AVOCATS, SECRET PROFESSIONNEL ET DROITS DE LA DEFENSE

Les avocats qui protestent aujourd’hui contre une perquisition particulièrement musclée ont tout à fait raison.

Pour autant la question ici posée est l’une des plus délicates de la procédure pénale dans la mesure où elle soulève des questions juridiques, techniques et factuelles. On ne peut qu’être béat d’admiration quand on lit qu’un député a trouvé tellement vite la solution qu’il se préparerait à déposer une proposition de loi. Beaucoup moins douée que lui, je vais tenter de raisonner et de chercher des pistes, sans être tout à fait certaine d’en trouver de parfaites.

I. Problématique.

A) Problèmes juridiques.
La perquisition effectuée dans un lieu dont le titulaire est tenu au secret professionnel pose à l’évidence des problèmes particuliers puisque l’enquêteur va être appelé à connaître de documents couverts par ce secret, concernant l’ensemble des clients de l’intéressé, et qui devraient donc lui demeurer théoriquement étrangers. Cette question est commune à tous les professionnels tenus au secret.
En dehors de cet aspect général, le cabinet de l’avocat pose des problèmes particuliers et d’une nature supplémentaire. Comme tous les autres professionnels, il conserve les secrets de ses clients, en général, mais, en outre, et dans une affaire particulière, le nécessaire respect des droits de la défense est en cause dès lors que les enquêteurs prétendent avoir accès aux éléments concernant la personne qui fait l’objet de cette enquête et qui se trouvent nécessairement au cabinet de son avocat.

Deux questions distinctes doivent donc être posées : d’une part, la question du risque de violation du secret professionnel, en général, c’est-à-dire à l’égard de tous les clients d’un professionnel concerné et tenu au secret, avocat compris, et, d’autre part, la question de l’atteinte aux droits de la défense, dans un dossier précis, qui est, elle, propre aux avocats et se cumule, pour eux, avec la première question.

Il convient de mettre en œuvre une double procédure de perquisition, d’une part, dans les locaux de tous les professionnels tenus au secret, dont les avocats, pour protéger la communauté de leurs clients, et d’autre part, s’interroger sur l’opportunité de la possibilité de perquisitionner et si oui mettre en place une procédure spécifique supplémentaire pour protéger le client concerné par la perquisition opérée chez un avocat. Or s’il existe bien, en droit positif, deux procédures distinctes, il semble que ni l’une, ni l’autre ne soit satisfaisante

Le Code d’instruction criminelle de 1810 était muet sur ces points, sans doute parce qu’il paraissait impensable, à l’époque qu’on puisse avoir à perquisitionner chez un avocat, un notaire ou un médecin. Lorsque la nécessité s’en est fait sentir, la pratique a mis en œuvre une procédure spécifique extra-légale. Le juge d’instruction (qui pouvait seul perquisitionner à l’époque) convoquait le bâtonnier ou les représentants des autres ordres, leur faisait part de ce qu’il cherchait et c’étaient ces personnes qui faisaient, en présence du juge, la perquisition, c’est-à-dire qui prenaient connaissance des documents détenus et lui remettaient ceux qui étaient recherchés. Les deux objectifs poursuivis (respect du secret professionnel et des droits de la défense) paraissaient donc, atteints. Les rédacteurs du projet de Code de procédure pénale attestent avoir voulu entériner cette pratique (Besson, Vouin et Arpaillange – respectivement président, membre actif et secrétaire de la commission de rédaction -, Code de procédure pénale annoté, à l’article 56). Ils ont seulement eu le tort de ne l’exprimer clairement que dans leur commentaire du nouveau Code et beaucoup moins dans le texte lui-même  («Toutefois (l’enquêteur) a l’obligation de provoquer préalablement toutes mesures utiles pour que soit assuré le respect du secret professionnel et des droits de la défense »). La jurisprudence, d’abord et le législateur postérieur ensuite, se sont engouffrés dans la brèche, et ont admis que c’était l’enquêteur qui perquisitionnait et que si l’on continuait à convoquer le bâtonnier ou le président de l’ordre considéré, c’était uniquement à titre d’autorités morales ne servant pas réellement à grand-chose.

Il faut attendre 2000 pour qu’une procédure plus spécifique soit mise en place pour les avocats et eux seuls. Les perquisitions à son cabinet et à son domicile ne peuvent être effectuées que par un magistrat (juge d’instruction ou procureur de la République) qui « veille à ce que les investigations conduites ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession d’avocat ». Elles sont faites en présence du bâtonnier. Elles sont réalisées sur une décision écrite et motivée du magistrat demandeur qui indique la nature de l’infraction en cause, les raisons qui justifient la perquisition et l’objet de celle-ci. Ces justifications sont portées, dès le début de la perquisition à la connaissance de la personne qui y assiste pour le lieu concerné. Seuls le magistrat et le bâtonnier peuvent prendre connaissance des documents saisis. Seuls peuvent l’être ceux qui sont en rapport avec l’infraction qui motive la perquisition. Une procédure est, par ailleurs, mise en œuvre pour permettre au bâtonnier qui conteste une saisie de s’y opposer et de saisir le juge des libertés et de la détention qui prendra la décision de maintenir la saisie ou de l’interdire.
Or si cette procédure permet à peu près un respect du secret professionnel, en général (pour l’avocat mais pas pour les autres professionnels tenus au secret), elle ne permet aucunement celui des droits de la défense puisqu’il est clair qu’on va saisir, chez son avocat, des pièces contraires aux intérêts de la personne poursuivie, dès lors qu’elles ont un rapport avec l’infraction objet de la poursuite.

B. Problèmes techniques.

Les perquisitions envisagées par ces mesures sont uniquement celles qui concernent des documents ou objets, qui étaient seules concevables à l’époque de leur rédaction initiale sur laquelle les textes postérieurs n’ont fait que se greffer. Or le problème nouveau est que les «documents » sont essentiellement des fichiers informatiques qu’il est impossible de traiter sur place en sorte que la perquisition conduit essentiellement soit à la saisie des ordinateurs soit à la copie des disques durs de ceux-ci. Aucune garantie n’est prévue, ensuite, quant à leur exploitation, qui pourrait, en fait, donner lieu à toutes les dérives.

Le deuxième problème tient à l’apparition de smartphones qui, d’une part, peuvent permettre de téléphoner mais, d’autre part, peuvent servir à bien d’autres choses et notamment à contenir le fichier clientèle d’un avocat qui est couvert par le secret professionnel. La saisie de ce type d’appareil permet, en outre, et partiellement au moins, de tourner les règles relatives aux écoutes téléphoniques qui, lorsqu’il s’agit de la ligne d’un avocat, sont pourtant soumises à des règles particulières. Jusqu’à une loi de 2004, il était prévu que les enregistrements de conversations téléphoniques des avocats devaient être intégraux malgré l’atteinte susceptible d’être portée aux droits de la défense en cas de conversation entre le mis en examen et son défenseur. J’avais suggéré que les enregistrements soient purgées de ce point de vue (mes Propositions de réforme du Code de procédure pénale, p. 72 et s.). Après que la Chambre criminelle ait cassé une décision qui validait une semblable écoute, une loi de 2004 a repris cette proposition : à peine de nullité, ne peuvent être transcrites les communications entre l’avocat et son client (art. 100.5 al. 3 C.P.P.). Or, dès lors qu’on a le téléphone en main on peut avoir accès à toute une série de renseignements et notamment les SMS sans avoir à respecter la procédure prévue pour les écoutes.

C) Problèmes factuels.

Dès lors qu’il n’est plus impensable que les avocats commettent des infractions, il faut distinguer trois hypothèses.
La première est celle dans laquelle seul le client est visé par les poursuites qui donnent lieu à perquisition. La seconde est celle dans laquelle c’est l’avocat lui-même et lui seul qui est poursuivi. La troisième est celle dans laquelle l’avocat et le client sont soupçonnés d’avoir commis l’infraction ensemble.
Dans le silence de la loi, la jurisprudence estime que les règles relatives au secret professionnel et aux droits de la défense ne s’appliquent pas dès lors que l’avocat est impliqué dans la poursuite. C’est oublier que les intérêts généraux de la communauté de ses clients, pour le secret professionnel et du client poursuivi, pour les droits de sa défense, dans l’affaire en cause, n’ont pas cessé pour autant d’exister.

II. Pistes de réflexion.

Je reconnais, d’abord, avoir été un peu légère sur la question dans mes Propositions de réforme du Code de procédure pénale. A titre d’explication, il faut dire qu’à l’époque, on n’avait pas encore vu les perquisitions de cabinets d’avocats à la recherche de preuves concernant leurs clients, ce qui n’aurait pas pu ne pas me gêner. Il me semble qu’il faut distinguer entre les trois hypothèses factuelles ci-dessus identifiées.

En ce qui concerne la perquisition chez un avocat pour y rechercher des preuves relatives à ses clients poursuivis, dont il est bien évident qu’elles doivent s’y trouver, elle me parait, par principe, absurde. Je serais donc favorable à ce qu’elle soit purement et simplement interdite. La rédaction du texte sera cependant difficile et mérite réflexion. Pour autant l’interdiction me parait devoir se limiter au cabinet de l’avocat et non s’étendre à son domicile, ses résidences secondaires, ses voitures, etc…. Il nous arrive à tous de « sortir » des dossiers (ou des copies d’examen), mais c’est à nos risques et périls et en engageant notre responsabilité en cas de perte, d’inondation, de vol de voiture, et ici de perquisition. Seul le cabinet parait devoir être protégé.

Dans l’hypothèse où c’est l’avocat et lui seul qui fait l’objet d’une poursuite pénale, la perquisition peut évidemment avoir lieu. Pour autant, la jurisprudence qui admet qu’elle se fait sans formes me parait excessive, une fois de plus en raison du fait que son cabinet détient les secrets de ses clients. Je serais alors favorable à un retour au système antérieur à 1958 : perquisition par le bâtonnier en présence du juge et à la recherche des éléments qui lui ont été annoncés. Il conviendrait d’ajouter que l’exploitation des ordinateurs sera soumise par les techniciens qui y procéderont au bâtonnier avant d’être communiquée au magistrat et que la saisie des téléphones doit être, par principe interdite.

Reste l’hypothèse dans laquelle le client et l’avocat sont soupçonnés ensemble et qui est de loin la plus délicate. Une solution possible serait que le juge qui le découvre ou le soupçonne informe le bâtonnier lequel devrait demander à l’avocat concerné de transmettre le dossier de son client à un de ses confrères, la transmission se faisant sous la responsabilité du bâtonnier. On procéderait ensuite comme dans le cas précédent. Il ne faut pas se leurrer, cependant, sur le fait que bien des preuves auront eu le temps de disparaitre. Mais c’est sans doute le prix de la démocratie dont le droit de se défendre lorsqu’on est accusé est un des attributs principaux.

La question est délicate et je n’ai pas la prétention d’en détenir la clé. Il ne s’agit que de pistes de réflexion… Réfléchissez !

MINISTERE PUBLIC: ETAT DES LIEUX

L’institution du ministère public donne lieu à débats, pratiquement depuis qu’il existe. Il a beaucoup agité les médias ces dernières semaines à la suite d’incidents divers : un procureur général, modèle de discrétion et de mesure, invité à demander une mutation pour raison d’incompatibilité politique (ou plus exactement politicienne), juste au moment où le Garde des Sceaux vient d’être mise en examen dans le ressort dudit procureur général et une réforme présentée comme instituant l’indépendance souvent réclamée du ministère public, avant qu’on ne s’aperçoive que ce n’est peut-être pas aussi évident que cela avait été dit.

Dans la mesure où j’ai été, dans la doctrine contemporaine la première à préconiser l’indépendance du ministère public (ma thèse de doctorat « Le ministère public entre son passé et son avenir », épuisée depuis longtemps chez son éditeur mais disponible dans toutes les bonnes bibliothèques), je crois utile de reprendre ici, à l’occasion de ces divers incidents, l’ensemble de la question.

Je prie les non juristes de pardonner ce qui pourrait  leur sembler parfois très technique. Je les avais prévenus, dans mon Editorial, que cela pourrait se produire. Nous y sommes.
Et je prie les spécialistes d’excuser ce qui pourrait leur paraitre trop élémentaires: j’aimerais que toutes les personnes intéressées puissent suivre le raisonnement. Autrement dit je tente le grand écart que je reproche à l’institution à laquelle nous allons nous consacrer.

 

Il ne fait aucun doute que les officiers du ministère public appartiennent au corps de la magistrature. Recrutés et formés comme les magistrats du siège et avec eux, ils peuvent, au cours d’une carrière, passer du siège au parquet et inversement car il n’y a pas, en droit au moins, si l’on a le grand tort de la laisser trop souvent s’installer en fait, de spécialisation des fonctions à l’intérieur de la magistrature.

Il n’en demeure pas moins que le rôle des officiers du ministère public, dans le cadre du procès pénal, est tout à fait différent de celui des autres magistrats. Le ministère public ne joue pas au procès pénal un rôle de juge, il y est une partie, adversaire de la personne poursuivie et représentant les intérêts de la Société dont l’ordre public a été troublé par l’infraction commise.

La spécificité du ministère public se traduit par les différents noms qu’on lui donne.
Les officiers du ministère public sont le plus souvent qualifiés de «parquet» ou d’ «officiers du parquet». Cette appellation a une origine historique sur le détail de laquelle les historiens du droit ne s’accordent cependant pas entre eux. L’interprétation classique se réfère au temps où le ministère public se trouvait sur le parquet de la salle d’audience avec les parties privées alors que les juges de jugement, étaient seuls assis sur l’estrade. D’autres pensent que l’appellation vient du fait que les officiers du ministère public ont été, à une époque, séparés des juges comme des parties, pour être placés, à l’audience, derrière des balustrades, un petit «parc» (parquet). Quoi qu’il en soit, l’appellation est restée encore que sa justification, quelle qu’elle soit, ait disparu, le ministère public participant à l’audience sur le siège, séparé, mais proche des juges de jugement. On qualifie encore le ministère public de magistrature «debout» en raison du fait que ses magistrats se lèvent pour requérir à l’audience alors que les magistrats du siège sont toujours assis.
Ce sont là des signes ostensibles de l’originalité de la fonction du ministère public au procès pénal au sein de la magistrature.

Le fait que le ministère public exerce une fonction de poursuite dont on ne comprendrait pas qu’elle se manifeste d’une façon différente sur l’ensemble du territoire et à l’intérieur des différents parquets, selon le ou les magistrats qui en sont chargés, impose que le ministère public fasse l’objet d’une organisation hiérarchique. Les procureurs de la République des tribunaux de grande instance sont donc subordonnés aux procureurs généraux des cours d’appel et à l’intérieur de chaque parquet, les « substituts », bien nommés, sont subordonnés à leur chef de parquet. Mais si le principe hiérarchique entre magistrats du ministère public ne peut se discuter, il n’en est pas de même du point de savoir qui doit déterminer l’action commune en se trouvant au sommet de la hiérarchie.
La question ne se comprend qu’en rappelant l’histoire de l’institution depuis la Révolution.

 

1) Principes d’origine (1792-1958).

Parce qu’on disait, en 1788 que les officiers du ministère public étaient les agents du Roi auprès des tribunaux, les révolutionnaires ont cru transposer la règle pour la mettre en accord avec les nouveaux principes adoptés par eux, en déclarant que les officiers du ministère public seraient désormais les «agents du pouvoir exécutif auprès des tribunaux». Ils en ont déduit que le ministère public devait avoir, tant dans le cadre de l’exercice de ses fonctions que du statut de ceux qui l’exercent, une situation complètement différente de celle des autres magistrats, situation qui assurerait sa subordination au pouvoir exécutif.

L’ensemble du corps des officiers du ministère public a été placé dans une organisation hiérarchique, au sommet de laquelle se trouve le représentant du gouvernement pour les questions de justice, c’est-à-dire le garde des Sceaux qui peut donner aux membres du ministère public, dans le cadre de l’exercice de leur action, tous les ordres qu’il juge bon, concernant aussi bien la politique pénale dans son ensemble, qu’un groupe particulier d’infractions ou même une poursuite spécifique.

Corrélativement et quant à la gestion de leur carrière, les officiers du ministère public ont été subordonnés dans leur statut professionnel. Placés sous les ordres du gouvernement, les officiers du ministère public ne devaient pas bénéficier des règles relatives à la carrière des autres magistrats. Dans la pureté des principes, l’avancement comme la discipline des officiers du ministère public, étaient laissés à la libre disposition du garde des Sceaux. Même après la création d’une instance indépendante intervenant dans le statut des magistrats du siège, la nomination des magistrats du ministère public a continué de dépendre uniquement du garde des Sceaux qui les proposait à la nomination par décret du président de la République ou du conseil des ministres. Contrairement aux autres magistrats, les membres du ministère public étaient librement amovibles et révocables, notamment à titre disciplinaire, toujours par le garde des Sceaux. Ces sanctions disciplinaires échappaient, enfin, à tout contrôle juridictionnel car le Conseil d’État refusait à juste titre à intervenir dans le cours de la justice judiciaire ce qu’il aurait été obligé de faire pour savoir si la sanction infligée à un membre du parquet était justifiée ou non. Il ne pouvait que contrôler la forme de la procédure suivie.

 

Il est manifeste que la position d’origine des révolutionnaires correspondait à une erreur d’analyse.
Le droit de poursuivre les infractions, dès lors qu’il est retiré à leur victime directe, ne peut être que l’apanage du pouvoir souverain tel qu’il est défini dans la société considérée. S’il était donc parfaitement logique de dire, dans l’Ancien régime, que les agents du ministère public étaient les officiers du Roi auprès des tribunaux, ce n’était pas parce que le Roi exerçait le pouvoir exécutif, mais parce que le Roi était le pouvoir souverain. Il n’est donc pas exact, en revanche, de la part des Révolutionnaires, d’avoir fait de ce ministère public, par une transposition purement littérale, les agents du pouvoir exécutif auprès des tribunaux parce que, dans la société démocratique post révolutionnaire, le gouvernement n’est pas le pouvoir souverain. Depuis la Révolution, le pouvoir souverain réside dans la Nation et les officiers du ministère public auraient dû être dits agents de la Nation auprès des tribunaux, ce qui ne se borne pas à une différence nominale. La Nation souveraine s’exprime, en effet, en démocratie, de deux façons : d’une part, par le vote de la loi et, d’autre part, par le choix des gouvernements, deux valeurs qui devraient être également représentées auprès du troisième pouvoir que sont les tribunaux.

Un ministère public bien conçu aurait donc dû être constitué de deux agents : un défenseur de la loi, magistrat indépendant qui ferait entendre le point de vue de la loi, et un représentant du gouvernement, fonctionnaire soumis, qui ferait connaitre aux tribunaux le point de vue de ce gouvernement. Faute de l’avoir compris, mais parce que les faits sont têtus, il ne suffisait pas de dire que les officiers du ministère public étaient les agents du pouvoir exécutif auprès des tribunaux pour qu’ils ne fussent effectivement que cela. Les textes napoléoniens ont donc été amenés, à la suite des textes révolutionnaires, à édifier un système bâtard avec un agent unique mi-parole de la loi et mi-agent du gouvernement dont la situation ne cesse, depuis lors, d’alimenter la polémique.

 

2) Atténuations.

Le caractère nécessairement hybride du ministère public mi parole de la loi et mi parole du gouvernement a conduit à apporter, surtout à partir de 1958 de nombreuses atténuations à la pureté des principes originairement adoptés et rappelés ci-dessus. Sans les examiner dans un ordre chronologique, on peut résumer la situation à la veille de la dernière réforme.

 

Quant à l’exercice de l’action publique, plusieurs atténuations à la subordination totale au garde des Sceaux ont été apportées qui subsistent pour la plupart :

* Nature des ordres susceptibles d’être donnés. Selon l’article 30 alinéa 3 du Code de procédure pénale dans sa version antérieure à 2013, le ministre de la justice pouvait « dénoncer au ministère public les infractions à la loi pénale dont il avait connaissance, lui enjoindre d’engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites qu’il jugeait opportunes ».
De cet article, il résultait que le garde des Sceaux ne pouvait plus donner librement tous les ordres qu’il souhaitait au ministère public. Il lui était interdit de donner l’ordre de ne pas poursuivre une infraction et il ne pouvait donc pas bloquer le cours de la justice pénale.
Une fois la poursuite mise en route, La formule «de telles réquisitions que le ministre juge opportunes» paraissait, au contraire, autoriser le ministre, à donner aux officier du ministère public tous les ordres qu’il jugeait bons et donc éventuellement des consignes d’indulgence dans les réquisitions. Celles-ci étaient cependant admissibles dans la mesure où elles ne pouvaient dessaisir les juridictions et donc entraver le cours de la justice, les juges du siège, qui ne sont pas tenus de suivre les réquisitions du parquet, continuant à juger comme ils l’entendaient.

* Portée de la subordination. – Même si la pratique était, hélas, souvent différente (car il n’y a souvent pas mieux qui ceux qui réclament leur indépendance, pour se soumettre, même quand on ne le leur demande pas), rien n’imposait, ni même n’autorisait les officiers du ministère public à prendre l’initiative de solliciter, dans l’ordre hiérarchique, des instructions ou des conseils sur la façon de conduire les actions qui relevaient de leur compétence. Les seules choses qui leur était imposées était de suivre les ordres qui leur étaient donnés d’initiative et de faire un rapport annuel d’activité qui concernait, à l’évidence leur action passée et n’impliquait rien quant à l’exercice de leurs actions en cours. Dès lors que leur hiérarchie ne s’était pas adressée à eux, les officiers du ministère public étaient libres de leur action. Tout au plus pouvait-on déduire de leur statut subordonné, une obligation d’avertissement de leurs supérieurs afin que ceux-ci puissent éventuellement se déterminer. Mais il ne s’agissait là que d’un maximum dont la légalité, dans le silence de la loi, n’était pas, au surplus, évidente et cela ne devait pas être confondu avec une quelconque obligation de sollicitation.

* Le pouvoir propre des chefs de parquet. – Le très important correctif à la subordination hiérarchique des parquets tenait et tient toujours à ce qu’on appelle le pouvoir propre des chefs de parquets. Si les supérieurs hiérarchiques de chaque degré de l’organisation générale du ministère public sont investis du droit de donner des ordres aux échelons inférieurs, aucun d’eux ne bénéficie d’un pouvoir de substitution pour le cas où ces ordres ne seraient pas exécutés. Seul le chef d’un parquet peut agir dans son parquet. Si le garde des sceaux qui souhaitait intervenir dans le cadre d’une affaire, avait donné un ordre à son propos, mais que le procureur général qui l’avait reçu ne voulait pas le transmettre au procureur de la République concerné ou si le procureur de la République qui l’avait reçu ne voulait pas l’exécuter, l’affaire suivait son cours antérieur. Ces officiers du ministère public pouvaient faire l’objet d’une sanction disciplinaire personnelle, mais celle-ci était sans influence sur le cours de l’action publique dans l’affaire considérée.

* La liberté de parole. – Il existe traditionnellement une limitation à la subordination ou à la dépendance des officiers du ministère public quels qu’ils soient. On la déduit d’un adage de l’Ancien droit selon lequel «Si la plume est serve, la parole est libre». Les membres du ministère public doivent, dans les pièces écrites de la procédure, exprimer la position qui leur a été dictée par leur hiérarchie, mais ils ont la possibilité de faire connaître à l’audience leur sentiment personnel si, par hypothèse, il est différent (art. 37 C.P.P.).

 

Quant à la situation statutaire des officiers du ministère public, les principes d’origine ont reçu peu à peu des amodiations dont la rapidité et l’efficacité s’étaient grandement accrues ces dernières années.
En l’état actuel des choses, le Conseil supérieur de la magistrature comprend deux formations, l’une compétente à l’égard des magistrats du siège et l’autre à l’égard des magistrats du parquet. La formation compétente à l’égard des magistrats du parquet, outre des membres communs avec celle du siège (le conseiller d’État, l’avocat et les six personnalités extérieures) est composée de cinq magistrats du parquet et d’un magistrat du siège et est donc symétrique de celle relative aux juges du siège qui comporte cinq représentants des juges du siège et un représentant du ministère public. Son rôle est cependant plus limité. La formation du parquet se borne à donner un avis simple sur la nomination des magistrats du parquet et encore pas tous (ceux du niveau le plus élevé sont nommés en Conseil des ministres et librement choisis) alors que la formation compétente pour les magistrats du siège doit donner un avis conforme pour l’ensemble des nominations et faire des propositions pour les grades les plus élevés. La formation du Conseil supérieur de la magistrature propre au parquet doit donner, d’autre part, un avis sur les sanctions disciplinaires éventuelles alors que les sanctions relatives aux magistrats du siège sont prononcées par la formation du Conseil qui leur est propre et qui a un statut de juridiction.

 

3) La réforme de 2013.

 

– Problématique.

La subordination du ministère public au gouvernement a toujours fait périodiquement l’objet de critiques qui se sont grandement accrues depuis une trentaine d’années sur la base d’une remarque récurrente selon laquelle la situation du ministère public permettrait abusivement au gouvernement en place d’intervenir dans des affaires concernant soit ses amis, soit ses adversaires politiques pour tenter de les soustraire à la justice ou au contraire les embarrasser par des poursuites pénales. Et l’on tirait cette possibilité d’intervention, soit directement du droit de donner des ordres relatifs à l’action publique soit indirectement, de la possibilité d’une pression exercée sur les membres du ministère public au travers de craintes ou d’espoirs quant au déroulement de leur carrière.

Il est manifeste que le caractère bancal de l’institution alimentait ces critiques car il est bien difficile de servir correctement deux maîtres à la fois. S’il se produit, ce qui est rare, Dieu merci, dans une société démocratique que les intérêts du gouvernement se trouvent en conflit avec ceux de la loi, les uns ou les autres étaient fatalement occultés, selon le choix que faisait l’officier du ministère public concerné, ce qui est inadmissible.

Si ces remarques ne relevaient pas totalement du phantasme et si des exemples ont été connus, il faut bien voir, cependant, que tout cela est numériquement négligeable dans ce qu’est l’action quotidienne du ministère public et qu’organiser celle-ci uniquement dans cette considération risque d’être tout à fait défavorable au bon déroulement de l’action publique dans la quasi-totalité des cas ordinaires.

 

Fallait-il donc réformer le ministère public ? Je l’ai autrefois proposé dans un souci de rigueur théorique (ma thèse) : laisser au ministère public actuel la seule défense de la loi en le soustrayant à la tutelle gouvernementale et en alignant son statut sur celui des magistrats du siège ; mais (et ce mais était inséparable, dans ma démonstration, du premier point que nombre d’«interprètes» ont seul retenu parce qu’il les arrangeait) créer simultanément un agent du pouvoir exécutif auprès des tribunaux, pur fonctionnaire chargé d’exposer à ceux-ci les souhaits gouvernementaux quant à l’affaire jugée. Si, en effet, selon Montesquieu, toute démocratie doit connaitre trois pouvoirs (ou plus exactement dans la terminologie de Montesquieu trois fonctions) différenciés, cela n’implique nullement que ces trois fonctions s’ignorent l’une, l’autre et encore moins qu’elles se battent entre elles. Il existe dans les deux chambres du Parlement, chargé d’élaborer la loi, un banc du gouvernement, ce qui n’a jamais choqué personne. On ne voit pas pourquoi le gouvernement chargé d’élaborer la politique pénale comme toutes les autres, devrait être placé dans l’impossibilité de faire connaitre son sentiment dans les procès pénaux qui ne sont jamais que la mise en œuvre de sa politique pénale. A condition toutefois de le faire officiellement et sous ses couleurs et non par la voix d’un magistrat qui doit, par ailleurs, défendre simultanément l’application de la loi.

Si je n’ai jamais changé d’avis sur le fond, j’ai tout de même pris conscience de certains excès de la méthode proposée en raison tant d’un abusif esprit de système (le gouvernement n’a aucune raison de s’intéresser à tous les procès pénaux) que d’une indifférence totale aux considérations d’intendance qui sont deux caractéristiques de la jeunesse. Il est clair qu’aujourd’hui où les considérations budgétaires, sont un élément important à considérer en matière de réformes judiciaires, il est inimaginable que l’on puisse «doubler» véritablement les actuels officiers du ministère public rendus indépendants en créant autant de représentants du gouvernement auprès des tribunaux. Je viens, au surplus, de dire que ce serait  tout à fait inutile, le gouvernement n’ayant que très rarement à faire connaitre un point de vue particulier dans les poursuites pénales.

Un diminutif de la même idée est alors concevable et budgétairement supportable, que j’avais suggéré dans mes Propositions de réforme du Code de procédure pénale (p. 4 et s.). Il consisterait à accorder au ministère public actuel une totale indépendance (d’action et statutaire) mais à donner corrélativement au gouvernement, en tant que tel, la possibilité, de faire ouvrir, s’il le souhaite, une action publique par plainte directe du garde des Sceaux auprès des autorités judiciaires concernées par l’affaire qui le préoccupe, puis à faire exercer cette action par une personne de son choix (fonctionnaire, avocat ou mandataire ad hoc) dans le sens souhaité par lui et à lui accorder aussi le droit, dans les mêmes conditions, d’adjoindre une intervention gouvernementale dans une action décidée et conduite par le ministère public, en toute hypothèse toujours présent dans toute action.

Il faut croire que la formule n’était pas si mauvaise puisqu’un garde des Sceaux ultérieur se l’est appropriée, dans un projet de réforme qui n’a pas abouti, en oubliant de signaler ses sources. Mais il est vrai qu’on écrit pour convaincre (surtout dans le cadre d’un rapport remis à un garde des Sceaux, même s’il a changé dans l’intervalle) et il ne faut pas se plaindre lorsqu’on l’a fait.
Malheureusement, le dernier état du droit positif ne va pas dans le même sens. Il prétend se diriger vers une réelle indépendance du ministère public actuel, mais sans son corolaire indispensable à nos yeux d’une représentation possible du gouvernement et surtout dans une totale incohérence.

 

– La loi du 25 juillet 2013 et sa circulaire d’application.

La loi du 25 juillet diminue la portée des ordres qui peuvent être donnés par le ministre aux membres du ministère public, mais il n’est rien prévu pour que le gouvernement puisse manifester son point de vue auprès des tribunaux dès lors qu’il juge utile de le faire connaitre, ce qui fait que le système demeure bancal. Rien n’est davantage prévu pour modifier la situation statutaire du ministère public, ce qui est moins discutable que le premier point, même si c’est celui qui fâche le plus les magistrats. Certes, la loi nouvelle a supprimé la possibilité pour le gouvernement de donner certains ordres mais elle n’a pas supprimé la possibilité générale de donner des ordres, ce qui continue de singulariser le ministère public au sein de la magistrature et peut justifier, dans la perspective adoptée, que sa situation statutaire demeure différente.

Quant à la réforme de fond de la procédure, elle parait en total décalage avec ce qu’il aurait convenu de faire. Même en partageant le point de vue soutenu par ceux qui l’ont présentée, elle parait, en effet, complètement incohérente. Il peut y avoir deux explications possibles. La première est que, comme en 1792, le garde des Sceaux n’a pas compris la portée de la réforme qu’il établissait. La seconde, serait que la réforme n’était, dans l’esprit de ses promoteurs que de la « poudre aux yeux » ceux-ci s’efforçant de reprendre d’une main la liberté qu’ils prétendaient donner de l’autre aux officiers du ministère public. Il est difficile de trancher pour le moment.
Le principe annoncé par la loi du 25 juillet 2013 qui va jusqu’à modifier en ce sens les intitulés correspondants du Code de procédure pénale est que la « politique pénale » relève comme toute politique du gouvernement et donc du garde des Sceaux mais que la « politique d’action publique » est confiée aux magistrats du ministère public et à eux seuls. La réforme en tire la conséquence que si le garde des Sceaux peut publier des circulaires d’instructions générales quant à la poursuite des infractions, il lui est impossible d’intervenir désormais dans la conduite des affaires individuelles qui n’est que des magistrats du ministère public. Ce principe n’est pas cependant absolument consacré puisque le Garde des Sceaux conserve son pouvoir d’action individuelle dès lors que le ministère public en cause est le Procureur général près la Cour de cassation (ordre de former un pourvoi en cassation dans l’intérêt de la loi, de former un pourvoi en révision, ou de réexaminer une décision critiquée par la Cour E.D.H.) ou que la question posée est d’ordre international (extradition, saisie internationale, transferts de condamnés, etc…). Le retrait du garde des Sceaux de l’exercice de l’action publique ne concerne donc que la hiérarchie des parquets que l’on peut dire « ordinaires » celui de la cour d’appel (procureurs généraux) et du tribunal de grande instance (procureurs de la République).

Si le seul principe de la loi était bien de distinguer entre la politique pénale confiée au garde des Sceaux et l’action publique, confiée au ministère public, il suffisait de modifier un seul article du Code de procédure pénale, l’article 30, puisque c’était le seul qui faisait référence au garde des Sceaux. Rien n’imposait de changer quoi que ce soit d’autre à l’action des officiers du ministère public. Or la réforme ne se borne pas à cela. Sans qu’aucune explication ne soit donnée, elle crée, pour les procureurs généraux, une obligation, qui n’existait pas jusque-là, de rendre des comptes au ministre de la Justice sur les affaires en cours, non seulement d’« initiative » mais aussi « sur demande du ministre de la Justice » (art. 35 nouveau du C.P.P.). Et l’on ne peut qu’être confondu lorsqu’on lit dans la circulaire « d’application » de la loi du 25 juillet 2013 que « l’article 35 du Code de procédure pénale maintient la formulation selon laquelle… ». On voit mal, en effet, comment la loi nouvelle pourrait « maintenir » une formulation qui n’existait pas jusque-là. Ce qui était prévu, en effet, par l’ancien article 35 du Code de procédure pénale était que le procureur de la République (magistrat du ministère public) pouvait faire des rapports au procureur général dont il dépendait (autre magistrat). Il n’était pas prévu par ce texte, même lorsque le ministre de la Justice pouvait donner des ordres relatifs à des affaires particulières, que le procureur général ait à lui rendre des comptes d’initiative ou à sa demande. Que certains l’ait fait est connu mais ce n’était pas la loi. On ne peut donc que s’étonner que cette obligation de rendre des comptes apparaisse dans la loi au moment où le garde des Sceaux prétend se retirer de l’exercice de l’action publique. Or non seulement la loi le prévoit, mais encore la circulaire d’application donne à cette obligation une étendue à partir de laquelle on voit mal ce qui pourrait y échapper (gravité des faits ; trouble manifestement grave à l’ordre public ; personnalité de l’auteur ou de la victime – VIP publics ou privés – ; nombre élevé de victimes ; infractions concernant des faits ciblés comme relevant d’une priorité de politique pénale ou nécessitant une actions coordonnée des pouvoirs publics ; infractions représentant une nouvelle forme de criminalité ou relevant de la criminalité organisée ; médiatisation possible ou effective de la procédure ; difficulté juridique ou institutionnelle posant une question dépassant le cadre d’un seul ressort ; dimension internationale de l’affaire). Et il est encore précisé que «les parquets généraux doivent informer la Chancellerie régulièrement, de manière complète et en temps utile (pourquoi faire puisque le ministre ne peut intervenir ?) des procédures les plus significatives » et que « les parquets généraux doivent répondre avec diligence (même question)…aux demandes d’information ponctuelles du garde des Sceaux ».

La justification que la circulaire donne à ce devoir d’information imposé au ministère public est , d’une part, que le garde des Sceaux doit pouvoir adapter la politique pénale, d’autre part qu’il doit être en mesure de répondre aux organismes ou aux parlementaires qui l’interrogent sur une affaire en cours, ensuite que le garde des Sceaux conserve des prérogatives internationales, enfin que les procureurs généraux peuvent avoir besoin de soutien technique.

L’argument international est le seul qui ne soit pas dénué de pertinence puisque le ministre y conserve un rôle.

L’invocation de la nécessité d’adapter la politique pénale n’est pas sérieuse. On n’adapte par une politique tous les huit jours. Cette adaptation ne peut résulter efficacement que du rapport annuel d’exercice d’action publique dressé par les procureurs généraux à partir des rapports des procureurs de la République. ces rapports doivent, à l’évidence, concernés des actions passées, être généraux et synthétiques et n’ont pas, en conséquence, à tenir compte des poursuites individuelles en cours. Et ils doivent d’autant moins le faire qu’il leur serait impossible de faire autrement sans violer le secret de l’instruction qui, dès lors que le garde des Sceaux est étranger à l’exercice de l’action publique, s’impose à son égard comme à celui de toute autre personne alors surtout que le rapport que le ministre tirera de ceux des procureurs généraux doit être communiqué au Parlement.

La même raison prive de tout sens une demande qui aurait pour but de répondre à une interrogation externe. Si un parlementaire était suffisamment ignorant ou peu attentif aux réformes qui ont été  votées pour poser au ministre de la Justice une question sur une affaire particulière, la seule réponse que pourrait faire le garde des Sceaux serait « je l’ignore puisque je ne peux pas intervenir dans le traitement des affaires individuelles ».

Reste l’argument tiré d’un besoin qu’un procureur général pourrait avoir d’un soutien technique. Il n’est pas dénué d’intérêt mais il est clair qu’avec le nouveau régime légal ce soutien ne peut être obtenu d’une direction du ministère de la Justice, à peine de rendre le système totalement incohérent, ce qui est pourtant fait. Cela révèle que, dès lors que la direction de l’action publique est retirée au ministre pour être confiée au ministère public, ce que l’on nous dit, il faut créer un échelon supérieur à la hiérarchie de celui-ci qui soit confié à un magistrat pour assurer la cohérence nationale de l’action publique. Lors de réformes précédentes avortées, plusieurs pistes avaient été envisagées. J’ai toujours soutenu de le chef naturel du ministère public, dans son ensemble, ne pouvait être que le Procureur général près la Cour de cassation qu’il faut réintroduire  au sommet de la pyramide hiérarchique et doter d’une partie de l’infrastructure qui est aujourd’hui celle de la Direction des affaires criminelles et des grâces afin de lui permettre, en plus de son rôle de chef du parquet de la Cour de cassation, de diriger nationalement l’exercice de l’action publique dont on nous dit qu’il ne relève plus du garde des Sceaux.

Inutile et incohérent, le droit positif actuel , qui ne répond pas aux réels problèmes posés par le ministère public, ne nous parait pas pouvoir fonctionner longtemps harmonieusement.

MISE AU POINT : vous pouvez commenter…

Quelques lecteurs m’ont fait savoir par des médias divers qu’ils regrettaient de ne pas pouvoir déposer de commentaires sur mon blog.

J’ai alors réalisé qu’il ne s’agissait pas d’un choix de ma part mais d’une erreur dans la configuration du site. Elle est maintenant réparée. Les articles nouveaux paraîtront avec la possibilité de les commenter et pour que personne ne se sente frustré, les anciens ont été pourvus de la même caractéristique.

Pour autant, l’esprit du blog ne changera pas et je réinvite donc tous les lecteurs à lire l’Éditorial qui le définit.

Parce que je n’entends me lier par rien, je ne m’engage ni à répondre, ni à ne pas le faire. D’abord par choix (manifestation, sans doute, de la suffisance dont on me gratifie sur un autre blog), mais surtout parce que je me heurte à cet obstacle pour tous infranchissable que les journées n’ont que 24 heures.

Dans le même esprit et parce que je suis mon propre médiateur, je prie les intervenants de me pardonner si leurs commentaires ne sont pas publiés dans la seconde qui suivra leur insertion…

Je ne trouverais naturellement que des avantages à ce que les différents intervenants dialoguent entre eux.

 

• Cas particulier de Maître Eolas :

Je pense que je ne répondrais jamais à Me Eolas pour deux raisons :

–   La première est que je ne voudrais pas que la blogosphère pénale devienne un colloque singulier entre lui et moi, ce qui lasserait rapidement tout le monde ;

–   Ensuite parce Me Eolas semble beaucoup plus doué que moi (entre autres choses) pour gérer son temps et que j’aurais nécessairement toujours un train de retard.

Quoiqu’il en soit, et bien qu’ignorant toujours son identité (vous ne voulez décidément pas me contacter autrement pour me le dire ?), je l’assure de l’affection que j’ai toujours pour mes anciens étudiants, quels que soient les sentiments qu’ils peuvent nourrir à mon égard.

Heureusement pour moi, tous ne partagent pas l’avis de Me Eolas, sinon il y a longtemps que je serais partie me faire oublier dans l’hémisphère sud !

Soyez gentils ! Ne répondez pas « Quel dommage que vous ne l’ayez pas fait ! », même si vous le pensez : je suis une vieille dame sensible.

Voilà ! Tout est dit.

Merci à ceux qui resteront…

AVOCATS PENALISTES ET GARDE A VUE

Le rôle d’un avocat pénaliste est de défendre ses clients, de les défendre tous (au moins ceux qu’il a choisi d’assister) et de les défendre, dans l’idéal, jusqu’à les avoir soustraits à la justice.

Il faut alors avoir bien conscience de ce que cela postule : la « bonne » procédure pénale, à l’aune d’un avocat pénaliste est celle qui est la moins efficace possible.

En présence de textes applicables ou de projets de réforme, l’action et le lobbying des avocats est donc celui qui cherche à conduire à cette plus grande inefficacité possible.

Il serait totalement absurde de le leur reprocher : ils font leur métier et la plupart le font remarquablement, en considération de ce qu’il est.

Il est difficile, dans le même ordre d’idées, de ne pas applaudir pour l’astuce du geste, le tour de passe-passe judiciaire auquel se sont livrés, pendant les fêtes de fin d’année un bâtonnier sortant qui a voulu soigner sa sortie et deux secrétaires de la conférence du stage, soucieux de soigner leur entrée. Profitant de ce que la trêve des confiseurs conduit à faire constituer les juridictions de magistrats qui n’y sont pas affectés, en principe, ils ont, en effet, obtenu l’annulation d’une procédure au motif que les avocats admis en garde à vue ne s’étaient pas vu remettre l’entier dossier de l’affaire, droit que la loi ne leur confère pas et qu’elle ne leur conférera probablement pas de sitôt (il faut, en tout cas, pour la défense de l’ordre public, le souhaiter).

Dans la mesure où l’ensemble des juridictions concernées par la question, y compris les plus prestigieuses et celle dont les décisions « s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles » (art. 62 Const. Pour le Conseil constitutionnel) s’est déjà prononcé en sens contraire de celui adopté, en l’espèce, par le tribunal, il ne peut faire sérieusement de doute que ce jugement obtenu par surprise sera réformé ou, au pire, cassé. Mais la performance des avocats valait d’être saluée.

Cela étant dit et si les avocats pénalistes sont dans leur rôle, qu’on ne peut pas leur reprocher, en tentant d’obtenir le régime juridique le plus favorable à leurs clients, il serait très préjudiciable à la procédure pénale, vue du côté du peuple Français, qu’ils soient seuls à être écoutés quand il s’agit d’évaluer la procédure pénale ou de la réformer. Or ils sont, par la force de leur métier ce que les médias appellent de « bons clients », tandis que les policiers et les magistrats sont tenus à une obligation de réserve et ne peuvent s’exprimer que par le biais de représentants syndicaux dont la position n’est pas nécessairement celle de leur base et que les médias n’ont pratiquement jamais su qu’ils existe, en Droit pénal, des universitaires, qui n’ayant ni patrons ni clients sont à peu près les seuls à pouvoir être totalement objectifs.

 

Voyons, quel est le fond du problème.

Les avocats qui assistent leurs clients en garde à vue ont, outre le droit de s’entretenir avec ceux-ci, celui de consulter le procès-verbal de la garde à vue faisant état de la notification à l’intéressé des droits qui sont les siens, le certificat médical éventuellement dressé et les procès-verbaux d’audition déjà réalisés si la personne qu’ils assistent a déjà été interrogée (art. 63-4-1 du Code de procédure pénale). Ils se battent pour obtenir un accès intégral au dossier de la procédure qui leur est, sauf par le jugement étrange de Noël, très juridiquement refusé sur la base du texte existant qui contient une énumération des pièces communiquées que les règles classiques d’interprétation du droit pénal conduisent à considérer comme limitative.

Ils prétendent alors qu’il ne s’agirait que d’un combat d’arrière-garde car la France doit intégrer au droit français, au plus tard, en juin prochain, une directive européenne qui conduirait à ce que les défenseurs se voient accorder cet accès intégral au dossier.

Il suffit de lire la disposition en cause dans la directive européenne en question pour constater qu’il n’en est rien : « Lorsqu’une personne est arrêtée et détenue à n’importe quel stade de la procédure pénale, les Etats membres veillent à ce que les documents…qui sont essentiels pour contester…la légalité de l’arrestation ou de la détention soient mis à la disposition de la personne arrêtée ou de son avocat » et, plus loin « (ce droit) est accordé en temps utile…au plus tard lorsqu’une juridiction est appelée à se prononcer sur le bien-fondé de l’accusation » :

1) le gardé à vue n’est ni « arrêté » ni « détenu », il est retenu ;

2) il n’est pas évident que la garde à vue fasse partie de la « procédure pénale », au sens européen du terme, puisqu’aucun juge n’a encore été saisi et qu’il n’est pas évident du tout qu’aucun sera saisi plus tard. En toute hypothèse, la garde à vue intervient en France au tout début de la procédure alors qu’elle ne se produit, dans les autres pays qui la pratiquent, que presque à la fin de la procédure préparatoire. Ce n’est pas comparable.

3) les documents à communiquer sont les documents « essentiels » ce qui postule, de toute évidence que la transmission n’est pas intégrale ;

4) le caractère essentiel est celui qui est nécessaire pour apprécier la « légalité » de la détention et non de son opportunité ;

5) ils sont communiqués à la personne poursuivie « ou » à son avocat ce qui ne rend pas la communication à l’avocat nécessaire du moment que l’intéressé a été informé.

6) la communication n’est obligatoire qu’avant la saisine d’une autorité judiciaire qui doit statuer sur les charges étape dont on est encore très loin au moment de la garde à vue française.

En clair, l’article 63-4-1 du Code de procédure pénale donne déjà aux avocats français des droits supérieurs à ceux prévus par la directive. Sa transposition ne changera donc rien au droit positif et c’est heureux car toute autre méthode compromettrait encore un peu plus qu’elle ne l’est aujourd’hui l’efficacité des enquêtes de police alors que le Général d’Armée Soubelet, n°3 de la Gendarmerie, faisait état, lors d’une récente audition à l’Assemblée nationale, d’une réelle diminution des mis en cause en secteur Gendarmerie qui ne peut avoir d’autre explication que l’arrivée des avocats en garde à vue.

Toute personne poursuivie a le droit d’être défendue le mieux possible, mais la Société des innocents a le droit d’être sauvegardée. C’est l’éternel problème de la procédure pénale dans un pays démocratique : il faut trouver un équilibre délicat mais nécessaire entre l’intérêt des mis en cause et celui de la collectivité. L’accès intégral de la personne poursuivie au dossier de la procédure en garde à vue le compromettrait d’une façon excessive en faveur de possibles délinquants.

TRAVAIL DOMINICAL…

 Et les enseignements de la criminologie ?

Un des maux de la société française (mais peut-être de toute société sophistiquée) est son abusive sectorisation. Les problèmes sont traités (quand ils le sont) par leurs spécialistes sans qu’ils songent à s’interroger sur les éventuelles connexions avec d’autres problèmes et les interactions qu’ils pourraient avoir.

L’actualité peut parfois ramener à cette rencontre.

L’insécurité revient sur le devant de la scène publique comme elle n’y avait pas été présente depuis longtemps, et, au sein de celle-ci, la place de plus en plus grande et de plus en plus préoccupante qu’y prennent les enfants mineurs.
Par ailleurs, on s’interroge sur la possibilité de travailler le dimanche et en horaires décalés.
Et il n’est venu à l’idée de personne de faire le lien, pourtant bien réel, entre les deux choses, dans une société où les prétendus « criminologues » foisonnent d’autant plus que le titre n’étant pas protégé chacun peut s’autoproclamer sans risque.

Il y a quarante ans, quand la délinquance des mineurs a commencé à croître significativement, les criminologues, les vrais, qui n’étaient pas encore pervertis par le politiquement correct, relevaient la corrélation statistique manifeste qu’il y avait entre la montée de la délinquance des mineurs et celle de ce qu’ils appelaient « le travail de la mère à l’extérieur ». Cette formule ferait aujourd’hui bondir beaucoup de femmes mais elles n’auraient qu’en partie raison. Ce qui est discutable c’est l’expression d’un phénomène qui n’en est pas moins exact pour le surplus. Une cause importante de la délinquance des mineurs ne tient pas, en effet, au travail de la mère à l’extérieur mais au fait que désormais les deux parents se sont mis à travailler à l’extérieur, laissant très (trop) tôt les enfants largement abandonnés à eux-mêmes une grande partie du temps. La preuve en est fournie par des contre-exemples étrangers : celui du Japon où l’irruption du travail maternel n’a jamais eu l’effet observé ailleurs, dans le monde développé, parce que les grand-mères ont pris le relais des mères nouvelles travailleuses et celui des pays nordiques où il est considéré comme normal que le père reste au foyer alors que la mère travaille. La démonstration est alors faite et elle repose sur le plus parfait bon sens : l’enfant a besoin d’avoir, le plus possible et dans l’idéal en permanence, au moins un proche qui s’occupe de lui.

Et qui ne voit alors les ressources que peut offrir aux familles le travail du dimanche ou du soir pour les membres d’un couple ? Car ce travail décalé, dont tout le monde s’accorde à penser qu’il n’est pas strictement normal, mérite des compensations qui peuvent être non seulement des avantages salariaux mais aussi un aménagement des périodes de travail qui permettrait, entre autres choses, aux parents de s’organiser pour se relayer auprès de leurs enfants. Et il n’est peut-être pas excessif de penser que, compte tenu de ce qu’est la famille aujourd’hui, le travail du dimanche est la meilleure façon d’assurer le bien-être de ces enfants en leur octroyant, à tous leurs moments passés au foyer familial, la présence d’un de leurs parents, car il vaut mieux un parent tout le temps que deux parents quelquefois. Quant aux nombreuses familles monoparentales, le travail hors normes du parent unique pourrait lui fournir l’occasion de confier ses enfants à d’autres membres de sa famille élargie qui ne se trouvent pas dans cette situation, ce qui lui permettrait de se libérer le soir et le mercredi.
Il reste, bien entendu, les époux eux-mêmes. Mais leurs horaires ne sont pas ceux d’enfants et en admettant que le travail et le transport prennent cinquante heures par semaine, il  en resterait encore cent dix-huit pour le couple. Et il n’a jamais été dit que ce mode de vie devait être mené en permanence, l’éducation des enfants ne prenant, en moyenne qu’une quinzaine d’années d’une vie.

C’est donc par un aveuglement évident que l’on voit condamner le travail du dimanche au nom de la préservation de la vie de famille. On peut certes préférer une organisation familiale de type traditionnel dans laquelle le père assure la subsistance d’une famille dont la mère reste au foyer pour élever les enfants tandis qu’ils partagent tous la promenade dominicale. Mais, qu’on en soit heureux ou non, il y a belle lurette que ce modèle a vécu. Et il n’est pas moins intéressant de noter que ceux qui le mettent en avant, dans le débat d’aujourd’hui, sont aussi ceux qui l’ont le plus violemment critiqué et combattu dans le passé et ont conduit à ce qu’il en soit là où il en est. Il est dès lors plus intelligent et plus efficace de gérer au mieux les conséquences de cette disparition plutôt que de tenter d’en sauver des bribes.

Reste l’aspect religieux qui, dans une société laïque ne peut être négligé. Avouons que de ce point de vue, je ne partage pas l’opposition de l’Église catholique à laquelle je revendique, par ailleurs, d’appartenir. Il y a bien longtemps que, pour tenir compte des week-ends à la campagne et des loisirs de tous ordres, l’Église a aménagé la messe dominicale, anticipée du samedi ou retardée du dimanche soir. Le travail et l’avantage d’une meilleure organisation familiale valent bien de profiter des mêmes avantages.

Qu’on cesse donc d’invoquer des contre-vérités pour aller contre le désir de la majorité des clients, mais aussi des usagers des services publics qui aimeraient bien qu’ils soient ouverts même le samedi, au moins, des commerçants, des touristes et de la quasi-totalité des salariés concernés qui savent bien, eux, où est leur véritable intérêt.

PROSTITUTION, PROXENETISME, ENFER ET BONNES INTENTIONS

 

Il est difficile de ne pas être surpris, dans notre société, parait-il surinformée, par le manque de curiosité que suscitent certains phénomènes.

L’ensemble de la classe politique est aujourd’hui très agitée par l’examen d’une proposition de loi relative à la prostitution. Or chaque fois que de telles réformes ont été proposées, dans le passé, elles se sont accompagnées de manifestations publiques de prostituées, suivies de leur invitation aux innombrables « talkshow » de l’ensemble de nos médias.

Aujourd’hui, rien.

L’agitation ne touche que la classe politique, le milieu de la prostitution est d’un remarquable silence et personne ne s’en étonne.

La réponse est simple : si le projet peut partager ceux qui y réfléchissent, il donne entière satisfaction au milieu du proxénétisme (et même, d’ailleurs, au milieu tout court) qui n’a donc pas vu l’intérêt de lancer ses troupes dans la rues et sur les plateaux.

 

Car il est fondamental d’avoir en permanence à l’esprit qu’il n’y a pas de prostitution sans proxénétisme. Si un tout petit nombre des prostituées habituellement invitées à s’exprimer sont probablement sincères quand elles viennent dire qu’elles n’ont jamais vu un proxénète, qu’elles ont choisi librement leur activité et qu’elles s’y épanouissent pleinement, ce n’est pas parce qu’elles exercent hors du proxénétisme, mais parce que le proxénétisme, qui ne les ignore pas, les a délibérément laissées libres d’exercer de cette façon, parce que de cette façon, elles le servent. Celles qui ne cesseront pas à temps d’exercer en libéral seront un jour ou l’autre récupérées et sont, en toute hypothèse, observées. C’est la raison pour laquelle on ne doit traiter le problème de la prostitution que dans la perspective du proxénétisme.

 

Mais tant d’absurdités juridiques et criminologiques sur la prostitution aussi bien de la part des défenseurs du texte que de ses détracteurs ont été dites, ces derniers jours, qu’il convient d’en dire un mot avant de s’attacher au projet lui-même.

Sans le moindre espoir de réussir, il faut tout de même, quand on est conséquent avec soi-même et la sociologie redire que la prostitution n’est pas « le plus vieux métier du monde ». Il y a tout lieu de penser que les premiers métiers ont été ceux de boucher (pour ceux qui ne pouvaient pas chasser), poissonnier, armurier et quincailler, enfin, vendeur de « primeurs »  et possiblement gourou. Pour que la prostitution existe il faut que la société soit suffisamment sophistiquée pour avoir codifié des rapports sexuels considérés comme normaux, ce qui amène à la création de rapports qui échappent à ces règles. Dans l’histoire de l’humanité, c’est certainement tardif. Il me semble qu’il fallait le redire mais ce n’est pas l’essentiel.

La lecture de la plupart des déclarations de celles (car ce sont « celles ») qui ont promu le texte, est profondément agaçante. Toutes ces personnes de bonne volonté qui veulent voler au secours des prostituées oublient, en effet (ignorance ou volonté délibérée ?) qu’il existe une prostitution masculine sans doute au moins aussi importante que l’autre et qui mérite tout autant que l’on s’intéresse à elle. Étant entendu qu’il n’existe aucun chiffre sérieux relatif à la prostitution quelle qu’en soit la forme ou la prise en charge, on doit remarquer, en effet, qu’alors que la prostitution féminine homosexuelle est quasiment inexistante, la prostitution masculine est couramment, elle, à la fois homo et hétéro sexuelle, le racolage public, notamment dans certains lieux de la capitale étant essentiellement masculin. Il faut donc savoir si l’on veut défendre les femmes ou lutter contre la prostitution car les instruments à mettre en place ne sont pas du tout les mêmes.

On peut envisager de pénaliser les clients, mais on voit mal quel lien existe entre la création de cette infraction et la suppression corrélative de celle de racolage public que la proposition de loi relie, tant elles n’ont aucun rapport l’une avec l’autre.

La pénalisation du client est une vieille lune de la criminologie. Son but est de moralisation : « responsabiliser » les demandeurs sur le sort des « femmes » (toujours) prostituées, ce que confirme la création, dans le projet de loi actuel d’une peine complémentaire de « stage de sensibilisation » (le ridicule n’a pas de limite). Mais cette nouvelle infraction serait davantage en rapport avec une société Victorienne qu’avec une société post soixante-huitarde libérée, d’où la réaction des « 343 salauds » et d’EELV intellectuellement cohérents, eux.

On nous dit, mais c’est, comme d’habitude dans ce domaine, difficilement vérifiable car le phénomène, s’il existe, pourrait s’expliquer par bien d’autres facteurs, que dans les pays nordiques où l’on pratique la méthode, cela a fait disparaitre la moitié de la prostitution de rue. Il ne faudrait tout de même pas être assez naïf pour ne pas comprendre que cette prostitution, qui n’est plus « de rue » s’est déplacée ailleurs et qu’elle n’a donc nullement diminué.

Le racolage public parait moins orienté, a priori vers la prostitution que vers l’ordre public. Il s’agit d’éviter le désordre récurrent de la « péripatéticie » et son cortège d’encombrements automobiles. Pour autant, il est lui, un vrai moyen de lutte contre le proxénétisme. Il faudrait que les bonnes âmes cessent de pleurer sur les malheurs des prostituées rançonnées par l’État via sa police. Car il faut être tout de même bien gogo pour croire que ce sont les prostitués qui paient les amendes qui leurs sont, d’ailleurs peu souvent et parcimonieusement attribuées pour racolage. Ils n’en auraient, d’ailleurs pas les moyens. Les amendes pour racolage ce sont des frais généraux de l’activité qui viennent en déduction des bénéfices et c’est la raison pour laquelle, dès qu’on envisage d’augmenter le périmètre de l’infraction, le proxénétisme sort ses bataillons. Supprimer le racolage c’est faire un cadeau au proxénétisme et même au milieu, en général, le Ministre de l’intérieur, qui a du bon sens, lui, ayant fait remarquer qu’en le supprimant on perd une appréciable source de renseignements que la conduite de la procédure permettait d’obtenir.

Le proxénétisme est un trafic. Pour gêner un trafic il n’existe qu’une seule méthode : lui faire perdre de sa rentabilité. L’incrimination du racolage avec des peines uniquement pécuniaires et une application effective, est un bon moyen de lutte contre l’exploitation des prostitués que quelques bonnes âmes, sans doute sincères, sont en train de faire perdre

Sans être fidèle de Marine le Pen, on ne peut enfin nier le rapport ici clairement établi entre la prostitution et l’immigration clandestine. On dit (ce chiffre est douteux, comme tous les autres et n’offre qu’un ordre de grandeur) que 90 % des femmes prostituées à Paris sont des étrangères en situation irrégulière mais il ne semble venir à l’idée de personne qu’un bon moyen de lutter contre le proxénétisme serait alors de mieux surveiller les entrées en Europe. Pire. Toujours avec d’excellentes intentions, les promoteurs de la réforme envisagent d’étendre la possibilité qui existe déjà de régulariser les prostitués en situation irrégulière qui dénoncent leur réseau. Ne voit-on pas qu’en faisant cela et en faisant de la publicité autour de ces dispositions, on risque de faire germer dans des esprits faibles l’illusion du : « je vais venir dans le cadre d’une filière de proxénétisme ; j’exercerai quelques temps ; puis je m’échapperai, je les dénoncerai et je serai régularisé ». Et les malheureux seront en esclavage aussi longtemps qu’ils seront en état de servir. Bravo pour ceux qui disent voter le texte par souci humanitaire.

 

Il restera éternellement vrai que l’enfer est pavé de bonnes intentions et il y aura toujours ceux que Lénine qualifiait d’« idiots utiles ».

CHRISTIANE TAUBIRA ET L’ŒUF DE CHRISTOPHE COLOMB

Christiane Taubira soulève les passions y compris exprimées par les moyens les plus contestables et qui doivent être fustigés à la hauteur de ce qu’ils sont.

Mais ce n’est pas une raison pour perdre toute lucidité dans l’analyse comme on le fait à gauche comme à droite à propos de la réforme pénale qu’elle soutient. Ce n’est ni « une grande réforme » ni une catastrophe pour la sécurité publique car ce qu’on peut en dire, si l’on veut résumer en une phrase, c’est au choix « nulle et non avenue » ou « circulez, il n’y a rien à voir ».

La France aime charger des commissions, des personnalités ou des ministres d’élaborer des projets qui seront abandonnés le jour même où ils sont dévoilés. Elle a fait particulièrement fort, depuis quarante ans, en matière de justice pénale. Du moins tous ces projets, totalement ou partiellement abandonnés, avaient-ils présenté une ou plusieurs idées originales, qui ont finalement laissé quelques traces, et qu’on a retrouvées au fil de réformes postérieures. Ce qui caractérise le Projet Taubira, c’est l’absence totale de toute idée neuve, le degré zéro de la réflexion en matière de politique pénale.

Le principal effet de ce projet de loi, comme d’ailleurs d’autres de ce même gouvernement en d’autres domaines, c’est la suppression de ce qui avait été fait auparavant. Exit donc les tentatives pour sanctionner plus sévèrement les récidivistes et dont les peines dites « plancher » étaient le symbole. On ne peut pas dire que ce soit une idée transcendante. Mais sur le fond et si c’est à l’évidence regrettable, ce n’est pas pour autant le drame que d’aucuns nous décrivent tant, ce qui avait été fait, si c’était mieux qu’avant, demeurait insuffisant. Il est évident : qu’il faudrait se décider à mener une vraie politique de lutte contre la récidive ; que cela n’a jamais été fait ; que ce n’est certainement pas ce que fait le projet actuel ; et, enfin, que pour que l’actuelle opposition revenue au pouvoir le fasse un jour, il faudrait qu’elle cesse d’avoir peur de son ombre et des critiques des bien pensants qui parlent beaucoup pour faire croire qu’ils pensent mais ignorent plus encore.

Il y a dans ce projet une seule innovation intéressante, celle à laquelle aucun de ses commentateurs n’a consacré la moindre ligne : la possibilité accordée aux juridictions de jugement de suspendre celui-ci pour permettre de rechercher les éléments susceptibles de mieux évaluer la personnalité du prévenu et qui ne figureraient pas au dossier. On ne peut cependant pas dire que cette idée soit nouvelle. Je l’avais moi-même suggérée…il y a trente ans… (Pour une politique anti-criminelle du bon sens) et d’autres l’avaient fait aussi avant et après.

Pour le reste, le projet Taubira se contente d’organiser un désordre encore plus grand que celui qui existe aujourd’hui dans le prononcé et l’exécution des peines correctionnelles.

La prétendue « contrainte pénale » n’est rien d’autre que le sursis avec mise à l’épreuve, qui existe depuis 1958, sinon tel qu’il figure dans la loi, du moins tel qu’il est appliqué par la pratique. On nous dit que la différence entre les deux institutions viendrait du fait qu’en cas de non-respect des obligations qui lui ont été imposées ou de commission d’une nouvelle infraction, la personne aujourd’hui condamnée avec un sursis va tout de même en prison alors qu’avec la contrainte pénale elle n’y ira plus. Outre qu’on peut douter du bien-fondé de la méthode, c’est doublement faux. Depuis 1975, le sursis avec mise à l’épreuve n’est automatiquement révoqué par rien. C’est à la nouvelle juridiction saisie à la suite de la mauvaise conduite du probationnaire qu’il incombe de dire si elle veut ou non révoquer le (ou hélas, le plus souvent, les) sursis précédent(s). En outre et si elle opte pour la révocation, elle peut ne le faire que de façon partielle (un des sursis précédent et non les autres ou une partie seulement de la peine d’emprisonnement qui avait été assortie des sursis). Par ailleurs, à l’inverse, et quoiqu’elle en pense ou dise, Madame Taubira a bien été obligée de prévoir l’emprisonnement de son « contraint » s’il ne veut décidément rien entendre. La différence, c’est qu’ici la durée de l’emprisonnement est préfixée à la moitié de la peine initialement prononcée (on est de gauche ou on ne l’est pas). Mais compte tenu de ce qui se passe actuellement avec le sursis avec mise à l’épreuve et que nous venons de rappeler, cela ne changera pratiquement rien. Quant à savoir quand et comment les juges choisiront l’une ou l’autre formule, qui subsistent toutes les deux, sans parler de beaucoup d’autres possibilités, mystère.

Mais c’est surtout quant aux obligations susceptibles d’être imposées que le texte est d’une anémie affligeante. Ce ne sont, en effet, que les seules obligations ou interdictions connues aujourd’hui et actuellement prévues au titre du sursis avec mise à l’épreuve ou qui existent, en tant que telles, qui pourront être imposées au contraint. On aurait attendu mieux d’une mesure devant s’appliquer à des prévenus dont « la personnalité … et les circonstances de la commission des faits justifient un accompagnement socio-éducatif individualisé et renforcé » alors surtout que la mesure peut s’appliquer pour cinq ans ce qui laisse tout de même, si on le veut, la possibilité de faire quelque chose. Il aurait convenu, par exemple, d’imposer des obligations non pas de moyens (faire tout son possible pour…) ce qui compte tenu de la clientèle concernée relève, la plupart du temps, du cautère sur une jambe de bois, mais des obligations de résultat (apporter une preuve de désintoxication effective ; obtenir une qualification professionnelle ; garder le même logement et le même travail pendant plus d’un an, par exemple), à condition, bien entendu, que l’intéressé l’accepte car il ne peut être question, en démocratie, d’imposer un mode de vie à quelqu’un qui n’en veut pas . Le prévenu devrait donc avoir le choix entre les moyens d’une resocialisation offerte et la prison. Bien entendu, on chercherait vainement tout ça dans le texte, où l’on continue dans le domaine de l’incantation en priant poliment les condamnés de faire tout leur possible pour se réinsérer socialement. On ne commencera donc à faire quelque chose de sérieux aux délinquants que lorsqu’ils commettront une infraction qui encourt une peine supérieure à cinq ans d’emprisonnement, ce qui ne manquera pas de se produire dans un nombre de cas significativement plus élevé que si l’on avait efficacement réagi plus tôt. Jusque-là ils ne craignent pas grand-chose à gagner leur vie par des moyens illégaux mais tellement moins fatigants et plus rentables que ceux qu’appliquent la majorité des français qui respectent la loi et doivent, en plus, subir les attaques de ceux qui ne le font pas.

Reste enfin, l’insuffisance criante et qui le restera du personnel chargé d’encadrer tous ces condamnés laissés en milieu libre (les sursitaires, les contraints, les sortants de prison, etc…) et ce ne sont pas les quelques créations de poste qui sont annoncées qui y changeront quelque chose. On peut faire un calcul simple : un mois compte 24 jours ouvrables, on ne peut pas dire qu’un condamné qui a besoin d’un « accompagnement socio-éducatif individualisé et renforcé » est convenable suivi s’il ne rencontre pas la personne chargée de l’encadrer au moins une demi-journée par mois ; conclusion : chaque membre du personnel ne doit pas avoir en charge plus de 48 dossiers. C’est en toute hypothèse impossible. Le budget de la justice ne supporterait pas le poids des rémunérations du nombre de personnes nécessaires à cette prise en charge et, en admettant qu’il le fasse, on ne trouverait pas suffisamment de personnes motivées et convenablement formées capables de le faire. Une semblable méthode qui n’a rien, en elle-même de fondamentalement mauvais doit être très précisément ciblée sur quelques prévenus choisis après un examen approfondi de leur situation et non étendue à tous, ce qui est le vice fondamental du projet mais aussi, répétons-le, du droit positif.

Alors, le projet Taubira, un coup pour rien ? Techniquement oui. Mais en matière de politique pénale, il n’y a pas que la technique.

En 1981, l’élection de François Mitterrand a été saluée par des chahuts d’applaudissements dans toutes les prisons françaises. Rien n’avait encore été fait, mais les délinquants avérés ou en puissance avaient acquis le sentiment que leur situation allait s’améliorer et l’explosion de la délinquance qui a suivi n’était pas uniquement due à la politique menée, aussi mauvaise qu’elle ait été, mais aussi, et d’abord, à un sentiment d’impunité qui s’était installé avant même que cette politique ne se développe. C’est un message du même ordre qu’envoie Christiane Taubira, mais qui, là encore, avait commencé avant même que son texte ne soit connu, la personnalité de Manuel Valls ne semblant pas suffisante pour contrebalancer ce sentiment d’impunité aujourd’hui bien installé.

Pour une fois il serait vraiment utile de jeter un projet à la poubelle. Il est clair qu’on l’a déjà retardé, mais comme je viens de le dire le mal était déjà fait et il faudra beaucoup plus qu’un retard ou même qu’un abandon pour qu’on fasse reculer le sentiment d’impunité qui prévaut aujourd’hui, et que suscitent la personnalité et le discours de Christiane Taubira.

EDITORIAL

Si vous venez pour la première fois lisez peut être d’abord l’édito

Les pessimistes qui prédisent la fin de notre modèle de civilisation et comparent la situation actuelle à celle de l’Empire Romain décadent ont certainement quelques raisons de penser ainsi.

Il manque cependant un élément à leur raisonnement et une faille à leur comparaison : l’état de la technologie qui accorde le moyen de se manifester à ceux qui pensent qu’il y a mieux à faire que d’adopter la pensée unique contemporaine de même qu’il y avait mieux à faire que de débattre du sexe des anges.

Explication :

Pour la première fois d’une carrière déjà longue, j’ai fait l’objet d’une censure, dans une revue juridique de renom à laquelle je collabore depuis un nombre d’années considérable, alors que je souhaitais y publier un article juridique, avec des arguments juridiques, étayés par ce qu’il est convenu d’appeler un appareil scientifique.

Peut-être n’est-on pas le meilleur juge de la valeur de ses propres travaux et doit-on admettre, pour la validité du raisonnement, que l’article en cause était possiblement mauvais.

L’ennui, c’est que simultanément, l’autre revue juridique comparable refusait la même chose à des collègues dont l’autorité ne peut être discutée et qui ont dû, pour obtenir tout de même une publication, recourir à l’artillerie lourde du droit de réponse.

Il ne s’agissait donc pas d’un problème ponctuel et personnel mais d’une tendance générale.

La première réaction est alors la fureur et l’idée que décidément tout est F…

Dès lors que les revues réputées scientifiques se mettent à suivre une ligne idéologique, quelle qu’elle soit, ce qui est la négation même de l’Université, on devient fortement tenté d’aller cultiver son jardin, élever des moutons ou faire du surf dans des contrées lointaines.

Mais vient, ensuite, l’idée du remède offert par la fée technologie : le Blog.

Je m’accuse d’avoir considéré jusqu’à présent le ‘bloging’ comme, au choix ou cumulativement, un exutoire pour adolescents en mal de reconnaissance,  un jouet pour dilettantes oisifs ou un moyen de se maintenir en lumière pour des  mégalos n’acceptant pas l’idée d’être absents de la scène médiatique. J’aurais sans doute renvoyé assez sèchement dans leurs cordes ceux qui se seraient étonnés de mon absence de la blogosphère.

Mais il serait absurde de se priver d’un moyen de s’exprimer dès lors qu’il devient difficile de le faire ailleurs, d’où CE blog et la nécessité d’expliquer sa genèse  pour que ses lecteurs éventuels comprennent bien de quoi il s’agit : de mon espace de liberté.

Il n’est donc pas question que je remplace une sujétion par une autre.

Ce blog n’aura aucune périodicité prédéterminée. Ayant dépassé depuis longtemps le stade où il faut le faire, je n’écris plus parce qu’il faut écrire, mais parce que je pense qu’il y a quelque chose à dire. Avec le droit pénal d’aujourd’hui, j’ai, cependant souvent envie de dire.

Ce blog n’exclut, a priori aucun sujet. S’il est bien évident qu’il sera d’abord et très majoritairement consacré à ce dans quoi on veut bien reconnaitre à l’auteur quelque autorité : le droit et la justice pénale, il n’est pas dit qu’il n’y aura pas quelques incursions dans d’autres secteurs de la vie sociale (sociétale dans le jargon contemporain).

Tourné d’abord vers le grand public intéressé par la justice pénale, auquel on raconte trop souvent, dans ce domaine, des âneries, ce blog n’exclut pas non plus quelques a parte beaucoup plus pointus en direction des spécialistes lorsque je penserai que telle ou telle question a été mal traitée (maltraitée) dans les revues juridiques censées être scientifiques ainsi que les incidents rapportés ci-dessus conduisent à penser que ce n’est plus exclu.

Merci à tous ceux qui voudront bien sinon me suivre, du moins me lire.

A bientôt…