MORT DE LA THEORIE DE LA PEINE JUSTIFIEE ???

Depuis quelques semaines, les rubriques de procédure pénale des revues classiques bruissent de murmures aux termes desquels une vénérable vieille compagne de route de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, connue sous le nom de Théorie de le peine justifiée aurait été abandonnée dans les épaves juridiques par la même Chambre criminelle.

Et plusieurs praticiens m’ont contactée directement pour connaitre mon avis.

Compte tenu de l’importance de la question et du fait qu’une nouvelle édition de ma procédure pénale n’est pas prévue avant quelques temps, j’estime pouvoir répondre ici.

Je vais cependant devoir encore une fois (la 2ème ou la 3ème ?) présenter des excuses à ceux qui suivent ce blog pour se tenir informés sans trop de prise de tête de l’actualité pénale. Ici on va battre les records précédents de technicité. Mais pour tenter de maintenir une balance, je préviens tout de suite les juristes que je ne donnerai pas des références qui sont accessibles partout.

 

Depuis le début du XIXe siècle (on a l’habitude faire remonter cette jurisprudence aux années 1830), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a adopté une position prétorienne selon laquelle elle peut rejeter les pourvois formés devant elle pour des décisions rendues sur le fond, même si les décisions déférées sont erronées, du moment que l’erreur commise n’a pas eu d’incidence sur la peine prononcée. Elle estime, en effet, que la peine qui est prononcée par la décision annulable étant la même que celle qui aurait pu l’être, sans l’erreur de droit commise, la décision critiquée n’a pas porté préjudice au plaignant qui n’a donc pas intérêt à agir : une condamnation à un an d’emprisonnement pour escroquerie est justifiée même si les faits constituent un vol car la peine d’un an aurait pu être prononcée sous cette qualification correcte. La Cour de cassation se borne donc, dans ce cas, à redresser l’erreur commise et à rejeter le pourvoi sans cassation ni renvoi.

Cette jurisprudence s’est assise sur deux articles (411 et 414) du Code d’instruction criminelle regroupés à l’identique dans l’article 598 du Code de procédure pénale et selon lequel l’annulation doit être évitée en cas d’erreur « dans la citation du texte de loi ». Il est clair, qu’est seule envisagée ici, l’erreur matérielle commise dans la citation de la loi (remplacement d’un numéro d’article par un autre) et non les erreurs de fond. Mais la Chambre criminelle ne s’en est jamais tenue là. Elle rejette, en effet, non seulement les erreurs de qualification que nous avons utilisées comme exemple, mais aussi (et ce ne sont que quelques exemples) les confusions de rôle entre les co-auteurs et complices ou encore les erreurs commises dans des poursuites sur qualifications multiples ou des circonstances aggravantes multiples du moment qu’une d’entre elles, au moins, correspond à la peine prononcée ou encore si l’erreur de qualification a profité à la personne poursuivie en lui faisant attribuer une peine inférieure à celle encourue sur la qualification exacte.
Pour que la chambre criminelle casse un arrêt rendu sur le fond il faut donc une erreur de qualification ou s’attachant aux faits ou aux personnes et ayant eu une influence sur les limites de la peine.

Si l’on met de côté l’intérêt, jamais négligeable, de la réduction du contentieux, la théorie de la peine justifiée n’a que des défauts ce qui fait qu’elle s’est exposée de tout temps à de graves critiques unanimes (ce qui est rare) de la doctrine pénaliste (y compris, parfois, nous allons y revenir, celle émanant de magistrats). Une première remarque s’impose : pour avoir résisté à cette déferlante depuis cent quatre-vingts ans, il faut avoir une solide santé.

La première critique que l’on peut faire est que la théorie n’a pas la moindre base textuelle sérieuse. La seconde, traditionnelle de tout ce qui est jurisprudentiel, est l’incertitude et la tendance à l’extension bien compréhensible dans la mesure où la Cour de cassation, inventeur du système, en est aussi le bénéficiaire. La troisième est de confondre intérêt de droit et immédiat et intérêt de fait et à plus long terme. Même si une erreur de qualification est, en droit, sans influence immédiate sur la peine qui pouvait être prononcée, il est inexact de dire qu’il est, en fait, sans intérêt, d’être condamné sous telle ou telle qualification qui peut avoir une connotation sociale variable et particulièrement pour une infraction génériquement plus grave (un délit) que celle réellement commise (une contravention). Pis encore, il ne peut être sérieusement dit qu’il est indifférent d’être condamné pour une seule infraction ou pour plusieurs. De plus, la solution n’est pas, quoiqu’on en dise, sans effets juridiques défavorables car la décision jugée conforme, grâce à la théorie de la peine justifiée, voit son pourvoi rejeté et acquiert donc l’autorité de la chose jugée. Les qualifications retenues, pour fausses qu’elles soient, n’en doivent pas moins avoir leurs effets habituels en termes d’incapacité et de récidive, par exemple
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Pour répondre à ces critiques, et dans un premier temps, la Cour de cassation s’est efforcée quelquefois (et très vite: 1837, 1847) d’inclure dans son arrêt de rejet une disposition selon laquelle l’arrêt dont le pourvoi était rejeté n’entraînerait aucune conséquence d’aggravation (notamment en matière de récidive). Mais il s’agissait là d’un vœu pieux qui n’avait pas plus de base sérieuse que le raisonnement qui y avait conduit et ne pouvait donc s’opposer au jeu normal de l’autorité de la chose jugée accordée à une décision devenue définitive.

Jusqu’à il y a une quinzaine d’année, aucune question ne se posait sur l’application d’une jurisprudence que personne n’avait réussi à abattre. Il est vrai qu’il se pose aujourd’hui cette question.

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation, qui est censée avoir une autorité particulière et être suivie par les décisions postérieures des chambres statuant seules, a rendu en 2005 une décision prononçant une cassation pour le tout dans une espèce où une seule déclaration de culpabilité était irrégulière et alors que d’autres, retenues à la charge de la même personne, justifiaient la peine prononcée. Elle rejetait donc (mais sans le dire expressément) la théorie de la peine justifiée. Malheureusement pour la bonne compréhension du « revirement », la Chambre criminelle ne s’inclinait pas et rendait, en 2009, un arrêt qui ne s’explique que par la théorie de la peine justifiée. Enfin, en 2018, la Chambre criminelle, dans une situation de fait très comparable à celle de 2005, reprend la même jurisprudence.

Faut-il en conclure pour autant, comme le font certains commentateurs un peu pressés, que la Chambre criminelle a renoncé tacitement mais certainement à la théorie de la peine justifiée ?

Rien n’est moins certain.

D’abord parce qu’il est clair qu’aucun arrêt n’a expressément rejeté la formule.
Ensuite parce qu’il est aventureux de se contenter d’une attitude tacite sur une jurisprudence aussi ancienne et tellement répétée.
Encore parce qu’il ne faut pas oublier que celui (Maurice Patin) qui écrivait en 1936 dans sa thèse de doctorat consacrée à la peine justifiée « J’ai compris un jour qu’il y avait dans le principe…quelque chose de profondément inhumain qu’il n’est pas possible de ne pas prendre en considération…Il n’est pas démontré que l’abandon de la théorie de la peine justifiée soit de nature à énerver la répression, à multiplier le nombre des cassations dans des conditions telles que le bon fonctionnement de la justice criminelle en serait compromis », s’est bien gardé, une fois devenu Président de la Chambre criminelle (et quel président !) de toucher à la méthode et oh combien !
Enfin parce que, beaucoup plus récemment, la même Chambre criminelle a refusé par deux fois de renvoyer au Conseil constitutionnel des QPC qui critiquaient l’application de la théorie de la peine justifiée ce qu’elle n’aurait pas manqué de faire si elle avait véritablement voulu se débarrasser du problème.

La position la plus raisonnable consiste donc à attendre une décision formelle dans un sens ou dans un autre pour savoir ce qu’il en est et je ne peux donc que faire deux choses en conclusion:

1) Inciter les praticiens à ne pas renoncer à invoquer dans leurs écritures la théorie de la peine justifiée si elle peut être utile à leur défense : la morte remue encore beaucoup.

2) Tout en prenant acte de l’affreuse démagogie qui fait périodiquement réclamer que les textes de lois et les décisions de justice soient directement accessibles à tout un chacun (et que l’on verra sans doute refleurir, pour peu qu’il s’intéresse au droit et à la justice, dans le grand débat national), supplier la Chambre criminelle de la Cour de cassation qu’elle veuille bien, lorsqu’elle rend une décision de principe et surtout s’il s’agit d’un revirement sur près de deux siècles de jurisprudence, motiver ses décisions de façon telle que ses interprètes naturels comprennent ce qu’elle veut dire au lieu de se livrer à un « implicite très explicite (!) dont a cru devoir se fendre un commentateur magistrat dans une revue spécialisée à propos de la dernière décision.

LE MARRONNIER PENITENTIAIRE

Parmi ce que les journalistes appellent les « marronniers » de l’été surgit d’année en année le (s’il n’y en avait qu’un !) problème pénitentiaire et les journaux nous font l’inventaire de l’évasion digne d’un film hollywoodien de Rédoine Saïd, de celle moins spectaculaire mais plus triste des deux frères pieds nickelés de la prison de Colmar (dont l’amateurisme est démontrée par leur reprise rapide) qui n’a pourtant pu se réaliser que parce qu’une alarme n’a pas fonctionné et de celle d’une « détenue » qui l’était sans barreaux mais dans une cellule tout de même pourvue d’une fenêtre à sa taille.

Mais il ne s’agit que d’arbres qui cachent la forêt et beaucoup plus préoccupants, parce que moins spectaculaires mais quotidiens sont les atteintes au personnel pénitentiaire et surtout, sans qu’on puisse sérieusement le reprocher au dit personnel, compte tenu de ses conditions de travail, le laxisme de la surveillance à la fois matériel et institutionnalisé.

Car il ne faudrait pas se dissimuler que si Redoine Saïd a pu s’échapper au rythme d’un travail de commando, c’est parce qu’il y avait eu une longue mise en place et donc d’abondantes communications interdites ou non surveillées. Et si, dernier en date des avatars pénitentiaires, l’ineffable Booba peut après avoir « foutu le bordel » (je ne fais qu’utiliser une formule du Président de la République) à l’aéroport d’Orly en gênant un nombre considérable de voyageurs et de commerçants, parader devant ses suiveurs des réseaux sociaux c’est parce qu’il possède en prison un téléphone portable qui ne devrait pas y être.

Car identifier les problèmes est une chose ; savoir comment y remédier en est une autre. Et de ce point de vue l’imagination des responsables comme des politiques est bien limitée.

Tout le monde pointe l’insuffisance du parc pénitentiaire et épilogue à longueur de colonnes sur le nombre de constructions de nouvelles places nécessaires et promises par tel ou tel en campagne électorale avant d’être réduit ou annulé par la suite. Il est bien difficile de contester, sur le fond, cette analyse, mais en admettant que ce soit utile, il ne faut pas oublier que la construction d’une prison demande un délai de 5 ans une fois la décision prise. Doit-on se satisfaire de la situation actuelle pendant ce délai, qui n’a pas encore commencé à courir, ou ne faut-il pas rechercher des moyens moins spectaculaires mais plus efficaces de pallier certains problèmes ?

C’est ce que prétend faire le Garde des Sceaux qui entend régler le problème pénitentiaire en n’incarcérant plus ou en tout cas beaucoup moins et l’on nous ressort la panoplie des peines de substitution.
Je n’ai personnellement rien contre la plupart d’entre elles une fois entendu que j’aimerais que nous cessions de nous ridiculiser avec des « rappels à la loi » (est-il bien utile de rappeler à qui que ce soit, qu’il ne faut ni porter atteinte à l’intégrité corporelle de son voisin, ni lui voler son bien, ni abuser de sa propre situation pour se remplir les poches, etc… etc… ?) ; des stages de sensibilisation (que fait-on dans un stage de sensibilisation à l’achat d’actes sexuels – Sic ?) et cerise sur le gâteau avec une « sanction »-réparation. Étant donné que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, « condamner » quelqu’un à réparer le préjudice causé par son infraction revient à le déclarer coupable et à le condamner à rien.
Pour le reste, les exécutions de peine en milieu libre ne peuvent certainement pas être utilisées d’une façon générale. Le port d’un bracelet électronique n’empêche personne d’organiser, de diriger et de profiter de la commission par d’autres de toutes les sortes d’infractions imaginables et ne gêne en rien du tout la commission de certaines d’entre elles comme le trafic de drogue, par exemple (ce sont les clients qui se déplacent). Nous en revenons éternellement au problème que « le » délinquant n’existe pas et qu’il convient de distinguer, la distinction qui a ma faveur étant celle des infractions qui atteignent ou menace l’intégrité d’autrui et des autres, seule la première me paraissant relever de la prison mais toutes celles qui appartiennent à la catégorie. Or, d’une part, les aménagements de peine ne sont pas juridiquement limités aux infractions autres que de violence, ce qui devrait être fait et, d’autre part l’expérience prouve qu’ils sont, en pratique plutôt appliqués aux auteurs de ces infractions-là et notamment aux auteurs de vols, y compris lorsque ceux-ci ont été commis avec une violence surajoutée à celle qu’ils constituent déjà en eux-mêmes (Voir, sous ce Blog, « Attention vol »).
L’utilisation des alternatives à la poursuite, les procédures rapides, le jugement à juge unique, la correctionnalisation, l’aménagement des peines et leur allègement, quand il arrive qu’il en soit prononcé, devraient être exclus pour les infractions de violence au moins à partir d’un certain nombre de commissions de celles-ci. Compte tenu de leur passé, je persiste à ne pas comprendre comment Lahouaiej Boulhel, auteur du massacre de Nice et Amedy Coulibaly de celui du supermarché pouvaient être en liberté au moment de leurs exploits. Or les peines de substitution sont le « remède » que les projets de réforme semblent privilégier et sans les distinctions qui seraient utiles.

La construction de prisons étant souhaitable mais trop longue et les moyens de ne pas faire entrer ou de faire sortir les délinquants de prison devant être utilisés avec discernement, devons-nous nous résigner devant la situation actuelle ? Non car il existe au moins deux moyens, faciles à mettre en œuvre et peu couteux à réaliser, qui arrangeraient déjà pas mal de choses.

Le premier consiste, au lieu de se lamenter contre l’usage omniprésent de la drogue en prison, celui des téléphones portables en multipliant, à grands frais des brouilleurs toujours en retard d’un train sur l’évolution de la technologie et de tous autres objets dangereux et interdits à faire que tout ce qui est indésirable en prison n’y entre pas. La méthode, simple, consiste, d’abord, à rétablir ce qui n’aurait jamais dû être supprimé, au moins d’une façon quasi systématique : les parloirs sans séparation. Ajoutons que la méthode qui pourrait ne permettre la communication que par le biais d’interphones permettrait un enregistrement des conversations et faciliterait grandement le travail du renseignement pénitentiaire même quand on n’a pas le temps d’écouter en temps réel. Subsidiairement il faudrait limiter la possibilité de recevoir des colis à celle de leur fouille effective.

Le second consisterait à régler la question obsédante des transferts de détenus source d’un « sur »travail et de toute sorte de troubles et de violences. La patate chaude des escortes qui nécessitent plusieurs hommes qui pendant qu’ils font cela ne font pas autre chose (sans compter les risques d’évasion et d’atteinte au personnel) est régulièrement échangée par la police, la gendarmerie et la pénitentiaire. Il semble actuellement résolu « en faveur » de la pénitentiaire avec la création d’un corps spécifique, mais il faudrait tout de même prendre conscience que l’on est au XXIe siècle et cesser au maximum de faire sortir les détenus de prison sans raison impérieuse notamment durant la phase préparatoire de la procédure. Etant donné ce qu’est la technologie, il n’y a aucune raison d’autoriser les personnes détenues à refuser de participer à la procédure par la voie de la télétransmission. Rien n’empêche les avocats de voir librement leurs clients en prison, ni d’être présents à leurs côtés durant les auditions à distance à leur choix en détention ou auprès du juge et la méthode ne porte donc en rien atteinte à la liberté de la défense. La seule présence physique qui s’impose, lorsqu’elle est souhaitée par les intéressés, est celle à l’audience de jugement. Toutes les autres pourraient être supprimées avec l’économie des frais et des risques que représentent les transferts et la possibilité de rendre les « rangers » pénitentiaires à leur vocation première qui n’est pas de promener mais de garder.

Ce n’est pas là, une panacée mais ce ne serait tout de même pas négligeable pour contenir les dégâts et les risques que font courir nombre de détenus à la paix publique, au personnel pénitentiaire et aux autres détenus.

LA DOCTRINE PARTISANE N’EST PAS DE LA DOCTRINE (Réponse à l’éditorial du Recueil Dalloz n° 16 de 2018)

Lisant avec un certain retard l’éditorial du n° 16 du Recueil Dalloz et dans un tel état de fureur qu’à mon âge il pourrait produire des résultats regrettables (pour moi… j’ignore ce qu’éprouveraient les autres des malheurs susceptibles de m’atteindre), j’y réponds tout de suite car il est indispensable que cette fureur sorte.

On me dira que l’idéal serait de demander à Dalloz de publier cette réaction. Mais, d’une part, elle ne répond en rien au « droit de réponse » du Droit de la presse et, d’autre part, compte tenu de l’état d’esprit de plus en plus répandu dans des revues que tout le monde considéraient jusqu’à présent comme « scientifiques », j’ai peu de chance d’obtenir satisfaction (relire, une fois de plus l’éditorial de ce Blog et aussi l’éditorial en question pour être informé).

Intellectuel écrivant je ne peux pas être soupçonnée de ne pas être attachée à la liberté d’expression. Je trouve tout de même regrettable qu’une Revue laisse injurier dans un éditorial une grande partie de ses lecteurs et, en plus, deux d’entre eux, nommément cités, et qui appartiennent au nec plus ultra de la doctrine juridique française, par quelqu’un dont je n’avais pas l’heur jusqu’à présent de connaitre le nom et les travaux. Je laisse à Pierre Avril et Jean Gicquel le soin de défendre leur honneur et j’espère qu’ils le feront (à moins qu’ils n’estiment que tout ce qui est excessif est insignifiant), mais je souhaite pouvoir être en état de défendre celui d’une doctrine à laquelle je suis honorée d’appartenir.

Monsieur Chazal accuse Pierre Avril et Jean Gicquel d’avoir publié un article au Figaro pour défendre François Fillion alors qu’ils avaient été consultés par celui-ci sur la régularité de sa situation. Par là il entend que les professeurs consultés déforment le droit pour faire plaisir à ceux qui les paient et qu’en publiant, ensuite, la teneur de leurs travaux, ils manquent à l’honneur des professeurs des facultés de droit en prenant des positions partisanes et en publiant ce qu’ils avaient écrit « sur commande ».

Ce pauvre Monsieur Chazal ne comprend décidément rien à rien.

I . Qu’est-ce qu’une consultation ?

C’est un avis objectif (OBJECTIF) appliquant le droit positif à un cas particulier.

J’ai donné beaucoup de consultations et rendu quelques rapports officiels. Je n’ai jamais rien écrit « sur commande ». Quand on me demande une consultation je réponds au demandeur que je suis incapable d’avoir une opinion sur un dossier tant que je ne l’ai pas lu et que, par conséquent, je ne lui promets nullement que ce que je vais écrire corresponde à ce qu’il souhaite. Je suis bien convaincue que la moitié des consultations que j’ai données ne correspondait pas du tout à ce que voulait le demandeur et qu’il en a fait des cocottes en papier. Cela ne me concerne nullement, l’intéressé était prévenu et mon honneur est sauf : je ne travaille pas « sur commande ». J’ai du mal à croire que d’autres de mes pairs le fassent.

Quand on me demande quel est mon bien le plus précieux je réponds que c’est ma réputation scientifique. Il faudrait être inconscient pour mettre celle-ci en danger pour quelques centaines, milliers et même dizaines de milliers d’euros, de même que pour des affinités politiques ou autres. Je défie toute personne de trouver la moindre faille entre les consultations que j’ai pu donner et ce que j’ai publié dans des articles ou livres scientifiques. Et je suis bien convaincue qu’il en est de même de la quasi-totalité de la profession. Si ce qu’il exprime est la conception de cette profession qu’a Monsieur Chazal c’est infiniment triste pour lui et pour elle.

Je sais que Monsieur Chazal déclare qu’il ne croit pas à la neutralité de la doctrine, pense que les opinions des auteurs influencent nécessairement leurs analyses et regrette seulement un mélange des genres. L’ennui c’est que c’est lui qui mélange. Le professeur des facultés de droit est un citoyen comme les autres qui a le droit d’avoir des opinions, philosophiques, idéologiques et politiques et de les exprimer dans les formes qu’elles impliquent (le droit de vote, par exemple ou des comités de soutien). Le Professeur des facultés de droit, quand il enseigne ou publie, enseigne le droit positif qui ne se prête, à aucune distorsion. S’il en modifie l’exposé pour le faire coller à ses opinions, ce n’est plus un professeur des facultés de droit, c’est un militant ; les étudiants le savent très vite et lui accordent, par leur absence à ses cours, l’intérêt qu’il mérite. Enfin, le professeur des facultés de droit peut, dans ses cours et dans ses travaux et après avoir exposé le droit positif, critiquer celui-ci et proposer des réformes, mais la distinction est alors parfaitement claire et ne se prête à aucun mélange des genres.

II. Que peut-on faire après une consultation ?

Élevée au monde du droit par Robert Vouin, j’ai toujours appliqué la méthode qui était la sienne et qu’il m’avait recommandée.
Chaque fois que j’ai été consultée dans une affaire qui a donné lieu, ensuite, à une décision de justice, j’ai toujours annoté la décision en question. C’est ce que Monsieur Chazal considère comme intellectuellement malhonnête alors que nous y voyions Robert Vouin et moi, le summum de l’honnêteté intellectuelle. Quelle meilleur moyen existe, en effet, de montrer à la communauté scientifique que ce que l’on a écrit dans une consultation on ne l’a pas fait pour faire plaisir à quelqu’un qui vous était cher ou qui vous avait payé pour le faire, mais qu’on y croit, au point de le publier sous son nom et son titre en destination de la communauté de ses pairs ? C’est ce qu’ont fait Pierre Avril et Jean Gicquel même si le Figaro n’est pas une revue scientifique (distinction de plus en plus floue depuis que les revues dites « scientifiques » ce sont mises à faire de la politique) ce qui ne modifie en rien le principe.

Après de longues années de pratique l’article de Monsieur Chazal aura eu au moins l’intérêt de me faire comprendre le sens de la réflexion que m’ont parfois faites des magistrats rencontrés çà et là et selon laquelle « vos consultations, on les lit » avant d’ajouter « ce n’est pas le cas de tout le monde ». Il faut, hélas en conclure, que le point de vue de Monsieur Chazal n’est pas entièrement infondé. Espérons que même en l’ajoutant à la liste, il demeure fortement minoritaire.

CONFUSIONS SUR L’AGE ET LA SEXUALITE

Cela fait déjà plusieurs semaines qu’il ne se passe pas de jour sans qu’un media ne s’interroge doctement sur ce que doit être l’âge d’une prétendue majorité sexuelle qui serait celui au-dessous duquel l’auteur d’une infraction sexuelle en serait automatiquement présumé coupable parce que la victime n’aurait pas pu consentir.

Cette façon de présenter les choses témoigne d’un confusionnisme peut être pardonnable pour des non-juristes mais qui, hélas n’est pas non plus étranger à certaines personnes qui prétendent l’être.

Si nos sociétés développées ont jugé utile de spécialiser les diverses branches de leur droit, c’est parce que celles-ci doivent répondre à des objectifs particuliers. Dans cette perspective la question posée intéresse le droit pénal dont, malheureusement, on tend de plus en plus à ignorer ou nier l’objectif social spécifique, ce dont la question ici posée fournit un éclatant exemple.

Le droit pénal n’est pas fait pour protéger les victimes et cela d’autant moins que nombre d’infractions pénales atteignent directement l’ordre public et ne sont pas susceptibles de faire des victimes individuelles, mais pour traiter le cas des coupables : les punir, neutraliser leur dangerosité et, autant que fait se peut, éviter qu’ils ne recommencent. La protection des victimes privées, s’il y en a, dans le cadre de l’infraction considérée, relève naturellement d’une impérieuse nécessité mais elle doit être traitée par les branches du droit dont c’est la vocation, c’est-à-dire, selon les cas, le droit civil de la responsabilité civile, de l’état des personnes ou de la famille ou le droit de l’aide sociale.

Dans le cadre des infractions sexuelles, la question de l’âge à considérer n’est donc pas celle de savoir s’il existe une majorité sexuelle au-delà de laquelle les mineurs pourraient avoir librement les relations sexuelles qu’ils veulent avec qui ils veulent. La question de la fixation d’une majorité relève du droit civil de l’état des personnes et elle ne varie pas selon l’activité considérée : scolaire, sportive, artistique, politique, etc… et sexuelle. Un mineur de dix-huit ans n’a pas le droit d’avoir une activité sexuelle, quelle qu’elle soit, si le titulaire de l’autorité parentale n’y consent pas expressément ou tacitement. Des parents peuvent interdire toute activité sexuelle à leur enfant mineur de dix-huit ans et prendre toutes les dispositions légales pour l’en empêcher si l’enfant ne parait pas adhérer à cette façon de voir les choses : le mettre en pension, l’éloigner, contrôler son courrier, etc… Et si quelqu’un qui sait que les parents d’un mineur de dix-huit ans sont opposés à ce que leur enfant ait des relations sexuelles, en a ou continue d’en avoir avec lui, il commet une faute qui engage à leur égard, sa responsabilité civile.
Il faut donc cesser d’invoquer une majorité sexuelle différente de la majorité civile et qui n’existe pas.
Ce qui amène les non-juristes à soutenir cela est que les actes de nature sexuelle non violents et qui ne sont pas le fait d’une personne ayant autorité ne sont pas incriminés s’ils sont commis sur un mineur de plus de quinze ans. Cela ne signifie pas, cependant qu’un mineur de plus de quinze ans a le droit d’avoir des relations sexuelles parce qu’il serait sexuellement majeur, ce qu’il n’incombe pas au droit pénal de décider, mais que dans le cadre de sa vocation propre (déterminer qui est au non socialement dangereux) le droit pénal estime que la personne qui a des relations sexuelles normales et consenties avec un mineur de quinze à dix-huit ans ne présente pas un danger social suffisant pour son comportement constitue une infraction pénale. On ne voit aucune véritable raison de modifier cela. Surtout dès lors que les parents peuvent en décider autrement.

La question qui se pose dans le droit pénal des infractions sexuelles est tout autre et dépend de la définition de ces infractions et de l’opposition classique entre les agressions et les atteintes sexuelles. L’agression sexuelle est le rapport sexuel imposé par la violence, la contrainte, la menace ou la surprise qu’il vaudrait mieux, d’ailleurs, définir comme l’acte de nature sexuelle auquel la victime n’a pas consenti. Elle constitue un crime (viol) ou un délit grave (agression sexuelle). L’atteinte sexuelle est un acte de nature sexuelle qui n’est pas imposé. Il est punissable moins sévèrement que l’agression s’il est commis sur une victime de moins de quinze ans et, sauf circonstances particulières, ne l’est plus au-delà de cet âge.
La question qui a été la plus controversée, dans les dernières années, quant à l’absence de consentement de la victime, a été celle de l’influence que l’âge de celle-ci est ou non susceptible d’exercer sur un éventuel consentement, autrement dit, comment se fait la distinction entre agression sexuelle et atteinte sexuelle quand la victime est mineure de quinze ans.
Dans cette perspective et selon le bon sens, il conviendrait de distinguer. Si l’enfant est hors d’état de comprendre la portée de ses actes, on doit considérer qu’il ne peut y consentir. Cette considération ne dépend pas d’un âge préfixé mais d’une appréciation de la situation de fait, quant au discernement de l’enfant. Si l’enfant ne peut pas comprendre ce qu’est la sexualité, l’absence de consentement de sa part est automatiquement établie et l’acte commis à son égard est réputé violent et constitue donc une agression. Dès que l’enfant est en mesure de comprendre ce qu’il fait, son âge ne constitue plus, à lui seul, l’absence de consentement. Il faut, pour retenir une agression sexuelle, établir une contrainte qui doit alors être fondée sur des circonstances de même nature que s’il était adulte. A défaut l’auteur des faits ne peut se voir reprocher qu’une atteinte sexuelle.
La jurisprudence avait, d’abord admis que l’absence de consentement résultait de plein droit de l’âge des mineurs victimes lorsque celui-ci était suffisamment peu élevé pour que les enfants ne puissent avoir aucune idée de ce qu’est la sexualité ce qui les rendait incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés et, par conséquent d’y consentir. Puis, plusieurs décisions de la Chambre criminelle, considérées par leurs commentateurs comme des décisions de principe, sont venues assurer, au contraire, que l’absence de consentement ne peut être déduite du seul âge des victimes et qu’il fallait dans tous les cas établir la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Cette position n’a cependant pas emporté l’adhésion des cours d’appel qui continuaient à considérer, avec un certain bon sens, qu’il n’y a pas de consentement possible, en pratique, pour des enfants de moins de six ans. La Chambre criminelle a, d’abord, semblé moins ferme dans certaines décisions où elle a validé des arrêts de renvoi en cour d’assises qui semblaient bien uniquement justifiés soit par l’âge de la victime soit par l’ignorance de celle-ci en matière de sexualité (cinq ans et demi), même si la Chambre criminelle croyait devoir s’en défendre dans la lettre de ses arrêts. Puis, elle a franchi le pas en jugeant que justifie sa décision la cour d’appel qui, pour déclarer un prévenu susceptible d’être coupable d’actes sexuels commis avec violence, contrainte, menace ou surprise sur trois mineurs âgés d’un an et demi à cinq ans, énonce que l’état de contrainte ou de surprise des victimes résulte de leur très jeune âge qui les rendait incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés. Au contraire, des âges compris entre onze et treize ans étaient jugés suffisants pour établir le discernement et donc le consentement et transformer l’agression sexuelle en atteinte sexuelle, les âges intermédiaires n’ayant pas été soumis à la jurisprudence.
Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas de dire que les auteurs d’actes sexuels non violents commis sur des mineurs de onze ans ou treize ans ne commettent pas d’infractions pénales, mais que celles-ci sont réputées moins graves que si les victimes étaient inconscientes de la situation et ne constituent que des atteintes sexuelles.
Ce sont ces âges qui sont aujourd’hui l’objet de toutes les critiques certains proposant de réputer, par la voie légale, l’absence de consentement jusqu’à treize, voire quinze ans et donc de retenir systématiquement l’agression sexuelle sans s’interroger sur le discernement de la victime dès lors qu’elle a moins que cet âge.

Ce point de vue peut se comprendre, mais à condition, une fois encore, de resituer convenablement le problème compte tenu de l’objectif du droit pénal. La vraie question n’est pas, en effet, de savoir si une victime mineure peut ou non consentir à avoir des relations sexuelles mais celle de savoir jusqu’à quel âge de la victime une personne qui a des rapports sexuels avec un mineur présente une dangerosité particulière qui doit faire réputer l’infraction commise par elle plus ou moins grave.
Or et la chose est suffisamment peu courante pour être relevée : tous les criminologues sont, pour une fois, d’accord pour considérer que cet âge se situe à treize ans. On peut donc se déclarer favorable à une modification des normes légales actuellement retenues et réputant désormais agression tout acte sexuel commis sur un mineur de treize ans, mais certainement pas comme on s’apprête à le faire.
Il est indispensable de distinguer, dans leur définition, les agressions sexuelles sur adultes ou sur mineurs. Rien n’est à modifier en ce qui concerne les adultes, si ce n’est la précision que les articles actuels du Code pénal ne concernent désormais plus que les victimes de plus de treize ans. Il faut ajouter un article du Code spécifique aux mineurs de treize ans et précisant que tout acte de nature sexuelle est considéré comme une agression dès lors qu’il est commis sur un mineur de cet âge. Il faut préciser que les atteintes sexuelles concernent les mineurs de treize à quinze ans et conserver le régime actuel pour les mineurs de plus de quinze ans.
Mais il faut cependant être bien conscient de ce que l’on fait. Même si l’on reprend le problème comme il doit être pris, c’est-à-dire par rapport à l’auteur des faits, il n’en demeure pas moins que réputer agression sexuelle tout acte commis sur un mineur de treize ans constituera une présomption de culpabilité au-dessous de cet âge et que la Cour européenne des droits de l’homme n’aime pas ces présomptions et ne les admet que jusqu’à une preuve contraire dont on voit mal ici ce qu’elle pourrait être.

POLICE

Plusieurs personnes m’ont fait savoir, par des vecteurs divers, qu’ils regrettaient le silence, il est vrai prolongé depuis plusieurs mois, de ce blog. Si je suis sensible à leur intérêt et les en remercie, je souhaite aussi :
1) Leur rappeler l’éditorial du Blog et leur suggérer de le (re)lire.
2) Leur dire qu’en 2017 j’ai publié la 4ème édition de mon ouvrage de Droit pénal général et la 3ème édition de mon ouvrage de Procédure pénale et donné à Dalloz le texte de la 8ème édition de mon ouvrage de Droit pénal spécial. Il est surement possible de faire plus et mieux, mais pas pour moi.
3) Signaler en passant que je viens de consacrer quelques jours à un séjour dans un hôpital parisien dont je suis ressortie avec le ferme conseil de lever le pied ce dont quelques mauvais esprits diraient que c’est sans doute la raison pour laquelle je m’empresse de faire le contraire, ce qui ne serait pas tout à fait exact.

La raison de ces très brèves observations, au-delà de la volonté de dire à ceux que cela intéresse, que je suis toujours là, tient aux événements survenus dans la nuit de la Saint-Sylvestre et aux réactions qu’ils ont suscitées.

Il est, d’abord assez surprenant d’entendre un Ministre de l’Intérieur qui pourtant n’est pas des plus mauvais, déclarer que les festivités de la Saint-Sylvestre se sont globalement bien passées avec très peu d’incidents à déplorer quand on sait qu’il y a eu 1031 véhicules incendiés et 510 personnes arrêtées alors qu’il n’y en avait eu, l’année précédente avec un autre Président, un autre gouvernement et un autre ministre de l’intérieur, que 935 et 456. Ajoutons qu’il est grave qu’un ministre de l’intérieur qualifie des incendies volontaires d’« incidents » alors qu’ils constituent des infractions que le Code pénal de 1992 a eu le grand tort de disqualifier en délit et non plus en crime alors que c’est le moyen de plus efficace pour tuer le plus de personnes possibles entre les victimes visées, les secouristes et les passants.

Mais c’est surtout ce qui s’est passé à Champigny qui ne peut permettre à personne ayant un tant soit peu à voir avec la sécurité et la justice de ne pas se manifester et surtout pour en rechercher les causes.

Le 18 mai 2016 quelques criminels (au sens exact du terme, je vais y revenir) avaient jeté, dans un véhicule de police un fumigène qui embrasa la voiture dont l’occupant réussi à s’extirper sans faire usage de son arme. Le 19 septembre 2017, les agresseurs ont été jugés par le tribunal correctionnel de Paris ce qu’aucun professeur des facultés de droit ne peut réussir à comprendre tant les faits constituaient, à l’évidence, selon les principes les mieux établis du droit pénal général, du droit pénal spécial et de la procédure pénale, une tentative de meurtre relevant de la cour d’assises.
Certes, il est toujours difficile de prouver la volonté de tuer qui permet de retenir l’homicide ou la tentative d’homicide volontaire puisqu’elle relève du for interne. C’est pourquoi la jurisprudence a mis au point un principe permettant de déduire cette volonté de la constatation de certains faits. La jurisprudence dominante déduit, en effet, l’intention coupable de la coexistence de l’emploi de certains moyens particulièrement dangereux ou efficaces et donc susceptibles d’entrainer la mort lorsqu’ils atteignent certaines parties du corps : tirer une balle dans le cœur de quelqu’un démontre qu’on voulait tuer la victime. Il est dès lors parfaitement clair que mettre le feu à un véhicule contenant une ou plusieurs personnes qui réunit l’utilisation d’un moyen particulièrement dangereux (un incendie) qui menace la vie des occupants du véhicule est une tentative de meurtre. Au résultat de l’étrange qualification retenue, comprise du seul parquet qui a diligenté les poursuites, la plus grave des peines prononcées a été de sept ans d’emprisonnement (mais avec seulement trois ans fermes lesquels se sont transformés en vingt-six mois au résultat de la déduction de la détention provisoire).
Si cette attitude ne peut être comprise des juristes confirmés, elle a, en revanche été reçue cinq sur cinq par les voyous concernés car nous nous trouvons dans la même situation à Champigny ou il est possible de penser que la perspective de la cour d’assises aurait possiblement limité l’enthousiasme des assaillants car donner des coups de pieds dans la tête de quelqu’un qui ne peut ni fuir ni se défendre constitue manifestement une tentative de meurtre. Mais les décisions rendues auparavant ayant donné aux intéressés l’assurance que quoiqu’il arrive, cela ne serait pas retenu ne pouvait que les encourager. Quand les policiers accusent la justice de laxisme on peut difficilement leur donner tort, au moins pour une partie d’entre elle. Il sera donc intéressant de voir si les parquets sont capables d’apprendre de leurs erreurs et quelle qualification ils retiendront dans l’autre affaire d’incendie de véhicule de police en attente de jugement (et dont une des victimes n’est pas encore sortie d’affaire un an et demi après les faits) ainsi que dans l’affaire de Champigny. Et cela d’autant plus que les conséquences de ces derniers faits ont miraculeusement été très limitées ce qui ne se confond nullement avec la notion de tentative qui ne dépend pas de ce qui est arrivé mais de ce qui pouvait arriver et que le délinquant recherchait : il peut y avoir tentative de meurtre alors même que la victime n’a pas eu la moindre égratignure du moment que l’agresseur cherchait à la tuer.
Certains pourraient éventuellement prétendre qu’en exerçant des violences sur les policiers leurs assaillants voulaient manifestement leur faire du mal mais pas les tuer. Ce serait oublier un autre principe du droit pénal général, celui du dol indéterminé : L’agissement étant volontaire et le dommage prévisible on présume que si, ayant été prévu il n’a pas été évité, c’est qu’il a été voulu.

Mais si ces affaires sont choquantes, pour ne pas dire plus, elles ne font que démontrer ce que j’ai eu l’occasion de dénoncer à plusieurs reprises ici même : l’absence d’une politique pénale d’ensemble mettant au cœur de ses préoccupations la lutte contre la violence, sous toutes ses formes, alors que celle-ci est aujourd’hui la plus pressante de toutes les nécessités pénales. Or si l’on nous annonce, sans date, d’ailleurs, la mise en œuvre par le ministère de la Justice de cinq chantiers prioritaires qui ne sont pas sans intérêts, il s’agit une fois de plus de questions isolées et diverses parmi lesquelles rien n’est dit ni d’une politique pénale d’ensemble, ni de lutte contre la violence si ce n’est ce qui concerne le terrorisme qui n’est qu’une petite, certes la plus spectaculaire mais petite tout de même, numériquement, partie du problème.
Disons-le aux policiers, je n’ai jamais beaucoup cru à l’efficacité des peines planchers pas plus, d’ailleurs, qu’à la réelle et considérable absence de places de prison car si l’on sortait de détention tous les auteurs d’infractions autres que de violence pour lesquels (et lesquelles) il est possible de mettre en place des peines tout aussi désagréables mais exécutées en liberté on pourrait en récupérer tout de suite un certain nombre. Je crois, en revanche à la nécessité de durcir considérablement et en tous domaine le régime des infractions violentes (définition des sanctions – je ne crois aux vertus de l’emprisonnement que pour les infractions de violence, celles qui atteignent ou menacent l’intégrité des personnes – ; conditions d’application; principe de détention provisoire beaucoup plus large; diminution, limitation ou suppression des mesures de faveurs sous forme de sursis, remises de peines, etc…, mise à exécution immédiate, effective et intégrale des peines prononcées qu’on incitera à moins s’éloigner des maxima prévus; possibilité d’une rétention de sureté supplémentaire dans les cas les plus graves, etc…). Mais cela suppose une réécriture de la quasi-totalité du Code pénal et d’une grande partie du Code de procédure pénale. Cela impliquerait donc qu’on cesse de perdre du temps et qu’on se mette rapidement au travail avec des méthodes elles aussi renouvelées. Pour autant que je sache, certains ont déjà une partie de tout cela prête et il suffirait de la leur demander.

Et il est difficile de ne pas prendre pour une blague (de mauvais goût !) l’annonce simultanée de la mise en place en prison de téléphones dans chaque cellule ce qui donne raison à une revendication du (certains diraient « de la » ce à quoi je me refuserai toujours) contrôleur (contrôleure, contrôleuse ???) des lieux de détention. Quoiqu’on nous dise et pour une infinité de raisons un contrôle réel des personnes appelées (la personne qui est au bout du fil n’est pas forcément l’abonné seul autorisé à communiquer) comme du contenu des communications (ignore-t-on la possibilité de « codes » ?) est impossible. Nous allons donc fournir aux détenus le moyen de préparer tranquillement en étant au calme, nourris, logés, formés et distraits, la continuation de leur activité professionnelle. Et si l’on fait cela c’est parait-il pour éviter la prolifération en prison de téléphones portables interdits. Ne serait-il pas plus simple de les empêcher de rentrer notamment en rétablissant la séparation dans les parloirs, dont la suppression a été une grave erreur, et en procédant à des fouilles systématiques après visite ? Et si cela donne trop de travail au personnel on pourrait ajuster le nombre de visites, pour certains, au moins.

François Fillon… Comment dire ? …ASSEZ

Il est tellement évident pour quelque juriste, digne de ce nom que ce soit, que l’affaire montée contre François Fillon est une baudruche vide de tout sens, que la première réaction consiste à hausser les épaules et à la reléguer d’un revers de main dans les questions sans intérêts.

Il est cependant difficile, quand on a consacré sa vie à enseigner, défendre et promouvoir le droit, de supporter longtemps de le voir instrumentaliser encore et encore au profit des plus basses besognes politiciennes.

Et arrive le moment où l’on ne peut s’empêcher de hurler ASSEZ !

Rien, absolument rien ne tient juridiquement dans cette lamentable (au sens médiatique du terme) affaire et on le montre simplement en prenant les questions les unes après les autres.

I. L’infraction de détournement de fonds publics.

En employant son épouse et ses enfants comme attachés parlementaires François Fillon se serait rendu coupable de détournement de fonds publics.

Il existe un grand nombre d’infractions qui sont susceptibles d’être reprochées à des agents publics. Il n’existe, cependant, aucune liste générale définissant les agents publics susceptibles de les commettre. Chaque coupable possible doit être défini pour chaque infraction ou groupe d’infractions considérés en raison de leur variété. Deux catégories posent spécialement ce problème : les magistrats et les élus, notamment parce qu’ils ont un rôle particulier à jouer dans les institutions de la République. Il est admis que les uns et les autres ne peuvent se voir reprocher une infraction relative à un agent public que s’ils sont clairement énumérés par le texte d’incrimination en cause comme susceptibles de se la voir reprocher.

Lisons donc l’article 432-15 du Code pénal : « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, un comptable public, un dépositaire public ou l’un de ses subordonnés, de …détourner …des fonds publics ou privés…ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission, est puni… »
On observe immédiatement que les parlementaires ne sont pas cités. Le principe de la légalité interdit donc de leur appliquer cet article. Mais il y a plus : pour « détourner » des fonds, il faut (le texte le dit expressément) et cela relève du plus parfait bon sens, que ces fonds vous aient été remis. Or les assemblées parlementaires ne remettent aucunement à leurs membres les fonds destinés à payer leurs assistants. Ceux-ci bénéficient seulement d’un droit de tirage fixé pour eux et qu’ils engagent en signant des contrats de travail et en rédigeant des bulletins de paie. N’ayant jamais eu le maniement de quelques sommes que ce soit, ils seraient bien en peine de les détourner. Ce sont les services administratifs et financiers des Assemblées qui procèdent au paiement. C’est à eux d’effectuer les contrôles qui s’imposent avant paiement et s’ils paient c’est qu’ils n’ont remarqué aucune irrégularité.

Mais, nous dit-on, si le travail de l’épouse et des enfants de François Fillon était fictif, les choses changent et les services financiers des Assemblées ne pouvaient pas le savoir.

NON

Sur le plan pénal: 1) les parlementaire continuent à ne pas figurer parmi les personnes qui peuvent se voir reprocher l’infraction de détournement de fonds publics ; 2) ils continuent de ne pas avoir le maniement des fonds dont il s’agit et ne peuvent donc par les détourner.

Sur le plan de l’organisation des pouvoirs publics, deux de mes collègues, parmi les plus savants des publicistes ont déjà répondu dans la grande presse. Soutenir que des magistrats peuvent interroger un parlementaire sur ce qu’il fait des enveloppes de frais que son assemblée lui accorde spécifiquement pour exercer ses fonctions, c’est troubler gravement le dernier sommeil de Montesquieu.

Le principe de la séparation des fonctions fait de toute évidence obstacle à ce que des représentants du pouvoir (ou de l’autorité, c’est pareil) judiciaire puissent interroger un parlementaire sur la façon dont il exerce ses fonctions. Ce n’est pas que les parlementaires ne puissent jamais être poursuivis s’ils commettent des infractions, puisque lorsqu’ils le font ils ne se comportent pas en titulaires du pouvoir législatif. Mais interroger un parlementaire sur la façon dont il conçoit ses rapports avec ses électeurs, prépare la rédaction et le vote des lois ou rédige les questions écrites ou orales qu’il pose au gouvernement échappe, par principe, au contrôle du pouvoir judiciaire. Or c’est à cela que sont affectés les attachés parlementaires. Quoique Madame Fillon ait fait ou n’ait pas fait dans la Sarthe, il ne peut lui être posé aucune question à ce propos par un membre de l’autorité judiciaire car cela relève du travail législatif.
Si quelque chose m’a choquée dans l’attitude de François Fillon c’est qu’il se soit précipité pour demander à être interrogé par les enquêteurs et qu’il ait accepté que son épouse et ses enfants le soient. Etant entendu que je ne sais rien de ce qu’ils ont dit, j’espère qu’ils ont eu suffisamment de respect pour les institutions de la République pour se rendre aux convocations et, ensuite, refuser de répondre aux questions qui leur ont été posées. C’est la seule attitude qui était légitime. J’espère qu’elle a été suivie.

Que François Fillon estime utile d’exposer aux Français, lors de conférences de presse ou autres productions ce qu’il a fait ou pas fait est une chose. C’est de la politique et je ne me sens pas du tout concernée. Mais qu’il réponde à une enquête de justice sur sa façon de concevoir le travail législatif qui est le sien en est une autre qui me parait (et pas seulement à moi) inadmissible.

Terminons, enfin, en remarquant que le contribuable n’a rien perdu dans cette affaire. Malgré tout ce qu’on a cherché à lui mettre sur le dos, personne n’a prétendu que François Fillon avait engagé davantage que ce qui lui était octroyé par l’Assemblée Nationale ou le Sénat pour pouvoir à son assistance de parlementaire. Juridiquement titulaire de droits de tirage relatif à sa charge, il importe peu aux finances publiques qu’il ait, avec ces sommes recruté X ou Y et les ai fait travailler un peu plus ou un peu moins. La facture n’est pas plus élevée dans un cas que dans l’autre. Et si, comme tout parlementaire, ses électeurs estiment qu’il ne fait pas bien son travail, il n’y a qu’une sanction possible et elle est connue : ils ne le réélisent pas.

En admettant donc que le travail de Pénélope Fillon et des enfants du couple ait été fictif, ce que j’ignore complètement, mais que la France n’a aucun moyen juridictionnel de savoir, François Fillon ne peut certainement pas être poursuivi pour détournement de fonds publics.

II. La compétence du parquet national financier.

L’article 432-15 du Code pénal qui détermine le détournement de fonds public figure bien au 1° de l’article 705 du Code de procédure pénale définissant la compétence nationale des juridictions financières de Paris. Mais pas à n’importe quelles conditions. Il faut, pour que les juridictions financières soient compétentes, que les affaires concernées soient ou apparaissent « d’une grande complexité, en raison notamment du grand nombre d’auteurs, de complices ou de victimes ou du ressort géographique sur lequel elles s’étendent ». Et malgré le « notamment » la Chambre criminelle de la Cour de cassation estime qu’un juge d’instruction ne peut pas se dessaisir au profit des juridictions parisiennes pour un autre motif que ceux énoncés par l’article 705 (Crim. 8 oct. 2014, B. 201, le juge d’instruction avait jugé utile de se dessaisir au motif que l’instruction efficace de tels dossiers « passe par une concentration des affaires entre les mains d’une seule et même juridiction et qu’il convient, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice (de se dessaisir) »).

On cherche en vain dans l’affaire Fillon qui, si une infraction est commise, ne peut concerner que lui seul (et éventuellement le petit nombre des bénéficiaires) et n’être située qu’à l’Assemblée nationale puis au Sénat, donc à Paris, où sont « le grand nombre d’auteurs, de complices ou de victimes et le ressort sur lequel elle(s) s’étend(en)t » qui justifieraient la compétence des juridictions financières parisiennes.

L’incompétence des juridictions financières parisiennes est donc patente. Mais tout le problème est qu’il n’y a, pour le moment, aucun moyen de le faire constater. De ce point de vue, il est vrai, en effet, que le système de détermination des compétences respectives des juridictions de droit commun et de la juridiction financière (et cela n’a rien à voir avec François Fillon) est particulièrement tordu.

Si une instruction est ouverte, le passage du juge d’instruction normalement compétent à la juridiction parisienne ou inversement, du juge d’instruction financier parisien, saisi à tort, au juge d’instruction de droit commun donne lieu à une procédure particulièrement compliquée.

(Pour ceux qui ont le courage de lire. Les autres peuvent passer :
Quand une instruction a été ouverte devant une juridiction de droit commun, ce juge peut se dessaisir soit spontanément soit sur demande du ministère public. Le juge d’instruction avise les parties et les invite à faire connaître leurs observations. Le juge statue par voie d’ordonnance motivée rendue huit jours au plus tôt et un mois au plus tard à compter de l’avis donné aux parties qui bénéficient d’un délai de cinq jours, à dater de la notification de cette ordonnance, pour la contester. Si l’ordonnance n’est pas contestée, cinq jours après le moment où elle a été rendue, elle produit son effet (maintien ou transmission). Si les parties contestent l’ordonnance, elles forment un recours auprès de la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans les cinq jours de la notification qui leur a été faite ou, si le juge d’instruction n’avait pas statué, dans le délai d’un mois. La chambre criminelle a huit jours pour statuer. Elle saisit librement le juge d’instruction qu’elle estime devoir agir « dans l’intérêt d’une bonne administration de la Justice ».
Quand le ministère public a saisi directement un juge d’instruction du pôle financier, celui-ci peut s’estimer incompétent spontanément (il pense qu’il ne s’agit pas d’une des infractions énumérées par les textes comme relevant de sa compétence) ou sur demande des parties. Il rend alors une ordonnance d’incompétence au plus tôt huit jours après avoir sollicité l’avis des parties qui n’avaient pas formé la demande. Cette ordonnance peut être déférée à la chambre criminelle dans les mêmes conditions et avec les mêmes effets que précédemment.)

Si le ministère public s’en tient au stade des enquêtes, il peut pratiquement faire ce qu’il veut du moment qu’il s’entend avec le ministère public normalement compétent (en l’espèce que le procureur national financier se soit entendu avec le Procureur de la République de Paris) à une condition, cependant, que le Procureur général de la Cour d’appel ait été mis dans la boucle (art. 705-4 C.P.P.) ce dont on n’a pas entendu parler.

Dans l’affaire Fillon l’incompétence des juridictions financières de Paris est donc certaine, mais tant que le procureur national financier s’en tiendra à la phase de l’enquête, il n’y aura aucun moyen de la soulever. Le moins que l’on puisse dire est que ce pouvoir donné à une des parties en cause (car le ministère public n’est qu’une des parties en cause) est tout à fait exorbitant. Il offre, en tout cas à ceux qui sont à l’origine de ce chaos un boulevard pour continuer à raconter n’importe quoi.

Et c’est l’autre bêtise faite par François Fillon : avoir déclaré qu’il renoncerait s’il était mis en examen. La mise en examen peut, à certains égards paraitre comme mettant en cause l’honneur de celui qui en est le sujet, mais elle a surtout l’avantage considérable de lui permettre de se défendre ce que François Fillon ne pourra pas faire tant qu’on en restera au stade d’une enquête dont lui-même et ses défenseurs ignorent tout. Espérons, si une mise en examen intervenait, malgré les obstacles à l’exercice de l’action publique que nous venons d’évoquer, qu’il saura le comprendre et revenir sur des déclarations pour le moins inadéquates.

III. La prescription.

Il est impossible ici de se prononcer avec certitude sans avoir accès au dossier. Mais quelques calculs simples peuvent tout de même être faits desquels il semble bien résulter qu’on ne voit pas comment, compte tenu des dates annoncées pour les différents faits reprochés, tout délit ne serait pas nécessairement prescrit.
Une fois encore, il s’agit de salir pour salir.

IV. La suite

Le juriste, qui n’en est pas moins citoyen a tout de même de quoi se poser des questions sur l’entourage du candidat en matière juridique.

Le magistrat qui aimait bien se présenter comme « le chef de son équipe juridique » est aussi le premier à l’avoir trahi et avec une célérité qui n’avait rien à envier à celle de Lucky Luke. Quant aux autres, ils donnent fâcheusement l’impression de patauger, au minimum d’avoir un certain retard à l’allumage et, enfin, de se complaire dans des détails qui n’ont rien de critiquable mais qui, c’est le moins qu’on puisse dire, ne renversent pas la table dans un domaine qui en aurait bien besoin. Ramener la majorité pénale à seize ans ? Pourquoi pas ? Mais cela ne fera, pas plus que l’ensemble de mesures de détails exposées dans le programme officiel, une réelle politique pénale avec une ligne de conduite qui ne peut pas être autre chose, en l’état de la délinquance en France, qu’une lutte déterminée contre la violence passant par l’ensemble des instruments propres à le faire : révision du droit pénal général, de la procédure pénale, de la définition des infractions, de l’exécution des peines et interrogation sur la répartition des moyens. Ce n’est pas tout que d’annoncer une augmentation des budgets de X millions. L’essentiel c’est de dire ce qu’on va en faire. Pour le moment, on ne voit pas très bien.

Et il reste la question fondamentale pour le citoyen, même juriste, celle de la hiérarchie des enjeux. On choisit un Président de la République pour la France en fonction de son expérience et de sa compétence, on n’instruit par un procès en béatification. L’avenir du pays doit-il dépendre du point de savoir si une dame et ses deux enfants ont mérité, un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout une certaine somme d’argent ?

JACQUELINE SAUVAGE : PERDANT ; PERDANT.

La procédure pénale est une mécanique et il est indispensable qu’elle le soit pour assurer que tous les citoyens ayant commis des actes comparables sont bien traités de la même façon.
Mais lorsqu’une mécanique traite de l’homme, il est aussi indispensable, pour conserver un aspect humain, qu’elle soit dotée de soupapes de sécurité pour se charger ce qui ne rentre pas dans le moule commun.
En procédure pénale, deux institutions jouent ce rôle. A l’origine de la poursuite pénale, le ministère public est chargé d’en apprécier l’opportunité, en sorte qu’il lui est loisible, même en présence d’une infraction qui semble effectivement commise, de ne pas la poursuivre s’il pense que cette poursuite, loin de rétablir l’ordre public, ce qui est sa vocation, ne ferait que le troubler davantage. A la fin de la procédure, le droit de grâce présidentiel permet de dispenser de l’exécution de la peine le condamné à l’égard duquel il parait que la mécanique s’est quelque part enrayée.

Outre l’unité de leur but, ces deux institutions ont en commun d’être les bêtes noires de la bien bienpensance pénale. Celle-ci, ayant peu d’idées, tient au petit nombre de celles qui sont les siennes et ne cesse de répéter que ces deux institutions sont le moyen offert aux puissants, par les possibilités de pression dont ils disposent sur l’ensemble des institutions, pour échapper aux conséquences de leurs actes. Toute personne moyennement intelligente comprend bien l’absurdité de semblables assertions compte tenu de la surveillance permanente dont l’institution judiciaire fait l’objet de la part de médias spécialisés.
Et dans le cas particulier de la grâce, on ajoute qu’elle porte atteinte à la séparation des pouvoirs en autorisant le pouvoir exécutif à s’opposer à l’autorité de la chose jugée par l’institution judiciaire. Ici l’argument est certain mais peut être combattu par un usage approprié de la mesure.

Précisément parce qu’ils sont menacés, le droit d’apprécier l’opportunité des poursuites et de faire grâce doivent être utilisés avec discernement par ceux qui en ont la charge et l’honneur.
En premier lieu, il s’agit de soupapes de sécurité ce qui suppose qu’ils soient peu utilisés. Il faut donc se féliciter de la disparition de l’habitude prise par nombre de présidents de la République de gracier, en masse, à l’occasion du 14 juillet, des centaines de détenus dont ils ignoraient tout, dans le seul but de désengorger les prisons à une époque de chaleur propice aux incidents.
En second lieu, leur usage doit être réservé à des cas particuliers clairement justifiés.
Enfin il faut que leurs titulaires soient bien conscients que tout mauvais usage de ces méthodes ne peut que réanimer la détestation comme toujours limitée mais bruyante dont elles font l’objet alors que leur nécessité est indispensable au bon fonctionnement de la procédure pénale, dans son ensemble.

Dans cette perspective, il est clair que la grâce accordée à Jacqueline Sauvage a tout faux.

En premier lieu, rien ne serait pire que de faire de Jacqueline Sauvage l’exemple de la lutte contre les violences domestiques.
Il est, d’abord difficile de comprendre et surtout d’excuser qu’elle ait elle-même supporté des années de mauvais traitements sans faire ce qu’il fallait, c’est-à-dire non pas tuer son compagnon mais s’adresser aux autorités de son pays dont c’est le rôle que de combattre semblables comportements. Quel peut bien être, désormais, l’efficacité du message des associations de lutte contre les violences domestiques lorsqu’elles s’efforcent, avec parfois bien du mal, de faire comprendre aux victimes qu’elles doivent dénoncer immédiatement les violences dont elles font l’objet ?
Mais il est surtout intolérable que Jacqueline Sauvage ait laissé ses filles faire l’objet de violences et de viols sans réagir. Cette attitude aurait, d’ailleurs été susceptible de qualifications pénales supplémentaires, sous réserve d’une éventuelle prescription dont il est impossible, sans le dossier, de savoir ce qu’il en était.
Enfin, il est évident que le droit et même le devoir de se défendre et de défendre les siens n’accorde pas un permis de tuer dans des circonstances de temps et de méthode qui excluent toutes le moindre fait justificatif.
Ce n’est certainement pas avec une grâce de cette nature qu’on peut espérer faire progresser la cause de la lutte contre les violences domestiques, ni défendre l’intérêt de l’institution appliquée.

Il est, en second lieu, parfaitement clair, que rien n’a dysfonctionné dans le traitement judiciaire de cette affaire et que l’atteinte ici portée à l’autorité de la chose jugée par la grâce accordée est patente et sans la moindre justification. De ce point de vue, il est assez affligeant d’avoir entendu un membre rapproché de l’équipe de celui dont on dit qu’il pourrait être le prochain président de la République, soutenir le contraire, sans, bien entendu et pour cause, donner la moindre explication à son propos.
Jacqueline Sauvage a été jugée par deux juridictions successives et pas n’importe lesquelles : deux cour d’assises. Lorsqu’une décision judiciaire est contestée, il se trouve toujours quelqu’un pour mettre en cause l’autorité des magistrats qui, il y vrai, ne sont issus que d’une formation et d’épreuves de recrutement qui, en elles-mêmes, ne sont pas un gage de la représentativité du Peuple Français au nom duquel ils statuent. En présence d’une cours d’assises et, ici de deux, l’argument ne peut plus être utilisé. La cour d’assises est, en effet, constituée d’un jury qui est l’émanation directe et donc le représentant direct du Peuple Français dont le souveraineté est le fondement de notre démocratie. En cour d’assises la justice au nom du Peuple Français n’est donc pas rendue en vertu d’un principe mais d’une réelle incorporation de celui-ci à la décision. C’est donc contre le Peuple Français que le président de la République s’est prononcé.
Certes, les condamnations, mêmes rendues par les cours d’assises peuvent, au cours de leur exécution, être aménagées par d’autres juridictions. C’est comme cela (et pas seulement par l’impossibilité de décider dont on l’affuble souvent) que s’explique la double intervention du président de la République dans cette affaire.
Dans un premier temps, il s’est borné à agir sur la peine prononcée, dans l’espoir que les magistrats chargés de l’exécution profiteraient de cette nouvelle situation juridique, qui le permettait, pour placer immédiatement Jacqueline Sauvage en libération conditionnelle. Las, non seulement les magistrats n’ont pas fait ce qu’on attendait d’eux mais ils l’ont même décidé en première instance, puis en appel (ce qui soit dit en passant n’est pas bon signe de la part de professionnels ayant le dossier entre les mains). En graciant totalement Jacqueline Sauvage, c’est donc bien la guerre à l’institution judiciaire que déclare François Hollande. On comprend l’exaspération des magistrats.

On l’aura compris, nous demeurons favorable au droit de grâce. Nous serions même favorable à ce qu’il soit rendu totalement au président de la République par la suppression de l’intervention du Ministère de la Justice dans les dossiers de grâce et le transfert à l’Elysée du bureau des grâces.
Mais à la condition que ce droit de gracier soit intelligemment utilisé.
Cela n’a pas été le cas ici.

COLERE DES POLICIERS ET POLITIQUE PENALE

Il est évidemment difficile pour un professeur des facultés de droit d’apporter son soutien à une manifestation policière illégale par principe.
Mais il serait tout aussi difficile à l’auteur de ces lignes de ne pas dire qu’elle comprend parfaitement le ras-le-bol des policiers qui s’explique tant par des positions de principe critiquables que par des détails d’application qui ne le sont pas moins et qui doivent d’urgence être modifiés si l’alternance politique qu’on nous annonce a véritablement lieu.

I. Sur le terrain des principes.

La question, dans son ensemble, est aussi complexe que maltraitée dans la façon dont en rendent compte les médias, probablement parce qu’ils n’ont pas la mémoire assez longue pour remettre les choses dans leur contexte.

Tout le monde peut être d’accord pour dire qu’il est inadmissible d’apprendre qu’un président de la République a accusé l’ensemble des magistrats de lâcheté. Il n’en est pas moins vrai que la qualificatif reste exact si on l’adresse à la politique pénale du pays dont les magistrats ne sont qu’en toute petite partie responsables, ceux-ci n’étant toujours, pour l’essentiel et selon la formule de Montesquieu, que « la bouche qui prononce les paroles de la loi ».

Par ailleurs et si le contexte électoral incite à taper sur Christiane Taubira, il faut bien dire que son action n’est que l’extrême caricature d’une politique pénale mise en place, en réalité, en 1981.

Jusqu’à cette date, la politique pénale consistait à privilégier la répression des infractions de violence. Mieux, dans les années 1978-1981, on avait pris conscience de ce qu’une augmentation de cette violence devait amener à renforcer encore ce point de vue. Ce fut un travail de commission (justement dénommée « Réponses à la violence ») confié à Alain Peyrefitte, suivi de la loi « Sécurité et liberté » accusée par ses détracteurs d’être répressive, oppressive, voire fascisante alors qu’elle n’était qu’une première étape intéressante, mais timide et insuffisante pour répondre véritablement à ce qui devenait une inflation de la violence qui n’a jamais cessé depuis.
En novembre 1981, une circulaire fameuse de Robert Badinter changeait radicalement de cap en incitant les parquets à privilégier dans tous les sens du terme (poursuite, réquisitoire, exécution) la délinquance de fraude et d’astuce quitte à être moins efficace à l’encontre de la délinquance traditionnelle de violence. On ne peut rien reprocher, dans ce domaine, ni à François Mitterrand, ni à Robert Badinter car le premier avait clairement annoncé la couleur au cours de sa campagne électorale et, pour une fois, un élu faisait ce qu’il avait dit qu’il ferait.

On peut, au contraire, reprocher à la droite de n’avoir jamais su, au fil des alternances successives, revenir au bon sens. Dans ce domaine comme dans celui de tout ce qu’on qualifie, dans le jargon à la mode de « sociétal » la droite a toujours parue tétanisée par les critiques d’une gauche monopolisant le drapeau de la vertu. Tout ce qui a été fait depuis n’a jamais été que de timides petits pas incapables d’endiguer le phénomène social de la violence et qui nous a conduits là où nous sommes avec, il est vrai, une touche finale mise par Christiane Taubira.
Pour mettre un terme au malaise ambiant il faut avoir le courage d’inverser clairement les choses et décider (par la loi et par la conduite de l’action publique) que l’on va désormais s’attaquer, mais s’attaquer vraiment à la délinquance de violence.

Il ne suffira pas, à l’évidence, de se contenter comme on se borne à le réclamer actuellement, d’augmenter les moyens d’intervention ni de la police, ni de la justice. Même si une certaine augmentation est souhaitable il sera toujours impossible de traiter avec la même efficacité l’ensemble des infractions commises. Le principe dit « de la tolérance zéro » est une ânerie car il faut nécessairement faire des choix.
La droite qui postule à l’alternance aurait donc tout intérêt à dire tout de suite qu’elle privilégiera la lutte contre la violence à la fois par les changements législatifs nécessaires et qui doivent être prêts à être appliqués (principe de détention provisoire pour les infractions violentes, augmentation de la gravité des sanctions, diminution ou suppression des mesures de faveurs sous forme de sursis, remises de peines, etc…, mise à exécution immédiate, effective et intégrale des peines prononcées qu’on incitera à moins s’éloigner des maxima prévus, possibilité d’une rétention de sureté supplémentaire dans les cas les plus graves) et par les principes de politique pénale adoptés. Certes, il manquera toujours, dans l’immédiat, des places de prison, mais si l’on cesse de retenir l’emprisonnement pour les infractions autres que de violence qui devraient être soumises à des peines tout aussi désagréables mais exécutées en liberté, on peut en récupérer tout de suite un certain nombre.

II. Sur les questions particulières

Deux points particuliers exaspèrent spécialement les policiers, celui de leur légitime défense et celui de l’attitude des parquets dans la poursuite des infractions commises en groupe.

En matière de légitime défense, on met souvent l’accent sur le fait que les gendarmes ont le droit de faire usage de leurs armes alors que les policiers ne peuvent réagir que s’ils sont en état de légitime défense. Mais on ne semble pas avoir vu que depuis les « efforts » de l’actuel gouvernement pour faire, soit disant un pas vers les policiers, la définition de leur légitime défense est désormais plus restrictive que celle de Monsieur Tout-le-monde, légitime défense de droit commun qu’il leur est, de plus, devenu impossible d’invoquer.

Il n’est pas nécessaire d’être un fin juriste pour voir que les possibilités des policiers sont inférieures à celles du vulgum pecus, il suffit de comparer les textes :

Légitime défense ordinaire :
« N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte. »

Légitime défense policière (Loi du 3 juin 2016):
« N’est pas pénalement responsable le fonctionnaire de la police nationale, le militaire de la gendarmerie nationale, le militaire déployé sur le territoire national dans le cadre des réquisitions prévues à l’article L.1321-1 du code de la défense ou l’agent des douanes qui fait un usage absolument nécessaire et strictement proportionné de son arme dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsque l’agent a des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont il dispose au moment où il fait usage de son arme. »

Outre que le nouveau texte est parfaitement inexact en ce qui concerne la gendarmerie puisqu’on n’a pas abrogé (heureusement) l’article L. 2338-3 du Code de la défense qui continue à autoriser les gendarmes à faire usage de leurs armes « Lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ou lorsqu’ils sont menacés par des individus armés », le texte spécifique des policiers ne les autorise toujours pas à réagir pour prévenir la commission de violences mais seulement la réitération de meurtres déjà commis ce qui est loin d’être la même chose. En outre, ils ne peuvent mener cette action très étroite que dans des conditions tellement strictes et incertaines (surtout dans le feu, à tous les sens du terme, de l’action) qu’on ne voit pas comment ils pourraient être retenus dans l’état envisagé par le texte. Enfin et pire encore, un principe général du droit pénal bien connu, ou qui devrait l’être (specialia generalibus derogant) fait qu’à partir du moment où un texte spécifique a envisagé le cas des policiers, ils ne peuvent même plus invoquer la légitime défense de droit commun, plus large, ouverte à tout un chacun.
Pour de nouveaux droits accordés à des policiers, bravo.

Les voyous qui sévissent dans ce qu’il est convenu d’appeler les lieux sensibles sont certes malfaisants mais pas très courageux. C’est la raison pour laquelle ils agissent toujours en bande.
Or le bon juriste ne peut qu’être surpris lorsqu’il entend dire par des membres du parquet interrogés par les médias qu’on n’a pas pu exercer de poursuite à la suite de tel ou tel incident parce qu’on n’a pas pu déterminer ce que tel ou tel membre de la bande avait fait. C’est ignorer une règle qui, à ma connaissance, est toujours enseignée dans les facultés de droit, celle de la complicité co-respective.

Quand un groupe de personnes exerce des violences, chacun est, d’abord et évidemment responsable de ce qu’il fait lui-même. Mais en agissant comme il l’a fait et donc en diminuant la force de réaction de la ou des victimes, il aide, en même temps, les actions des autres. C’est dire que ce qu’il ne fait pas lui-même à titre d’auteur principal, il le fait à titre de complice par aide et assistance des autres participants. Dès lors que des violences ont été perpétrées en groupe, la seule preuve nécessaire à l’exercice des poursuites est celle de la participation de chacun des intéressés à l’action collective. Ce que chacun a pu faire est, en revanche, sans intérêt car ce qu’il n’a pas fait à titre d’auteur principal, il l’a fait à titre de complice des autres, ce qui lui fait encourir la même peine qu’eux.
C’est dire que chacun est pénalement responsable de tout ce qui est survenu et que l’absence de connaissance précise du rôle de chacun dans une action de groupe ne saurait donc être une excuse pour ne pas poursuivre de la même façon tous ceux qui ont été identifiés comme ayant participé au rassemblement.

Et il reste, dans les événements des derniers jours une autre surprise : le silence assourdissant du Défenseur des droits qu’on a connu plus disert, y compris dans des affaires mettant en cause sinon la police, du moins la gendarmerie.
A notre connaissance, c’est ce Défenseur, par l’intermédiaire de celui de ses adjoints directement en charge de la question, qui est responsable de la déontologie de la police. Il serait donc utile de connaitre son point de vue et s’agissant d’un évident désaccord entre les policiers de base, leur hiérarchie et le gouvernement, on ne voit pas qui serait mieux placé que lui pour mener une action de médiation.

KERVIEL : le cafouillage et l’amalgame.

Jusqu’à ce qu’elle statue, le 19 mars 2014, dans l’Affaire Kerviel, il était jugé par la Cour de cassation et admis par tout juriste de bon sens, que la faute éventuelle de la victime ne pouvait être prise en considération pour réduire la responsabilité civile de l’auteur des faits, lorsque l’infraction commise était une infraction contre les biens :
« Attendu qu’aucune disposition de la loi ne permet de réduire, en raison d’une négligence de la victime, le montant des réparations civiles dues à celle-ci par l’auteur d’une infraction intentionnelle contre les biens ;
Attendu que, pour décider que la Caisse du Crédit Mutuel de Cannes devait supporter pour moitié les conséquences du vol commis à son préjudice par Michel X…, la cour d’appel énonce que les investigations des enquêteurs ont fait apparaître, au sein de l’agence, un laxisme généralisé et que cette entreprise s’était trouvée, par la tolérance prolongée, ou l’insuffisante prévention de ses dysfonctionnements à l’origine de son propre dommage dans des proportions fixées à la moitié ;
Mais attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé, et du principe ci-dessus énoncé » (Crim. 7 nov. 2001).
La raison de cette position, au-delà de l’absence de texte, relevée par la Cour de cassation, en 2001, et qui devrait, d’ailleurs, suffire, est que l’auteur de l’infraction (un fraudeur quelconque) commet un acte intentionnel alors que la victime, même si elle s’est rendue coupable d’une faute de surveillance, n’est l’auteur que d’un fait d’imprudence, les deux choses ne pouvant, à l’évidence, être mises sur le même plan.

L’arrêt Kerviel du 19 mars 2014 était donc un revirement de jurisprudence, que la plupart de ses commentateurs ont considéré comme expliqué par le caractère exceptionnel de l’affaire, oubliant que la Cour de cassation ne statue par en fait mais en droit et que la question qui lui était posée était uniquement celle de savoir si la faute de la victime d’une infraction contre les biens peut avoir une influence sur la responsabilité civile de l’auteur des faits, indépendamment du point de savoir quel était le montant sur lequel portait les différentes infractions retenues et sanctionnées et qu’elle n’a pas normalement à prendre en considération.

Ayant ainsi jugée, mais bien obligée de constater que lorsque plusieurs fautes ont concouru à un unique dommage, seuls les juges du fond sont compétents pour répartir le poids de la responsabilité de ce dommage unique, la Chambre criminelle renvoya devant la Cour d’appel de Versailles qui vient de rendre une décision pour le moins surprenante.

Sur le terrain juridique, la Cour de Versailles se rallie à la position de la Cour de cassation pour admettre que même en matière d’infractions contre les biens on peut tenir compte de la faute de la victime pour déterminer son préjudice, ce que, rappelons-le, une fois de plus (Voir notre Blog « Qu’est-ce que faire jurisprudence ? »), elle n’était pas obligée de faire.
La Cour commence par rappeler que Jérôme Kerviel a bien développé des « agissements délictueux » ; qu’il a fait preuve de « ruse et de détermination » et exploité les failles qu’il avait repérées dans l’organisation de la banque pour « concevoir et couvrir ses activités délictueuses », tous faits intentionnels et éminemment graves.
La Cour confirme ensuite le montant du préjudice global causé à la banque et fixé à 4,9 milliards d’Euros.
Puis elle détaille avec un soin tellement grand qu’il finit par interpeller, les dites failles de surveillance reprochées à la banque.
Enfin elle termine par condamner Jérôme Kerviel, à payer à la banque le somme de 1 million d’Euros.

Autrement dit, le « partage » de responsabilité entre l’auteur de multiples fautes intentionnelles et celui d’un manque de surveillance fait que le premier est déclaré responsable pour d’1/5000 du préjudice, soit 0,0002% ce qui implique que la banque est responsable, elle, pour 4999/5000, soit, 99,9998% du même préjudice!!!
Il est, d’ailleurs, à noter, que la Cour s’en est tenue à l’énonciation des chiffres et n’a précisément pas fait, ce que font habituellement les juridictions : répartir les responsabilités en pourcentage, sans doute pour ne pas se couvrir du ridicule que nous venons de démontrer.

Une fois admis le principe éminemment contestable d’un partage de responsabilité entre l’auteur d’une infraction contre les biens et la victime dont on peut relever l’imprudence, un partage par moitié, compte tenu, il est vrai de l’importance de l’imprudence de la banque et sans doute des avantages qu’elle en a retiré, aurait pu se comprendre. Mais ce simulacre de partage après qu’on ait relevé la gravité des fautes commises par l’auteur des faits (condamné pénalement et définitivement, rappelons-le, à 5 ans d’emprisonnement dont trois fermes) est ahurissant.

Et ce n’est pas tout.

Au moment où l’on est en train, partout en France, de faire passer les épreuves du Certificat d’aptitude à la profession d’avocat, on ne peut qu’être surpris d’entendre l’avocat de la Société générale, qui passe pour être un des grands pénalistes parisiens, se féliciter de cette condamnation au motif qu’elle répond aux aptitudes financières de Jérôme Kerviel. Et il faut dire que la précédente condamnation (à 4,9 milliards d’Euros) avait été fustigée par les plupart des médias (dont les parties prenantes feraient mieux la plupart du temps de tourner sept fois leurs mains au-dessus de leur clavier avant d’écrire des âneries) au nom de sa « stupidité ».

Une fois de plus rappelons LE DROIT.
Actuellement la règle est que l’auteur ou les auteurs multiples d’une faute doivent réparer la totalité du préjudice souffert par la victime, ni plus, ni moins. Si l’on veut désormais que l’importance de la responsabilité à retenir à la charge de l’auteur d’une faute soit calibrée en fonction de sa capacité de contribution, ce n’est pas impossible, mais il faut changer la loi et bien en concevoir les incidences car cela voudrait dire que tout « pauvre » peut faire n’importe quoi à un « riche ».
En outre, il y a une différence fondamentale EN DROIT à être condamné à 4,9 milliards d’Euros, même si la victime ne peut en récupérer qu’une infime partie et être condamné à 1 million d’Euros, même si celui-ci est intégralement payé.

Et que le lecteur non juriste (si j’en ai…) ne se dise pas que tout cela est sans importance car il s’agit d’une affaire atypique qui n’aura pas d’autre incidence sur la vie du droit et donc potentiellement sur la sienne propre.
Qu’il ne nourrisse pas cette illusion car le droit est comme le froid, c’est une chaine.

La conséquence logique de la nouvelle règle posée par la Cour de cassation, suivie par la Cour d’appel de Versailles et réitérée par la Chambre criminelle dans une affaire d’abus de confiance des plus banales (25 juin 2014) et selon laquelle la faute d’imprudence de la victime peut exonérer l’auteur intentionnel d’une infraction contre les biens des conséquences civiles de son infraction implique forcément qu’un jour proche le cambriolé ne pourra plus être indemnisé du préjudice souffert s’il n’a pas transformé son appartement en Fort Knox pourvu de trois verrous certifiés et de deux alarmes ce qui en l’état actuel de l’insécurité peut apparaitre comme d’une folle imprudence. Et il y a fort à parier que nous allons voir réapparaitre le serpent de mer du vol dans les grands magasins.

Depuis une quarantaine d’années, un mouvement « doctrinal » milite pour la dépénalisation des vols chez les commerçants au motif qu’en exposant à la libre appréhension du public des produits que certaines personnes ne peuvent s’offrir, ils commettent l’imprudence de favoriser la convoitise de ces personnes dont le vol deviendrait compréhensible, voire légitime. Et ce n’est pas purement théorique puisque ce mouvement de pensée avait même convaincu le législateur de la loi « Sécurité et Liberté » de 1981 (qui était parait-il d’une terrible sévérité ???) dont le projet entérinait cette dépénalisation qui n’a été supprimée que pendant les travaux préparatoires grâce à la vigilance du Sénat. Si les voleurs des grandes surfaces ne peuvent plus être pénalement punis et que leur responsabilité civile est diminuée du fait de l’inconscience des vendeurs, cela risque de ne pas faciliter l’exercice du commerce.

En clair, toute cette affaire confirme qu’en matière de politique pénale, on marche sur la tête : affirmation que les infractions de profit sont au moins aussi graves que les infractions contre les personnes (Voir notre Blog : « Réquisitoire Cahuzac et politique pénale ») et aujourd’hui mise sur le même plan, quand ce n’est pas, comme ici, avec une hiérarchie inversée, d’infractions intentionnelles graves et de simples imprudences.
Les candidats que se bousculent à la magistrature suprême et dont les programmes (au-delà du traitement du terrorisme) sont bien maigrelets sur la politique pénale, feraient bien de se réveiller.

REQUISITOIRE CAHUZAC ET POLITIQUE PENALE

Le « nouveau » (Sic, ???) Code pénal de 1992, en vigueur depuis 1994 est, en matière de choix des peines et donc de politique pénale, d’un désolant conservatisme.
Toutes les infractions prévues par lui sont punies et ne sont punies, sur la base des textes qui les prévoient, que d’une peine d’emprisonnement et d’une peine d’amende, prévues ensemble et qui plus dans en rapport l’une avec l’autre (un an, 15000€ ; deux ans, 30000€, etc…). C’est la négation de l’idée même de politique pénale véritable qui voudrait que l’on adapte la peine, non seulement, dans son quantum, à la personnalité du délinquant, mais d’abord, dans sa nature au type d’infraction commis. Et le plus beau de l’histoire est que ce Code est dû à une majorité politique qui n’a de cesse d’accuser ses adversaires d’être pour le « tout carcéral ».

Il est clair que l’emprisonnement est la peine de choix pour les infractions de violence qui atteignent ou menacent l’intégrité de la personne (homicides et blessures volontaires, atteintes sexuelles, etc…, pour la première catégories ; trafics de drogue, d’armes , d’êtres humains, mais également vol, etc… pour la seconde). Il importe, en effet, d’avoir bien présent à l’esprit que si le vol est juridiquement le type même de l’infraction contre les biens, il est criminologiquement la première cause d’atteinte aux personnes (40 % des blessures et homicides volontaires selon les statistiques policières, sont commis pour le préparer, l’exécuter, s’enfuir ou régler des comptes). Dans ces hypothèses, il convient de neutraliser ces forces mauvaises et l’emprisonnement est la meilleure façon d’y parvenir avec, éventuellement, mais éventuellement seulement (s’il y a eu, en plus, un profit – cas du vol – des sanctions pécuniaires).
C’est pratiquement le seul domaine où l’emprisonnement s’impose.

Pour les infractions de profit (l’escroquerie, l’abus de confiance, les infractions économiques et financières, etc…), il est beaucoup plus efficace de frapper là où ça fait le plus mal, c’est-à-dire au portefeuille par des peines pécuniaires et celles-là seulement qui devraient d’ailleurs être beaucoup plus diversifiées et développées qu’elles ne le sont aujourd’hui ou l’on ne retient pratiquement que l’amende et la confiscation. Il serait notamment utile de mettre en place une amende obligatoire d’un type particulier, qui, au-delà de ce qui serait prononcé pour sanctionner les faits eux-mêmes, ferait qu’aucune infraction ne puisse laisser un bénéfice à son auteur. En matière de fraude fiscale il ne suffit pas de redresser les déclarations et d’appliquer la sanction prévue, il faut aussi confisquer la valeur de l’intégralité des sommes dissimulées. Et pour que ce soit efficace, rendre cette peine imprescriptible de façon à pouvoir, toute sa vie, rattraper le fraudeur. Cela priverait la littérature et le cinéma policiers des nombreuses productions relatives à la récupération d’un butin (« L’année sainte ») devenue inutile, mais permettrait de sanctionner efficacement.

Et bien d’autres sanctions pourraient être créées ou voir leur usage s’étendre au-delà du rôle de peine complémentaire ou de substitution à l’emprisonnement qu’elles jouent aujourd’hui, quand elles existent, sans être, dans le second cas, adaptées. Quand un professionnel tenu au secret viole son obligation, la seule peine logique est l’interdiction professionnelle temporaire, de plus en plus longue s’il récidive, voire définitive s’il persiste. Prévoir que la violation du secret professionnel sera sanctionnée par un emprisonnement (qu’on ne prononce jamais) et une peine d’amende (qui n’a rien à faire ici) est d’une totale absurdité.
Et sans doute faut-il créer d’autres sanctions qui conduiraient, par exemple, les condamnés à mettre leurs talents au service de la communauté, par une vraie peine de travail dans l’intérêt général qui ne consisterait plus à faire faire un médiocre bricolage pendant un petit nombre d’heures comme aujourd’hui (et qui plus est appliqué à des auteurs d’infractions de violence qui n’en relèvent pas), mais à travailler pendant plusieurs mois ou plusieurs années au service de collectivités publiques ou d’associations humanitaires. On oppose à cette idée le fait que la Convention européenne des droits de l’homme ferait obstacle à ces travaux forcés. C’est inexact. Une disposition spécifique de la Convention prévoit expressément la licéité du travail pénitentiaire. On ne voit pas pourquoi elle interdirait le travail pénal en liberté. En outre la Cour européenne des droits de l’homme, qui de temps en temps a du bon sens, vient de répondre à un détenu suisse qui refusait de travailler au motif qu’il avait dépassé l’âge de la retraite, que le travail pénal était un élément de la peine auquel il devait satisfaire tant qu’il en était capable.

C’est à la lumière des observations précédentes qu’il faut apprécier le réquisitoire prononcé par Madame le Procureur financier à l’encontre de Jérôme Cahuzac car le conservatisme du Code pénal et pire, l’absence de maitrise de la criminologie et de la police pénale nécessaire, ne fait pas qu’habiter le Code pénal, elle semble aussi régner dans l’esprit de certains magistrats et non des moindres.
Madame le Procureur financier a, en effet, requis, à l’encontre de Jérôme Cahuzac une peine de trois ans d’emprisonnement ferme au motif qu’il ne faut pas être plus clément avec les délinquants en « col blanc » qu’avec les « petits délinquants ». Cela signifie, en premier lieu, que Madame le Procureur financier considère que l’emprisonnement est la seule peine véritable ce qui est complètement faux et totalement dépassé (encore un adepte du « tout carcéral » !). L’emprisonnement est une peine adaptée à certains comportements. Il n’est ni plus ni moins punitif que d’autres sanctions qui seraient plus adaptées à des faits qui, pour être tout à fait inadmissibles, ne sont pas violents. En second lieu, les « petits délinquants » (expression criminologiquement dénuée de sens) auxquels pense Madame le Procureur financier, sont pour l’essentiel des voleurs dont on sait qu’ils peuvent à tout moment, déraper dans la violence quand ce n’est pas dans le terrorisme, ce qui n’est évidemment pas comparable.
On comprend bien l’idée qui anime Madame le Procureur financier qui est qu’il conviendrait de priver les plus grands délinquants en col blanc de liberté et on ne peut pas lui reprocher de ne pas requérir une peine qui n’existe pas. Mais c’est là que devrait entrer en scène un vrai travail dans l’intérêt général qui n’existe pas encore mais qu’il faudrait créer.

Pour Jérôme Cahzac, comme avant lui pour Jérôme Kerviel ou Loïc le Floch Prigent, l’application d’une peine de prison ferme est une absurdité : ils sont parfaitement insérés socialement et l’emprisonnement ne pourrait que les désinsérer ; ils ont des talents qu’ils ont mal utilisés mais qui pourraient l’être mieux. La meilleure sanction possible qui atteindrait leur liberté sinon d’aller et venir, du moins de vie, serait de les condamner à travailler pour une rémunération n’assurant que leur minimum vital, durant plusieurs mois ou années pouvant aller jusqu’à trois, au service d’un agent servant le public, en fonction de leurs possibilités.
Jérôme Cahuzac est médecin même s’il semble avoir perverti son art au profit d’un exercice moins thérapeutique que lucratif. L’idéal serait de pouvoir le mettre pendant trois ans à la disposition d’un service d’aide ou de secours : SAMU social, accueil médical des demandeurs d’asile, Protection civile, Médecins sans frontières, etc… Selon une formule souvent galvaudée mais qui serait vraie ici, ce régime de peine serait gagnant-gagnant. Gagnant pour l’ordre public en créant une peine véritablement pénible pour le condamné et en accord avec la gravité des faits commis ; gagnant pour les organismes d’aide peu fortunés et qui ne trouvent pas forcément assez de bénévoles formés ; gagnant pour le trésor public qui, même en assurant le coût de l’ensemble de l’opération y gagnerait surement beaucoup en comparaison du prix de journée de la détention.
Les candidats à la future élection à la Présidence de la République se préoccupent, disent-ils de sécurité. C’est vrai, mais comme toujours avec les politiques, sur des points de détail, certes non négligeables comme le terrorisme, mais qui ne sauraient suffire à traiter la totalité des problèmes posés. Souhaitons qu’ils prennent conscience au minimum de la nécessité de revoir tout le système français des peines et de leur application.