Agnès Saal, la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité et la bonne justice

Madame Saal, haut fonctionnaire du ministère de la culture a été pénalement poursuivie pour avoir fait supporter au budget de son ministère de l’ordre de 23.000€ de frais de taxis, dans chacun de ses deux emplois successifs qu’elle a occupés d’abord au Centre Pompidou puis à l’INA. Il importe, au surplus, de préciser qu’une partie des frais concerne des trajets effectués par son fils, ses deux filles et sa tante et qu’elle-même disposait d’une voiture et d’un chauffeur.
Dans un entretien dont il a été longuement expliqué qu’il était le premier et serait le seul donné par Madame Saal relativement aux ennuis judiciaires qui ont été les siens, celle-ci, après avoir dénoncé la longueur, la dureté et la violence de l’épreuve qui lui était infligée qualifiée de « peut-être disproportionnée », assurait qu’ayant commis une faute qu’elle avait reconnue, elle l’avait assumée et « payée très cher » et demandait qu’on l’autorise à tourner la page, à clore ce chapitre.
On peut comprendre qu’elle aspire à cela. Pour tous ceux qui ont une certaine responsabilité dans le rendu et l’appréciation de la justice pénale dans ce pays ce serait, cependant, inconséquent tant cette affaire continue à poser de questions.
Il arrive fréquemment qu’on demande à la justice beaucoup plus que ce qu’elle ne peut faire, notamment quand on veut lui faire jouer un rôle d’exorcisme permettant de faire un deuil de faits parfois beaucoup trop anciens et qui de toute façon ne peuvent s’effacer par une simple procédure.
Mais il y a un rôle que la justice pénale peut et doit remplir, c’est un rôle pédagogique amenant, l’auteur des faits, les citoyens et enfin les spécialistes du droit pénal à comprendre comment une affaire a été traitée. Or de ce point de vue l’affaire Saal, dont le jugement n’a pas été compris par son sujet est totalement incompréhensible pour les tiers.

Que les sanctions qui lui ont été infligées n’aient pas été comprises par Madame Saal est évident, au vue de ses déclarations. Celle-ci ayant démontré qu’elle avait quelque mal avec le calcul on ne lui fera pas l’injure supplémentaire de croire qu’elle ne sait pas lire. Et pourtant le texte de l’article 432-15 du Code pénal est lumineux lorsqu’il déclare que : « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public… de … soustraire un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés…ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission, est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 1.000.000€, dont le montant peut être porté au double du produit de l’infraction ». Cet article traduit, en effet, la gravité de l’infraction reprochée qui s’exprime ici moins par la nature ou la valeur des objets détournés (qu’on ne considère éventuellement que pour augmenter l’amende) que par la personnalité de son auteur agent public profitant de sa situation pour soustraire ce qui lui a été confié pour accomplir ladite mission. Ce délit appartient, en effet, à la plus grave des catégories de délits, dix ans d’emprisonnement étant le maximum possible des peines correctionnelles. En outre, l’amende prévue échappe aux règles habituelles de fixation des amendes par le Code pénal (en principe 15.000€ par tranche d’un an d’emprisonnement) pour atteindre 1.000.000€ au lieu des 150.000 qui résulteraient du calcul classique. Enfin, autre marque de sa gravité, elle fait partie des infractions qui peuvent relever de la compétence du Procureur de la République financier.

Ayant toujours soutenu que l’emprisonnement n’était pas une peine adaptée à ce type de délinquance, nous ne pouvons que déplorer les trois mois d’emprisonnement avec sursis qui ont été infligés à Madame Saal dans une des deux affaires. Cette peine est aussi inadaptée que ridicule. Mais prétendre, comme le dit Madame Saal qu’une condamnation à payer 4500, puis 3000€ est une condamnation excessive nous parait, à l’inverse, ahurissant. Il semble que le minimum que l’on pouvait attendre d’une sanction financière prononcée dans une situation de cet ordre aurait été le montant des fonds détournés, soit entre 50.000 et 60.000€.

A l’intention des non-juristes, il faut, en effet, tout d’abord rappeler, que le fait que Madame Saal ait dit avoir remboursé les sommes litigieuses (et encore, partiellement, si l’on en croit son avocat ???) n’est d’aucun intérêt pour la question pénale. L’effacement du résultat d’une infraction dès lors que celle-ci a été entièrement accomplie, relève de ce qu’on appelle le repentir actif qui n’a aucune incidence sur la responsabilité pénale de son auteur et peut, tout au plus, inciter les juges à plus d’indulgence dans le choix de la peine. Le seul effet juridique de ce remboursement est de faire obstacle à la constitution de partie civile de la victime puisque celle-ci a été dédommagée ce qui n’est pas totalement neutre puisque cela élimine un adversaire. Condamner Madame Saal à payer une amende équivalente aux sommes détournées n’aurait donc fait aucunement double emploi avec le remboursement invoqué : rappelons tout de même que le maximum de l’amende encourue pour l’infraction reprochée est de 1.000.000€ ce qui rend les 4500, puis 3000€ prononcés effectivement « disproportionné(s) » mais dans le sens de dérisoires et non pas d’excessifs.

Mais l’affaire est surtout incompréhensible pour les justiciables et les juristes et la faute en revient probablement à ce qui est la première source d’étonnement dans cette affaire : le choix pour la traiter de la procédure de poursuite sur reconnaissance préalable de culpabilité. Nous n’y avons jamais été favorable. Elle était particulièrement contre indiquée en l’espèce en raison d’un de ses traits caractéristiques : l’opacité difficilement compatible avec une bonne justice. La question se règle, en effet, pour l’essentiel dans le bureau du procureur de la République sans publicité et si l’audience d’homologation par un juge du siège est bien publique, elle se tient sans la présence du ministère public et n’est donc pas contradictoire. Ce n’est pas la meilleure façon d’éclairer un débat.

La première source d’étonnement est donc, d’abord, le choix de cette procédure. On aimerait, en premier lieu, savoir si ce choix a été opéré par le ministère public d’initiative ou s’il a été sollicité par la prévenue ce qui n’est pas anodin même si, en toute hypothèse, le ministère public n’était pas tenu d’accepter. S’il est, d’autre part possible de juger selon cette procédure des délits justiciables de dix ans d’emprisonnement, la pratique montre que c’est tout à fait exceptionnel ne serait-ce que parce qu’il n’est pas possible d’y prononcer plus d’un an d’emprisonnement. Et surtout le public n’est pas véritablement informé alors que s’il y a une affaire dont les citoyens auraient dû connaître tous les tenants et aboutissants, c’est bien celle-là.

On aurait, en effet, aimé comprendre ce qui a bien pu amener Madame Saal, elle-même, ancienne élève de l’ENA et haut fonctionnaire à avoir une attitude que toute personne moyennement intelligente et responsable ne peut que juger invraisemblable. On nous a dit que l’INA était à Bry-sur-Marne et que Madame Saal n’a pas de permis de conduire. L’ennui c’est que la seconde procédure menée contre elle, bien que pour des faits antérieurs, concerne une époque où elle était en poste au Centre Pompidou. On peut difficilement trouver plus central et mieux desservi. En outre, Madame Saal bénéficiait d’une voiture et d’un chauffeur. Certes, il est possible que ceux-ci ne soient pas à tout moment disponibles, mais Madame Saal qui est un haut fonctionnaire de la culture, n’est pas un membre d’une administration régalienne qui peut avoir à se déplacer d’urgence à toute heure du jour ou de la nuit sur un événement imprévu. Aucune urgence n’étant susceptible de requérir la présence de Madame Saal sur les lieux qui dépendent de ses fonctions, rien ne l’empêchait de prendre pour se déplacer, comme l’immense majorité des habitants de l’Ile de France, les transports en commun. Il aurait donc été intéressant qu’une audience publique permette à l’intéressée de s’expliquer sur son choix du taxi.

On peut, en second lieu s’étonner de l’évaporation pénale du fils, des filles et de la tante de Madame Saal qui auraient été responsables d’une bonne part des factures de taxi litigieuses dans la mesure où ils auraient utilisé les codes d’accès de l’agent public pour commander des taxis. La question ne se posant pas pour sa tante, on peine à croire que les enfants de Madame Saal n’aient pas dépassé l’âge où l’on peut retenir une responsabilité pénale, même s’ils étaient encore mineurs au moment des faits, ce que l’on ignore, comme beaucoup d’autres choses. Il devient alors bien contestable de les exonérer des conséquences pénales de leurs actes. Certes, ils ne pouvaient pas entrer dans le cadre d’une procédure sur reconnaissance préalable de culpabilité. Certainement s’ils étaient mineurs, puisque la procédure ne leur est pas applicable et juridiquement en toute hypothèse puisque qu’elle ne permet pas de juger plusieurs personnes en même temps pour les mêmes faits. Peut-être, d’ailleurs est-ce une des raisons du choix qui a été fait, surtout s’il est intervenu à la demande de Madame Saal. Mais une explication n’est pas une justification alors qu’une fois de plus, on ne sait pas ce qui s’est réellement passé et que la qualification retenue pour les faits risque alors d’être inexacte.

Car il y a deux possibilités.

La première est que les intéressés aient usurpé les codes d’accès de Madame Saal à l’insu de celle-ci. Si c’est le cas, les auteurs des faits sont coupables de deux infractions dont le texte d’incrimination de l’une d’elles précise que les peines prononcées doivent s’exécuter cumulativement. La première est le détournement, par un particulier, de biens publics confiés à un agent public pour l’exercice de ses fonctions (art. 433-4 du Code pénal, sept ans d’emprisonnement et 100.00€ d’amende). La seconde consiste à prendre le nom d’un tiers dans des circonstances qui auraient pu déterminer contre celui-ci des poursuites pénales (art. 434-21 du Code pénal, cinq ans d’emprisonnement et 75.000€ d’amende). Pour autant et dans cette éventualité, Madame Saal, elle-même, n’aurait pas été quitte, même pour les faits imputables à sa famille car l’article 432-16 du Code pénal punit d’un an d’emprisonnement et 15.000€ d’amende, l’agent public qui a, par négligence, laissé un tiers détourner les biens qui lui avaient été confiés pour l’exercice de sa mission.

La deuxième possibilité est que Madame Saal ait délibérément autorisé les membres de sa famille à utiliser son nom et son code d’accès. Dans cette hypothèse elle reste l’auteur principal d’une infraction intentionnelle de détournement de biens publics par un agent public, mais sa parentèle peut être retenue, au choix, les deux possibilités s’avérant applicables, soit comme complice du délit de Madame Saal, encourant les mêmes peines, soit comme auteur principal du délit de détournement par un tiers des biens confiés à un agent public (art.433-4 du Code pénal déjà cité).

On ne peut donc qu’être choqué de l’étonnante mansuétude dont ont bénéficié toutes ces personnes. Même si le ministère public bénéficie du droit d’apprécier l’opportunité des poursuites, on aimerait comprendre ce qui a ici dicté un choix tellement surprenant.

Et il y encore bien d’autres surprises.

Au-delà du niveau de la sanction financière (4500€) dans la première affaire jugée, on peine à comprendre ce qui a bien pu inspirer au ministère public le choix étrange de la sanction. Madame Saal n’a pas, en effet, été condamnée à une amende de 4500€ mais à une peine de 150 jours-amende de 30€ chacun.
La sanction des jours-amende est une complication inutile, car on obtiendrait plus facilement le même résultat en fractionnant une amende en capital. Elle a été, à l’origine, conçue pour faciliter le paiement de leurs sanctions financières par des personnes disposant de peu de moyens. On a quelque mal à croire que Madame Saal ne puisse pas disposer de 4500€ pour payer une amende normale prononcée en capital, même en y ajoutant, les 3000€ de la seconde condamnation et le montant des dommages-intérêts. En outre et si c’est le cas, le Trésor public est toujours ouvert à un aménagement.

L’anomalie va, enfin, jusqu’à se glisser dans l’action civile. L’association Anticor qui s’agite beaucoup pour faire poursuivre les infractions contre la probité qui, selon elle, sont les plus graves, s’était constituée partie civile dans l’affaire. Soit. On voit mal cependant de quel préjudice matériel elle pouvait bien se plaindre et si son but est effectivement de restaurer la morale publique, la seule demande rationnelle qu’elle puisse présenter est une condamnation symbolique à 1€. On ne peut que demeurer sans voix lorsqu’on lit qu’elle a obtenu 5500€ de dommages-intérêts (d’autres sources disent 3000€ mais cela ne change rien au fond), soit plus que chacune des condamnations pénales prononcées. On aimerait savoir sur quoi Anticor a bien pu s’appuyer pour justifier une pareille demande (qui s’élevait parait-il à 9000€) et pourquoi les autorités publiques ont estimé utile de lui donner raison.

On ne peut, enfin, demeurer sans évoquer, même si ce n’est plus du droit pénal, le volet disciplinaire de l’affaire. On sait que le système disciplinaire, en France, toutes manifestations confondues, est, pour l’essentiel, une vaste plaisanterie (poids du corporatisme, dans certains cas et du terrorisme syndical dans d’autres). Mais tout de même. Madame Saal n’y a écopé que de deux ans de suspension de ses fonctions dont six mois seulement fermes. Après six mois, elle retournera donc au ministère de la culture et retrouvera son poste.

Même si Madame Saal semble ne pas avoir bien réalisé la gravité de ses agissements passés, souhaitons qu’elle ait tout de même compris qu’elle aurait intérêt à découvrir l’existence et l’utilité, à défaut des charmes, des transports en commun.

DEUX REMARQUES SUR LE TERRORISME

I. De la perpétuité « réelle »
(je n’insisterai pas sur l’absurdité intrinsèque de la formule)

Les médias ne tarissent pas de propos relatifs à la perte de considération et de crédibilité du personnel politique dans l’opinion publique. Ce que l’on voit ces derniers jours, à propos du terrorisme, n’est pas fait pour arranger les choses.

La classe politique vient, en effet, de s’illustrer à propos d’une revendication de perpétuité réelle pour les auteurs d’infractions de terrorisme dont il y a fort à parier qu’elle ne va pas redorer son blason dans l’opinion publique, au moins celle qui réfléchit, même si, sur le fond 90% de la population est favorable à cette solution.

Nos politiques de tous bords se sont, en effet, révélés fidèles à leur « mode d’emploi » habituel : un évènement ; une demande d’intervention législative ponctuelle et même pour ceux qui se croient les plus efficaces, le dépôt immédiat d’une proposition de loi en ce sens.

Faisant ainsi il ne font qu’accréditer un peu plus l’idée que ce qui les intéresse est moins de régler un problème que d’attirer l’attention des médias. Et cela marche parfaitement comme le montre l’invitation immédiate de Nathalie Kosciusko-Morizet à une émission politique de grande écoute le soir même. Et le comble dont on ne sait s’il faut rire ou pleurer est que Madame Kosciusko-Morizet a déclaré sans rire, elle, lors de cette émission, que le principal problème de la France en matière de terrorisme est qu’elle n’avait jamais eu de la chose qu’une vision à court terme !

Le sujet du jour était donc l’instauration d’une perpétuité dite « réelle » pour les auteurs d’infractions de terrorisme. Passons sur le fait que les infractions de terrorisme ne sont pas toutes de la même gravité et que la perpétuité, réelle ou pas, n’est pas envisageable pour nombre d’entre elles. Mais le vrai problème n’est pas là.
Qu’une rétention perpétuelle soit utile, voire nécessaire pour certains terroristes (et pas seulement) est parfaitement soutenable et la signataire de ces lignes soutient ce point de vue, comme 90 % des français. Mais la question est de savoir quelle est la bonne méthode pour y parvenir. Un point est certain : ce n’est certainement pas celle qui consiste à déposer aujourd’hui une proposition de loi limitée à cela même si on la raccroche à un projet de loi sur le terrorisme déjà en cours et un tout petit peu moins partiel. Le problème est double : de méthode et d’objet.

1) La méthode.

Parler de perpétuité réelle revient à envisager un problème d’exécution des peines. Passons une fois encore (vraie coïncidence, sans doute) sur le fait que ce soit le même jour que la Cour des comptes épingle la catastrophique gestion de l’administration pénitentiaire alors que c’est cette administration qui serait en charge des dites perpétuités.

Toute personne capable de raisonner normalement peut comprendre qu’avant d’envisager de faire exécuter une peine, il faut qu’elle ait été prononcée et que pour la prononcer il est utile que les juridictions aient à leur disposition un tableau raisonnable des peines dépendant lui-même de la définition d’une politique pénale.

Le code de 1992 était, dans son ensemble fort médiocre mais sa partie « peines » était la pire de toutes. En outre, elle a été, depuis défigurée par de nombreuses réformes aussi improvisées que celle aujourd’hui examinée et bouleversée par les inventions Taubira. Envisager des problèmes relatifs à l’exécution des peines sans reconfigurer tout le système des peines du Code pénal est un non-sens.

Mais pour faire ce travail encore faut-il avoir une vision claire de ce que doit être la politique pénale à mener c’est-à-dire avoir réfléchi aux problèmes qui se posent au pays au lieu de passer son temps à chasser la caméra.
Dans les années post 1981, une circulaire restée célèbre du Garde des sceaux vedette de l’époque a expliqué que la vraie délinquance était la délinquance économique et financière et que les moyens devaient être orientés en ce sens quitte à sacrifier la délinquance traditionnelle, même violente. On avait une politique pénale. Elle était absurde et dangereuse, la situation actuelle le révèle, mais elle existait. Il y a quelques années, une fable particulièrement bien vue dans la classe politique a été celle dite de la « tolérance zéro » qui soutenait qu’il fallait poursuivre effectivement et avec la même énergie toutes les infractions commises. C’était un mensonge et une erreur. C’était un mensonge car notre système pénal n’a pas et n’aura jamais, quoiqu’on fasse, la capacité de tout poursuivre. Mais c’était surtout une erreur, car dire que l’on va tout poursuivre avec la même énergie signifie qu’on n’a pas de politique pénale c’est-à-dire aucune conception de l’ordre public guidant ce qui doit être appréhendé d’abord et puni le plus sévèrement.

Si Madame Kosciusko-Morizet et tous ceux qui se bousculent pour accéder à la magistrature suprême veulent de nouveau être pris au sérieux par les électeurs, au moins dans le domaine pénal, il faudrait qu’ils cessent de s’agiter en vain dans une fin de règne qui a évidemment l’inconvénient pour la France de s’éterniser. Ils doivent tous dire clairement qu’ils ont pris conscience des erreurs des trente dernières années et quelle est la politique pénale, enfin sérieuse, qu’ils veulent pour l’avenir de la France (et qui ne se limite évidemment pas au terrorisme quelque affreux qu’il soit). Bien entendu, il faut dire aussi, parce qu’il y a urgence, quels textes ils ont d’ores et déjà fait préparer et qui lui permettraient d’annoncer un calendrier prévisible de réformes et quelle réorganisation ils envisagent pour l’ensemble de notre système pénitentiaire d’exécution des peines, ce qui lui permettrait alors, mais alors seulement, de dire comment ils feront éventuellement exécuter les condamnations à perpétuité qui ne sont qu’une toute petite partie du problème général posé par la délinquance de ce pays.

Il est vain de vouloir réparer le fermoir d’un collier si l’on n’a pas le collier. A défaut de démontrer qu’on a une vision d’ensemble des problèmes que l’on prétend traiter, le mieux à faire est de se taire.

2°) Le fond

Tout le monde parle de « terrorisme » et seulement de terrorisme et lorsqu’il s’agit d’envisager son traitement de « déradicalisation ». C’est faire comme si le terrorisme était un ilot isolé dans l’univers de la délinquance.
Or ce que nous savons de la personnalité des auteurs des faits récents confirme ce que nous savions depuis longtemps : même les plus jeunes d’entre eux avaient pratiquement tous commencé leur carrière délinquantielle bien avant leurs agissement terroristes et par de la délinquance de droit commun violente.

Une affirmation qui, à ma connaissance n’a jamais été scientifiquement confirmée, est que la prison serait favorable à la radicalisation islamique. C’est, partiellement au moins probable mais il est tout aussi probable qu’à défaut d’avoir rencontré l’illumination islamiste, les mêmes auraient continué dans la délinquance violente de droit commun. Ce sont des délinquants violents de vocation, à la personnalité instable et qui ont « sauté » sur la perspective du terrorisme dès qu’on la leur a présentée mais qui n’auraient pas manqué, à défaut, de trouver d’autres occasions de nuire. La différence, évidemment non négligeable, est que leur implication dans l’islamisme radical décuple leur faculté de nuire. Mais elle ne crée pas le phénomène.

Au lieu de faire, a posteriori, de la déradicalisation, ne vaudrait-il donc pas mieux se saisir sérieusement de la délinquance violente quand elle commence à se manifester au lieu de suivre l’angélisme qui a conduit nos kamikazes d’aujourd’hui là où ils sont allés. Car il est probable que si l’on décortiquait sérieusement leurs antécédents judiciaires on y trouverait bon nombre de mesures d’exécution en liberté des peines auxquelles ils avaient été condamnés, de sursis accumulés, de crédits de réduction de peines, de libérations anticipées, etc… Une limitation drastique de ces aménagements de peine dès lors qu’on se trouve en présence d’agissements violents serait certainement un des meilleurs moyens de lutter contre le terrorisme avant qu’il ne se manifeste.

Une fois de plus, la réponse pénale est une chaine : on ne traite pas une chaine en remplaçant un maillon.

II. Le Val de Grâce

Il y a bien longtemps que nos voisins belges font les frais de notre « humour » au travers des traditionnelles « histoires belges ». Les images des derniers jours montrent qu’il y a tout de même des domaines dans lesquels ils se montrent plus intelligents que nous.
Toutes les images diffusées de la prise en charge des victimes des attentats bruxellois montrent des arrivées d’ambulances à l’Hôpital militaire de Bruxelles. Nos voisins belges ont donc bien compris, que, quelles que soient les discussions sémantiques sur l’appellation adéquate à donner au phénomène, dans son ensemble, les blessés du terrorisme dont des blessés de guerre.

Et nous ?

Nous avions à Paris un hôpital militaire tellement excellent que les dirigeants du monde entier venaient s’y faire soigner. C’est au moment où flambent les attentats que le gouvernement, par les œuvres de l’ineffable Madame Touraine, non contrée sur ce point par un ministre des armées que tout le monde s’accorde pourtant à juger excellent, à décider de fermer l’établissement au nom d’une logique que n’apparait qu’à l’auteur de la décision.
S’il y a des cas dans lesquels on ferait mieux de se taire, il y en a d’autres qui doivent faire parler et même hurler. On ne peut, une fois encore, que se désoler que l’opposition et aussi les associations de victimes des attentats soient totalement muettes sur la question alors que la logistique étant encore partiellement au moins en place, on pourrait faire machine arrière en rajoutant, d’ailleurs à l’ensemble la traumatologie qui avait déjà, soyons équitable, été excentrée. Ce serait d’autant plus utile que les hôpitaux civils ont fait savoir qu’ils n’étaient pas loin, en novembre, d’avoir atteint leur point de saturation et qu’en toute hypothèse un établissement de plus susceptible d’accueillir les victimes les plus gravement atteintes de blessures spécifiques ne serait pas de trop.

Que se passera-t-il quand viendra le prochain attentat, et il viendra ?

Faire que les victimes soient convenablement soignées c’est aussi lutter contre le terrorisme. La réactivation de Val de Grâce est une nécessité dont on ne peut que se désoler qu’elle ne soit pas demandée avec une vraie fermeté.

ENCORE UN PROJET DE LOI SUR LE TERRORISME

Après que la polémique sur une éventuelle déchéance de leur nationalité pour les criminels condamnés pour faits de terrorisme soit en train au mieux de s’essouffler et au pire de se perdre dans des délires supplémentaires, nous voilà repartis sur une nouvelle empoignade à propos d’un projet de loi de procédure, dont les grandes lignes ont été révélées par un journal du soir sans qu’il semble possible, pour le moment et pour le vulgum pecus, d’avoir des précisions officielles.
Ce texte serait pris dans le but de renforcer la lutte contre le terrorisme (mais pas seulement et c’est surtout en cela qu’il nous parait, a priori, mériter la critique).

Le premier aspect critiquable et qui devrait donner de saines idées à ceux qui aspirent à remplacer éventuellement les actuels dirigeants, c’est le nombre, pour ne pas dire l’accumulation de textes disant avoir la même vocation depuis quelques trente ans. Il n’y a pas de meilleure preuve que personne ni dans la majorité, ni dans l’opposition, n’a de vision suffisante de la politique pénale pour élaborer des textes appuyés sur un socle d’idées de base précises leur permettant d’avoir une vie durable et sans qu’il soit nécessaire de les triturer à tout moment pour faire face à des situations qu’on a eu le tort de ne pas prévoir. On continue imperturbablement à légiférer au coup par coup, après à peu près tout fait divers nouveau de quelque retentissement, ce qui est la négation même de l’idée de politique pénale qui n’est plus une politique mais une girouette si elle change à tout propos.
De ce point de vue et si l’on croit que la France mériterait un changement, l’idée qu’il faut une «primaire » qui oppose dans tous les partis politique les aspirants à la désignation comme chef de file à ce qui est devenu l’événement essentiel de notre vie publique ne peut qu’aggraver les chose et en tout cas certainement pas les réparer. Obliger les différents candidats, d’une même famille de pensée, à se positionner les uns à l’égard des autres et donc à s’opposer avec des équipes et des programmes différents, ne facilite pas une réflexion de fond sur les problèmes et l’on ne pourra ainsi que continuer dans le cafouillis. A quand une politique pénale sérieuse, appuyée sur quelques idées force unanimement admises déclinée par les meilleurs techniciens et dont on pourrait espérer qu’elle aura une durée de vie autre que les quelques années, voire les quelques mois des régimes actuels ?

Sur le fond et d’après ce qu’on peut savoir du projet actuellement en cours d’élaboration, trois volets sont concernés.

I. L’augmentation des pouvoirs d’enquête du ministère public.

On envisage, tout d’abord, d’accorder au ministère public agissant par voie d’enquête des pouvoirs étendus de recherche de preuve tels que les perquisitions de nuit et les captations technologiques (de conversations, d’images et de géolocalisation) qui ne sont actuellement permises que dans le cadre d’une instruction préparatoires.

On oppose, en premier lieu, à cette réforme, le fait que les membres du parquet ne sont pas des juges du siège indépendants. Mais leurs pouvoirs ici, comme en d’autres domaines, seront contrôlés par le Juge des libertés et de la détention qui l’est, lui. Lire dans une interview à la presse, que des magistrats s’indignent au motif que le JLD ne connait généralement rien aux dossiers dans lesquels il intervient a de quoi laisser sans voix : 1) Comment des magistrats ont-ils pu laisser passer jusqu’à présent un contrôle qui s’exerce déjà en nombre de domaines non négligeables, dont la détention provisoire, alors qu’ils savaient que ce contrôle n’en était pas un ?; 2) Et si c’est vrai il faut tout simplement que ça change en renforçant spécifiquement cette fonction dans les créations qu’on nous annonce.

On critique en second lieu cette innovation au motif qu’elle va priver le juge d’instruction d’une partie de ses fonctions et qu’il s’agirait d’une chronique annoncée de sa mort qui interviendrait non pas en tant que telle, comme cela avait été malencontreusement tenté autrefois, mais à petit feu en lui retirant de sa substance. Ayant toujours été (y compris au cours des missions officielles dont j’ai été chargée) et étant toujours un farouche défenseur du juge d’instruction, je ne soutiendrais évidemment pas une réforme qui pourrait avoir une telle conséquence. Mais sur la base de ce qu’on sait du texte, je ne vois vraiment pas en quoi c’est le cas.
Il est évidemment hors de question de supprimer une instruction obligatoire pour les crimes de terrorisme et il parait difficile de l’envisager pour les plus compliqués de ses délits. En outre il faut rappeler que seule l’instruction permet de placer en détention provisoire dont on imagine mal qu’on puisse se passer en matière de terrorisme. La seule question qui demeure est celle de savoir si le juge d’instruction va perdre quelque chose à une réforme qui augmente les pouvoirs d’enquête du procureur de la République. Je ne le crois pas et pense même qu’il va y gagner en rapidité la lenteur demeurant la principale critique qu’on peut faire à l’instruction préparatoire. Il n’y a que dans les feuilletons télévisés que les juges d’instruction ne traitent que d’un dossier à la fois ce qui leur laisse le loisir d’aller eux-mêmes à la pêche aux preuves. Dans la vraie vie, les juges d’instruction restent dans leurs cabinets pour faire ce qui ne peut relever que d’eux et délivrent des commissions rogatoires aux policiers pour rechercher les preuves. Ces policiers qui ont de fortes chances d’être les mêmes que ceux auxquels le ministère public demandera les mêmes recherches dans le cadre des enquêtes et qui plus est dans des temps beaucoup plus courts puisque les enquêtes sont enfermées dans des délais ce qui n’est que peu le cas des instructions. Lorsque le juge d’instruction sera saisi après ces enquêtes, non seulement il ne lui aura rien été enlevé mais il recevra un dossier substantiel qui lui permettra d’avancer plus vite, une partie des recherches étant déjà faite. Ajoutons que rien ne peut lui interdire de faire mener d’autres investigations, s’il les estime utiles, ni même d’ailleurs, de faire poursuivre ou recommencer les mêmes. Rien ne met donc réellement le juge d’instruction en danger.

Certes il semble y avoir dans le projet actuel quelques maladresses rédactionnelles comme celle qui ferait dire que le ministère public conduit ses enquêtes « à charge et à décharge » ce qui recopie une des règles phares de l’instruction préparatoire. Cela relève bien évidemment d’une ineptie qui procède, comme souvent, d’une volonté de bien faire associée à une ignorance abyssale. Dans le cadre des enquêtes on ne recherche pas des charges mais soit des « raisons plausibles » soit « des indices graves et concordants » qu’une personne ait fait ou n’ait pas fait quelque chose. Savoir si tout cela implique un soupçon de culpabilité ne relève pas de l’enquête mais procède d’une démarche de jugement et ne peut donc émaner que d’un juge d’instruction ou du siège selon les cas. Le ministère public dirige des enquêtes qui rassemblent des éléments de preuve. Au-delà de la position qu’il va adopter lui-même quant aux décisions qu’il va prendre pour la suite à donner à ces éléments, il n’a ni le pouvoir ni le droit de se demander ce qu’ils peuvent bien impliquer ni quelles conséquences ils peuvent bien avoir. Il rassemble, il transmet et il fait connaitre son avis à un juge d’instruction s’il y est obligé ou, dans les autres cas, s’il choisit de le faire ou à une juridiction de jugement s’il cite directement devant elle. Le seul problème est qu’il faudra éviter qu’une extension des pouvoirs d’enquête ne conduise à une augmentation du nombre des saisines directes de juridictions de jugement. Mais le risque n’existe pas en matière de crime où l’instruction est et doit demeurer obligatoire et peu pour le reste en raison de la nécessité du placement en détention provisoire.

II. La reconnaissance de certains pouvoirs aux préfets.

L’interview de magistrats déjà évoquée fait part, ensuite de l’indignation de l’un d’eux devant certains pouvoirs de recherche accordés au préfet ce « nouveau venu de la procédure pénale ».
Cette fois encore le professeur des Facultés de droit ne peut qu’être atterré qu’à un semblable niveau de formation on puisse traduire une aussi totale absence de culture juridique générale et aussi et peut-être surtout, par ce qu’on peut bien enseigner actuellement dans certaines, au moins des Facultés de droit, pour qu’on en arrive là.

En 1810, les pouvoirs de police judiciaire des préfets étaient alignés sur ceux des procureurs de la République et des juges d’instruction. Ils le sont restés jusqu’en 1933 où ils ont momentanément disparu à la suite d’une bévue purement formelle dans un texte de navette parlementaire budgétaire. Dès l’erreur découverte ils ont été rétablis quoiqu’un peu diminués. Conservés intacts en temps de guerre et d’état d’urgence, ils ont été limités, en temps de paix aux infractions contre l’Etat auxquelles appartient le terrorisme qui était inconnu à l’époque. Les dits pouvoirs ont été repris à l’identique dans le Code de procédure pénale de 1958 d’où ils n’ont été supprimés que par une loi du 4 janvier 2013. Nouveau venu en procédure pénale, un fonctionnaire qui a eu des pouvoirs de police judiciaire complets pendant 123 ans, des pouvoirs dans le domaine en cause aujourd’hui pendant 58 ans et qui ne les a perdus que depuis 23 ans?

Mais surtout, on fait ici encore beaucoup de bruit pour pas grand-chose. Ce qui est envisagé, en effet, c’est, d’abord, le pouvoir de faire pratiquer certaines visites de coffres de voiture et de sacs dans des lieux dits « sensibles » qui pourraient être un peu plus précisés mais dont tout le monde voit bien de quoi il s’agit : les lieux de culte et ceux des rassemblements de masse. C’est ensuite la possibilité de retenir une personne pendant 4 heures, le temps de vérifier son identité, ce qui, dans le contexte actuel, est une atteinte bien légère à la liberté d’aller et de venir.

III. L’extension des procédures nouvelles à d’autres domaines que le terrorisme.

Si l’on en croit les informations qui circulent, le texte en cause aurait non seulement pour but de « mieux prendre en compte la réalité du terrorisme » mais ses dispositions devraient aussi être étendues à la délinquance organisée et à la délinquance financière.

C’est là, à notre avis, que le bât blesse.

La définition de la délinquance organisée figure actuellement aux article 706-73, 706-73-1 et 706-74 du Code de procédure pénale qui sont un véritable capharnaüm notamment parce qu’ils contiennent et citent dans n’importe quel ordre, des infractions de violence pour lesquelles un régime plus sévère est pleinement justifié, mais aussi un grand nombre d’infractions qui ne sont pas violentes et qui n’ont rien à faire là comme le Conseil constitutionnel a eu l’occasion récente de le dire sur QPC pour l’escroquerie, par exemple. Etendre à l’ensemble de ces infractions les mesures spécifiques envisagées pour le terrorisme proprement dit n’a aucune justification.

Quant à la délinquance financière elle n’est là que comme un gage donné à la gauche de la gauche qui considère que seule cette forme de délinquance est vraiment grave, le reste, et notamment la violence, étant toujours explicable sinon excusable. On espère donc faire passer des mesures utiles en promettant de les appliquer aussi aux ennemis de classe (présupposé criminologiquement absurde mais qui a la vie dure, les infractions financières étant commises dans toutes les classes sociales).

Ce n’est pas à dire que la lutte contre le terrorisme ne doive pas avoir un volet financier, mais pas énoncé sous cette forme générale. Il s’agit de pouvoir poursuivre d’une façon renforcée, parce que cela confine au terrorisme, tout ce qui a trait à la collecte et à la gestion financière des avoirs qui servent à financer le terrorisme mais cela seulement. Il faudra donc, sur ce point, être parfaitement clair.

Et l’on rejoint ici une remarque qu’on aurait pu faire à propos de la loi sur le renseignement pour laquelle elle n’a pas davantage été faite. Peu importe les informations qu’on rassemble et la façon dont on les rassemble ; Ce qui doit être bien précisé, c’est l’usage que l’on peut faire de ce qu’on a rassemblé. Et il faudra ici bien veiller à ce qu’il soit clairement précisé que les enquêtes et investigations menées d’une façon particulière ne pourront être utilisées que dans des poursuites pour terrorisme et détruites on cancellées si elles révélaient d’autres infractions qui ne doivent pouvoir être recherchées et poursuivies que selon le droit commun.

DÉCHÉANCE DE NATIONALITÉ ET TERRORISME

Comme à peu près chaque fois que se développe un débat public, les affrontements actuels sur une éventuelle déchéance de leur nationalité française pour les français condamnés pour des infractions d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, et spécialement pour terrorisme, se caractérisent par l’affirmation de formules erronées ou trompeuses.

Il est d’abord bien entendu que, comme tout problème juridique, la question de savoir comment s’acquiert, doit s’acquérir et peut se perdre la nationalité, peut être débattue. L’infinie variété mondiale des modes d’acquisition d’une nationalité, au sein de laquelle le droit du sang ou du sol, seuls évoqués en France, ne sont que deux possibilités parmi beaucoup d’autres, ne peut qu’y inviter. Il est donc absurde d’affirmer comme le faisait récemment une autorité socialiste que le Code de la nationalité est « sacré ». Il ne l’est ni plus ni moins que les autres codes. Ce qui pourrait éventuellement être sacré est la nationalité elle-même. Mais là n’est pas actuellement la question.
Sur ce qui est la question, on peut citer, au titre d’un concours au plus inexact, une phrase prononcée non pas par un des traditionnels trublions du Parti Socialiste, mais par un membre des Républicains. Selon cet auteur, la mesure serait stigmatisante pour « une population d’origine étrangère et soupçonnée de ne pas être intégrée », formule qui comprend à peu près autant d’erreur que de mots.

Il est, en premier lieu absurde de prétendre que la déchéance de la nationalité de délinquants français bi-nationaux, si elle était adoptée, mettrait en danger toute une catégorie de citoyens qui se sentiraient comme de seconde zone parce qu’ils auraient acquis la nationalité par application du droit du sol lequel serait remis en cause par la disposition envisagée.
A lire ce qui se dit et s’écrit, tout le monde semble oublier, dans cette affaire, qu’il ne s’agit pas de déchoir de leur nationalité, des personnes choisies au hasard, ou stigmatisées comme telles, mais les auteurs reconnus coupables par une décision de justice définitive des infractions les plus graves parce qu’elles portent atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation (d’où découle la nationalité).
L’immense majorité de la population française issue de l’immigration, ne cesse de répéter qu’elle condamne les monstruosités perpétrées en janvier et en novembre dernier. Et tous ceux qui combattent aujourd’hui l’idée de déchéance de la nationalité font partie de la cohorte de ceux qui, après chaque attentat, s’égosillent en psalmodiant « pas d’amalgame ».
Si la quasi-totalité des bi-nationaux d’origine étrangère réprouve le terrorisme et n’a aucunement l’intention de s’y adonner, on ne voit pas pourquoi ils se sentiraient atteints par une sanction qui ne les concerne pas.

Mais surtout, ce qui est fondamentalement faux dans cette affaire est de vouloir en faire une question de xénophobie ou de distinction selon les origines.
Il y a bien longtemps qu’on débat, parmi les spécialistes de politique pénale et au titre des mesures utiles, sur l’intérêt qu’il pourrait y avoir à déchoir certains délinquants, éventuellement de droit commun, de la nationalité française. Ceux qui n’ont pas la mémoire trop courte pourraient se souvenir qu’on avait notamment débattu de la question au moment de la suppression de la peine de mort et alors qu’on cherchait une mesure qui manifesterait que certains actes commis par certaines personnes plaçaient celles-ci hors de la communauté nationale. Le seul problème réel qui se pose alors est un problème technique : pour éviter de remplacer une difficulté par un autre, cette déchéance ne doit pas créer des apatrides. Elle n’est donc concevable que pour les français qui possèdent deux ou plusieurs nationalités. Il est cependant gravement erroné de considérer que cette situation n’est que celle de personnes issues de l’immigration.
Etant donné la variété des modes acquisitions possibles d’une nationalité évoquée plus haut, il ne manque pas de français « de souche » (nés de parents français, eux-mêmes nés de parents français, etc…) qui sont bi ou pluri-nationaux : nationalité acquise par une naissance fortuite dans un pays qui fait de cette seule naissance la source de sa nationalité ; acquisition par mariage avec un étranger ; acquisition par un très long séjour dans un pays étranger ; par «récompense» pour service rendu, etc… sans compter les petits États qui se sentent menacés dans leur existence et qui considèrent comme nationale toute personne ayant eu un ancêtre, même très lointain, de leur nationalité. Il serait intéressant, si de semblables statistiques pouvaient être faites et connues, de savoir combien de français non issues de l’immigration se trouvent dans une situation de pluri-nationalité. S’il est permis de penser que le plus grand nombre des bi-nationaux est bien le résultat de la prise en compte de la naissance sur le sol français, il y a tout lieu de penser aussi que les français de sang bi-nationaux sont loin de constituer une quantité négligeable.
Dès lors, et si une déchéance de nationalité pour atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation était adoptée pour les condamnés français ayant une ou plusieurs autres nationalités, elle ne serait pas une mesure traduisant la moindre xénophobie puisqu’elle s’appliquerait aussi bien à ceux qui ont acquis la nationalité par droit du sang que par ceux qui la tiennent du droit du sol.

Reste le problème de savoir si cette mesure serait utile. La première question à se poser est « utile à quoi ? ».
Utile à dissuader des individus de se rendre coupables d’actes de terrorisme ? Certainement pas. Dans la bulle qui est la leur, l’Occident et la France sont détestés et le fait de cesser de leur être rattaché pourrait peut-être, même, à la limite, être un élément favorisant. Le seul intérêt pratique et qui est loin d’être négligeable d’une déchéance de nationalité (si tant est qu’on soit capable de surveiller les frontières), serait de pouvoir interdire le territoire français à ces déchus. Mais la question n’est pas, d’abord pratique.
Car s’il s’agit de savoir si la mesure est utile à réaffirmer la primauté et la cohésion de la Nation, c’est autre chose de même nature que l’affichage des drapeaux français auquel on invite après chaque drame et le chant de l’Hymne national qui s’élance spontanément dans tout rassemblement proche des faits. C’est, au-delà des empoignades d’intellectuels largement déphasés de la réalité du terrain, ce que ressentent bien instinctivement (avec leurs tripes) les entre 85 et 94% de la population, selon les sondages (score rare en démocratie) qui se déclarent favorables à la mesure. La démocratie serait décidément bien malade s’ils n’étaient pas entendus.
Et, par pitié, qu’on nous épargne les accusations de « populisme ». La démocratie c’est le gouvernement par le peuple pour le peuple et non pas par quelques personnes se jugeant assez supérieures pour lui expliquer où est son bien ce qu’il ne serait pas assez intelligent pour comprendre tout seul.

PROPOS DIVERS DE RENTRÉE

Après la somnolence estivale, tout ce qui, universitaire, magistrat ou avocat peut être identifié comme tel par l’Ecole de formation des Barreaux de la Cour d’appel de Paris et qui a suffisamment le souci de la chose publique pour ne pas se défiler, est réquisitionné pour tous les jours ouvrables du mois de septembre et du début du mois d’octobre, pour assurer les jurys du Certificat d’aptitude à la profession d’avocat. C’est ce qui explique le côté décousu de cette chronique qui rassemble des questions diverses qui auraient dû être traitées en leur temps et n’ont pas pu l’être.

1) Et tout d’abord le CAPA.

C’est une fois de plus l’occasion de constater la folie dans laquelle le système continue de s’embourber avec un nombre de candidats ahurissant de quelques mille cinq cents à Paris, dont tout le monde sait qu’il ne pourront tous trouver leur place au barreau et que beaucoup finiront ailleurs, comme il le pourront, après six ou sept années d’études et quelques autres de tentative d’exercice, dans un total désenchantement et une complète amertume. C’est le résultat, pour le barreau (comme pour l’université, d’ailleurs) du laisser-faire la loi de la nature au lieu d’organiser une rationnelle orientation.

Et c’est une fois de plus l’occasion de se demander pourquoi les barreaux et spécialement le Barreau de Paris dont on connait le talent pour le lobbying n’arrivent pas à se prononcer en faveur de la seule solution sérieuse à ce problème : laisser chaque barreau fixer un numerus clausus déterminant, chaque année, le nombre de nouveaux avocats qu’il peut accueillir dans de bonnes conditions et qui devrait seul être admis dans les écoles de formation par un concours d’entrée substitué à un examen d’entrée.

Il est vrai que l’explosion du nombre des aspirants à la profession d’avocat traduit, pour l’essentiel, le nombre excessif des étudiants en droit inscrits dans les Universités. Mais elles n’ont, elles, ni le droit de les refuser, ni celui de les sélectionner et il y a bien un moment où il faudrait que l’absurdité cesse. Or on ne voit pas ce qui peut bien justifier que seul de toutes les grandes professions du droit, le barreau continue de ne pas se recruter par concours.

2) Ensuite les fondements de l’Etat.

Le 24 septembre, le Premier ministre participait à une émission politique de télévision très suivie. Interpellé sur des propos de son ministre de l’économie, le Premier ministre s’est livré à une analyse de la fonction publique où il souhaitait démontrer la nécessité de celle-ci, dans le cadre de laquelle il citait, parmi les « fonctionnaires », les militaires et les magistrats.

Il est frappant que les réseaux sociaux aient immédiatement relevé l’erreur concernant les militaires mais que personne ne semble avoir réagi pour ce qui concerne les magistrats. Car si, ni les uns, ni les autres, ne sont des fonctionnaires, la confusion faite en ce qui concerne les magistrats est autrement plus grave que celle relative aux militaires tant elle trahit une totale méconnaissance de ce qu’est l’essence de la démocratie, inquiétante pour des citoyens et hallucinante pour un Premier ministre.

Si la loi a cru bon de préciser que les militaires ne sont pas des fonctionnaires, c’est parce qu’il manque, à leur statut quelques règles particulières comme le droit de grève, par exemple. Mais cela ne va pas plus loin.
Et la différence avec les magistrats saute immédiatement et formellement aux yeux : il est tellement évident que les magistrats ne sont pas des fonctionnaires que ni la Constitution, ni la loi n’ont, contrairement à ce qui est écrit pour les militaires, jugé utile de le dire dans la mesure où l’unique point commun entre les uns et les autres est le fait qu’ils sont tous les deux payés par l’Etat. Pour le reste, le statut de la magistrature est totalement différent de celui des fonctionnaires et cela s’impose dans une démocratie ou la Justice est un Pouvoir (une Fonction ou une Autorité, si l’on veut, ces mots n’ayant pas, ici, d’importance) indépendant et notamment indépendant du pouvoir exécutif chef de la fonction publique.

Qu’une pareille monstruosité juridique ait pu être proférée par le Premier ministre sans que qui que ce soit, à commencer par le Garde des Sceaux, pourtant présente, n’ait protesté a de quoi faire frémir tous ceux qui ont consacré leur vie à l’Institution.

Mais il faut toujours balayer devant sa porte et il n’est pas possible de ne pas relever que beaucoup, y compris parmi les gardes des sceaux et, plus grave, parmi les universitaires, dont certains n’hésitent pas à intituler ainsi des chapitres d’ouvrages censés être scientifiques, n’hésitent pas à parler de « service public de la Justice » ce qui est une façon différente mais tout aussi grave de s’exprimer. La Justice n’est pas un « service public » et n’est même pas pour l’essentiel (la justice pénale), un service rendu au public, c’est un service rendu à la Nation.

3) Encore les délais de l’appel des arrêts de la Cour d’assises.

Loi des séries, deux personnes condamnées en première instance, par des cours d’assises, sous des qualifications très graves (homicide d’un policier, d’une part, et assassinat dont il n’est pas exclu qu’il ne soit pas unique, de l’autre), ont été, en l’espace d’une semaine, remises en liberté avant le jugement de leur appel, parce que la durée de leur détention provisoire (de plus de 5 et 6 ans) a été jugée déraisonnable.
Il est difficile de ne pas partager la position de fond des chambres de l’instruction, même si la conséquence qu’elles en ont tiré a de quoi choquer en pratique et si les remèdes possibles ne sont pas tous évidents.

a) Le plus simple serait de casser le thermomètre. On nous dira que c’est toujours une mauvaise solution. Mais on peut faire remarquer ici,  qu’elle aurait l’avantage d’aligner la position française sur celle de la plupart des pays du monde, un grand nombre des pays européens et tous les pays anglo-saxons.

Contrairement à ce qui se dit partout, la conception française de la présomption d’innocence est beaucoup plus étendue qu’elle ne l’est dans les autres systèmes juridiques. En droit français, en effet, la présomption d’innocence a toujours été considérée comme devant s’appliquer à l’ensemble de la procédure pénale, depuis le début de la poursuite jusqu’à la condamnation définitive, c’est-à-dire jusqu’à ce que l’affaire ne puisse plus donner lieu à aucune voie de recours. Une personne condamnée en première instance demeure innocente si elle fait appel et reste, par conséquent, si elle est détenue, en détention provisoire. La conception anglo-saxonne, au contraire, fait cesser la présomption d’innocence avec la première déclaration de culpabilité prononcée par une juridiction de jugement. C’est pour cette raison que si les condamnés à l’emprisonnement en première instance et qui font appel sont toujours considérés, en France, comme étant en détention provisoire, les condamnés anglo-saxons dans la même hypothèse sont, eux, considérés comme provisoirement, au moins, condamnés, et, s’ils restent détenus, comme ayant commencé à exécuter leur condamnation définitive.

Si donc on en est arrivé, dans les deux affaires qui nous retiennent à des délais de détention provisoire déraisonnables de plus 5 et 6 ans, c’est parce qu’on a additionné, pour arriver à ce résultat, le délai de « vraie » détention provisoire pendant la procédure d’instruction, celui de la privation de liberté pendant le jugement de première instance et celui couru depuis le jugement de première instance dans l’attente de l’audience d’appel. Adopter comme les anglo-saxons une conception de la présomption d’innocence et donc de la détention provisoire limitée à ce qui se passe avant le jugement de première instance réglerait le problème.

Or pour ce faire il n’est même pas besoin d’une modification législative. Un simple changement d’interprétation suffirait car la durée retenue pour notre présomption d’innocence ne résulte que d’une tradition.
Les deux seuls textes de notre législation qui envisagent la question de la présomption d’innocence sont, d’une part l’article 9-1 du Code civil qui déclare que « Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence » et l’Article préliminaire du Code de procédure pénale selon lequel : « III. Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie… ». On remarquera qu’aucun des deux ne se réfère à une quelconque étendue de la présomption d’innocence selon les phases de la procédure et que, par conséquent, rien ne s’opposerait à ce qu’on considère que la « culpabilité (est) établie » (provisoirement, certes, mais il n’importe) dès lors qu’elle a été retenue en première instance.

b) Un remède plus satisfaisant mais plus compliqué consisterait à revoir l’organisation de la cour d’assises, d’une part, et la façon dont la Chambre criminelle de la Cour de cassation fait fonctionner l’appel criminel, de l’autre.

Une première modification s’impose depuis longtemps : faire de la cour d’assises une juridiction fonctionnant en permanence (du 1er janvier au 31 décembre comme le dit le Code de l’organisation judiciaire pour la plupart des autres) et non plus par sessions (dans la pureté des principes une session de quinze jours par trimestre). Certes, dans les circonscriptions à très forte délinquance, il y a longtemps qu’on a pris l’habitude de faire se succéder les sessions les unes aux autres, en sorte qu’en pratique la juridiction fonctionne tout le temps par sessions successives. Mais ce n’est pas le cas partout et rendre permanentes les cours d’assises de province permettrait de délester, pour l’appel au moins, les juridictions particulièrement encombrées, ce qui diminuerait le temps d’attente avant second jugement.

Si l’on a originairement choisi la méthode de la session pour les cours d’assises, c’est parce que celle-ci comportant un jury on a estimé qu’on ne pouvait pas raisonnablement détourner des jurés de leur vie personnelle plus de quinze jour d’affilée. Mais il y a un moyen tout simple de remédier à cela. Il suffirait de supprimer le jury de session et de tirer au sort les jurés pour chaque affaire, à partir de la liste annuelle du jury. Certes, il y a des affaires complexes qui nécessitent parfois quinze jours d’audience. Mais ce n’est pas la majorité des cas. Et cette méthode n’aurait que des avantages :
Elle permettrait à un plus grand nombre de citoyens d’être associés à la justice.
Elle éviterait « l’écrémage » bien connu des jurys qui fait que, parce que toutes les personnes qui jouent un rôle important dans la société ne peuvent pas envisager d’en être distraites, ne serait-ce que quinze jours, elles s’efforcent d’obtenir une récusation, ce qui fait obstacle à une réelle représentativité des jurés. Une absence de deux ou trois jours serait sans doute mieux perçue et permettrait de revenir à cette représentativité.
Elle éviterait, ce qu’on voit parfois, au sein des jurys de session, qui restent en place pour juger toutes les affaires de la session, une petite guerre faite par les jurés aux magistrats professionnels lorsque, n’ayant pas obtenu ce qu’ils souhaitaient dans une affaire donnée, ils se vengent lors du jugement de la suivante en s’opposant, par principe, aux votes des magistrats professionnels alors que le fond de l’affaire n’appelle pas forcément telle ou telle position de leur part. Chacun ne jugeant qu’une affaire serait uniquement concentré sur celle-ci.

Mais pour que cette extension des possibilités de jugement joue son rôle, il faudrait que la Chambre criminelle de la Cour de cassation modifie sa méthode concernant l’appel des arrêts d’assises. Lorsqu’un appel est formé contre un arrêt de cour d’assises, c’est à la Cour de cassation qu’il revient de désigner la juridiction de renvoi. Or celle-ci a pris l’habitude, que rien n’impose dans les textes, de renvoyer à une cour d’assises aussi proche que possible géographiquement de celle qui avait statué en première instance. Lorsqu’un renvoi est fait au sein d’une région à forte délinquance, l’attente est donc forcément importante avant le second jugement.
Dès lors que toutes les cours d’assises pourraient statuer à tout moment et que l’informatique permet d’être informé de l’état de leur contentieux, il suffirait, pour aller plus vite, de choisir comme cour d’assises du second degré, une cour d’assises que l’on saurait disponible. Et l’on aurait, en outre, l’avantage de faire juger l’affaire par des jurys sociologiquement différents et donc, là encore, dans leur ensemble, plus représentatifs.

4) Enfin, Nadine Morano.

Le personnage a de quoi agacer mais il n’est pas unique. On le trouve dans toutes les formations politiques (R.Dati, S.royal, N. Mamère, etc…). Il s’agit de personnes qui momentanément ou non privées de postes d’ampleur nationale se croient obligées de parler tout le temps de crainte d’être oubliées.

Sur le fond de la polémique tenant au fait que Nadine Morano a déclaré que « La France est un pays de race blanche », seuls cependant, et ils ne devraient pas être nombreux, ont le droit de lui jeter la pierre ceux qui habitués à la parole publique directe peuvent être certains de ne jamais avoir employé un mot pour un autre ou une formule discutable. Le signataire de ces lignes qu’on peut considérer de profession et d’engagement comme appartenant à la catégorie des habitués ne le fera certainement pas. Dérapage, oui, mais dérapage banal, compréhensible et de ce fait négligeable.

Si Nadine Morano avait déclaré que « la France est un pays majoritairement habité par des gens de couleur de peau blanche », les professionnels de l’indignation, qui ne font pas dans la dentelle, se seraient  sans doute tout autant étranglés (mais ni plus ni moins). Il n’y aurait eu pourtant aucun dérapage dans une affirmation objectivement exacte et qui serait même passée, il y a cinquante ans, pour un poncif. Et il en serait de même du fait que le catholicisme reste encore la première religion en France, que Clovis a été baptisé, que l’ensemble des rois de France a été sacré, etc. etc..

Circulons donc. Il n’y a pas grand-chose à voir.

SIX MOIS D’APPLICATION DE LA CONTRAINTE PENALE

NB. Par suite d’un caprice que nous espérons temporaire, le logiciel du fournisseur d’acccès refuse de prendre les nombres en chiffres. Il a donc été nécessaire de les traduite  en lettres ce qui rend l’article ci-dessous, commentant des statistiques,  particulièrement difficile à lire. Merci à ceux qui le feront quand même mais l’actualité est l’actualité.

 

L’étude d’impact réalisée pour la loi du dix-sept août deux mille quatorze créant la contrainte pénale, envisageait que celle-ci serait appliquée entre un minimum de huit mille fois et un maximum de vingt mille fois par an. Les chiffres publiés après six mois d’application de la mesure (entre le premier octobre et le trente mars) sont donc particulièrement intéressants.

Ces chiffres font état de cinq cent trente six condamnations à la contrainte pénale prononcées par 100cent tribunaux de grande instance, soit un déficit de trois mille quatre cent soixante quatre condamnations sur le minimum des évaluations annoncées. Autre information intéressante, il ne s’agit pas du traditionnel retard au démarrage puisque le mois de mars, dernier mois des statistiques, fait état de cent six condamnations et reste donc globalement dans la moyenne générale.

La première remarque ne peut que concerner la difficulté de l’exercice d’étude d’impact et donc  le caractère très approximatif de ses résultats. Quel que soit le sérieux mis à la réaliser, les résultats se heurteront toujours (du moins espérons-le) à ce qu’il est impossible d’envisager à l’avance, avec une raisonnable certitude, les analyses personnelles faites par des magistrats de chair et de sang et surtout, comme Hercule Poirot, dotés de « petites cellules grises ».

La seconde remarque est évidemment l’échec cuisant de cette mesure présentée par ses auteurs comme devant être l’Alpha et L’Omega de la condamnation pour délit, échec qu’il n’était pas difficile de prévoir.

Toute la doctrine ou presque a fait remarquer que la contrainte pénale n’apportait rien de nouveau par rapport aux mesures qu’il était déja possible d’imposer aux délinquants dans le cadre du sursis avec mise à l’épreuve. Il en est ainsi du plus grand nombre des mesures choisies dans le cadre des contraintes pénales prononcées: l’obligation de se soumettre à des soins qui figure dans quarante-huit pour cent des cas et celle d’exercer une activité professionnelle, de suivre un enseignement ou une formation professionnelle (3737trente-sept pour cent des cas).

Est-ce donc à dire qu’il s’agissait d’un « coup pour rien »?

Il n’en est rien car il reste quelques détails d’application qui sont pour le moins inquiétants.

La principale différence voulue entre la contrainte pénale et le sursis avec mise à l’épreuve était, qu’au moins théoriquement, le sursitaire qui ne se conformait pas à ses obligations risquait de se voir soumis à l’emprisonnement prononcé contre lui pour l’infraction commise et auquel il n’était que sursis. La menace était très théorique compte tenu du faible taux des révocations prononcées et plus encore des révocations totales, mais elle existait. Dans le cadre de la contrainte pénale, aucune condamnation à l’emprisonnement n’est simultanément prononcée pour l’infraction jugée, la juridiction se bornant à prévoir une possibilité d’emprisonnement, dont elle fixe la durée, pour le cas de mauvaise conduite de l’intéressé. Or la durée des emprisonnement prévus, dans les condamnations prononcées pour contrainte pénale, durant les six mois concernés, à été pour vingt-six pour cent des cas comprise entre un et trois mois, dans quarante-huit pour cent des cas, entre quatre et six mois et dans vingt et un pour cent des cas entre sept mois et un an. C’est dire qu’en toute hypothèse le « contraint » pénal et cela quoi qu’il fasse, n’ira pas en prison. Seules, en effet, ont une chance d’être mises à exécution effective les peines de plus de deux ans, et encore, comme vient de le préciser la Cour de cassation, de deux ans « nets » (déduction faite d’une éventuelle détention et du calcul des crédits de réduction de peine annoncés à tout incarcéré, à son entrée, ce qui peut facilement monter jusqu’à une condamnation à trois ans).

La seconde information inquiétante est celle qui concerne les délits pour lesquels la mesure a été choisie. les trente-trois pour cent de contentieux routier demanderaient, pour émettre une opinion, d’être davantage précisés. Les sept pour cent d’infractions en rapport avec les stupéfiants amènent à espérer qu’il ne s’agissait que de consommation et pas de trafic. Mais les trente-trois pour cent de faits de violences volontaires et les dix pour cent d’atteintes aux biens concernant essentiellement des vols, sont inacceptables. S’il y a bien un domaine qui devrait, par principe, échapper à ce type de mesures c’est celui de la violence. Car proposer à l’encontre d’un violent quelque chose qu’il ressentira comme n’étant « rien » ne peut que l’inscrire dans la pente qui le conduira à recommencer.

Révélée inutile par ces statistiques, compliquée et dans certains cas dangereuse, la contrainte pénale devra nécessairement être, au minimum repensée. C’est manifestemenjt l’avis des magistrats qui, fort heureusement, la prononcent si peu.

 

LA LOI SUR LA PRESSE DE 1881 N’EST PAS INTOUCHABLE

L’annonce de nouveaux textes en préparation pour réprimer les attitudes racistes ou antisémites, soulève, comme d’habitude un tollé chez les spécialistes du droit de la presse au nom de la défense de la liberté d’expression.

Notre propos n’est pas de savoir si ces nouvelles dispositions sont indispensables ou justifiées mais de rappeler, une fois de plus, aussi, le caractère, à notre avis délirant, d’un point de vue purement technique, du droit pénal des médias.

Pour une raison tout à fait incompréhensible, la loi du 29 juillet 1881 sur la presse est considérée dans ce pays, surtout, il est vrai, par ceux qui ne l’ont jamais lue, comme une espèce de divinité à laquelle il ne faut pas toucher. Mais comme il se trouve que la plupart de ceux qui ne l’ont jamais lue appartiennent au monde médiatique et que le moindre froncement de sourcils de celui-ci provoque la panique dans le personnel politique, nous continuons à vivre avec, pour certaines infractions, un régime totalement aberrant dont la moindre tentative de réforme soulève une tempête.

les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 qui ne concernent que les médias écrits qui ne sont plus aujourd’hui ceux qui jouent le plus grand rôle, la loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication et les nombreuses lois sur la communication audiovisuelle ont, à propos des infractions que ces médias sont susceptibles de commettre un objectif clair et compréhensible : rendre la poursuite de ces infractions plus difficile qu’en droit commun pour favoriser la liberté d’expression que poursuit la liberté de communication. Les incriminations sont donc étroites, il existe diverses possibilités particulières d’échapper à la répression, la procédure prévue est très compliquée avec une action publique dotée d’une prescription exceptionnellement courte (trois mois), en sorte qu’elle aboutit rarement à une condamnation.
Tout cela se comprend parfaitement, dans l’objectif de la liberté d’expression, lorsque les infractions dont il s’agit sont effectivement commises par la voie médiatique.

Le problème est que certaines infractions, telles que la diffamation, l’injure ou certaines provocations, par exemple, ne sont incriminées que par la loi sur la presse. On leur applique donc systématiquement, du fait qu’elles figurent dans un texte de presse, le régime particulier des infractions de presse, même si elles n’ont aucun rapport avec le droit médiatique. Lorsqu’un individu en injurie un autre dans une rue, il commet une infraction « de presse » et sera poursuivi conformément au droit prévu pour celle-ci encore que son comportement n’ait, en réalité, aucun rapport avec la presse.

Cette situation est tellement absurde, pour tout observateur de bonne foi, qu’on a du mal à comprendre comment le législateur a pu ne pas saisir l’occasion de la rédaction d’un nouveau Code pénal, en 1992, pour y mettre un terme, en réintégrant dans celui-ci la définition de toutes les infractions commises entre particuliers ou à l’égard de l’Etat qui figurent actuellement à la loi de 1881. Celles-ci seraient désormais soumises au droit commun, sauf, naturellement, si elles étaient effectivement commises dans un contexte médiatique qui conduirait à l’application des dispositions dérogatoires prévues par les textes de droit médiatique pour les infractions qui y sont accomplies.
L’explication n’est pas en réalité technique mais politique. Elle tient au fait que les hommes politiques que sont les gouvernants et les parlementaires tremblent tellement devant le pouvoir de la presse qu’ils font tout ce qu’ils peuvent pour ne jamais toucher à la loi de 1881 de peur de déclencher des foudres médiatiques, aussi injustifiées soient-elles, le monde médiatique accordant à la loi de 1881 une pouvoir mythique qu’elle n’a pas.

Mais l’absence de courage se paie toujours et les faits sont têtus.
Parce que certaines situations imposent, même à ceux que leur philosophie personnelle pousse au plus grand laxiste, de recourir à une plus grande sévérité, le gouvernement est périodiquement en proie à une agitation plus ou moins justifiée parce que, n’ayant pas eu le courage de mettre un terme à une situation globalement absurde, il tente de « tourner autour » de la loi de 1881 par des moyens partiels pour soustraire au plus gênant de celle-ci certains comportements par des moyens variés.
Soit en modifie une disposition particulière mais limitée la loi elle-même (allongement de certains délais de prescriptions pour les injures discriminatoires, par exemple) soit on retire partiellement certains comportements à sa procédure (pour l’incitation au terrorisme).

Et le résultat devient un vrai capharnaüm législatif. Coexistent, en effet, un droit commun pratiquement exclu, sans la moindre raison valable, pour certaines infractions ; un droit médiatique d’exception qui s’applique à des situations pour lesquelles il ne se justifie pas et, enfin, un droit bâtard, appliquant à quelques infractions, certaines dispositions du droit commun et d’autres du droit médiatique.

Répétons-le, une fois de plus, il n’y a, en bonne technique législative, qu’une seule solution :
– Prévoir dans la loi sur la liberté d’expression et non plus dans celles relatives à tel ou tel média, une procédure particulière, plus restrictive que celle du droit commun, applicable aux infractions commises par la voie médiatique ;
– Rendre au droit commun pénal la définition de toutes les infractions ;
– Leur appliquer la procédure dérogatoire du droit médiatique si et seulement si elles sont commises par la voie des médias.

On mettra ainsi un terme, tant à un désordre technique qu’à des occasions répétées de désordres politiciens.

Il restera, il est vrai, à se demander si le droit pénal et surtout la procédure pénale de la presse ne sont pas abusivement protecteurs, ou à l’inverse, ne permettent pas des poursuites qui ne devraient pas avoir lieu. Mais c’est un autre problème qui n’est pas le nôtre aujourd’hui.

PRINCIPE DE PRECAUTION, RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE et SERVICES DE SECURITE

Le principe de sécurité figure désormais dans la Constitution et beaucoup s’en désolent au motif que cela bloque toute évolution scientifique.
Qu’ils se rassurent : ce principe est ignoré même des plus régaliens des services de l’Etat, ceux du secours aux personnes.

Connaissez-vous la chenille processionnaire ?
C’est une bestiole magnifique, orange fluo et noir, recouverte de superbes poils blancs et frisés qui n’ont que l’inconvénient de diffuser un venin qui brûle gravement tout ce qu’il touche allant jusqu’à nécroser des muscles ou détruire totalement, un système digestif si par malheur, la chenille est ingérée.
Jusqu’à présent la chenille processionnaire ne dépassait pas les conifères (elle ne pond que dans les conifères) du sud de la Loire. Mais réchauffement climatique aidant, elle est en train de se répandre comme une trainée de poudre au nord où, généralement on ne connait ni elle-même si ses capacités de nuisance. L’ennui c’est que les services de secours n’en ont pas pris conscience non plus.

Si donc vous avez le malheur de voir votre jardin envahi par des chenilles processionnaires et des enfants qui, comme beaucoup, se promènent pieds nus dans l’herbe, ils risquent une nécrose de la plante des pieds. S’ils sont plus âgés et qu’animés par un esprit de curiosité scientifique, ils ramassent la chenille pour l’examiner de plus près, ils auront de graves problèmes aux mains et s’ils sont plus jeunes, de l’âge où l’on porte n’importe quoi à sa bouche ou que nouveau-nés ils dorment la bouche ouverte dans leur berceau, je vous laisse imaginer la suite. Et je ne cite que pour mémoire les animaux domestiques, ou même d’exploitation qui sont, bien évidemment les plus exposés à avaler les intruses et qui mourront le tube digestif progressivement détruit dans des souffrances atroces.

Pas de panique, est-on tenté de penser: il suffit de faire couper les cocons avant la maturité de leurs habitantes.

Mais là, bonne chance !

Les pompiers ayant décidé depuis une dizaine d’années qu’ils n’interviendraient plus sur les «insectes» parce que ceux-ci ne sont pas assez dangereux, vous vous adressez à une entreprise privée. Elle vient et vous débarrasse de tout…ce qui est à moins de quinze mètres de hauteur car il semble qu’une clause de style des assurances de jardinerie ne permette pas de couvrir leurs salariés pour une hauteur supérieure. Et les naïfs de vous affirmer : « Au-dessus ce sont les pompiers ».

Et vous appelez les pompiers qui vous diront que si vous avez un lion dans votre jardin ils viendront le chercher mais que le fait que la chenille processionnaire soit, dans certaines circonstances, aussi mortelle que le lion les laisse totalement indifférents. J’ai eu droit en plus à un «Vous n’avez qu’à surveiller vos enfants ! » et « Nous n’avons pas le matériel nécessaire » (pas de matériel pour monter au-dessus de quinze mètres a tout de même de quoi surprendre pour des pompiers).

Cette chronique sera donc peut-être la dernière car dépourvue de tout autre moyen et la maturité des cocons paraissant bien avancée, je vais faire la seule chose qui reste possible : gravir le conifère pour aller moi-même les couper. Certes, j’ai fait pas mal d’alpinisme quand j’étais jeune, mais il y a longtemps et s’aventurer dans un conifère de trente mètres avec un échenilloir à la main n’est pas de la plus grande facilité. Mais je suis tout de même rassurée : si je tombe, il est probable que les pompiers viendront me chercher.

Voiles dehors ?

Que les événements tragiques qui ont secoué la France en janvier aient bousculé aussi bien les personnes que les idées se comprend aisément.
Il ne faut cependant pas que cela vire au grand n’importe quoi comme on le voit depuis avec une confusion totale des discours sur des notions (laïcité, vivre ensemble, éducation « aux » religions ou au « fait » religieux, condition de la formation des membres du clergé, représentation et représentativité de telle ou telle communauté religieuse, etc…) dont on n’a pas pris la peine d’assurer d’abord une définition unique, seule susceptible de permettre la réflexion et qui, pour la plupart n’ont rien à voir les unes avec les autres.
Le débat rebondit ces jours derniers avec une conjonction UMPS qui devrait réjouir Marine Le Pen sur la question parfaitement hors de propos d’une éventuelle interdiction du « voile » (lequel ?) dans les établissements d’enseignement supérieur.

La laïcité est parfaitement définie par nos textes fondateurs :
Art. 11Premier de la Constitution : « La France respecte toutes les croyances », d’où il découle nécessairement qu’elle n’en privilégie aucune.
Et :
Art. 10 1010Dix de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi » (on peut passer sur une formulation discutable connotée par son époque).

La conséquence de cela est qu’une interdiction des signes religieux dans l’espace public n’est possible que si elle trouble l’ordre public, la question concernant, naturellement, tous les signes religieux, mais uniquement ceux qui sont ostensibles que ne peuvent être un bijou ou une boutonnière discrets, par exemple.

Seule question légitime ramenant au débat d’aujourd’hui: quand le port d’un vêtement religieux trouble-t-il l’ordre public ?

Première réponse certaine : quand l’espace public est dédié à des mineurs ou reçoit des mineurs en nombre significatif.
L’Etat, qui ne peut privilégier aucune religion, doit s’opposer à tout ce qui pourrait obérer une future liberté de choix des intéressés quant à la croyance à laquelle ils souhaiteront adhérer, quand ils seront en mesure de choisir, ou l’absence de croyance qu’ils jugeront préférable. Il n’est donc pas possible qu’ils soient confrontés à des modèles adultes fortement connotés à telle ou telle religion. Il faut toutefois préserver la liberté de choix des parents quant à l’éducation de leurs enfants mineurs qui leur permet, durant la minorité de ceux-ci, de choisir une religion pour eux, à la condition qu’ils soient libres de la quitter une fois devenus adultes.
La traduction de cela est que le port de toute forme de costume religieux doit être interdit dans les services publics d’accueil et de d’éducation qui ne reçoivent que des mineurs (crèches, enseignement primaire et collèges, centres aérés et d’une façon générale toutes activités périscolaires) ou peuvent en recevoir même s’ils comptent aussi des élèves devenus majeurs (lycées) et cela qu’il s’agisse des personnels de toutes activités, des enfants et, à notre avis des parents associés au service en accompagnant des sorties.
Une dérogation peut être faite en faveur des établissements d’enseignement ayant un projet d’éducation particulier, licite et reconnu par l’Etat, et auxquels les parents appartenant à telle ou telle religion préfèreraient inscrire leurs enfants mineurs ou qui seraient choisis par des élèves adultes.

Deuxième réponse : quand l’identification des personnes concernées est indispensable et que l’attribut religieux y ferait obstacle.
Cela concerne toutes les personnes qui vont faire des démarches administratives qui supposent toutes que les services puissent savoir à qui ils ont à faire et aussi celles qui doivent, pour une raison ou une autre, justifier de leur identité : demandes de documents, comparution en justice, présentation à un examen, etc… Dans ce cas, cependant, doit être seul prohibé ce qui fait réellement obstacle à l’identification, c’est-à-dire ce qui cache suffisamment le visage pour empêcher celle-ci. Sauf circonstances particulières (par exemple demande de confection de papiers d’identité et aussi comparution en justice, non seulement pour les justiciables mais aussi pour les auxiliaires de justice que les magistrats doivent pouvoir reconnaitre), un simple foulard ou un costume correct de religieuse catholique (ce n’est pas moi qui parle, c’est le Pape Jean-Paul II lors d’une visite en France à la Maison de la Médaille miraculeuse où il était accueilli par une religieuse qui portait un costume civil) et, naturellement une kipa ne paraissent pas faire obstacle à l’objectif d’ordre public visé.
C’est cela qui justifie pleinement la loi sur l’interdiction du costume dissimulant l’intégralité du visage dans l’espace public car la surveillance de celui-ci, qu’elle soit visuelle directe ou vidéo, doit pouvoir s’exercer.

Troisième réponse : pour tous les agents des services de l’Etat.
Celui-ci ne privilégiant aucune religion ne doit pas mettre les citoyens en contact avec des fonctionnaires qui revendiquent d’une manière visible leur appartenance ce qui serait une marque d’adhésion. Sans préjudice de tous les autres et pour en revenir au débat du jour, Il est donc parfaitement clair qu’aucun membre de l’enseignement supérieur public qu’il s’agisse de personnel d’enseignement, de personnel administratif ou de personnel d’entretien ne doit porter de signes religieux ostensibles dans les locaux d’enseignement.

Quatrième réponse : quand le port de l’attribut en cause fait obstacle ou gêne le déroulement normal de l’activité organisée par l’Etat ou avec son accord, à laquelle l’intéressé doit prendre part.
De ce point de vue, il ne semble pas pouvoir être fait de distinction entre public et privé (hôpital ou clinique et même entreprises privées) : tous les personnels de santé mais aussi les patients de ces services, tous les personnels de secours, les personnes participant à des activités sportives, les personnes travaillant sur des machines dans lesquelles leur attribut vestimentaire serait susceptible de se prendre ou de s’enflammer et ainsi de les mettre, elles, mais aussi les autres, en danger, etc…
C’est dans cette perspective et celle-là seulement que mérite de s’inscrire le débat sur le voile à l’Université (en y ajoutant ce qui est dit plus haut sur la présentation aux examens). Il convient, d’abord de remarquer que la façon de poser le problème n’est pas la bonne car aucune solution générale ne peut être définie sur la base, une fois de plus, du seul critère qui vaille : l’ordre public.
Rien ne s’oppose au port d’un costume religieux et donc d’un voile pour des étudiants en droit, en lettres, en langues ou en sciences sociales. Il m’est souvent arrivé d’avoir à mes cours, d’abord, dans le temps, des religieuses catholiques dans le costume de leur ordre, puis des étudiantes musulmanes plus ou moins voilées. Cela ne m’a jamais paru poser le moindre problème, ni avec moi, ni avec leurs condisciples. Il n’en est évidemment pas de même des étudiants des professions de santé, au moins dans le cadre de la pratique, des étudiants en sciences, soit si ce port met l’intéressé en danger, soit si le même port risque de perturber des résultats de recherches, des étudiants en éducation physique, etc…
C’est ce qui permet, à mon sens de trancher le problème qui semble s’être récemment posé à l’Ecole de formation du Barreau de Paris. Je ne vois personnellement aucune objection à ce qu’une étudiante voilée suive les enseignements, ni même plus tard, exerce sa profession de cette façon si des clients choisissent de s’adresser à elle. Mais il est clair qu’elle devra être identifiable au moment des examens et qu’elle devra s’abstenir de tout signe distinctif, autre que l’attribut de son état, lors de son exercice dans le cadre juridictionnel.

Ceux qui envisagent aujourd’hui d’interdire le voile dans l’enseignement supérieur ne le font donc pas pour la bonne et unique raison possible, celle de l’ordre public, mais sur la base d’un jugement de valeur religieux ou social (statut de la femme), interdit, par principe, par nos textes fondamentaux. Une loi ainsi présentée ne pourrait que se heurter, si elle était votée sans nuances, à la censure du Conseil constitutionnel.

DE L’INDEMNISATION D’UN ÉCHANGE DE BÉBÉS

Longtemps après les Dequesnois, les Groseille et le « long fleuve tranquille » deux bébés échangés dans une maternité alimentent de nouveau les média, d’une façon, il est vrai, assez différente.

Que deux nouveau-nés puissent être échangés dans une maternité constitue, à l’évidence, pour celle-ci une faute gravissime que cela émane d’une mauvaise organisation de l’établissement ou d’une faute commise par un membre du personnel dont la maternité est nécessairement responsable. Et le fait que ce membre soit éventuellement alcoolique, loin d’exonérer la clinique de sa responsabilité, comme on a osé le prétendre, est, au contraire, un facteur lourdement aggravant.

Mais cela dit, quelles doivent être les conséquences de cette faute ?
Les faits en question ne relèvent d’aucune qualification pénale et il ne peut donc être question d’une sanction de cet ordre.
Les sanctions les plus adaptées devraient être administratives : fermeture, retrait d’agrément, etc…Mais il se trouve que dans l’affaire d’aujourd’hui, l’établissement n’existe plus et que ces sanctions sont donc inapplicables alors surtout que la juridiction a jugé que les médecins qui travaillaient à l’époque des faits dans cette clinique n’avaient commis aucune faute ce qui empêche le moindre retentissement sur la suite de leur carrière.
Conclusion : énorme faute ; aucune conséquence possible.
Est-ce cela qui choque au point d’avoir conduit à inventer des sanctions imaginaires puisque les média expliquent que cette faute a été sanctionnée de 1,8 millions d’euros de dommages-intérêts et que c’est peut-être, aussi, cette absence de sanction que le tribunal a voulu éviter en détournant, pour partie, les dommages-intérêts de leur finalité.

Les dommages-intérêts accordés aux victimes d’une faute n’ont pas pour rôle de sanctionner la faute commise, mais d’indemniser ces victimes. Ils doivent donc être calculés non pas sur l’importance de la faute mais sur l’importance du préjudice subi. Une faute minime peut entrainer des réparations énormes si les conséquences privées de cette faute ont été considérables et une faute très lourde n’entrainer que de faibles dommages-intérêts si elle a eu peu de conséquences. Et surtout, ces dommages-intérêts doivent être justifiés par des préjudices dont la réalité et l’importance doivent être établis par ceux qui les demandent et détaillés par la juridiction qui les accorde.

C’est là que le bât blesse dans l’affaire d’échange de nouveau-nés dont bruissent les médias, au moins, d’après ce que l’on en dit aujourd’hui. Il semble bien, en effet, que les préjudices subis soient aussi légers que les preuves qui en sont rapportées, au moins pour un grand nombre de leurs demandeurs, et que la juridiction n’ait pas jugé utile de s’expliquer sur les montants retenus.

Contrairement aux faits de l’affaire qui inspira le « long fleuve tranquille » aucune des personnes qui étaient encore en mesure de le faire n’envisage de contester la filiation faussement établie et qui, à défaut de contestation, reste la seule valable. Et elles veulent encore moins procéder à une « remise en état ». Autrement dit, ce que ces enfants et ces familles souhaitaient, c’est faire reconnaitre une vérité de fait sans incidence ni de droit, ni de vie courante. Dès lors que cela est obtenu par le jugement, on peut penser que leur préjudice est réparé et qu’aucune allocation de dommages-intérêts supplémentaire ne se justifie. On aimerait bien savoir, en effet, sur quelles bases s’appuyaient les demandes initiales qui, nous dit-on portaient sur douze millions d’euros sans qu’on en sache davantage sur les personnes dont elles émanaient ni sur les dommages qui étaient invoqués. En dehors de la volonté de profiter d’une situation pour faire une bonne affaire, ce qui n’est pas encore un motif légitime d’indemnisation, on ne voit guère.

Il est vrai qu’une des deux familles justifie d’un préjudice réel dans la mesure où le teint halé de l’une des deux enfants a donné lieu à des quolibets qui ont fait dire à des gens très intelligents qu’elle était « la fille du facteur ». Il est clair, dans ce cas, que l’enfant et ses deux parents sociologiques ont subi un préjudice de réputation qui doit être réparé. Il est clair aussi que l’attribution, par le tribunal, de 100.000€ à chacun d’entre eux est une réparation adaptée. Mais qu’en est-il des autres personnes qui se prétendent intéressées ?

En l’état actuel des informations médiatiques, l’autre enfant et ses parents sociologiques n’apportent la preuve d’aucun préjudice particulier. C’est pourquoi il est aberrant de leur attribuer un montant de dommages-intérêts identique à celui reconnu à la première famille qui prouve, elle, un préjudice spécifique.
Quant aux frères et sœurs, de part et d’autre, on cherche vainement de quoi ils peuvent se plaindre. Quand des parents biologiques décident d’adopter un enfant supplémentaire, leurs enfants par le sang ne peuvent élever aucune critique ni aucune revendication. Or on ne se trouve même pas ici dans une situation analogue : les parents dont les enfants ont été échangés ne veulent rien changer ni en droit, ni à la réalité des choses ; ils ne procèdent même pas à une adoption de fait de l’enfant qui ne serait pas le leur puisque la filiation des enfants en cause, pour inexacte qu’elle soit biologiquement, demeure juridiquement inchangée. Pourquoi dès lors leurs enfants biologiques devraient-ils recevoir 25000€ chacun ? Ils ont jusqu’à présent vécu avec quelqu’un qu’ils considéraient comme leur sœur ; ils continuent à vivre avec elle et juridiquement, comme sociologiquement, cette personne est toujours leur sœur. En outre et en admettant que certains puissent être perturbés, il est probable que cet état de perturbation varierait selon les individus. L’attribution uniforme de 25000€ ne répond donc pas à la finalité d’indemnisation de la somme attribuée.

Car cette affaire est aussi l’occasion de s’arrêter sur une déviance de plus en plus évidente des parties, dans leurs demandes, mais aussi des juridictions, dans leurs décisions, quant à l’attribution de dommages-intérêts : découverte de préjudices d’une nature de plus en plus variée, pour ne pas dire fantaisistes (préjudice d’attente, d’angoisse, etc…) ; attribution à des personnes de plus en plus nombreuses et de plus en plus éloignées de la source du dommage et, enfin, fixation de barèmes objectifs pour l’indemnisation de préjudices autres que matériels alors que ces situations devraient donner lieu à une évaluation strictement individuelle, beaucoup plus fine et toujours justifiée. On le voit tout particulièrement dans les indemnisations délirantes, dans leur principe et leur montant, qui sont attribuées dans le cadre d’accidents collectifs, notamment de moyens de transport. La mort d’un enfant est toujours un cataclysme mais l’argent y peut-il quelque chose ?

L’indemnisation du préjudice moral était, il n’y a pas si longtemps encore, contestée dans son principe même. Ce principe étant aujourd’hui admis, il va néanmoins de soi que son absence totale d’objectivité impose aux juridictions d’être raisonnables.
Raisonnables, d’abord, dans le montant attribué qui doit rester largement symbolique : le chagrin n’a pas de prix.
Raisonnable, ensuite, dans le nombre des personnes qui peuvent faire état d’un semblable préjudice. Les parents et les frères et sœurs, paraissent devoir être recevables, les grands-parents, en tant que tels, commencent à poser quelques problèmes et l’on doit s’arrêter là, sauf justification spécifique (enfant unique ayant développés des liens particuliers avec des cousins de son âge ou nourrice ayant pris en charge un enfant depuis sa naissance, par exemple). Or, en matière de perte d’enfants, les tribunaux vont allègrement jusqu’aux arrières grands-parents, aux oncles et aux cousins : dix-huit personnes pour un seul enfant dans une affaire dont nous avons eu récemment connaissance.
Enfin, le droit à indemnisation ne saurait aller de lui-même, en fonction d’une qualité juridique et doit donner lieu à une justification sérieuse. Même pour les pères et mères, pour lesquels cela parait le plus naturel, une vérification s’impose. Il ne manque pas, en effet, de parents qui, séparés de l’autre parent ne se préoccupent plus de l’enfant commun, cessent de le voir et naturellement de participer à son entretien. Il serait tout à fait inadmissible que ces parents soient indemnisés d’un préjudice d’affection qu’ils auraient si mal exprimée du vivant du défunt au seul nom de leur lien de parenté. Quant aux frères et sœurs, il n’y a pas de commune mesure entre un frère d’un âge comparable à celui de l’enfant décédé qui partageait avec le défunt ses activités, ses amis et peut-être sa chambre, un bébé de moins de trois ans qui ne s’est probablement rendu compte de rien ou un grand frère ayant lui-même sa propre famille. Toutes ces indemnisations doivent donc donner lieu à une appréciation et des explications détaillées pour aboutir à des sommes différentes.
Ceci pour dire qu’il s’impose de lutter contre l’instauration de barèmes basés, tant sur des critères objectifs de liens familiaux que sur des montants financiers ainsi que l’a fait le Tribunal de Grasse accordant la même indemnisation aux deux familles d’enfants échangés alors que leurs situations paraissaient, au moins d’après ce que l’on en sait aujourd’hui, tout à fait différentes. Ce n’est pas parce que les compagnies d’assurance établissent de semblables barèmes, ce qui peut se comprendre dans la logique mercantile qui est la leur et qui n’a, en soi, rien de répréhensible, que des juridictions statuant au nom du Peuple Français et qui n’ont pas les mêmes objectifs, doivent se laisser aller aux mêmes dérives.

Reste une certaine tentation des juridictions, dans laquelle le Tribunal de Grasse ne semble pas être tombé, mais qu’on constate dans d’autres décisions où, après avoir noté qu’un résultat s’étant manifestement et malheureusement produit, des tribunaux pensent qu’il relève de leur état de procurer à des familles, qu’ils estiment plus modestes que les auteurs des faits (cliniques, entreprises de transport et leurs compagnies d’assurance), le plus d’argent possible, en le prenant à ces « riches » fautifs. Une telle « justice de classe » constitue une violation de la loi et une conception de l’équité qui, étant nécessairement variable, selon les individus et donc selon les magistrats, ne peut qu’instaurer entre les justiciables des inégalités de traitement parfaitement injustifiées