ATTENTION VOL

Un certain nombre de faits récents et apparemment disparates amènent à penser qu’on se trouve dans une période de banalisation du vol susceptible de conduire à une dépénalisation ou à une moindre pénalisation de celui-ci, au moins dans certaines circonstances, sans bien en avoir mesuré les conséquences possibles.

Il y a eu, d’abord, la dernière « Loi Taubira » qui n’a pas fait que créer la contrainte pénale sur laquelle tout le monde s’est focalisé. La loi du 15 août 2014 a, en effet, autorisé les officiers de police judiciaire, dès le stade de l’enquête, à transiger sur la poursuite du vol (donc à éviter des poursuites pénales) lorsque la valeur de l’objet volé sera inférieur à un seuil qui devra être fixé par décret.
La presse s’est ensuite fait l’écho de curieux « accords » qui vont jusqu’à être écrits, entre des centres commerciaux, leurs agents de « sécurité » et les autorités et qui prévoient de ne pas donner de suite à des vols, si la valeur des objets volés est inférieure à 150115une certaine somme150 et qu’ils sont restitués (comment faire autrement si l’on s’est fait prendre ?). Seule la réitération (comment en établira-t-on la réalité ?) ou une valeur supérieure donnerait lieu à des suites judiciaires.
Ces informations ont été confirmées par les assemblées de membres du parquet et des premiers présidents de cours d’appel, faisant connaitre le dénuement de leurs juridictions, et se disant être obligés d’établir des « priorités » ce qui veut dire, en clair, de négliger certains contentieux parmi lesquels figure manifestement le vol. Les informations provenant des parquets de Créteil et de Bobigny, qui gèrent une grosse partie de la délinquance de la Région parisienne sont particulièrement inquiétantes puisqu’on peut pratiquement en déduire qu’on ne poursuit plus réellement, et en tout cas qu’on ne punit plus le vol simple.

L’idée n’est pas nouvelle et elle figurait déjà en bonne place dans la loi « Sécurité et liberté » 1981 pourtant dénoncée, à l’époque, comme « liberticide ». Celle-ci a, d’abord, considérablement diminué les peines encourues par l’infraction de vol, solution conservée par le nouveau Code pénal en sorte que le vol est aujourd’hui, au moins s’il n’y a pas de circonstances aggravantes, la moins punie des infractions classiques contre les biens. Dans le même ordre d’idées et cela nous rapproche de la tendance actuelle, le projet de cette loi allait même jusqu’à transformer en contravention le vol dans les grands magasins et l’on ne doit qu’à la clairvoyance du Sénat d’avoir évité cette bévue. Il est vrai que certains « criminologues » (auto-proclamés comme tous puisque le titre n’est pas protégé) prônent une totale décriminalisation du vol dans les grandes surfaces aux motifs que les choses ainsi dérobées sont de faible valeur (ce qui est une pétition de principe) et qu’elles sont laissées à la libre appréhension du public créant ainsi une tentation à laquelle il serait sinon légitime du moins compréhensible de ne pas résister (mais ce qu’on reproche à un délinquant n’est-il pas précisément de ne pas savoir résister à ses tentations antisociales ?). Quels que soient les arguments moraux (?) ou économiques avancés (les magasins incluent le montant des vols dans leur prix de revient ce qui, soit dit en passant, fait bon marché, dans le raisonnement, de l’intérêt des clients honnêtes), il ne faut pas perdre de vue que ce type d’argumentaire fait totalement abstraction du rôle joué par le vol comme vecteur des infractions contre les personnes.

La responsabilité des juristes classiques (ceux des XIXe et de la première partie du XXe siècle) dans cette analyse est écrasante, car c’est l’époque où il était de bon ton de ridiculiser la criminologie alors que s’il est clair que celle-ci n’est pas tout (comme le disait, à l’époque aussi, il est vrai, ses principaux chantres), elle met tout de même en évidence un certain nombre de réalités. La dite doctrine juridique classique n’a eu de cesse de mettre en lumière la parenté de droit des trois principales infractions contre les biens que sont le vol, l’escroquerie et l’abus de confiance au point de les appeler, en jargon de spécialiste de Droit pénal spécial, « les trois glorieuses ». Or, si ces infractions sont bien trois façons de porter atteinte à la propriété d’autrui, elles présentent essentiellement, sur le plan criminologique, des différences, leur mode de réalisation les opposant catégoriquement.

Le vol est une infraction de soustraction d’une chose alors que l’escroquerie et l’abus de confiance sont des infractions d’abus de la crédulité des personnes. C’est dire que déjà, dans leur mode de réalisation, le vol se sépare des deux autres infractions, en ce qu’il est intrinsèquement et indépendamment de ses autres modes de réalisation, une infraction de violence par opposition à deux infractions astucieuses. La Cour de cassation le répète depuis 1937bien longtemps  1837 : voler c’est « prendre, enlever, ravir ».
Mais le vol s’oppose surtout à l’escroquerie et à l’abus de confiance par le contexte dans lequel il se développe. S’il est vrai, ainsi que l’a relevé le Conseil constitutionnel, que le vol ne porte pas « nécessairement » atteinte aux personnes, il n’en demeure pas moins qu’il le fait très souvent.

Quelques exemples.
Quand une femme (parce que c’est généralement à une femme que cela arrive), qui vient de se faire arracher son sac à main par un motard qui circulait sur le trottoir, se rend au commissariat de police elle ne dit pas « On vient de me voler mon sac », elle dit « J’ai été agressée ». Et elle a raison car si la bandoulière du sac à main n’avait pas cédé, elle aurait pu être trainée, blessée voir tuée pour peu que sa tête rencontre la bordure en ciment d’un arbre. Ils auraient alors eu l’air malin ceux qui s’obstinent à traiter les voleurs à l’arraché de « petits délinquants ».
Et une semaine de lecture des journaux de province, qui consacrent davantage de place aux faits divers, ne pourrait manquer de rapporter une histoire du genre de celle-ci. Un gamin qui volait un jeu électronique ou un DVD dans un supermarché s’aperçoit qu’il est dans le champ d’une caméra. Il prend peur et se met à courir vers la sortie. Il bouscule une poussette ou une personne âgée et le bébé éjecté ou la vieille dame se blessent gravement contre une gondole. Parce qu’il est bien vu dans son quartier d’avoir un couteau sur lui, il le sort, menace la caissière et fini par en donner un coup au vigile qui tentait de l’arrêter. Tout ça probablement pour une valeur bien peu élevée.
Et la dangerosité du vol continue même pour les délinquants plus affirmés qui ont bien dû commencer un jour par quelque chose et qui la plupart du temps, commencent par le vol simple, puis utilisent les atteintes aux personnes pour voler. Les statistiques policières révèlent, en effet, que le vol est la première (environ 40 quarante pour cent) des sources de violences contre les personnes commises soit pour le préparer, soit en l’exécutant, soit pour s’enfuir, soit pour régler des comptes entre protagonistes. C’est ce que montre l’étude des carrières criminelles de ceux qui deviendront, ensuite, de grands délinquants contre les personnes. Et l’on rencontre une nouvelle banalisation du vol dont les événements les plus récents donnent une claire illustration. On a dit qu’Amedy Coulibaly avait été condamné et emprisonné pour vol en réunion et avec port d’arme. Et les plus critiques se sont focalisés sur le temps d’emprisonnement qui lui avait été effectivement appliqué par rapport avec celui auquel il avait été condamné. C’est une chose à ne pas négliger, mais ce qu’il fallait voir, surtout, c’est que le vol avec port d’arme constitue un crime alors que Coulibaly n’a jamais été traduit en cour d’assises, ce qui permettait de le considérer toujours comme un « petit » délinquant et est peut-être à l’origine de la légèreté de sa surveillance. Car lorsque les parquets ne laissent pas purement et simplement tomber les poursuites pour vol, on le correctionnalise, c’est-à-dire qu’on oublie opportunément de mentionner dans la procédure les circonstances aggravantes qui les transformeraient en crime. Que les cours d’assises n’aient pas la capacité de juger tout ce qui constitue réellement des crimes est connu de tous. Mais une fois de plus, et dans les choix qu’on est désespérément obligé de faire, il faut être rationnel et traiter en fonction des infractions commises et de ce que l’on sait de leurs auteurs. Or il semble que c’est toujours le vol qui est passé, à tort, par pertes et profits.

Morale de tout cela :
a1) un vol n’est jamais anodin et il faut intervenir dès qu’il s’en produit un ;
b2) La gravité du vol n’a rien à voir avec le montant matériel des objets volés.
c3) Cette gravité ne doit jamais être sous-évaluée notamment lorsque l’intéressé n’est pas un débutant.

Ces observations devraient donc conduire, en matière de politique pénale, à un régime juridique du vol qui, d’une part, suppose qu’on ne le prenne jamais à la légère et, d’autre part, qu’on lui donne un régime plus sévère que celui des deux autres infractions classiques contre les biens. Punir sévèrement le vol pour dissuader d’y recourir ne témoigne pas d’un attachement forcené à la protection de la propriété privée, mais constitue un bon moyen, peut-être le meilleur, de protéger l’intégrité corporelle des personnes. Car si le vol est juridiquement une infraction contre les biens, il est criminologiquement une infraction contre les personnes dont il menace toujours, même s’il ne l’atteint que parfois, l’intégrité corporelle.

Cela n’a jamais été fait par la loi puisque le vol est la moins punie des principales infractions contre les biens.
Cette solution irrationnelle a été adoptée au résultat de présupposés idéologiques en parfaite contradiction avec la réalité démontrée par la criminologie. L’idée est qu’il serait injuste de punir le vol plus que l’escroquerie et l’abus de confiance parce que les infractions violentes, dont le vol en l’occurrence, seraient le fait d’éléments défavorisés de la société alors que les infractions astucieuses, dont l’escroquerie et l’abus de confiance, seraient commises par des « cols blancs ». Une répression plus sévère du vol serait donc l’indice d’une « justice de classe ».
Cette affirmation ne repose sur aucune réalité tangible. Le vol est commis par des auteurs appartenant à toutes les classes sociales ; quant à l’escroquerie, les plus importantes de ces dernières années, sont des escroqueries aux prestations sociales souvent commises par ceux que l’on déclare les plus démunis.
Mais surtout, la remarque, même si elle était exacte, négligerait ce qui doit être l’objectif de toute politique pénale : lutter contre ce qui est le plus dangereux et le plus grave sur les plans individuel et social. En admettant que quelqu’un trouve dans son origine familiale ou sociale toutes les justifications à se mal conduire (ce qui n’a jamais été démontré), on ne peut raisonnablement admettre qu’il menace, blesse ou tue son prochain. Or c’est à cela que l’on aboutit en se montrant tolérant à l’égard du vol.
L’idée contraire, plus réaliste, semblait commencer à faire son chemin ainsi qu’en témoigne une décision récente du Conseil constitutionnel. Saisie d’une requête en QPC estimant que les prolongations exceptionnelles de la garde à vue en matière de délinquance organisée ne se justifiaient pas pour l’escroquerie, même commise en bande organisée, la Chambre criminelle a transmis au Conseil constitutionnel une demande qu’elle a jugée sérieuse au motif que l’escroquerie ne porte pas atteinte, en elle-même, à la sécurité, la dignité ou la vie des personnes et que le délai prolongé est donc susceptible de porter une atteinte disproportionnée à la liberté individuelle. Et le Conseil constitutionnel lui a donné raison. Il se déduit nécessairement de ces décisions que le vol, lui, peut porter atteinte, en lui-même à la sécurité ou à la vie des personnes.

Malheureusement et même si l’on en vient à renforcer le régime juridique du vol poursuivi, les faits rappelés en commençant montrent que la pratique s’oriente vers la négligence des premiers vols commis au nom de la valeur infime de leur objet alors que celle-ci n’est pas une donnée significative et qu’une absence de prise en compte ne peut qu’inciter leurs auteurs à récidiver.

Si la pauvreté des juridictions doit nécessairement les amener à définir des « priorités », la négligence du vol, quel qu’il soit, n’est certainement pas le bon choix. De même, l’utilisation des alternatives à la poursuite (le « rappel à la loi » : est-il vraiment utile de rappeler qu’on ne doit pas prendre le bien d’autrui ?), les procédures rapides, le jugement à juge unique, la correctionnalisation quasi-systématique de vols criminels et les allègements systématiques de peines, quand il arrive qu’il en soit prononcé, devraient être exclus en matière de vol.

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