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TRES BREVES OBSERVATIONS SUR LA « LOI » ( ???) MACRON

Ce que, d’un point de vue juridique, on peut dire de mieux de la «Loi » Macron l’a été dans une Revue juridique de qualité par un Universitaire qui ne l’est pas moins et qui intitulait ses remarques : « Ceci n’est pas une loi ».

Il y a quelques années déjà, le Conseil constitutionnel a sanctionné ce qu’on appelle les « cavaliers législatifs » c’est-à-dire la détestable habitude qu’avaient prises les ministres de prendre prétexte de l’examen d’un texte de loi pour y introduire des dispositions qui n’avaient rien à voir avec l’objet de celui-ci mais qui réparaient, au choix, un oubli dans un autre texte, une bêtise d’une autre loi dont on ne s’était pas rendu compte plus tôt, une réaction à une jurisprudence qu’on n’avait pas prévue dans l’application d’un autre texte, etc…

S’il est un tant soit peu cohérent avec lui-même, le Conseil constitutionnel devrait, s’il est un jour, ce qui est probable, saisi de la « loi » Macron, annuler l’ensemble du texte qui n’est qu’une collection de cavaliers législatifs c’est-à-dire un agrégat inconstitué de dispositions désunies. Bien malin qui pourrait dire quel rapport il y a entre la libéralisation du transport par autocar et la rémunération des huissiers, le travail du dimanche et les modalités du permis de conduire. Et l’intitulé qui prétend unir tout cela au motif que ce sera favorable au développement économique ne suffit pas à réparer une inconsistance générale.

En ce qui concerne les professions du droit, il ne faut pas non plus être un grand connaisseur de la chose pour comprendre les défauts d’un texte qui prétend régler ensemble des questions relatives aux notaires, aux huissiers de justice et aux avocats. Les deux premiers sont, en effet, des officiers ministériels, détenteur de la puissance publique qu’ils représentent. Quant aux avocats, ils sont….
A propos, que sont-ils ? Car la question mérite aujourd’hui d’être sérieusement posée puisque la loi Macron étend encore, en ce qui les concerne, une « exception » qui devient de moins en moins exceptionnelle.

La première réaction, quand on se pose la question de la nature de la profession d’avocat, est d’affirmer que les avocats exercent une profession libérale, sans doute parce qu’il est manifeste qu’ils ne devraient faire que cela. Les avocats qui aiment bien se présenter (pas tout à fait à tort) comme les défenseurs des libertés publiques seraient bien avisés de réaliser qu’ils ne peuvent accomplir convenablement cette tâche que s’ils sont eux-mêmes libres. Or cette liberté n’a cessé depuis une vingtaine d’années d’être grignotée et, ce qui est un comble, avec l’accord des avocats, ou, au moins, celui du Barreau de Paris.

Première atteinte : l’admission, puis une vaste extension de l’avocat exerçant sa profession sous la forme salariée. Certes, on prend des quantités de précautions scripturales pour expliquer que ce salariat est différent des autres et ne porte pas atteinte à la liberté de celui qui en est le sujet. Je ne vois pas qui peut être convaincu.

La deuxième atteinte est plus sournoise car moins visible. Parce que le Barreau de Paris continue contre vents et marées et, surtout, contre tout bon sens, à refuser toute idée de numérus clausus pour l’entrée dans la profession, il existe aujourd’hui un vaste prolétariat du barreau qui ne vit (survit) que grâce à l’aide juridictionnelle et aux commissions d’office, c’est-à-dire (très mal) payé par l’Etat. Or lorsqu’on est payé par l’Etat, on est, sauf statuts très particuliers (les magistrats et les professeurs – uniquement les professeurs – de l’enseignement supérieur) un fonctionnaire dépendant de l’Etat. Comment dès lors défendre ceux dont l’Etat pourrait menacer les libertés ? Là encore, on a pris la précaution de pure forme de faire verser les rémunérations aux barreaux qui les répartissent eux-mêmes entre les avocats désignés d’office. Mais cela peut-il tromper quelqu’un ?

La troisième atteinte est proposée par la loi Macron. Elle va consister à reconnaitre la qualité d’ « avocats » aux directeurs juridiques des entreprises ou de certaines d’entre elles. Et tout le sel de l’affaire est que pour avoir droit à ce titre, il devra être entendu que ces « avocats » ne pourront pas plaider ! L’explication serait qu’il faut accorder à ces personnes un droit et une obligation au secret professionnel tel que l’entendent les avocats (ce qui, soit dit en passant n’a rien à voir avec ce que le Code pénal entend pas secret professionnel). D’abord, il existe un secret des entreprises qui doit être respecté par leurs membres. Ensuite, il suffit aux intéressés de faire preuve de bon sens et de ne pas écrire n’importe quoi à n’importe qui. Enfin, une disposition spécifique aux directeurs juridiques pourrait figurer au Code du travail (il a déjà quelques milliers de pages et on peut y ajouter un article…) ou dans une loi spécifique à la profession, voire à cet aspect de celle-ci. Mais de là à défigurer une nouvelle fois la profession d’avocat il y a une marge que la loi Macron franchit allègrement sous les applaudissements d’une partie du Barreau. Une fois encore, comprenne qui pourra.

Nous rappelons avoir étudié l’incidence criminologique du travail du dimanche dans un article précédent de ce Blog.

ATTENTION VOL

Un certain nombre de faits récents et apparemment disparates amènent à penser qu’on se trouve dans une période de banalisation du vol susceptible de conduire à une dépénalisation ou à une moindre pénalisation de celui-ci, au moins dans certaines circonstances, sans bien en avoir mesuré les conséquences possibles.

Il y a eu, d’abord, la dernière « Loi Taubira » qui n’a pas fait que créer la contrainte pénale sur laquelle tout le monde s’est focalisé. La loi du 15 août 2014 a, en effet, autorisé les officiers de police judiciaire, dès le stade de l’enquête, à transiger sur la poursuite du vol (donc à éviter des poursuites pénales) lorsque la valeur de l’objet volé sera inférieur à un seuil qui devra être fixé par décret.
La presse s’est ensuite fait l’écho de curieux « accords » qui vont jusqu’à être écrits, entre des centres commerciaux, leurs agents de « sécurité » et les autorités et qui prévoient de ne pas donner de suite à des vols, si la valeur des objets volés est inférieure à 150115une certaine somme150 et qu’ils sont restitués (comment faire autrement si l’on s’est fait prendre ?). Seule la réitération (comment en établira-t-on la réalité ?) ou une valeur supérieure donnerait lieu à des suites judiciaires.
Ces informations ont été confirmées par les assemblées de membres du parquet et des premiers présidents de cours d’appel, faisant connaitre le dénuement de leurs juridictions, et se disant être obligés d’établir des « priorités » ce qui veut dire, en clair, de négliger certains contentieux parmi lesquels figure manifestement le vol. Les informations provenant des parquets de Créteil et de Bobigny, qui gèrent une grosse partie de la délinquance de la Région parisienne sont particulièrement inquiétantes puisqu’on peut pratiquement en déduire qu’on ne poursuit plus réellement, et en tout cas qu’on ne punit plus le vol simple.

L’idée n’est pas nouvelle et elle figurait déjà en bonne place dans la loi « Sécurité et liberté » 1981 pourtant dénoncée, à l’époque, comme « liberticide ». Celle-ci a, d’abord, considérablement diminué les peines encourues par l’infraction de vol, solution conservée par le nouveau Code pénal en sorte que le vol est aujourd’hui, au moins s’il n’y a pas de circonstances aggravantes, la moins punie des infractions classiques contre les biens. Dans le même ordre d’idées et cela nous rapproche de la tendance actuelle, le projet de cette loi allait même jusqu’à transformer en contravention le vol dans les grands magasins et l’on ne doit qu’à la clairvoyance du Sénat d’avoir évité cette bévue. Il est vrai que certains « criminologues » (auto-proclamés comme tous puisque le titre n’est pas protégé) prônent une totale décriminalisation du vol dans les grandes surfaces aux motifs que les choses ainsi dérobées sont de faible valeur (ce qui est une pétition de principe) et qu’elles sont laissées à la libre appréhension du public créant ainsi une tentation à laquelle il serait sinon légitime du moins compréhensible de ne pas résister (mais ce qu’on reproche à un délinquant n’est-il pas précisément de ne pas savoir résister à ses tentations antisociales ?). Quels que soient les arguments moraux (?) ou économiques avancés (les magasins incluent le montant des vols dans leur prix de revient ce qui, soit dit en passant, fait bon marché, dans le raisonnement, de l’intérêt des clients honnêtes), il ne faut pas perdre de vue que ce type d’argumentaire fait totalement abstraction du rôle joué par le vol comme vecteur des infractions contre les personnes.

La responsabilité des juristes classiques (ceux des XIXe et de la première partie du XXe siècle) dans cette analyse est écrasante, car c’est l’époque où il était de bon ton de ridiculiser la criminologie alors que s’il est clair que celle-ci n’est pas tout (comme le disait, à l’époque aussi, il est vrai, ses principaux chantres), elle met tout de même en évidence un certain nombre de réalités. La dite doctrine juridique classique n’a eu de cesse de mettre en lumière la parenté de droit des trois principales infractions contre les biens que sont le vol, l’escroquerie et l’abus de confiance au point de les appeler, en jargon de spécialiste de Droit pénal spécial, « les trois glorieuses ». Or, si ces infractions sont bien trois façons de porter atteinte à la propriété d’autrui, elles présentent essentiellement, sur le plan criminologique, des différences, leur mode de réalisation les opposant catégoriquement.

Le vol est une infraction de soustraction d’une chose alors que l’escroquerie et l’abus de confiance sont des infractions d’abus de la crédulité des personnes. C’est dire que déjà, dans leur mode de réalisation, le vol se sépare des deux autres infractions, en ce qu’il est intrinsèquement et indépendamment de ses autres modes de réalisation, une infraction de violence par opposition à deux infractions astucieuses. La Cour de cassation le répète depuis 1937bien longtemps  1837 : voler c’est « prendre, enlever, ravir ».
Mais le vol s’oppose surtout à l’escroquerie et à l’abus de confiance par le contexte dans lequel il se développe. S’il est vrai, ainsi que l’a relevé le Conseil constitutionnel, que le vol ne porte pas « nécessairement » atteinte aux personnes, il n’en demeure pas moins qu’il le fait très souvent.

Quelques exemples.
Quand une femme (parce que c’est généralement à une femme que cela arrive), qui vient de se faire arracher son sac à main par un motard qui circulait sur le trottoir, se rend au commissariat de police elle ne dit pas « On vient de me voler mon sac », elle dit « J’ai été agressée ». Et elle a raison car si la bandoulière du sac à main n’avait pas cédé, elle aurait pu être trainée, blessée voir tuée pour peu que sa tête rencontre la bordure en ciment d’un arbre. Ils auraient alors eu l’air malin ceux qui s’obstinent à traiter les voleurs à l’arraché de « petits délinquants ».
Et une semaine de lecture des journaux de province, qui consacrent davantage de place aux faits divers, ne pourrait manquer de rapporter une histoire du genre de celle-ci. Un gamin qui volait un jeu électronique ou un DVD dans un supermarché s’aperçoit qu’il est dans le champ d’une caméra. Il prend peur et se met à courir vers la sortie. Il bouscule une poussette ou une personne âgée et le bébé éjecté ou la vieille dame se blessent gravement contre une gondole. Parce qu’il est bien vu dans son quartier d’avoir un couteau sur lui, il le sort, menace la caissière et fini par en donner un coup au vigile qui tentait de l’arrêter. Tout ça probablement pour une valeur bien peu élevée.
Et la dangerosité du vol continue même pour les délinquants plus affirmés qui ont bien dû commencer un jour par quelque chose et qui la plupart du temps, commencent par le vol simple, puis utilisent les atteintes aux personnes pour voler. Les statistiques policières révèlent, en effet, que le vol est la première (environ 40 quarante pour cent) des sources de violences contre les personnes commises soit pour le préparer, soit en l’exécutant, soit pour s’enfuir, soit pour régler des comptes entre protagonistes. C’est ce que montre l’étude des carrières criminelles de ceux qui deviendront, ensuite, de grands délinquants contre les personnes. Et l’on rencontre une nouvelle banalisation du vol dont les événements les plus récents donnent une claire illustration. On a dit qu’Amedy Coulibaly avait été condamné et emprisonné pour vol en réunion et avec port d’arme. Et les plus critiques se sont focalisés sur le temps d’emprisonnement qui lui avait été effectivement appliqué par rapport avec celui auquel il avait été condamné. C’est une chose à ne pas négliger, mais ce qu’il fallait voir, surtout, c’est que le vol avec port d’arme constitue un crime alors que Coulibaly n’a jamais été traduit en cour d’assises, ce qui permettait de le considérer toujours comme un « petit » délinquant et est peut-être à l’origine de la légèreté de sa surveillance. Car lorsque les parquets ne laissent pas purement et simplement tomber les poursuites pour vol, on le correctionnalise, c’est-à-dire qu’on oublie opportunément de mentionner dans la procédure les circonstances aggravantes qui les transformeraient en crime. Que les cours d’assises n’aient pas la capacité de juger tout ce qui constitue réellement des crimes est connu de tous. Mais une fois de plus, et dans les choix qu’on est désespérément obligé de faire, il faut être rationnel et traiter en fonction des infractions commises et de ce que l’on sait de leurs auteurs. Or il semble que c’est toujours le vol qui est passé, à tort, par pertes et profits.

Morale de tout cela :
a1) un vol n’est jamais anodin et il faut intervenir dès qu’il s’en produit un ;
b2) La gravité du vol n’a rien à voir avec le montant matériel des objets volés.
c3) Cette gravité ne doit jamais être sous-évaluée notamment lorsque l’intéressé n’est pas un débutant.

Ces observations devraient donc conduire, en matière de politique pénale, à un régime juridique du vol qui, d’une part, suppose qu’on ne le prenne jamais à la légère et, d’autre part, qu’on lui donne un régime plus sévère que celui des deux autres infractions classiques contre les biens. Punir sévèrement le vol pour dissuader d’y recourir ne témoigne pas d’un attachement forcené à la protection de la propriété privée, mais constitue un bon moyen, peut-être le meilleur, de protéger l’intégrité corporelle des personnes. Car si le vol est juridiquement une infraction contre les biens, il est criminologiquement une infraction contre les personnes dont il menace toujours, même s’il ne l’atteint que parfois, l’intégrité corporelle.

Cela n’a jamais été fait par la loi puisque le vol est la moins punie des principales infractions contre les biens.
Cette solution irrationnelle a été adoptée au résultat de présupposés idéologiques en parfaite contradiction avec la réalité démontrée par la criminologie. L’idée est qu’il serait injuste de punir le vol plus que l’escroquerie et l’abus de confiance parce que les infractions violentes, dont le vol en l’occurrence, seraient le fait d’éléments défavorisés de la société alors que les infractions astucieuses, dont l’escroquerie et l’abus de confiance, seraient commises par des « cols blancs ». Une répression plus sévère du vol serait donc l’indice d’une « justice de classe ».
Cette affirmation ne repose sur aucune réalité tangible. Le vol est commis par des auteurs appartenant à toutes les classes sociales ; quant à l’escroquerie, les plus importantes de ces dernières années, sont des escroqueries aux prestations sociales souvent commises par ceux que l’on déclare les plus démunis.
Mais surtout, la remarque, même si elle était exacte, négligerait ce qui doit être l’objectif de toute politique pénale : lutter contre ce qui est le plus dangereux et le plus grave sur les plans individuel et social. En admettant que quelqu’un trouve dans son origine familiale ou sociale toutes les justifications à se mal conduire (ce qui n’a jamais été démontré), on ne peut raisonnablement admettre qu’il menace, blesse ou tue son prochain. Or c’est à cela que l’on aboutit en se montrant tolérant à l’égard du vol.
L’idée contraire, plus réaliste, semblait commencer à faire son chemin ainsi qu’en témoigne une décision récente du Conseil constitutionnel. Saisie d’une requête en QPC estimant que les prolongations exceptionnelles de la garde à vue en matière de délinquance organisée ne se justifiaient pas pour l’escroquerie, même commise en bande organisée, la Chambre criminelle a transmis au Conseil constitutionnel une demande qu’elle a jugée sérieuse au motif que l’escroquerie ne porte pas atteinte, en elle-même, à la sécurité, la dignité ou la vie des personnes et que le délai prolongé est donc susceptible de porter une atteinte disproportionnée à la liberté individuelle. Et le Conseil constitutionnel lui a donné raison. Il se déduit nécessairement de ces décisions que le vol, lui, peut porter atteinte, en lui-même à la sécurité ou à la vie des personnes.

Malheureusement et même si l’on en vient à renforcer le régime juridique du vol poursuivi, les faits rappelés en commençant montrent que la pratique s’oriente vers la négligence des premiers vols commis au nom de la valeur infime de leur objet alors que celle-ci n’est pas une donnée significative et qu’une absence de prise en compte ne peut qu’inciter leurs auteurs à récidiver.

Si la pauvreté des juridictions doit nécessairement les amener à définir des « priorités », la négligence du vol, quel qu’il soit, n’est certainement pas le bon choix. De même, l’utilisation des alternatives à la poursuite (le « rappel à la loi » : est-il vraiment utile de rappeler qu’on ne doit pas prendre le bien d’autrui ?), les procédures rapides, le jugement à juge unique, la correctionnalisation quasi-systématique de vols criminels et les allègements systématiques de peines, quand il arrive qu’il en soit prononcé, devraient être exclus en matière de vol.

RETOUR SUR LA PERQUISITION DU CABINET D’AVOCAT

Il est bien évident que c’est au cabinet de son avocat qu’on peut trouver le plus de preuves accusatoires contre une personne pénalement poursuivie. La perquisition des cabinets d’avocats serait donc bien utile à l’efficacité de la procédure pénale.
Mais il est tout aussi évident qu’en démocratie, le droit de se défendre qui que l’on soit et quoiqu’on ait fait, doit être un droit absolu.
Par ailleurs, les avocats n’ayant que très rarement un seul client, toute perquisition menée dans un cabinet d’avocat met en péril, même sans prêter aucune arrière-pensée à ceux qui perquisitionnent, les intérêts de ses clients autres que ceux qui sont à l’origine de la décision de perquisitionner en amenant nécessairement au moins à la manipulation physique ou informatique de leurs dossiers.
Enfin, il est évident que les avocats ne doivent pas être pour autant à l’abri de toute poursuite s’ils commettent eux-mêmes des infractions et que la perquisition les concernant à ce titre doit pouvoir être menée.

Cette énumération des différents aspects de la chose prouve, à elle seule, la complexité du problème.

Nous avons déjà consacré à la question sur ce Blog un article de fond de type « universitaire » (Avocats, secret professionnel et droits de la défense), auquel on peut renvoyer. Mais l’actualité impose d’y revenir, quitte à se répéter ce qui ne sera pas forcément une preuve de gâtisme mais traduira le sentiment que c’est important.
Dans cet article précédent nous avions posé le problème et dressé quelques pistes. Le moment est venu de choisir.

Pour nous :

Seul un soupçon pesant sur l’avocat lui-même (seul ou avec un client) doit permettre une perquisition le régime dérogatoire étant cependant réservé au cabinet et non étendu au domicile et aux différentes résidences secondaires qui n’ont rien de plus professionnel que ceux de tout un chacun.

Compte tenu du caractère plus que particulier de la perquisition d’un cabinet d’avocat nous serions favorable à ce qu’à tout stade de la procédure (sauf celui exceptionnel d’un supplément d’information demandé par une juridiction de jugement), elle soit préalablement autorisée par une ordonnance du juge des libertés obtenue par une procédure secrète et non contradictoire sur simple demande de l’enquêteur, mais sur des bases sérieuses. Nous aimerions bien qu’à ce propos, au moins, on reprenne, la formule ancienne d’« indices graves et concordants de culpabilité » malencontreusement remplacée depuis par celle beaucoup plus floue de « raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ». Cela éviterait qu’on initie des perquisitions sur de vagues soupçons comme cela semble avoir été le cas tant à Paris qu’à Amiens où les opérations donnent l’impression que la perquisition était davantage faite pour découvrir les charges que pour les confirmer. La perquisition n’est pas une procédure pour « aller à la pêche » mais pour trouver de quoi asseoir ce que l’on a, d’ores et déjà, de bonnes raisons de croire.

Par ailleurs, nous sommes, pour les cabinets d’avocats, favorables à un retour à la procédure antérieure à 1958, que les rédacteurs du Code ont dit vouloir conserver mais qu’ils n’ont pas été capables de rédiger d’une façon suffisamment claire pour qu’elle s’impose : lors de la perquisition dans un cabinet d’avocat c’est le bâtonnier ou son représentant qui perquisitionne en présence du magistrat qui lui a préalablement dit ce qu’il cherchait et non l’inverse.
Et il reste à tenir compte des nouveautés technologiques. L’exploitation des ordinateurs et des disques durs doit être soumise au bâtonnier avant d’être communiquée aux magistrats. Et sauf opérations d’écoutes officielles et règlementaires qui se font de manière dématérialisée, la saisie d’un smartphone d’avocat doit être impossible.

Enfin, même si c’est un vœu pieu, il faudrait s’interroger sérieusement et dans chaque cas particulier, pour savoir par qui et comment la presse a été prévenue à l’avance de certaines perquisitions et en tirer les conséquences quel que soit l’auteur de ces indiscrétions qui sont aussi des fautes professionnelles et une infraction pénale.

Pour autant les avocats doivent être mis en garde.

On a quand même vu, ces dernières années, la profession faire preuve d’une regrettable tolérance à l’égard d’actes qui auraient dû être fustigés par tous. L’avocat qui abuse de son statut pour donner des informations qui ne doivent pas l’être, surtout à des personnes qui pourraient bien éventuellement être poursuivies par la suite, ne mérite certainement pas une mobilisation, en sa faveur, de la profession. Et nous devons rappeler qu’on a tout de même vu (rarement, Dieu Merci) des avocats apporter, en prison, des armes à leurs clients

Pour être respecté il faut être respectable et une profession qui ne fait pas sa police elle-même s’expose à voir sa police faite par d’autres.

Les comportements anti-déontologiques et à fortiori illégaux ne sauraient être couverts et les procédures disciplinaires doivent cesser d’être des tigres de papier qu’on ne sort des placards que lorsqu’on ne peut vraiment plus faire autrement.

Sous ces réserves, l’émotion actuelle de la profession est légitime.

LE BESTIAIRE DU DROIT ET SES ZOZOS

Un des reproches qui m’est fait sur un Blog voisin est d’avoir eu un jour l’idée jugée saugrenue de publier, sur la couverture d’un de mes livres, une photo de mon chien de l’époque (la photo de l’auteur était une exigence de l’éditeur pour la collection en cause et la présence de ma chienne avec moi une décision personnelle). Et certains de mes étudiants se souviendront peut-être de m’avoir vu aller faire cours (de doctorat seulement, dont l’auditoire est moins fourni) avec elle.
Personne, donc, ne pourra sérieusement croire que je n’aime pas les animaux. Mais on peut aimer les animaux sans pour autant devenir ni stupide ni outrecuidant et surtout sans chercher à parler doctement de ce qu’on ignore.
Un intellectuel connu et titulaire d’une chronique dans un journal du matin se félicitait la semaine dernière de ce que qu’ayant signé avec nombre d’autres intellectuels un manifeste pour la reconnaissance d’un nouveau statut juridique de l’animal, ils avaient été entendus puisque le Code civil déclare désormais que les animaux sont des êtres vivants et sensibles. Très honnêtement, on voit mal comment qui qui ce soit aurait pu en douter et qu’on le dise ou non ne change rien à la chose. Cela ressemble à la non-reconnaissance officielle de la Chine avant le Général de Gaulle. Mais surtout cela ne change strictement rien à ce qui déclenchait l’ire de nos intellectuels : le fait que les animaux soient, c’est du moins ce qu’ils affirmaient, qualifiés de meubles par le droit. Car là encore, qu’on le dise ou non ne peut rien changer à ce qui est un état du droit sur lequel personne n’a aucune prise dès lors qu’on a besoin d’un système juridique pour réguler les rapports sociaux et que les catégories qu’il contient ne sont pas là pour faire plaisir à tel ou tel mais pour permettre de déterminer ce qu’on peut faire ou non à propos de l’objet ou du sujet dont il s’agit.
Rappelons, d’abord, à nos intellectuels (qui manifestement ne sont pas des juristes – mais ils ont une tendance récurrente à considérer que les juristes ne sont pas des intellectuels) que la catégorie juridique des meubles ne se limite pas uniquement à ce que le vrai juriste appelle un meuble « meublant » (un canapé, une chaise, une table, etc…) mais que la qualification s’applique aussi à tout ce qui n’est ni une personne, ni un immeuble : les contrats, les lettres (y compris d’amour), les actions et les obligations émises par les sociétés, les plantes d’appartement qui, elles aussi sont vivantes (et peut-être sensibles) et même, pour faire référence à une chose qu’ils connaissent et à laquelle ils tiennent, les droits d’auteur, y compris sous l’aspect droit moral de ceux-ci.
Rappelons leur, ensuite, même si cela ne doit pas les rassurer, que le plus grand nombre des animaux vivants au voisinage des hommes ne sont pas et n’ont jamais été des meubles, mais sont des immeubles (pour être tout à fait précis, des « immeubles par destination ») et qu’ils continueront à l’être malgré le changement né de la reconnaissance, bouleversante pour certains et évidente pour les plus sérieux, de leur caractère vivant et sensible. Il en est ainsi de tous les animaux d’exploitation : les bovins, les ovins, les lapins des clapiers, les pigeons de colombiers, les oies et les canards des basses-cours, les poissons des fermes piscicoles, les gibiers d’élevage tant qu’ils n’ont pas été relâchés et même les chiens et chats tant qu’ils ne trouvent chez leur éleveur. Et aussi naturellement les animaux des parcs animaliers. Et pour comble, tous ceux-là, qui sont immeubles dans l’exploitation dont ils proviennent ou font partie, deviendront meubles au moment où ils quitteront l’exploitation (en pratique au moment où ils sont vendus).
Il y a bien une troisième catégorie d’animaux qui n’est ni meuble, ni immeuble et que le droit français qualifie, non par pédantisme mais parce qu’il n’y a pas de mot français équivalent de «res nullius » ou en mauvais français de « rien » ou de bien n’appartenant à personne ce qui est encore pire que d’être un meuble ! Ce sont le gibier libre, les oiseaux de la nature, les insectes, les grenouilles des rivières (mais pas celles des étangs privés qui sont des immeubles appartenant au propriétaire de l’étang), les reptiles sauvages, etc… encore faut-il préciser que la catégorie n’a véritablement d’autonomie que pour les animaux qui ne volent pas, ne sont pas d’élevage et ne sont pas pris, d’une façon ou d’une autre par un homme. Si c’est un animal qui ne vole pas ou un animal qui vole mais qui fait l’objet d’une exploitation comme les abeilles, il appartient, en qualité d’immeuble, à celui sur la propriété de qui il se rend ou se trouve. Quant à l’oiseau attrapé par quelqu’un il devient un meuble lui appartenant (la capture illicite peut donner lieu à une infraction, mais c’est un autre problème sur lequel nous allons venir).
Cela étant dit, comme personne de sérieux ne peut envisager ni d’interdire les exploitations agricoles et piscicoles ou les professions d’éleveurs, ni interdire d’avoir un chien un ou un chat (ce qui suppose qu’on les ait d’abord achetés, reçus ou accueillis), ni interdire la consommation de viande et de poisson, ni démoustiquer les zones humides afin d’éviter la propagation de maladies graves, on ne pourra jamais rien changer à la qualification juridique des animaux car toutes ces opérations ne peuvent avoir lieu que si les animaux concernés sont qualifiés ou de meubles, d’immeubles ou de « res nullius » et cela qu’on les déclare ou non, et en plus, vivants et sensibles.

Est-ce à dire que tout est pour le mieux dans le monde juridique des animaux ? Certainement pas et là encore je suis probablement parmi ceux qui le disent avec le plus de force et depuis le plus longtemps mais sans avoir l’autorité de ceux qui pétitionnent à tout va et, par conséquent, pour le moment sans succès. La solution n’est pas dans une qualification juridique qui n’a aucun effet sur la vie réelle des animaux mais seulement sur la bonne conscience de certains de leurs propriétaires, mais dans un système pénal prenant mieux en compte les qualités d’être vivants et sensibles des animaux pour punir ceux qui les négligent et éventuellement les leur reprendre et leur interdire d’en posséder de nouveaux. On a fait quelques progrès en ce domaine mais encore très insuffisants.
Étrangement, les animaux les mieux protégés par le droit pénal sont les animaux sauvages (res nullius) qui sont pris en compte d’une façon satisfaisante (peut-être un peu trop au gré de certains éleveurs) par les textes sur l’environnement. Il y a quelques temps un bon esprit écrivait qu’alors que la vie du petit de l’homme n’est plus protégée depuis plusieurs décennies, le projet parental de nombre d’animaux sauvages l’est avec une volonté affirmée, puisque la destruction de nids ou d’œufs d’oiseaux ou de reptiles est sévèrement punie. Il en est également ainsi, quoiqu’en dise notre intellectuel dans sa chronique et en France, bien entendu, des animaux de consommation car je doute que les pétitions françaises, quelles que soient la notoriété de leurs signataires, puissent avoir quelque résonance dans les campagnes chinoises profondes où l’on massacre scandaleusement des chiens de consommation. L’abattage officiel français est enfermé dans une règlementation précise et la jurisprudence fait état de condamnations de directeurs d’abattoirs lorsqu’ils ne l’ont pas respectée. Le seul problème ici, mais qui dépasse largement l’objet de ces remarques, est un problème religieux dont nous laissons le traitement à d’autres.
Là où l’insuffisance est bien connue, se fait sentir depuis longtemps et perdure sans qu’aucun obstacle sérieux ne puisse être invoqué, c’est dans le cas des animaux vivants au voisinage de l’homme définis par le Code pénal comme étant les animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité. Le fait de les maltraiter relève d’une part d’une contravention de mauvais traitement (quatrième classe, amende maximale de 750€, possibilité de confiscation de l’animal et des autres animaux détenus par le condamné et de remise à une œuvre mais pas d’interdiction d’en détenir de nouveaux), et un délit de sévices graves et actes de cruauté envers un animal dont l’histoire est intéressante. Le délit d’origine (et d’origine socialiste comme l’ensemble du nouveau Code pénal) ne le punissait que de six mois d’emprisonnement, heureusement devenus, ultérieurement deux ans et 30.000€ d’amende et la possibilité d’une interdiction de détenir un animal (avec toute les réserves inhérentes aux moyens efficaces de faire respecter une semblable interdiction). Sur le papier les choses paraissent donc adaptées. Ce qui l’est moins, c’est qu’en reprenant de la jurisprudence antérieure les mots « sévices graves et actes de cruauté » pour définir le délit, le Code pénal a entériné celle-ci qui a toujours limité l’application de ce délit à un élément moral de volonté perverse de faire souffrir l’animal. Des comportement graves qui peuvent être extrêmement pénibles pour celui-ci comme ne pas lui fournir la nourriture ou l’espace dont il a besoin, ne pas le faire soigner s’il est blessé, disparaitre d’une exploitation déficitaire en abandonnant sans soin les animaux qui s’y trouvent, transporter des animaux dans des conditions pénibles parce que c’est plus facile et moins couteux pour le responsable du transport, ne constituent donc pas le délit s’il ne s’agit que d’indifférence, de bêtise, de méconnaissance, d’impécuniosité ou de souci de profit puisqu’ils ont été induits par autre chose que la volonté de faire souffrir l’animal. Il serait donc utile d’introduire entre la contravention et le délit d’actes de cruauté qu’il convient de conserver (voire de punir plus sévèrement ne serait-ce que parce qu’un semblable comportement est un indice de dangerosité criminologique qui pourrait dépasser l’animal), un délit intermédiaire qui pourrait appréhender ces comportements sans qu’ils soient nécessairement la manifestation d’une volonté perverse de faire souffrit l’animal mais dès lors qu’ils traduisent une indifférence au sort de celui-ci. Le problème est connu et piétine. On peut penser que la ratification par la France de la Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie obligera à cette modification mais uniquement pour les animaux de compagnie, seul objet de la convention.

Une fois de plus, cependant, cela n’a rien à voir avec le point de savoir si les animaux sont juridiquement meubles ou immeubles. La seule certitude est qu’on ne peut pas déclarer qu’ils sont des personnes ce qui, pour le reste, ne laisse aucun choix le droit français ne distinguant que les personnes et les choses, d’une part, et parmi celles-ci les meubles et les immeubles (et subsidiairement les « res nullius »), de l’autre.

CAYENNE, BAGNE DU DROIT ?

Nous croyons avoir été une des premières à déclarer ici même que Christiane Taubira soulevait les passions, y compris exprimées par les moyens les plus contestables et qui (devaient) être fustigés à la hauteur de ce qu’ils (étaient). Les faits qui justifiaient notre remarque étaient antérieurs à ceux jugés à l’encontre de Madame Leclère, nous paraissaient plus critiquables, et n’ont, semble-t-il, fait l’objet d’aucune poursuite. En outre, notre formule faisait appel à une raison et une mesure qui paraissent avoir totalement échappé au Tribunal correctionnel de Cayenne.

Comme nous en avons adopté le principe, et même si certains ne se laisseront de toute façon pas convaincre, notre propos sera ici purement juridique. C’est la raison pour laquelle, quitte à ne pas satisfaire d’autres lecteurs, nous ne ferons aucun commentaire sur un ton très polémique aux allures de prises de position militantes que l’on n’est pas accoutumé à rencontrer dans les décisions rendues au nom de l’ensemble du peuple français par les membres d’un corps soumis à une obligation de réserve.

Ainsi que l’exprimait, à juste titre, dans la cour de l’Elysée, la principale intéressée, le Garde des Sceaux, les juges statuent en droit.
Là où le bât blesse, c’est lorsque cette phrase est prononcée à propos du jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Cayenne, relatif à des propos la concernant, car cette décision peut se prévaloir de tout ce qu’on veut, sauf du droit.

Quand une juridiction correctionnelle est saisie d’un ou plusieurs délits, elle doit, une fois vérifiée sa compétence, ici bizarre mais indiscutable, examiner d’abord chacun des délits. A ce titre elle doit énumérer les faits commis, les qualifier et s’assurer qu’ils remplissent les éléments constitutifs, matériel et moral, des infractions en cause ; puis s’assurer qu’ils ne peuvent bénéficier d’aucun fait justificatif. Elle doit, ensuite, déterminer à quelles personnes ces faits, à les supposer établis, sont imputables et à quel titre (auteur principal, coauteur, complice, et, dans ce dernier cas, par quel moyen de complicité ils ont été accomplis). Elle doit enfin déterminer la peine à appliquer en fonction des règles légales et, surtout, du passé de la personne poursuivie.

Sous le vocable « Sur l’action publique », la juridiction, d’après le texte publié sur divers sites, le seul que nous ayons lu, nous informe qu’une personne physique (nous avons bien dit une personne physique) est poursuivie devant elle pour les infractions d’injure raciale et de provocation à la haine raciale. Elle relève ensuite « qu’il ressort des documents versés aux débats que dans le cadre de sa campagne électorale à l’élection municipale de mars 2014 à RETHEL où elle représentait le Front National, elle a édité une page Facebook sur laquelle elle a diffusé un montage dans lequel figuraient les photographies d’un jeune singe et de Mme Christiane TAUBlRA avec pour légende les mots:  » à 18 mois » et « maintenant »; qu’en outre, interrogée dans le cadre d’un reportage diffusé dans l’émission « Envoyé spécial » sur France2, elle a commenté ce montage en ajoutant; « je préfère la voir dans un arbre après les branches qu’au gouvernement ».
Puis la juridiction ajoute « Attendu que la matérialité des faits ne saurait être contestée », ce qui est, à peu près, les seuls mots se rattachant au droit qui figureront dans la décision concernant Madame Leclère.

Si la matérialité des faits ne peut être contestée, de quels faits s’agit-il et surtout, de laquelle des deux infractions poursuivies ? On attend, ensuite, en vain, l’examen des éléments constitutifs de chacune d’elles qui doivent, pourtant, être déduits de la matérialité des faits.

En reprenant un raisonnement un petit peu plus traditionnel, on relève deux catégories d’éléments matériels différents : une caricature sur une page Internet comparant le Garde des Sceaux à un singe, et une déclaration lors d’une émission de télévision.
Une première réflexion s’impose au vu de l’ensemble des faits commis : il n’est nulle part fait la moindre allusion au moindre élément de nature raciale ou ethnique. Certes, le caractère souple de la formule légale (« propos tenus à raison de ») doit permettre d’atteindre aussi bien les diffamations ou injures dont le caractère discriminatoire est intrinsèquement constatable (« sale nègre », « sale pédé »…) que les imputations, allégations ou invectives, banales en elles-mêmes, mais dont il pourrait être démontré qu’elles ont tout de même été inspirées par des sentiments racistes, sexistes, etc. Mais encore faut-il que cela soit démontré. Or rien dans cette affaire de comparaison d’un ministre à un singe ne permet de trouver cette connotation puisqu’ainsi que nous allons y revenir, à peu près tous les dirigeants politiques du moyen-âge à aujourd’hui y ont eu droit et ils étaient tous blancs. C’est le ministre qui est attaqué en raison de son activité ministérielle, qui n’est pas approuvée par la prévenue, qui ne fait en rien allusion à son origine, son ethnie, ou sa couleur. Et pire que tout, c’est le Tribunal qui sombre dans la discrimination en voulant voir dans une formule qui ne le contient pas, un motif discriminatoire.

On peut donc éliminer tout de suite le délit d’incitation à la haine raciale qui ne peut être constitué, de même d’ailleurs que l’injure discriminatoire, faute de discrimination. Mais reste-t-il à l’encontre du ministre une injure ordinaire ?
Ici il faut distinguer entre les deux faits matériels différents qui ont été commis.

Quant à la caricature, elle procède de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme associée à une tradition française persistante à laquelle nous avons déjà fait allusion.
Sans nier qu’il peut être légitime de recourir au droit pénal pour sanctionner l’atteinte à certaines valeurs, dont l’atteinte à l’honneur, lui-même protégé par l’article 8 de la Convention, la Cour européenne constate qu’une condamnation constitue une ingérence de l’Etat dans le droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention qui n’est admissible que si elle est nécessaire et proportionnée dans une société démocratique. L’article 10 de la Convention est donc la permission de la loi qui justifie des faits qu’il serait, sans lui, légitime de sanctionner. La Cour de cassation en conclut que « les restrictions à la liberté d’expression sont d’interprétation étroite ».
Or les faits ici en cause s’inscrivent dans une telle tradition nationale qu’on ne peut pas croire que la Cour les condamnerait.
Non seulement depuis le moyen-âge et le Roman de Renard, il est coutumier de comparer les gouvernants à des animaux, mais encore le singe a une situation tout à fait particulière dans ce zoo politique. Sans doute parce que c’est le désintéressement des politiques qui est le plus souvent contesté et parce qu’on dit depuis bien longtemps aussi « Malin comme un singe », la caricature a concerné une bonne partie des rois (y compris Louis XIV, qui n’était pourtant pas un rigolo, sous la plume de La Fontaine) ; les deux empereurs y compris celui qui a été historiquement le plus grand et physiquement le plus petit qui n’était pas non plus tendre avec ses critiques ; la plupart des présidents de la troisième République et jusqu’à nos présidents les plus contemporains. Personne ne semble s’être ému de certaines caricatures de Valéry Giscard d’Estaing en ouistiti ou de Nicolas Sarkozy sous forme de chimpanzé. Pourquoi la même chose devrait-elle devenir critiquable pour un ministre ? Sauf naturellement si l’on veut, comme le Tribunal de Cayenne, trouver à ce ministre une particularité que la Constitution interdit de prendre en compte.

Quant aux déclarations faites sur Antenne 2, elles sont beaucoup plus critiquables. Déclarer qu’on préfèrerait voir un ministre sur un arbre qu’au gouvernement est manifestement une injure. C’est une injure publique simple qui encourt au maximum 12.000€ d’amende. Exit donc la peine de prison et l’inéligibilité.

Mais ne voilà-t-il pas que brusquement, le Tribunal de Cayenne découvre à la page 5 de son jugement qu’il y avait un autre prévenu, personne morale celui-là : le Front national.

Première remarque .
Ainsi que le précise la circulaire d’application du Code pénal, soulignant cette interprétation par des caractères italiques, « La responsabilité pénale d’une personne morale, en tant qu’auteur ou complice, suppose que soit établie la responsabilité pénale, en tant qu’auteur ou complice, d’une ou plusieurs personnes physiques représentant la personne morale ». Comme l’écrivent des commentateurs bien placés du Code, en l’état du droit positif, il faut, pour engager la responsabilité pénale d’une personne morale, que « Les éléments constitutifs (des) infractions, tant matériels qu’intellectuels (soient) réunis sur la tête d’une personne physique et non par la personne morale ». Il était donc impossible au Tribunal de Cayenne de condamner le Front national sans avoir précisé quelle personne physique de ses représentants avait commis les faits qu’il lui reprochait. A défaut de cela le jugement est, de toute façon nul. Mais il est vrai qu’il aurait fallu d’abord savoir quels faits lui étaient reprochés.

Après avoir constaté que le Front national n’est pas l’auteur matériel de l’infraction (laquelle des deux ?), le Tribunal annonce qu’il va démontrer qu’il y a participé par « instigation et fourniture de moyens ». Le Front national serait donc complice. Mais outre que la retenue d’une complicité par instigation ou fourniture de moyens requiert toute une série de précisions qu’on chercherait en vain dans le jugement, ce ne semble pas être le point de vue du Tribunal puisqu’il termine en déclarant que « Le FRONT NATIONAL doit être considéré comme auteur de l’infraction (il semble que s’agisse une troisième ?) dont l’élément matériel est la fourniture d’une investiture, d’un programme, d’affiches reproduites sur le site incriminé, et dont l’élément moral est constitué d’une volonté exprimée de s’en prendre aux étrangers, et plus généralement aux hommes de races ou d’origines différentes ». En premier lieu, on ne sait pas de quelle infraction il s’agit. En second lieu il faudrait analyser le matériel électoral en cause pour y trouver l’élément matériel de l’infraction commise en admettant qu’on sache de laquelle il s’agit. En troisième lieu, aucune infraction n’a, à notre connaissance, un élément moral consistant à « s’en prendre aux étrangers et, plus généralement aux hommes de races et d’origines différentes », ce qui, au surplus serait un élément matériel et non moral. Enfin et surtout, si c’est bien le cas, il s’agit d’une infraction différente de celle retenue à l’encontre de Madame Leclère et dont, à défaut de connexité alléguée ni démontrée, la juridiction n’était pas saisie.

Si les juridictions doivent statuer en droit, il faudrait peut-être s’intéresser de près à celle de Cayenne.

LA GARDE A VUE DE NICOLAS SARLOZY

L’un des intérêts principaux de la nouvelle affaire Sarkozy est de mettre dans une lumière crue plusieurs des défauts les plus importants de notre procédure pénale.

Et pour éviter que certains ne m’accusent d’instrumentaliser la science au profit de l’ancien Président, je leur suggère de consulter mes travaux déjà publiés pour prendre conscience de ce que je ne change pas d’avis selon ce que je veux critiquer ou défendre.

I. L’abus des commissions rogatoires.

La lecture du Code de procédure pénale comme, d’ailleurs, celle de son prédécesseur, le Code d’instruction criminelle montre qu’il impose au juge d’instruction d’accomplir toutes ses tâches lui-même : c’est le juge d’instruction qui doit rassembler personnellement les preuves, perquisitionner, interroger, entendre, confronter, etc… Sauf dans quelques fictions télévisuelles, c’est une vue de l’esprit. D’abord parce que les investigations à mener peuvent excéder le ressort territorial du juge et exiger de longs déplacements. Ensuite parce que le juge d’instruction est très sollicité. Or dans le cadre de ses fonctions, certaines, qui relèvent d’un imperium, ne peuvent être accomplies que par lui (usage des pouvoirs coercitifs ; fonction juridictionnelle). L’efficacité de l’instruction permet donc au juge de déléguer à d’autres certains actes d’investigation qui ne lui sont pas, de leur nature, réservés. Il le fait en délivrant des commissions rogatoires.

Mais si cela est une nécessité, cela ne doit pas devenir une facilité et, rapidement, un abus.

Le Code d’instruction criminelle ne faisait état ni d’une possibilité générale de délégation ni d’une réglementation d’ensemble de la matière. Une extension des possibilités de délégation s’était triplement manifestée : admission d’une possibilité générale de délivrance de commissions rogatoires alors que les cas prévus étaient limités à une impossibilité géographique ou matérielle ; admission d’un droit général de délégation de tous les actes de recherche au lieu de ceux qui étaient énumérés, admission de la possibilité de donner commission rogatoire à des officiers de police judiciaire alors que ceux-ci n’étaient cités qu’accessoirement, les attributaires normaux des délégations étant d’autres magistrats. L’insuffisance du Code d’instruction criminelle avait, enfin, permis une absence totale de limitation de la portée des commissions rogatoires. Celles-ci pouvaient être doublement générales ; générales quant aux actes à accomplir, le juge pouvant demander que soient faits « tous actes utiles à la recherche des preuves » dans telle affaire ; générale quant aux infractions, le magistrat étant autorisé à déléguer son pouvoir de recherche à « toutes les infractions susceptibles d’être reprochées à X… ».

On était parvenu à la veille de la rédaction du Code de procédure pénale à un véritable abus des commissions rogatoires par lequel le juge d’instruction se limitait en pratique à être une autorité juridictionnelle ayant délégué à la police tous ses pouvoirs d’investigation. C’est à cela que le Code de procédure pénale a souhaité réagir, mais il ne l’a fait que très légèrement en se bornant à prohiber les commissions rogatoires générales quant aux infractions visées. Les alinéas 2 et 3 de l’article 151 prévoient que « La commission rogatoire indique la nature de l’infraction objet des poursuites » et qu’« elle ne peut prescrire que des actes d’instruction se rattachant directement à la répression de l’infraction visée aux poursuites ».

Mais sous cette réserve il n’y a pas, ce qui serait bien utile, de véritable règlementation des commissions rogatoires qui, ou bien, en limiterait le domaine à ce que le juge ne peut vraiment pas faire lui-même et qu’on lui demanderait de justifier, ou bien en exclurait certains actes (ceux concernant les personnes notamment).

Le résultat est qu’on est revenu à une situation au moins équivalente à celle qui régnait sous le régime du Code d’instruction criminelle : les juges d’instructions ne se bornent pas à donner des commissions rogatoires pour ce qu’ils sont dans l’incapacité de faire eux-mêmes ; ils ont pris l’habitude d’en donner pour tout et n’importe quoi.

C’est ce qu’illustre clairement l’affaire Sarkozy. On a quelque mal, en effet, à voir ce que peut trouver à faire de plus important un juge d’instruction que d’entendre, si c’est nécessaire, un ancien président de la République. Et qu’on ne vienne pas nous dire qu’il s’agit d’égalité devant la loi car ce serait contredire la jurisprudence de bon sens du Conseil constitutionnel selon laquelle il est légitime de traiter différemment des situations et des personnes différentes. Les anciens présidents de la République ont un statut qui les différencie des autres citoyens. Ce ne sont pas des citoyens comme les autres. Les faire entendre sous commission rogatoire est légal mais ridicule.

II. L’absurdité de la garde à vue sous commission rogatoire.
La décision de placement en garde à vue, dans le cadre d’une enquête de police, est prise par un officier de police judiciaire, soit spontanément, soit sur ordre du procureur de la République. La disposition selon laquelle un officier de police judiciaire peut décider de la garde à vue se comprend, dans le cadre des enquêtes de police, où elle signifie que la décision ne peut être prise que par le plus élevé en grade des policiers. Mais elle a induit une autre interprétation selon laquelle le placement en garde à vue serait, en quelque sorte, une prérogative des officiers de police judiciaire, d’où l’on a tiré une conséquence erronée, dans le cadre de l’exécution des commissions rogatoires du juge d’instruction. Un policier agissant sur commission rogatoire d’un juge d’instruction est, en effet, autorisé à placer la personne qu’il entend en garde à vue ce qui est théoriquement incohérent et pratiquement regrettable.

Le fondement de la commission rogatoire étant une délégation de compétence du magistrat au policier, le premier ne devrait logiquement pouvoir déléguer au second que les pouvoirs qu’il possède lui-même. Or le juge d’instruction ne peut pas placer en garde à vue dans la mesure où cela lui est inutile. Le juge d’instruction n’est, en effet, limité en rien, dans le temps, pour l’accomplissement des actes d’investigation qu’il accomplit lui-même. Il n’a donc pas besoin de garde à vue puisqu’il peut conserver à sa disposition les personnes qu’il désire entendre aussi longtemps qu’il le souhaite, et cela qu’elles soient mis en examen, témoins ou témoins assistés. En bonne logique, un policier bénéficiaire d’une commission rogatoire devrait pouvoir exercer les droits dont bénéficie son délégant mais ne devrait pas pouvoir avoir plus de droits que celui-ci et notamment ne devrait donc pas pouvoir placer en garde à vue puisque le juge d’instruction ne le peut pas, Mais cette logique a été ici perturbée par l’idée que tout officier de police judiciaire posséderait, en quelque sorte de fonction, la possibilité de garder à vue.

On pourrait justifier cette solution par le fait qu’elle aboutit, en pratique, à limiter les droits du policier par rapport à ceux du juge d’instruction puisque le policier doit, pour conserver la personne entendue à sa disposition, respecter les conditions de la garde à vue, plus restrictives que ce qui est permis au juge d’instruction. Mais la solution présente, à l’inverse, de gros inconvénients, quel que soit le sens qu’on lui donne. S’il s’agit de permettre au policier de placer en garde à vue des personnes qu’il entend comme simples témoins, cela met cette forme de garde à vue en contradiction avec la garde à vue d’enquête ou la rétention des témoins n’est pas possible. S’il s’agit de permettre au policier de placer en garde à vue des personnes contre lesquelles il y a des raisons plausibles de penser qu’elles ont commis des infractions, cette règle permet au juge d’instruction de tourner, par le biais d’une commission rogatoire, cette autre règle qui s’impose à lui et qu’il lui est interdit d’entendre, sans mise en examen ou placement sous le régime du témoin assisté, la personne suspecte, ainsi que celle qui interdit aux policiers d’interroger les personnes mises en examen ou bénéficiant du statut de témoin assisté, qui ne peuvent, si le juge d’instruction ne les entend pas lui-même, être entendus que par un autre magistrat et pas par des policiers.

Cette forme de garde à vue qui reste, bizarrement, hors des foudres des principaux contempteurs de cette procédure, est une aberration dont la suppression s’impose.

III. Combinaison des principes précédents.

En choisissant de faire entendre l’ancien président de la République sous commission rogatoire, les juges d’instruction ont permis qu’il soit placé en garde à vue, puisque les policiers n’avaient que le choix de l’entendre librement, mais alors quatre heures seulement ou de le placer en garde à vue. Les juges d’instruction ne pouvaient pas l’ignorer. De même, ils ne pouvaient ignorer que Nicolas Sarkozy n’aurait pas été placé en garde à vue s’ils l’avaient entendu eux-mêmes. Autrement dit les juges d’instruction savaient (souhaitaient ?) que Nicolas Sarkozy soit placé en garde à vue.

Ce n’est pas nous qui instrumentalisons la procédure pénale.

VINCENT LAMBERT et subsidiairement BONNEMAISON

Pour la première fois, il me semble (cela n’a, hélas par duré, mais c’est un autre problème), j’ai eu matière à me féliciter d’une décision de la Cour européenne des droits de l’homme : Vincent Lambert et avec lui tous les principes au cause dans son cas, avaient été provisoirement sauvés.

Depuis quarante ans, nous assistons au même phénomène : une minorité très agissante et particulièrement bien formée à la dialectique, obtient, dans des questions d’une importance capitale, mettant en cause la nature humaine, un franc succès grâce à un amalgame de termes et de notions qui manipulent efficacement les français en biaisant l’analyse.
De ce point de vue, le cas de Vincent Lambert est emblématique.

Vincent Lambert n’est pas en fin de vie, il a trente-neuf ans. Exit donc tous les arguments que l’on pourrait invoquer en faveur d’une disparition naturellement programmée à échéance proche et que l’on ne ferait que devancer de très peu.

Vincent Lambert n’est pas malade, il est handicapé. Il ne relève donc d’aucun protocole thérapeutique puisque sa situation parait consolidée. Comme toute personne handicapée qui ne peut pas pourvoir seule à ses besoins, il doit être alimenté, hydraté et avoir les soins d’hygiène et de maintien physique appropriés. De même, il n’y a pas lieu de mettre en avant le fait que, sauf découverte fondamentale (toujours possible, il ne faut quand même pas l’oublier), on ne peut pas améliorer son état.

Vincent Lambert n’est pas le sujet de douleurs insupportables qu’il serait impossible de calmer, ni de traitements dont la seule administration serait pénible pour lui. Ses photos montrent quelqu’un dont le spectacle est infiniment moins impressionnant que celui de personnes en réanimation après accident et qui, pour la plupart, en sortiront indemnes. Ajoutons, d’ailleurs, que les partisans de sa mort le disent, si on veut bien les entendre : c’est au moment où l’on cessera de lui fournir les éléments nécessaires à sa vie qu’il faudra lui administrer les antidouleurs qui rendront cet acte de mort supportable pour lui. Il n’y a pas de meilleure façon pour dire qu’actuellement il ne souffre pas.

Vincent Lambert n’est pas état végétatif. Il est pauci-relationnel c’est-à-dire réagit à certaines stimulation. Ce n’est pas un légume (expression au surplus insupportable même lorsqu’elle traduit un état réel, pour désigner quelqu’un qui est toujours un homme). C’est un homme avec des sensations et des émotions.

Aucun des arguments que l’on peut mettre en avant pour justifier, si tant est qu’il faille le faire, une euthanasie, n’est réalisé dans le cas de Vincent Lambert. Le seul élément qui pourrait avoir un rapport avec le domaine médical, dans le cas Lambert, est le fait qu’il est alimenté et hydraté par sonde gastrique. Mais on nous a abondamment expliqué que cela n’a pour but que d’éviter les fausses voies. Si cela est vrai, il serait donc techniquement possible d’alimenter Vincent Lambert comme tout un chacun, la sonde gastrique n’étant qu’un élément de confort au moins autant pour le personnel soignant que pour lui-même.

Et c’est là qu’on voit apparaitre le tour de passe-passe du Conseil d’Etat, heureusement contredit par la Cour européenne. Parce que Vincent Lambert est alimenté par un dispositif médical, il est donc dans le cadre d’un protocole de soins ; comme il n’y a aucune raison de prévoir une amélioration de l’état du « patient », le protocole de soins relève de l’acharnement thérapeutique ; il faut donc l’interrompre. C.Q.F.D. Gageons tout de même qu’il devrait être difficile de faire comprendre à toute personne de bon sens que l’alimentation, l’hydratation et l’hygiène relèvent d’un traitement médical, sinon nous sommes tous de grands malades dont il faut d’urgence abréger les souffrances. On pouvait au moins l’espérer jusqu’à ce qu’un jury, émanation du Peuple Français, rende la décision que nous évoquerons plus loin et qui est une éclatante illustration de la manipulation à laquelle le français de base est soumis.

Mais le cas Lambert pose, au-delà de lui-même, bien d’autres questions.

Tous ceux qui ont eu à faire partir pour un centre de soins une personne à qui quelque chose disait qu’elle n’en reviendrait pas se souviennent de ce qu’a été l’épreuve. Du moins ces futurs hospitalisés avaient-ils le sentiment, devenu depuis illusion, qu’on allait sinon les guérir, du moins les soigner et les soulager avant, peut-être de les accompagner. Maintenant ils savent que ceux à qui on les envoie ont toute licence sociale de les tuer. Je me féliciterais, personnellement, que mon épreuve de cette nature soit terminée si je n’étais pas immédiatement amenée à penser qu’à défaut d’en faire partir d’autres, je pourrais être la prochaine sur la liste et qu’en l’état actuel des choses, je ne vois guère ce que je peux faire pour me mettre à l’abri de la sollicitude de ceux qui vont me tuer, pour mon bien, naturellement.

Car le pire, dans cette affaire, pire sur lequel on est passé très vite est que les juridictions administratives avaient été saisies, entre autres demandeurs, par le C.H.U. De quel intérêt (pardon, si je ne peux pas accompagner ici cette notion du mot juridique habituel de « légitime ») peut bien se prévaloir un hôpital pour demander à cesser de soigner ? On peut retourner le problème dans tous les sens on n’en trouve que deux. Le premier est la volonté de libérer des lits pour d’autres malades considérés comme plus intéressants. Par qui ? Et est-ce seulement avant de les tuer aussi pour laisser leur place à d’autres encore plus intéressants qu’eux ? Le second est le coût des soins à ces sous-hommes qu’on leur demanderait de continuer à soigner. On vient de célébrer avec faste le soixante-dixième anniversaire du Débarquement qui marqua le début de la fin de la seconde guerre mondiale. Peut-être ne faudrait-t-il pas oublier pourquoi on a fait cette guerre et pourquoi des milliers de personnes sont mortes jeunes et en parfaite santé : lutter contre une idéologie qui prétendait établir une hiérarchie de valeur entre les hommes.

Mais il faudrait aussi réfléchir à ce qu’est, dans une affaire de cet ordre, la « famille » que l’on interroge. En premier lieu, ne jamais perdre de vue ce qu’il n’est pas correct de rappeler mais qui est la stricte vérité : ceux que l’on interroge sont, d’abord, ceux qui héritent du défunt et ensuite ceux qui supportent le poids matériel mais aussi affectif de l’intéressé. Qu’est-ce qui relève dans le « ça ne peut plus durer » de ce qui concerne la préoccupation du malade et de ce qui concerne la fatigue, bien réelle, de l’entourage qui va prendre la décision ? Bien malin qui pourrait le dire, et même le savoir, même quand on l’a vécu.

Et il faudrait aussi redéfinir la famille à interroger car la notion doit nécessairement varier avec le problème en cause. De ce point de vue il deviendrait utile de rappeler que le conjoint (époux, pacsé ou concubin) ne fait pas partie de la famille de la personne concernée. Ce n’est pas parce qu’un jour où il était particulièrement mal inspiré, le législateur a décidé que le conjoint ne paierait plus de droits de succession, qu’on en a fait un membre de la famille. Tout le monde a applaudit parce qu’on supprimait un impôt. Personne ne s’est demandé si le point d’appui de la mesure était le bon et surtout s’il ne risquait pas d’avoir des conséquences perverses. C’est fait. Les parents qui ont mis au monde le malade et les enfants qui ont été mis au monde par lui sont des membres de sa famille. Le conjoint n’est qu’un allié. Cela ne veut pas dire qu’il faut le tenir totalement à l’écart mais qu’il faut savoir ce que l’on fait. Des frères et sœurs sont aussi parents du malade et peuvent éventuellement s’exprimer à ce titre. Mais s’ils existent, les neveux, qui ne sont que les enfants des précédents ne peuvent que se taire. Comme les médias ne sont friands que de ce qu’ils appellent de « bons clients », on ne voit se pavaner sur tous les écrans, qu’un neveu de Vincent Lambert, lequel a plusieurs frères et sœurs dont le neveu en question est forcément l’enfant. Il est déjà assez pénible que ces frères et sœurs ne puissent pas s’entendre entre eux sans que l’on ajoute des tiers dont on peut se demander s’ils ne règlent pas, en cela, des comptes personnels avec leurs grands-parents, leurs parents ou leurs oncles et tantes.

Enfin, que faire des 1700 personnes qui sont, nous dit-on dans le même cas que Vincent Lambert ? Il ne suffit pas de paroles lénifiantes du Vice-président du Conseil d’Etat pour supprimer la règle constitutionnelle de l’égalité des citoyens devant la loi. Là encore, il faut choisir. C’est Soleil vert, tout le monde, tout de suite et à venir ou personne.

Et c’est là-dessus qu’intervient l’acquittement aberrant de Bonnemaison (là non plus je n’arrive pas parler de « docteur »). La première impression est que nos manipulateurs d’opinion sont décidément très forts et, pendant une seconde (une seconde seulement : qu’ils ne se réjouissent pas trop), la tentation est grande de jeter l’éponge. Passons sur l’étrangeté d’un réquisitoire qui tout en demandant une peine tellement ridicule qu’à la limite il vaut mieux qu’il n’y en ait pas eu du tout, n’a pas pu (tout de même) ne pas relever qu’on était en contradiction avec tous les protocoles préconisés même par les plus ardents défenseurs de l’euthanasie active au point que le Conseil de l’Ordre des médecins avait interdit l’intéressé d’exercice. Sans compter, précisément, l’absence d’interdiction pénale d’exercer pour quelqu’un dont on n’a pas pu ne pas noter, de l’avis unanime, une fragilité psychologique qui parait bien peu en accord avec les termes d’une profession aussi éprouvante.

Là les partisans de l’euthanasie sont au pied du mur. S’il n’y a pas appel de la décision, ils ne pourront plus continuer à berner les français : ils ne demandent pas une procédure mesurée, consensuelle, organisée. Ils veulent un droit général de mourir et surtout de tuer.

DE LA LOYAUTÉ DU PROCÈS PÉNAL

La loyauté des preuves.

Alors que la jurisprudence est normalement sourcilleuse pour admettre au procès pénal des preuves obtenues par des procédés déloyaux comme les perquisitions illégales ou la provocation policière, lorsque ces comportements ont été le fait d’autorités publiques, elle estime, depuis une trentaine d’années, que les règles de loyauté ne concernent que les agents publics et ne s’imposent donc pas aux simples particuliers. Elle admet, en conséquence, le dépôt au procès pénal, par des parties civiles ou de simples témoins ou même n’importe qui, de tous éléments de conviction quels qu’aient été le moment de leur obtention (avant les faits ou durant la procédure) ou le moyen utilisé et cela même s’ils ont été acquis par une infraction pénale, même éventuellement sanctionnée comme telle (écoutes sauvages, atteinte à l’intimité de la vie privée, violation du secret de l’instruction, documents volés ou dont la publication était pénalement sanctionnée, violation de secret des correspondances, etc.). Ce faisant, la jurisprudence consacre, au profit des simples particuliers, un pouvoir d’investigation exempt de toutes règles et contraintes, sans réelle justification, avec des conséquences regrettables et, en toute hypothèse, en contradiction avec la Convention E.D.H.

Les conséquences de cette jurisprudence sont regrettables d’une part sur le terrain de la fiabilité des preuves et d’autre part dans la mesure où elles ouvrent la porte à une fraude des agents publics. Sur le premier point, on ne peut avoir, en effet, aucune garantie sérieuse sur la qualité, le lieu exact d’appréhension ou encore la consistance réelle de ce qui est apporté par des particuliers pour servir de preuve et qui a parfaitement pu être fabriqué ou falsifié pour la circonstance. Qu’est-ce qui prouve qu’un enregistrement sauvage de conversations n’a pas été purgé de ce qui démontrait le contraire de ce qu’on voulait prouver ou que l’enregistreur n’a pas été déclenché qu’à propos de ce qu’on cherchait ? Sur le second point, il est clair qu’on crée une forte tentation, pour les agents publics qui savent qu’ils ne sont pas autorisés à faire quelque chose (procéder à une écoute téléphonique en enquête, par exemple ), à inciter des particuliers intéressés aux faits, voire de simples hommes de main recrutés pour la circonstance, à faire ce qu’ils ne peuvent pas faire eux-mêmes puis à accepter le dépôt des preuves ainsi frauduleusement obtenues.

La Chambre criminelle fournit deux justifications à cette position surprenante :
– La première est que la liberté des preuves doit prévaloir dès lors qu’il n’y a pas de texte en sens contraire et que la réglementation de l’obtention des preuves n’étant prévue et sanctionnée que pour les agents publics et non pas pour les particuliers (on ne peut qu’être tenté d’ajouter « et pour cause ! »), la liberté de ceux-ci reste entière dans la recherche et le dépôt des preuves.
– Le second argument est qu’il appartient à la juridiction saisie de quelque mode de preuve que ce soit, d’en apprécier la valeur probante.

Aucune de ces justifications n’est recevable.
L’argument tiré de l’absence de réglementation légale des pouvoirs de recherche des particuliers constitue la négation de toute la procédure pénale car on ne voit pas pourquoi on se donnerait le mal de réglementer les droits et obligations des agents publics si d’autres qu’eux peuvent obtenir les mêmes éléments de preuve sans respecter aucune des règles ou restrictions qui leur sont imposées : quel est l’intérêt de réglementer les perquisitions publiques si les particuliers sont autorisés à voler les éléments qui devraient être saisis ? Si seul le récolement des preuves par les agents publics est réglementé, c’est parce qu’il est invraisemblable que l’on autorise de simples particuliers à se livrer à des investigations personnelles et que le Code de procédure pénale n’a donc pas pu le prévoir. Les simples particuliers peuvent participer à la procédure par leurs déclarations ou, éventuellement, en fournissant des éléments de preuve qu’ils possédaient avant les faits en cause. Il ne devrait pas pouvoir être question d’autoriser ces simples particuliers à se livrer, pendant le cours de la procédure, à des enquêtes sauvages, forcément partiales et libérées de toute contrainte.
L’argument selon lequel le juge apprécie librement la valeur des preuves peut être immédiatement récusé dans la mesure où la question de l’appréciation de la valeur d’une preuve ne peut se poser que si l’élément de preuve en cause est recevable, ce qui est tout le problème en cause ici. En fait, la connaissance d’éléments de preuve, même si le juge du fond les récuse ensuite pour manque de loyauté ou de fiabilité, ne peut pas faire qu’il n’en ait pas eu connaissance et par conséquent que cela n’exerce pas une influence sur la formation de son opinion surtout dans un système d’intime conviction et tout particulièrement lorsqu’interviennent des jurés mal formés à faire la différence entre preuves officielles et preuves illégales censées être supprimées du dossier.

La jurisprudence criminelle a cependant maintenu, jusqu’à présent, ce point de vue malgré une critique unanime de tous les auteurs ayant annoté ou rendu compte de ses décisions et malgré l’avis contraire de l’ensemble des chambres civiles de la même Cour et même de l’Assemblée plénière de celle-ci qui a annulé, le 7 janvier 2011, une procédure commerciale au cours de laquelle l’une des parties avait obtenu une preuve de manière illicite.
Il convient de regretter que ce point de vue inadmissible et jusqu’à présent isolé ait été récemment conforté, au moins dans sa lettre, par le Conseil constitutionnel encore que la décision rendue soit moins claire, au fond. Dans une décision concernant les articles 37 et 39 de la loi du 6 décembre 2013 qui autorisent les administrations fiscales et douanières à exploiter toutes les informations qui leur parviennent, même si elles sont d’origine illicite, le Conseil a formulé une réserve d’interprétation disant que cette possibilité ne sera pas ouverte quand les pièces ou documents concernés auront été obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions ultérieurement déclarées illégales par le juge. Puisque l’on condamne la preuve déloyale obtenue par une autorité publique, cela semble confirmer que la fraude commise par un particulier est considérée comme normale du point de vue probatoire. Mais d’un autre côté, la même décision a annulé les articles 38 et 40 de la même loi qui autorisaient les mêmes administrations à se prévaloir de documents illicites pour solliciter du juge un droit de perquisition sans distinguer selon que l’origine illicite était imputable à l’administration ou à un particulier. Il n’est donc pas aussi évident que cela que cette décision ait la même portée que celle de la Chambre criminelle, mais la question reste incertaine.

La comparution des personnes jugées.

Sur une question voisine, la Chambre criminelle vient de franchir une étape supplémentaire.

Le jugement en France d’une personne qui ne s’y trouve pas ne peut intervenir, à l’initiative des pouvoirs publics, autrement que sous forme d’une procédure par défaut, si le prévenu ou l’accusé ou bien n’est pas venu spontanément dans le pays, ou bien n’a pas été remis au résultat de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen ou d’une procédure d’extradition. Or il vient d’être jugé qu’il est loisible à une partie civile d’obtenir le jugement en France d’une personne qu’elle a fait arrêter et détenir illégalement depuis l’étranger par des hommes de main.
Il y avait eu, certes, quelques précédents mais soit en matière d’atteinte à la sureté de l’État, soit de crimes contre l’humanité, ce qui peut expliquer à défaut de justifier. En outre et dans tous ces cas, on ne savait pas avec une parfaite précision comment et par qui les personnes retrouvées en France dans des conditions bizarres y étaient revenues et l’on ne s’était pas donné grand mal pour essayer de le savoir.
Cette fois-ci nous sommes en présence d’une infraction de droit commun et l’arrestation illégale est revendiquée par celui qui l’a organisée, d’ailleurs poursuivi pour cela mais condamné à une peine tellement ridicule, eu égard à la gravité objective des faits, que la Justice ne s’est pas couverte de gloire en la prononçant.

On ne peut donc qu’être surpris de lire dans l’arrêt de la Chambre criminelle que « l’exercice de l’action publique et l’application de la loi pénale à l’égard d’une personne se trouvant à l’étranger ne sont pas subordonnés à son retour volontaire en France, à la mise en œuvre d’une procédure d’extradition ou à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen…(que) les conditions dans lesquelles cette personne a été enlevée, transportée sur le territoire national et livrée à la justice n’apparaissent pas imputables, directement ou indirectement, aux autorités françaises, (qu’)enfin, le demandeur, ayant fait l’objet d’un mandat d’arrêt, a pu bénéficier de l’assistance d’un avocat, être immédiatement présenté au juge des libertés et de la détention, auquel il a fait valoir ses moyens de défense, puis a été mis en mesure d’exercer l’ensemble de ses droits à chaque étape de la procédure ».
On est, en effet, nécessairement amené à se demander à quoi peuvent bien servir les procédures des mandats d’arrêts européens et d’extradition si leur utilisation est facultative et n’a pour effet que de gêner l’exercice de la justice par les pouvoirs publics laissant les particuliers libres de faire arrêter et détenir n’importe qui dans n’importe quelles conditions.

Mais il y a pire. Alors que la France est enfermée dans un processus de construction d’une justice européenne l’amenant à entériner nombre de décisions ou de directives européennes pourtant en parfaite contradiction avec nos principes fondamentaux en la matière, cette affaire l’amène à nier toute espèce d’autorité à plusieurs décisions rendues en Allemagne, en Autriche et même par la Cour européenne des droits de l’homme. La position de la Chambre criminelle, sur ce point, que certains qualifieraient de « juridisme », ce que nous ne ferons pas, attachée que nous sommes à la régularité de la procédure, reste inattaquable. Aucune des décisions visées n’avait l’autorité de la chose jugée et les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme n’ont aucun effet direct sur les juridictions des pays signataires de la Convention. Mais cette position n’en est pas moins incohérente : comment justifier la recherche d’une construction unitaire avec des pays voisins si l’on pose en principe que leur attitude en matière pénale et l’application des conventions que l’on a signées ensemble, ne vaut pas d’être considérée ?

 

Il est grand temps d’intervenir pour rappeler que la justice pénale est et ne peut être qu’une affaire d’État et ne peut, dans une démocratie, que se dérouler d’une manière loyale. Si la victime est admise à la procédure en vertu d’une longue tradition historique, elle ne peut en perturber le cours dans son intérêt propre en commettant des atteintes évidentes à la loyauté indispensable de ce procès.

Marine, Eolas, Félix Rome et la procédure pénale

Je ne lis pas Maître Eolas : il écrit trop et je n’ai pas le temps. Et comme en plus, je ne suis pas certaine que je résisterais à l’envie de répondre, j’en perdrais encore plus.  Je lis, en revanche, un autre plaisantin du droit qui fut aussi mon étudiant (il y a des malheurs qui se partagent) et qui sévit sous le pseudo de Felix Rome comme éditorialiste au Recueil Dalloz.

C’est donc par Félix Rome, et à l’aune du temps dont je dispose puisqu’il s’agit d’un numéro du Dalloz daté du 10 avril, que j’apprends que Maitre Eolas aurait décerné un prix destiné à sanctionner une « aberration juridique proférée, de mauvaise foi, pour des motifs d’opportunité politique » à Marine Le Pen pour avoir déclaré lors d’une interview radiodiffusée où l’on évoquait une condamnation de première instance dont elle avait fait l’objet dans une affaire dont j’avoue tout ignorer, qu’elle n’avait pas été condamnée parce qu’elle avait fait appel.

N’ayant aucunement l’intention d’aller patauger dans des sentiers fangeux que je laisse volontiers à ceux qu’ils intéressent, la seule chose qui me retient ici est la notion d’« aberration juridique ».
Et de ce point de vue, j’ai très envie de renvoyer tout le monde : Marine, Eolas et même Félix Rome, qui pour être le moins mauvais du lot n’en manque pas moins de rigueur, à l’Université pour une bonne formation continue en procédure pénale.

Et j’en dis quelques mots ici.

Contrairement à ce qu’on dit et lit partout, le Droit continental, dont le Droit français est la meilleure illustration, est beaucoup plus sourcilleux que le Droit anglo-saxon quant à la présomption d’innocence.
Quand une personne est condamnée en première instance en Grande Bretagne, elle cesse d’être présumée innocente et devient coupable, et cela qu’elle fasse appel ou non. La meilleure preuve est que si elle était détenue avant son jugement, l’administration pénitentiaire britannique la fait sortir du régime des détenus provisoires pour entrer dans le régime des condamnés exécutant une peine.
En France, la présomption d’innocence cesse et ne cesse qu’avec une condamnation définitive, c’est-à-dire qui n’est plus susceptible d’aucune voie de recours interne. Quand une personne est condamnée en première instance et si quelqu’un (elle-même ou le ministère public) fait appel, elle a, certes, été condamnée, mais elle reste juridiquement innocente. Si elle est en détention provisoire (qu’elle y ait été placée avant son jugement où que le tribunal ait décidé de la faire arrêter à l’audience quand il le peut), elle reste ou est placée sous le régime des détenus provisoires. Si la cour d’appel confirme la condamnation mais que l’intéressé forme un pourvoi en cassation, la personne en cause a été condamnée deux fois, mais elle est toujours juridiquement innocente et détenue provisoire. Si la cour de cassation casse l’arrêt d’appel et renvoie devant une autre cour d’appel, l’intéressé est toujours innocent et il le demeurera, même s’il est de nouveau condamné, s’il fait un second pourvoi en cassation et cela jusqu’à ce qu’il ne puisse plus y avoir de voies de recours internes disponibles ou que les délais pour les exercer aient été épuisés. A ce moment-là, mais à ce moment-là seulement, la personne jusque-là innocente poursuivie devient condamnée et passe, en cas de condamnation privative de liberté, sous le régime des condamnés exécutant une peine.

Il faut donc faire bien attention à distinguer la condamnation et la culpabilité. En déclarant, après une condamnation, qu’elle n’avait pas été « condamnée » parce qu’elle avait fait appel, Marine Le Pen a, à l’évidence commis une erreur. Mais c’est une pure erreur terminologique puisque ce qui est fondamental est le fond du droit et que le fond du droit est que condamnée ou pas, elle est, du fait de son appel, innocente des faits qu’on lui reproche et qu’il est éminemment probable que c’est cela qu’elle voulait dire. Qualifier ça d’« aberration juridique » ne peut être que le fait de ceux qui n’ont pas été habitués à corriger des copies d’étudiants. J’ai vu bien pire, y compris dans des copies où ce pire n’a pas entrainé de catastrophe majeure pour ses auteurs. Face à cette erreur-là, j’aurais sans doute orné la marge d’un « non », mais je ne suis même pas certaine que j’en aurais nécessairement tenu compte dans la note finale. Et si j’avais le temps d’écouter les médias pendant une semaine, je serais en mesure de fournir à Maître Eolas pour son prochain prix, des dizaines de monstruosités véritables dans la matière qui nous intéresse tous les deux. Ce n’est pas le cas ici et compte tenu de ce que j’ai dit en commençant, je me garderais bien d’épiloguer sur le choix qui a été fait.

PROPOS DIVERS SUR LA LANGUE, BENOIT XVI ET NICOLAS SARKOZY

Selon l’article 2 de la Constitution, la langue de la République est le Français.
Quand on lit ou écoute le plus grand nombre des medias, on ne peut pas ne pas être frappé de leur peu de maîtrise de ladite langue.

On nous a bassinés pendant tout le Pontificat de Benoit XVI avec sa prétendue islamophobie. Celle-ci aurait été manifestée par une phrase d’une conférence que le Pape a donnée dans un colloque scientifique, texte qui, soit dit accessoirement, passait certainement très au-dessus de la tête de ceux qui prétendaient le commenter. Or le Pape n’a jamais prononcé la phrase en question, puisqu’il s’agissait de sa part d’une citation qui n’implique rien quant à une approbation ou désapprobation.

Et voilà qu’on recommence avec l’ex-président de la République auquel on a unanimement, y compris dans la presse qui est censée lui être favorable, reproché une comparaison de la justice française avec la Stasi. Or, il suffit de lire le texte pour voir qu’il s’agissait d’une forme négative, laquelle, en bon français, implique nécessairement que le président déclarait que la France n’est pas comparable à l’état où sévissait la Stasi.
Et tout le monde nous a affirmé que ce dérapage présidentiel allait nuire à l’UMP à l’aube d’élections dans lesquelles le Parti mettait beaucoup d’espoirs. On a vu le résultat : les français paraissent mieux maîtriser leur langue que les élites qui prétendent les éclairer.

Sur le fond, certains ont dit, compte tenu du nombre d’affaires qui lui sont imputées, que l’ex-président avait certainement quelque chose à se reprocher et les autres que sa réaction, pour excessive qu’elle ait été (ici tout le monde était d’accord, y compris ses « soutiens ») traduisait l’exaspération d’un homme à qui on s’efforce de faire supporter des « affaires » imaginaires.

S’il est bien difficile de parler de dossiers que l’on ne connait pas (du moins dans leur intégralité, malgré l’acharnement mis par certains à violer le secret de l’instruction, en toute impunité naturellement), on peut se faire une idée sur une affaire terminée : l’Affaire Bettencourt.

Disons-le tout net : la stratégie de la défense de Nicolas Sarkozy, dans cette affaire, ne nous a jamais paru être la meilleure, même si elle a finalement réussi. Contester la procédure lorsqu’elle n’est pas régulière est tout à fait souhaitable et n’a rien d’infamant, mais c’est inutile quand l’infraction reprochée elle-même ne peut pas exister ce qu’il était élémentaire de soulever ici.

Selon l’article 223-15-2 du Code pénal, l’abus de la vulnérabilité d’une personne consiste à amener celle-ci à « un acte ou une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ». Il ne suffit donc pas d’avoir profité d’une manière ou d’une autre d’une personne vulnérable, il faut lui avoir causé un préjudice grave. Et dans toutes les affaires jusqu’à présent jugées, les personnes condamnées de ce chef avaient mis leur victime sur la paille.
Or en admettant même que Madame Bettencourt était vulnérable et que Nicolas Sarkozy ait obtenu d’elle les 100.000 €. qu’on lui reprochait d’avoir empochés, il est évident que les éléments constitutifs de l’infraction retenue n’étaient pas réalisés pour autant, faute d’avoir causé à leur victime un préjudice grave. 100.000€ c’est, en effet à peine, pour Madame Bettencourt de l’argent de poche dont le manque ne risquait pas de compromettre en quoique ce soit son mode de vie.
Des étudiants en droit pénal spécial qui, interrogés sur un semblable cas pratique auraient dit qu’il y avait matière à poursuite, auraient été collés à leur examen. On peine à comprendre comment trois juges d’instruction qu’on dit aguerris ont pu faire dépenser au budget de la justice des dizaines de milliers d’euros de frais à propos d’une situation qui n’en était pas une puisqu’il ne pouvait y avoir d’infraction, quel que soit le nombre des visites que Nicolas Sarkozy a pu faire à Madame Bettencourt, la date et la durée de celles-ci. Et ajoutons, en passant, que cela remet en cause la validité même de la saisie initiale des agendas de Nicolas Sarkozy puisque pour qu’on puisse pratiquer une perquisition il faut qu’on soupçonne une infraction ce qui n’était pas le cas ici.

Que pour des raisons politiques et morales, l’ex-président veuille faire acter qu’il n’a rien demandé ni rien reçu est une chose qu’il n’a, d’ailleurs, même pas obtenue, à proprement parler, de la justice ; une autre est qu’il n’en reste pas moins que même la preuve formelle de l’obtention de la somme en cause n’aurait pas suffi à constituer l’infraction reprochée et que cette seule constatation aurait dû dissuader tout juriste sérieux d’aller au-delà.

Lorsque le Président se dit persécuté par la justice il est bien difficile ici de ne pas lui donner raison et si les autres affaires sont aussi probantes que celle-là, on comprend qu’il soit excédé.