Mais surtout cela ne change strictement rien à ce qui déclenchait l’ire de nos intellectuels : le fait que les animaux soient, c’est du moins ce qu’ils affirmaient, qualifiés de meubles par le droit. Car là encore, qu’on le dise ou non ne peut rien changer à ce qui est un état du droit sur lequel personne n’a aucune prise dès lors qu’on a besoin d’un système juridique pour réguler les rapports sociaux et que les catégories qu’il contient ne sont pas là pour faire plaisir à tel ou tel mais pour permettre de déterminer ce qu’on peut faire ou non à propos de l’objet ou du sujet dont il s’agit.
Rappelons, d’abord, à nos intellectuels (qui manifestement ne sont pas des juristes – mais ils ont une tendance récurrente à considérer que les juristes ne sont pas des intellectuels) que la catégorie juridique des meubles ne se limite pas uniquement à ce que le vrai juriste appelle un meuble « meublant » (un canapé, une chaise, une table, etc…) mais que la qualification s’applique aussi à tout ce qui n’est ni une personne, ni un immeuble : les contrats, les lettres (y compris d’amour), les actions et les obligations émises par les sociétés, les plantes d’appartement qui, elles aussi sont vivantes (et peut-être sensibles) et même, pour faire référence à une chose qu’ils connaissent et à laquelle ils tiennent, les droits d’auteur, y compris sous l’aspect droit moral de ceux-ci.
Rappelons leur, ensuite, même si cela ne doit pas les rassurer, que le plus grand nombre des animaux vivants au voisinage des hommes ne sont pas et n’ont jamais été des meubles, mais sont des immeubles (pour être tout à fait précis, des « immeubles par destination ») et qu’ils continueront à l’être malgré le changement né de la reconnaissance, bouleversante pour certains et évidente pour les plus sérieux, de leur caractère vivant et sensible. Il en est ainsi de tous les animaux d’exploitation : les bovins, les ovins, les lapins des clapiers, les pigeons de colombiers, les oies et les canards des basses-cours, les poissons des fermes piscicoles, les gibiers d’élevage tant qu’ils n’ont pas été relâchés et même les chiens et chats tant qu’ils ne trouvent chez leur éleveur. Et aussi naturellement les animaux des parcs animaliers. Et pour comble, tous ceux-là, qui sont immeubles dans l’exploitation dont ils proviennent ou font partie, deviendront meubles au moment où ils quitteront l’exploitation (en pratique au moment où ils sont vendus).
Il y a bien une troisième catégorie d’animaux qui n’est ni meuble, ni immeuble et que le droit français qualifie, non par pédantisme mais parce qu’il n’y a pas de mot français équivalent de «res nullius » ou en mauvais français de « rien » ou de bien n’appartenant à personne ce qui est encore pire que d’être un meuble ! Ce sont le gibier libre, les oiseaux de la nature, les insectes, les grenouilles des rivières (mais pas celles des étangs privés qui sont des immeubles appartenant au propriétaire de l’étang), les reptiles sauvages, etc… encore faut-il préciser que la catégorie n’a véritablement d’autonomie que pour les animaux qui ne volent pas, ne sont pas d’élevage et ne sont pas pris, d’une façon ou d’une autre par un homme. Si c’est un animal qui ne vole pas ou un animal qui vole mais qui fait l’objet d’une exploitation comme les abeilles, il appartient, en qualité d’immeuble, à celui sur la propriété de qui il se rend ou se trouve. Quant à l’oiseau attrapé par quelqu’un il devient un meuble lui appartenant (la capture illicite peut donner lieu à une infraction, mais c’est un autre problème sur lequel nous allons venir).
Cela étant dit, comme personne de sérieux ne peut envisager ni d’interdire les exploitations agricoles et piscicoles ou les professions d’éleveurs, ni interdire d’avoir un chien un ou un chat (ce qui suppose qu’on les ait d’abord achetés, reçus ou accueillis), ni interdire la consommation de viande et de poisson, ni démoustiquer les zones humides afin d’éviter la propagation de maladies graves, on ne pourra jamais rien changer à la qualification juridique des animaux car toutes ces opérations ne peuvent avoir lieu que si les animaux concernés sont qualifiés ou de meubles, d’immeubles ou de « res nullius » et cela qu’on les déclare ou non, et en plus, vivants et sensibles.

Est-ce à dire que tout est pour le mieux dans le monde juridique des animaux ? Certainement pas et là encore je suis probablement parmi ceux qui le disent avec le plus de force et depuis le plus longtemps mais sans avoir l’autorité de ceux qui pétitionnent à tout va et, par conséquent, pour le moment sans succès. La solution n’est pas dans une qualification juridique qui n’a aucun effet sur la vie réelle des animaux mais seulement sur la bonne conscience de certains de leurs propriétaires, mais dans un système pénal prenant mieux en compte les qualités d’être vivants et sensibles des animaux pour punir ceux qui les négligent et éventuellement les leur reprendre et leur interdire d’en posséder de nouveaux. On a fait quelques progrès en ce domaine mais encore très insuffisants.
Étrangement, les animaux les mieux protégés par le droit pénal sont les animaux sauvages (res nullius) qui sont pris en compte d’une façon satisfaisante (peut-être un peu trop au gré de certains éleveurs) par les textes sur l’environnement. Il y a quelques temps un bon esprit écrivait qu’alors que la vie du petit de l’homme n’est plus protégée depuis plusieurs décennies, le projet parental de nombre d’animaux sauvages l’est avec une volonté affirmée, puisque la destruction de nids ou d’œufs d’oiseaux ou de reptiles est sévèrement punie. Il en est également ainsi, quoiqu’en dise notre intellectuel dans sa chronique et en France, bien entendu, des animaux de consommation car je doute que les pétitions françaises, quelles que soient la notoriété de leurs signataires, puissent avoir quelque résonance dans les campagnes chinoises profondes où l’on massacre scandaleusement des chiens de consommation. L’abattage officiel français est enfermé dans une règlementation précise et la jurisprudence fait état de condamnations de directeurs d’abattoirs lorsqu’ils ne l’ont pas respectée. Le seul problème ici, mais qui dépasse largement l’objet de ces remarques, est un problème religieux dont nous laissons le traitement à d’autres.
Là où l’insuffisance est bien connue, se fait sentir depuis longtemps et perdure sans qu’aucun obstacle sérieux ne puisse être invoqué, c’est dans le cas des animaux vivants au voisinage de l’homme définis par le Code pénal comme étant les animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité. Le fait de les maltraiter relève d’une part d’une contravention de mauvais traitement (quatrième classe, amende maximale de 750€, possibilité de confiscation de l’animal et des autres animaux détenus par le condamné et de remise à une œuvre mais pas d’interdiction d’en détenir de nouveaux), et un délit de sévices graves et actes de cruauté envers un animal dont l’histoire est intéressante. Le délit d’origine (et d’origine socialiste comme l’ensemble du nouveau Code pénal) ne le punissait que de six mois d’emprisonnement, heureusement devenus, ultérieurement deux ans et 30.000€ d’amende et la possibilité d’une interdiction de détenir un animal (avec toute les réserves inhérentes aux moyens efficaces de faire respecter une semblable interdiction). Sur le papier les choses paraissent donc adaptées. Ce qui l’est moins, c’est qu’en reprenant de la jurisprudence antérieure les mots « sévices graves et actes de cruauté » pour définir le délit, le Code pénal a entériné celle-ci qui a toujours limité l’application de ce délit à un élément moral de volonté perverse de faire souffrir l’animal. Des comportement graves qui peuvent être extrêmement pénibles pour celui-ci comme ne pas lui fournir la nourriture ou l’espace dont il a besoin, ne pas le faire soigner s’il est blessé, disparaitre d’une exploitation déficitaire en abandonnant sans soin les animaux qui s’y trouvent, transporter des animaux dans des conditions pénibles parce que c’est plus facile et moins couteux pour le responsable du transport, ne constituent donc pas le délit s’il ne s’agit que d’indifférence, de bêtise, de méconnaissance, d’impécuniosité ou de souci de profit puisqu’ils ont été induits par autre chose que la volonté de faire souffrir l’animal. Il serait donc utile d’introduire entre la contravention et le délit d’actes de cruauté qu’il convient de conserver (voire de punir plus sévèrement ne serait-ce que parce qu’un semblable comportement est un indice de dangerosité criminologique qui pourrait dépasser l’animal), un délit intermédiaire qui pourrait appréhender ces comportements sans qu’ils soient nécessairement la manifestation d’une volonté perverse de faire souffrit l’animal mais dès lors qu’ils traduisent une indifférence au sort de celui-ci. Le problème est connu et piétine. On peut penser que la ratification par la France de la Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie obligera à cette modification mais uniquement pour les animaux de compagnie, seul objet de la convention.

Une fois de plus, cependant, cela n’a rien à voir avec le point de savoir si les animaux sont juridiquement meubles ou immeubles. La seule certitude est qu’on ne peut pas déclarer qu’ils sont des personnes ce qui, pour le reste, ne laisse aucun choix le droit français ne distinguant que les personnes et les choses, d’une part, et parmi celles-ci les meubles et les immeubles (et subsidiairement les « res nullius »), de l’autre.