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PROPOS DIVERS DE RENTRÉE

Après la somnolence estivale, tout ce qui, universitaire, magistrat ou avocat peut être identifié comme tel par l’Ecole de formation des Barreaux de la Cour d’appel de Paris et qui a suffisamment le souci de la chose publique pour ne pas se défiler, est réquisitionné pour tous les jours ouvrables du mois de septembre et du début du mois d’octobre, pour assurer les jurys du Certificat d’aptitude à la profession d’avocat. C’est ce qui explique le côté décousu de cette chronique qui rassemble des questions diverses qui auraient dû être traitées en leur temps et n’ont pas pu l’être.

1) Et tout d’abord le CAPA.

C’est une fois de plus l’occasion de constater la folie dans laquelle le système continue de s’embourber avec un nombre de candidats ahurissant de quelques mille cinq cents à Paris, dont tout le monde sait qu’il ne pourront tous trouver leur place au barreau et que beaucoup finiront ailleurs, comme il le pourront, après six ou sept années d’études et quelques autres de tentative d’exercice, dans un total désenchantement et une complète amertume. C’est le résultat, pour le barreau (comme pour l’université, d’ailleurs) du laisser-faire la loi de la nature au lieu d’organiser une rationnelle orientation.

Et c’est une fois de plus l’occasion de se demander pourquoi les barreaux et spécialement le Barreau de Paris dont on connait le talent pour le lobbying n’arrivent pas à se prononcer en faveur de la seule solution sérieuse à ce problème : laisser chaque barreau fixer un numerus clausus déterminant, chaque année, le nombre de nouveaux avocats qu’il peut accueillir dans de bonnes conditions et qui devrait seul être admis dans les écoles de formation par un concours d’entrée substitué à un examen d’entrée.

Il est vrai que l’explosion du nombre des aspirants à la profession d’avocat traduit, pour l’essentiel, le nombre excessif des étudiants en droit inscrits dans les Universités. Mais elles n’ont, elles, ni le droit de les refuser, ni celui de les sélectionner et il y a bien un moment où il faudrait que l’absurdité cesse. Or on ne voit pas ce qui peut bien justifier que seul de toutes les grandes professions du droit, le barreau continue de ne pas se recruter par concours.

2) Ensuite les fondements de l’Etat.

Le 24 septembre, le Premier ministre participait à une émission politique de télévision très suivie. Interpellé sur des propos de son ministre de l’économie, le Premier ministre s’est livré à une analyse de la fonction publique où il souhaitait démontrer la nécessité de celle-ci, dans le cadre de laquelle il citait, parmi les « fonctionnaires », les militaires et les magistrats.

Il est frappant que les réseaux sociaux aient immédiatement relevé l’erreur concernant les militaires mais que personne ne semble avoir réagi pour ce qui concerne les magistrats. Car si, ni les uns, ni les autres, ne sont des fonctionnaires, la confusion faite en ce qui concerne les magistrats est autrement plus grave que celle relative aux militaires tant elle trahit une totale méconnaissance de ce qu’est l’essence de la démocratie, inquiétante pour des citoyens et hallucinante pour un Premier ministre.

Si la loi a cru bon de préciser que les militaires ne sont pas des fonctionnaires, c’est parce qu’il manque, à leur statut quelques règles particulières comme le droit de grève, par exemple. Mais cela ne va pas plus loin.
Et la différence avec les magistrats saute immédiatement et formellement aux yeux : il est tellement évident que les magistrats ne sont pas des fonctionnaires que ni la Constitution, ni la loi n’ont, contrairement à ce qui est écrit pour les militaires, jugé utile de le dire dans la mesure où l’unique point commun entre les uns et les autres est le fait qu’ils sont tous les deux payés par l’Etat. Pour le reste, le statut de la magistrature est totalement différent de celui des fonctionnaires et cela s’impose dans une démocratie ou la Justice est un Pouvoir (une Fonction ou une Autorité, si l’on veut, ces mots n’ayant pas, ici, d’importance) indépendant et notamment indépendant du pouvoir exécutif chef de la fonction publique.

Qu’une pareille monstruosité juridique ait pu être proférée par le Premier ministre sans que qui que ce soit, à commencer par le Garde des Sceaux, pourtant présente, n’ait protesté a de quoi faire frémir tous ceux qui ont consacré leur vie à l’Institution.

Mais il faut toujours balayer devant sa porte et il n’est pas possible de ne pas relever que beaucoup, y compris parmi les gardes des sceaux et, plus grave, parmi les universitaires, dont certains n’hésitent pas à intituler ainsi des chapitres d’ouvrages censés être scientifiques, n’hésitent pas à parler de « service public de la Justice » ce qui est une façon différente mais tout aussi grave de s’exprimer. La Justice n’est pas un « service public » et n’est même pas pour l’essentiel (la justice pénale), un service rendu au public, c’est un service rendu à la Nation.

3) Encore les délais de l’appel des arrêts de la Cour d’assises.

Loi des séries, deux personnes condamnées en première instance, par des cours d’assises, sous des qualifications très graves (homicide d’un policier, d’une part, et assassinat dont il n’est pas exclu qu’il ne soit pas unique, de l’autre), ont été, en l’espace d’une semaine, remises en liberté avant le jugement de leur appel, parce que la durée de leur détention provisoire (de plus de 5 et 6 ans) a été jugée déraisonnable.
Il est difficile de ne pas partager la position de fond des chambres de l’instruction, même si la conséquence qu’elles en ont tiré a de quoi choquer en pratique et si les remèdes possibles ne sont pas tous évidents.

a) Le plus simple serait de casser le thermomètre. On nous dira que c’est toujours une mauvaise solution. Mais on peut faire remarquer ici,  qu’elle aurait l’avantage d’aligner la position française sur celle de la plupart des pays du monde, un grand nombre des pays européens et tous les pays anglo-saxons.

Contrairement à ce qui se dit partout, la conception française de la présomption d’innocence est beaucoup plus étendue qu’elle ne l’est dans les autres systèmes juridiques. En droit français, en effet, la présomption d’innocence a toujours été considérée comme devant s’appliquer à l’ensemble de la procédure pénale, depuis le début de la poursuite jusqu’à la condamnation définitive, c’est-à-dire jusqu’à ce que l’affaire ne puisse plus donner lieu à aucune voie de recours. Une personne condamnée en première instance demeure innocente si elle fait appel et reste, par conséquent, si elle est détenue, en détention provisoire. La conception anglo-saxonne, au contraire, fait cesser la présomption d’innocence avec la première déclaration de culpabilité prononcée par une juridiction de jugement. C’est pour cette raison que si les condamnés à l’emprisonnement en première instance et qui font appel sont toujours considérés, en France, comme étant en détention provisoire, les condamnés anglo-saxons dans la même hypothèse sont, eux, considérés comme provisoirement, au moins, condamnés, et, s’ils restent détenus, comme ayant commencé à exécuter leur condamnation définitive.

Si donc on en est arrivé, dans les deux affaires qui nous retiennent à des délais de détention provisoire déraisonnables de plus 5 et 6 ans, c’est parce qu’on a additionné, pour arriver à ce résultat, le délai de « vraie » détention provisoire pendant la procédure d’instruction, celui de la privation de liberté pendant le jugement de première instance et celui couru depuis le jugement de première instance dans l’attente de l’audience d’appel. Adopter comme les anglo-saxons une conception de la présomption d’innocence et donc de la détention provisoire limitée à ce qui se passe avant le jugement de première instance réglerait le problème.

Or pour ce faire il n’est même pas besoin d’une modification législative. Un simple changement d’interprétation suffirait car la durée retenue pour notre présomption d’innocence ne résulte que d’une tradition.
Les deux seuls textes de notre législation qui envisagent la question de la présomption d’innocence sont, d’une part l’article 9-1 du Code civil qui déclare que « Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence » et l’Article préliminaire du Code de procédure pénale selon lequel : « III. Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie… ». On remarquera qu’aucun des deux ne se réfère à une quelconque étendue de la présomption d’innocence selon les phases de la procédure et que, par conséquent, rien ne s’opposerait à ce qu’on considère que la « culpabilité (est) établie » (provisoirement, certes, mais il n’importe) dès lors qu’elle a été retenue en première instance.

b) Un remède plus satisfaisant mais plus compliqué consisterait à revoir l’organisation de la cour d’assises, d’une part, et la façon dont la Chambre criminelle de la Cour de cassation fait fonctionner l’appel criminel, de l’autre.

Une première modification s’impose depuis longtemps : faire de la cour d’assises une juridiction fonctionnant en permanence (du 1er janvier au 31 décembre comme le dit le Code de l’organisation judiciaire pour la plupart des autres) et non plus par sessions (dans la pureté des principes une session de quinze jours par trimestre). Certes, dans les circonscriptions à très forte délinquance, il y a longtemps qu’on a pris l’habitude de faire se succéder les sessions les unes aux autres, en sorte qu’en pratique la juridiction fonctionne tout le temps par sessions successives. Mais ce n’est pas le cas partout et rendre permanentes les cours d’assises de province permettrait de délester, pour l’appel au moins, les juridictions particulièrement encombrées, ce qui diminuerait le temps d’attente avant second jugement.

Si l’on a originairement choisi la méthode de la session pour les cours d’assises, c’est parce que celle-ci comportant un jury on a estimé qu’on ne pouvait pas raisonnablement détourner des jurés de leur vie personnelle plus de quinze jour d’affilée. Mais il y a un moyen tout simple de remédier à cela. Il suffirait de supprimer le jury de session et de tirer au sort les jurés pour chaque affaire, à partir de la liste annuelle du jury. Certes, il y a des affaires complexes qui nécessitent parfois quinze jours d’audience. Mais ce n’est pas la majorité des cas. Et cette méthode n’aurait que des avantages :
Elle permettrait à un plus grand nombre de citoyens d’être associés à la justice.
Elle éviterait « l’écrémage » bien connu des jurys qui fait que, parce que toutes les personnes qui jouent un rôle important dans la société ne peuvent pas envisager d’en être distraites, ne serait-ce que quinze jours, elles s’efforcent d’obtenir une récusation, ce qui fait obstacle à une réelle représentativité des jurés. Une absence de deux ou trois jours serait sans doute mieux perçue et permettrait de revenir à cette représentativité.
Elle éviterait, ce qu’on voit parfois, au sein des jurys de session, qui restent en place pour juger toutes les affaires de la session, une petite guerre faite par les jurés aux magistrats professionnels lorsque, n’ayant pas obtenu ce qu’ils souhaitaient dans une affaire donnée, ils se vengent lors du jugement de la suivante en s’opposant, par principe, aux votes des magistrats professionnels alors que le fond de l’affaire n’appelle pas forcément telle ou telle position de leur part. Chacun ne jugeant qu’une affaire serait uniquement concentré sur celle-ci.

Mais pour que cette extension des possibilités de jugement joue son rôle, il faudrait que la Chambre criminelle de la Cour de cassation modifie sa méthode concernant l’appel des arrêts d’assises. Lorsqu’un appel est formé contre un arrêt de cour d’assises, c’est à la Cour de cassation qu’il revient de désigner la juridiction de renvoi. Or celle-ci a pris l’habitude, que rien n’impose dans les textes, de renvoyer à une cour d’assises aussi proche que possible géographiquement de celle qui avait statué en première instance. Lorsqu’un renvoi est fait au sein d’une région à forte délinquance, l’attente est donc forcément importante avant le second jugement.
Dès lors que toutes les cours d’assises pourraient statuer à tout moment et que l’informatique permet d’être informé de l’état de leur contentieux, il suffirait, pour aller plus vite, de choisir comme cour d’assises du second degré, une cour d’assises que l’on saurait disponible. Et l’on aurait, en outre, l’avantage de faire juger l’affaire par des jurys sociologiquement différents et donc, là encore, dans leur ensemble, plus représentatifs.

4) Enfin, Nadine Morano.

Le personnage a de quoi agacer mais il n’est pas unique. On le trouve dans toutes les formations politiques (R.Dati, S.royal, N. Mamère, etc…). Il s’agit de personnes qui momentanément ou non privées de postes d’ampleur nationale se croient obligées de parler tout le temps de crainte d’être oubliées.

Sur le fond de la polémique tenant au fait que Nadine Morano a déclaré que « La France est un pays de race blanche », seuls cependant, et ils ne devraient pas être nombreux, ont le droit de lui jeter la pierre ceux qui habitués à la parole publique directe peuvent être certains de ne jamais avoir employé un mot pour un autre ou une formule discutable. Le signataire de ces lignes qu’on peut considérer de profession et d’engagement comme appartenant à la catégorie des habitués ne le fera certainement pas. Dérapage, oui, mais dérapage banal, compréhensible et de ce fait négligeable.

Si Nadine Morano avait déclaré que « la France est un pays majoritairement habité par des gens de couleur de peau blanche », les professionnels de l’indignation, qui ne font pas dans la dentelle, se seraient  sans doute tout autant étranglés (mais ni plus ni moins). Il n’y aurait eu pourtant aucun dérapage dans une affirmation objectivement exacte et qui serait même passée, il y a cinquante ans, pour un poncif. Et il en serait de même du fait que le catholicisme reste encore la première religion en France, que Clovis a été baptisé, que l’ensemble des rois de France a été sacré, etc. etc..

Circulons donc. Il n’y a pas grand-chose à voir.

SIX MOIS D’APPLICATION DE LA CONTRAINTE PENALE

NB. Par suite d’un caprice que nous espérons temporaire, le logiciel du fournisseur d’acccès refuse de prendre les nombres en chiffres. Il a donc été nécessaire de les traduite  en lettres ce qui rend l’article ci-dessous, commentant des statistiques,  particulièrement difficile à lire. Merci à ceux qui le feront quand même mais l’actualité est l’actualité.

 

L’étude d’impact réalisée pour la loi du dix-sept août deux mille quatorze créant la contrainte pénale, envisageait que celle-ci serait appliquée entre un minimum de huit mille fois et un maximum de vingt mille fois par an. Les chiffres publiés après six mois d’application de la mesure (entre le premier octobre et le trente mars) sont donc particulièrement intéressants.

Ces chiffres font état de cinq cent trente six condamnations à la contrainte pénale prononcées par 100cent tribunaux de grande instance, soit un déficit de trois mille quatre cent soixante quatre condamnations sur le minimum des évaluations annoncées. Autre information intéressante, il ne s’agit pas du traditionnel retard au démarrage puisque le mois de mars, dernier mois des statistiques, fait état de cent six condamnations et reste donc globalement dans la moyenne générale.

La première remarque ne peut que concerner la difficulté de l’exercice d’étude d’impact et donc  le caractère très approximatif de ses résultats. Quel que soit le sérieux mis à la réaliser, les résultats se heurteront toujours (du moins espérons-le) à ce qu’il est impossible d’envisager à l’avance, avec une raisonnable certitude, les analyses personnelles faites par des magistrats de chair et de sang et surtout, comme Hercule Poirot, dotés de « petites cellules grises ».

La seconde remarque est évidemment l’échec cuisant de cette mesure présentée par ses auteurs comme devant être l’Alpha et L’Omega de la condamnation pour délit, échec qu’il n’était pas difficile de prévoir.

Toute la doctrine ou presque a fait remarquer que la contrainte pénale n’apportait rien de nouveau par rapport aux mesures qu’il était déja possible d’imposer aux délinquants dans le cadre du sursis avec mise à l’épreuve. Il en est ainsi du plus grand nombre des mesures choisies dans le cadre des contraintes pénales prononcées: l’obligation de se soumettre à des soins qui figure dans quarante-huit pour cent des cas et celle d’exercer une activité professionnelle, de suivre un enseignement ou une formation professionnelle (3737trente-sept pour cent des cas).

Est-ce donc à dire qu’il s’agissait d’un « coup pour rien »?

Il n’en est rien car il reste quelques détails d’application qui sont pour le moins inquiétants.

La principale différence voulue entre la contrainte pénale et le sursis avec mise à l’épreuve était, qu’au moins théoriquement, le sursitaire qui ne se conformait pas à ses obligations risquait de se voir soumis à l’emprisonnement prononcé contre lui pour l’infraction commise et auquel il n’était que sursis. La menace était très théorique compte tenu du faible taux des révocations prononcées et plus encore des révocations totales, mais elle existait. Dans le cadre de la contrainte pénale, aucune condamnation à l’emprisonnement n’est simultanément prononcée pour l’infraction jugée, la juridiction se bornant à prévoir une possibilité d’emprisonnement, dont elle fixe la durée, pour le cas de mauvaise conduite de l’intéressé. Or la durée des emprisonnement prévus, dans les condamnations prononcées pour contrainte pénale, durant les six mois concernés, à été pour vingt-six pour cent des cas comprise entre un et trois mois, dans quarante-huit pour cent des cas, entre quatre et six mois et dans vingt et un pour cent des cas entre sept mois et un an. C’est dire qu’en toute hypothèse le « contraint » pénal et cela quoi qu’il fasse, n’ira pas en prison. Seules, en effet, ont une chance d’être mises à exécution effective les peines de plus de deux ans, et encore, comme vient de le préciser la Cour de cassation, de deux ans « nets » (déduction faite d’une éventuelle détention et du calcul des crédits de réduction de peine annoncés à tout incarcéré, à son entrée, ce qui peut facilement monter jusqu’à une condamnation à trois ans).

La seconde information inquiétante est celle qui concerne les délits pour lesquels la mesure a été choisie. les trente-trois pour cent de contentieux routier demanderaient, pour émettre une opinion, d’être davantage précisés. Les sept pour cent d’infractions en rapport avec les stupéfiants amènent à espérer qu’il ne s’agissait que de consommation et pas de trafic. Mais les trente-trois pour cent de faits de violences volontaires et les dix pour cent d’atteintes aux biens concernant essentiellement des vols, sont inacceptables. S’il y a bien un domaine qui devrait, par principe, échapper à ce type de mesures c’est celui de la violence. Car proposer à l’encontre d’un violent quelque chose qu’il ressentira comme n’étant « rien » ne peut que l’inscrire dans la pente qui le conduira à recommencer.

Révélée inutile par ces statistiques, compliquée et dans certains cas dangereuse, la contrainte pénale devra nécessairement être, au minimum repensée. C’est manifestemenjt l’avis des magistrats qui, fort heureusement, la prononcent si peu.

 

PRINCIPE DE PRECAUTION, RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE et SERVICES DE SECURITE

Le principe de sécurité figure désormais dans la Constitution et beaucoup s’en désolent au motif que cela bloque toute évolution scientifique.
Qu’ils se rassurent : ce principe est ignoré même des plus régaliens des services de l’Etat, ceux du secours aux personnes.

Connaissez-vous la chenille processionnaire ?
C’est une bestiole magnifique, orange fluo et noir, recouverte de superbes poils blancs et frisés qui n’ont que l’inconvénient de diffuser un venin qui brûle gravement tout ce qu’il touche allant jusqu’à nécroser des muscles ou détruire totalement, un système digestif si par malheur, la chenille est ingérée.
Jusqu’à présent la chenille processionnaire ne dépassait pas les conifères (elle ne pond que dans les conifères) du sud de la Loire. Mais réchauffement climatique aidant, elle est en train de se répandre comme une trainée de poudre au nord où, généralement on ne connait ni elle-même si ses capacités de nuisance. L’ennui c’est que les services de secours n’en ont pas pris conscience non plus.

Si donc vous avez le malheur de voir votre jardin envahi par des chenilles processionnaires et des enfants qui, comme beaucoup, se promènent pieds nus dans l’herbe, ils risquent une nécrose de la plante des pieds. S’ils sont plus âgés et qu’animés par un esprit de curiosité scientifique, ils ramassent la chenille pour l’examiner de plus près, ils auront de graves problèmes aux mains et s’ils sont plus jeunes, de l’âge où l’on porte n’importe quoi à sa bouche ou que nouveau-nés ils dorment la bouche ouverte dans leur berceau, je vous laisse imaginer la suite. Et je ne cite que pour mémoire les animaux domestiques, ou même d’exploitation qui sont, bien évidemment les plus exposés à avaler les intruses et qui mourront le tube digestif progressivement détruit dans des souffrances atroces.

Pas de panique, est-on tenté de penser: il suffit de faire couper les cocons avant la maturité de leurs habitantes.

Mais là, bonne chance !

Les pompiers ayant décidé depuis une dizaine d’années qu’ils n’interviendraient plus sur les «insectes» parce que ceux-ci ne sont pas assez dangereux, vous vous adressez à une entreprise privée. Elle vient et vous débarrasse de tout…ce qui est à moins de quinze mètres de hauteur car il semble qu’une clause de style des assurances de jardinerie ne permette pas de couvrir leurs salariés pour une hauteur supérieure. Et les naïfs de vous affirmer : « Au-dessus ce sont les pompiers ».

Et vous appelez les pompiers qui vous diront que si vous avez un lion dans votre jardin ils viendront le chercher mais que le fait que la chenille processionnaire soit, dans certaines circonstances, aussi mortelle que le lion les laisse totalement indifférents. J’ai eu droit en plus à un «Vous n’avez qu’à surveiller vos enfants ! » et « Nous n’avons pas le matériel nécessaire » (pas de matériel pour monter au-dessus de quinze mètres a tout de même de quoi surprendre pour des pompiers).

Cette chronique sera donc peut-être la dernière car dépourvue de tout autre moyen et la maturité des cocons paraissant bien avancée, je vais faire la seule chose qui reste possible : gravir le conifère pour aller moi-même les couper. Certes, j’ai fait pas mal d’alpinisme quand j’étais jeune, mais il y a longtemps et s’aventurer dans un conifère de trente mètres avec un échenilloir à la main n’est pas de la plus grande facilité. Mais je suis tout de même rassurée : si je tombe, il est probable que les pompiers viendront me chercher.

DE L’INDEMNISATION D’UN ÉCHANGE DE BÉBÉS

Longtemps après les Dequesnois, les Groseille et le « long fleuve tranquille » deux bébés échangés dans une maternité alimentent de nouveau les média, d’une façon, il est vrai, assez différente.

Que deux nouveau-nés puissent être échangés dans une maternité constitue, à l’évidence, pour celle-ci une faute gravissime que cela émane d’une mauvaise organisation de l’établissement ou d’une faute commise par un membre du personnel dont la maternité est nécessairement responsable. Et le fait que ce membre soit éventuellement alcoolique, loin d’exonérer la clinique de sa responsabilité, comme on a osé le prétendre, est, au contraire, un facteur lourdement aggravant.

Mais cela dit, quelles doivent être les conséquences de cette faute ?
Les faits en question ne relèvent d’aucune qualification pénale et il ne peut donc être question d’une sanction de cet ordre.
Les sanctions les plus adaptées devraient être administratives : fermeture, retrait d’agrément, etc…Mais il se trouve que dans l’affaire d’aujourd’hui, l’établissement n’existe plus et que ces sanctions sont donc inapplicables alors surtout que la juridiction a jugé que les médecins qui travaillaient à l’époque des faits dans cette clinique n’avaient commis aucune faute ce qui empêche le moindre retentissement sur la suite de leur carrière.
Conclusion : énorme faute ; aucune conséquence possible.
Est-ce cela qui choque au point d’avoir conduit à inventer des sanctions imaginaires puisque les média expliquent que cette faute a été sanctionnée de 1,8 millions d’euros de dommages-intérêts et que c’est peut-être, aussi, cette absence de sanction que le tribunal a voulu éviter en détournant, pour partie, les dommages-intérêts de leur finalité.

Les dommages-intérêts accordés aux victimes d’une faute n’ont pas pour rôle de sanctionner la faute commise, mais d’indemniser ces victimes. Ils doivent donc être calculés non pas sur l’importance de la faute mais sur l’importance du préjudice subi. Une faute minime peut entrainer des réparations énormes si les conséquences privées de cette faute ont été considérables et une faute très lourde n’entrainer que de faibles dommages-intérêts si elle a eu peu de conséquences. Et surtout, ces dommages-intérêts doivent être justifiés par des préjudices dont la réalité et l’importance doivent être établis par ceux qui les demandent et détaillés par la juridiction qui les accorde.

C’est là que le bât blesse dans l’affaire d’échange de nouveau-nés dont bruissent les médias, au moins, d’après ce que l’on en dit aujourd’hui. Il semble bien, en effet, que les préjudices subis soient aussi légers que les preuves qui en sont rapportées, au moins pour un grand nombre de leurs demandeurs, et que la juridiction n’ait pas jugé utile de s’expliquer sur les montants retenus.

Contrairement aux faits de l’affaire qui inspira le « long fleuve tranquille » aucune des personnes qui étaient encore en mesure de le faire n’envisage de contester la filiation faussement établie et qui, à défaut de contestation, reste la seule valable. Et elles veulent encore moins procéder à une « remise en état ». Autrement dit, ce que ces enfants et ces familles souhaitaient, c’est faire reconnaitre une vérité de fait sans incidence ni de droit, ni de vie courante. Dès lors que cela est obtenu par le jugement, on peut penser que leur préjudice est réparé et qu’aucune allocation de dommages-intérêts supplémentaire ne se justifie. On aimerait bien savoir, en effet, sur quelles bases s’appuyaient les demandes initiales qui, nous dit-on portaient sur douze millions d’euros sans qu’on en sache davantage sur les personnes dont elles émanaient ni sur les dommages qui étaient invoqués. En dehors de la volonté de profiter d’une situation pour faire une bonne affaire, ce qui n’est pas encore un motif légitime d’indemnisation, on ne voit guère.

Il est vrai qu’une des deux familles justifie d’un préjudice réel dans la mesure où le teint halé de l’une des deux enfants a donné lieu à des quolibets qui ont fait dire à des gens très intelligents qu’elle était « la fille du facteur ». Il est clair, dans ce cas, que l’enfant et ses deux parents sociologiques ont subi un préjudice de réputation qui doit être réparé. Il est clair aussi que l’attribution, par le tribunal, de 100.000€ à chacun d’entre eux est une réparation adaptée. Mais qu’en est-il des autres personnes qui se prétendent intéressées ?

En l’état actuel des informations médiatiques, l’autre enfant et ses parents sociologiques n’apportent la preuve d’aucun préjudice particulier. C’est pourquoi il est aberrant de leur attribuer un montant de dommages-intérêts identique à celui reconnu à la première famille qui prouve, elle, un préjudice spécifique.
Quant aux frères et sœurs, de part et d’autre, on cherche vainement de quoi ils peuvent se plaindre. Quand des parents biologiques décident d’adopter un enfant supplémentaire, leurs enfants par le sang ne peuvent élever aucune critique ni aucune revendication. Or on ne se trouve même pas ici dans une situation analogue : les parents dont les enfants ont été échangés ne veulent rien changer ni en droit, ni à la réalité des choses ; ils ne procèdent même pas à une adoption de fait de l’enfant qui ne serait pas le leur puisque la filiation des enfants en cause, pour inexacte qu’elle soit biologiquement, demeure juridiquement inchangée. Pourquoi dès lors leurs enfants biologiques devraient-ils recevoir 25000€ chacun ? Ils ont jusqu’à présent vécu avec quelqu’un qu’ils considéraient comme leur sœur ; ils continuent à vivre avec elle et juridiquement, comme sociologiquement, cette personne est toujours leur sœur. En outre et en admettant que certains puissent être perturbés, il est probable que cet état de perturbation varierait selon les individus. L’attribution uniforme de 25000€ ne répond donc pas à la finalité d’indemnisation de la somme attribuée.

Car cette affaire est aussi l’occasion de s’arrêter sur une déviance de plus en plus évidente des parties, dans leurs demandes, mais aussi des juridictions, dans leurs décisions, quant à l’attribution de dommages-intérêts : découverte de préjudices d’une nature de plus en plus variée, pour ne pas dire fantaisistes (préjudice d’attente, d’angoisse, etc…) ; attribution à des personnes de plus en plus nombreuses et de plus en plus éloignées de la source du dommage et, enfin, fixation de barèmes objectifs pour l’indemnisation de préjudices autres que matériels alors que ces situations devraient donner lieu à une évaluation strictement individuelle, beaucoup plus fine et toujours justifiée. On le voit tout particulièrement dans les indemnisations délirantes, dans leur principe et leur montant, qui sont attribuées dans le cadre d’accidents collectifs, notamment de moyens de transport. La mort d’un enfant est toujours un cataclysme mais l’argent y peut-il quelque chose ?

L’indemnisation du préjudice moral était, il n’y a pas si longtemps encore, contestée dans son principe même. Ce principe étant aujourd’hui admis, il va néanmoins de soi que son absence totale d’objectivité impose aux juridictions d’être raisonnables.
Raisonnables, d’abord, dans le montant attribué qui doit rester largement symbolique : le chagrin n’a pas de prix.
Raisonnable, ensuite, dans le nombre des personnes qui peuvent faire état d’un semblable préjudice. Les parents et les frères et sœurs, paraissent devoir être recevables, les grands-parents, en tant que tels, commencent à poser quelques problèmes et l’on doit s’arrêter là, sauf justification spécifique (enfant unique ayant développés des liens particuliers avec des cousins de son âge ou nourrice ayant pris en charge un enfant depuis sa naissance, par exemple). Or, en matière de perte d’enfants, les tribunaux vont allègrement jusqu’aux arrières grands-parents, aux oncles et aux cousins : dix-huit personnes pour un seul enfant dans une affaire dont nous avons eu récemment connaissance.
Enfin, le droit à indemnisation ne saurait aller de lui-même, en fonction d’une qualité juridique et doit donner lieu à une justification sérieuse. Même pour les pères et mères, pour lesquels cela parait le plus naturel, une vérification s’impose. Il ne manque pas, en effet, de parents qui, séparés de l’autre parent ne se préoccupent plus de l’enfant commun, cessent de le voir et naturellement de participer à son entretien. Il serait tout à fait inadmissible que ces parents soient indemnisés d’un préjudice d’affection qu’ils auraient si mal exprimée du vivant du défunt au seul nom de leur lien de parenté. Quant aux frères et sœurs, il n’y a pas de commune mesure entre un frère d’un âge comparable à celui de l’enfant décédé qui partageait avec le défunt ses activités, ses amis et peut-être sa chambre, un bébé de moins de trois ans qui ne s’est probablement rendu compte de rien ou un grand frère ayant lui-même sa propre famille. Toutes ces indemnisations doivent donc donner lieu à une appréciation et des explications détaillées pour aboutir à des sommes différentes.
Ceci pour dire qu’il s’impose de lutter contre l’instauration de barèmes basés, tant sur des critères objectifs de liens familiaux que sur des montants financiers ainsi que l’a fait le Tribunal de Grasse accordant la même indemnisation aux deux familles d’enfants échangés alors que leurs situations paraissaient, au moins d’après ce que l’on en sait aujourd’hui, tout à fait différentes. Ce n’est pas parce que les compagnies d’assurance établissent de semblables barèmes, ce qui peut se comprendre dans la logique mercantile qui est la leur et qui n’a, en soi, rien de répréhensible, que des juridictions statuant au nom du Peuple Français et qui n’ont pas les mêmes objectifs, doivent se laisser aller aux mêmes dérives.

Reste une certaine tentation des juridictions, dans laquelle le Tribunal de Grasse ne semble pas être tombé, mais qu’on constate dans d’autres décisions où, après avoir noté qu’un résultat s’étant manifestement et malheureusement produit, des tribunaux pensent qu’il relève de leur état de procurer à des familles, qu’ils estiment plus modestes que les auteurs des faits (cliniques, entreprises de transport et leurs compagnies d’assurance), le plus d’argent possible, en le prenant à ces « riches » fautifs. Une telle « justice de classe » constitue une violation de la loi et une conception de l’équité qui, étant nécessairement variable, selon les individus et donc selon les magistrats, ne peut qu’instaurer entre les justiciables des inégalités de traitement parfaitement injustifiées

TRES BREVES OBSERVATIONS SUR LA « LOI » ( ???) MACRON

Ce que, d’un point de vue juridique, on peut dire de mieux de la «Loi » Macron l’a été dans une Revue juridique de qualité par un Universitaire qui ne l’est pas moins et qui intitulait ses remarques : « Ceci n’est pas une loi ».

Il y a quelques années déjà, le Conseil constitutionnel a sanctionné ce qu’on appelle les « cavaliers législatifs » c’est-à-dire la détestable habitude qu’avaient prises les ministres de prendre prétexte de l’examen d’un texte de loi pour y introduire des dispositions qui n’avaient rien à voir avec l’objet de celui-ci mais qui réparaient, au choix, un oubli dans un autre texte, une bêtise d’une autre loi dont on ne s’était pas rendu compte plus tôt, une réaction à une jurisprudence qu’on n’avait pas prévue dans l’application d’un autre texte, etc…

S’il est un tant soit peu cohérent avec lui-même, le Conseil constitutionnel devrait, s’il est un jour, ce qui est probable, saisi de la « loi » Macron, annuler l’ensemble du texte qui n’est qu’une collection de cavaliers législatifs c’est-à-dire un agrégat inconstitué de dispositions désunies. Bien malin qui pourrait dire quel rapport il y a entre la libéralisation du transport par autocar et la rémunération des huissiers, le travail du dimanche et les modalités du permis de conduire. Et l’intitulé qui prétend unir tout cela au motif que ce sera favorable au développement économique ne suffit pas à réparer une inconsistance générale.

En ce qui concerne les professions du droit, il ne faut pas non plus être un grand connaisseur de la chose pour comprendre les défauts d’un texte qui prétend régler ensemble des questions relatives aux notaires, aux huissiers de justice et aux avocats. Les deux premiers sont, en effet, des officiers ministériels, détenteur de la puissance publique qu’ils représentent. Quant aux avocats, ils sont….
A propos, que sont-ils ? Car la question mérite aujourd’hui d’être sérieusement posée puisque la loi Macron étend encore, en ce qui les concerne, une « exception » qui devient de moins en moins exceptionnelle.

La première réaction, quand on se pose la question de la nature de la profession d’avocat, est d’affirmer que les avocats exercent une profession libérale, sans doute parce qu’il est manifeste qu’ils ne devraient faire que cela. Les avocats qui aiment bien se présenter (pas tout à fait à tort) comme les défenseurs des libertés publiques seraient bien avisés de réaliser qu’ils ne peuvent accomplir convenablement cette tâche que s’ils sont eux-mêmes libres. Or cette liberté n’a cessé depuis une vingtaine d’années d’être grignotée et, ce qui est un comble, avec l’accord des avocats, ou, au moins, celui du Barreau de Paris.

Première atteinte : l’admission, puis une vaste extension de l’avocat exerçant sa profession sous la forme salariée. Certes, on prend des quantités de précautions scripturales pour expliquer que ce salariat est différent des autres et ne porte pas atteinte à la liberté de celui qui en est le sujet. Je ne vois pas qui peut être convaincu.

La deuxième atteinte est plus sournoise car moins visible. Parce que le Barreau de Paris continue contre vents et marées et, surtout, contre tout bon sens, à refuser toute idée de numérus clausus pour l’entrée dans la profession, il existe aujourd’hui un vaste prolétariat du barreau qui ne vit (survit) que grâce à l’aide juridictionnelle et aux commissions d’office, c’est-à-dire (très mal) payé par l’Etat. Or lorsqu’on est payé par l’Etat, on est, sauf statuts très particuliers (les magistrats et les professeurs – uniquement les professeurs – de l’enseignement supérieur) un fonctionnaire dépendant de l’Etat. Comment dès lors défendre ceux dont l’Etat pourrait menacer les libertés ? Là encore, on a pris la précaution de pure forme de faire verser les rémunérations aux barreaux qui les répartissent eux-mêmes entre les avocats désignés d’office. Mais cela peut-il tromper quelqu’un ?

La troisième atteinte est proposée par la loi Macron. Elle va consister à reconnaitre la qualité d’ « avocats » aux directeurs juridiques des entreprises ou de certaines d’entre elles. Et tout le sel de l’affaire est que pour avoir droit à ce titre, il devra être entendu que ces « avocats » ne pourront pas plaider ! L’explication serait qu’il faut accorder à ces personnes un droit et une obligation au secret professionnel tel que l’entendent les avocats (ce qui, soit dit en passant n’a rien à voir avec ce que le Code pénal entend pas secret professionnel). D’abord, il existe un secret des entreprises qui doit être respecté par leurs membres. Ensuite, il suffit aux intéressés de faire preuve de bon sens et de ne pas écrire n’importe quoi à n’importe qui. Enfin, une disposition spécifique aux directeurs juridiques pourrait figurer au Code du travail (il a déjà quelques milliers de pages et on peut y ajouter un article…) ou dans une loi spécifique à la profession, voire à cet aspect de celle-ci. Mais de là à défigurer une nouvelle fois la profession d’avocat il y a une marge que la loi Macron franchit allègrement sous les applaudissements d’une partie du Barreau. Une fois encore, comprenne qui pourra.

Nous rappelons avoir étudié l’incidence criminologique du travail du dimanche dans un article précédent de ce Blog.

RETOUR SUR LA PERQUISITION DU CABINET D’AVOCAT

Il est bien évident que c’est au cabinet de son avocat qu’on peut trouver le plus de preuves accusatoires contre une personne pénalement poursuivie. La perquisition des cabinets d’avocats serait donc bien utile à l’efficacité de la procédure pénale.
Mais il est tout aussi évident qu’en démocratie, le droit de se défendre qui que l’on soit et quoiqu’on ait fait, doit être un droit absolu.
Par ailleurs, les avocats n’ayant que très rarement un seul client, toute perquisition menée dans un cabinet d’avocat met en péril, même sans prêter aucune arrière-pensée à ceux qui perquisitionnent, les intérêts de ses clients autres que ceux qui sont à l’origine de la décision de perquisitionner en amenant nécessairement au moins à la manipulation physique ou informatique de leurs dossiers.
Enfin, il est évident que les avocats ne doivent pas être pour autant à l’abri de toute poursuite s’ils commettent eux-mêmes des infractions et que la perquisition les concernant à ce titre doit pouvoir être menée.

Cette énumération des différents aspects de la chose prouve, à elle seule, la complexité du problème.

Nous avons déjà consacré à la question sur ce Blog un article de fond de type « universitaire » (Avocats, secret professionnel et droits de la défense), auquel on peut renvoyer. Mais l’actualité impose d’y revenir, quitte à se répéter ce qui ne sera pas forcément une preuve de gâtisme mais traduira le sentiment que c’est important.
Dans cet article précédent nous avions posé le problème et dressé quelques pistes. Le moment est venu de choisir.

Pour nous :

Seul un soupçon pesant sur l’avocat lui-même (seul ou avec un client) doit permettre une perquisition le régime dérogatoire étant cependant réservé au cabinet et non étendu au domicile et aux différentes résidences secondaires qui n’ont rien de plus professionnel que ceux de tout un chacun.

Compte tenu du caractère plus que particulier de la perquisition d’un cabinet d’avocat nous serions favorable à ce qu’à tout stade de la procédure (sauf celui exceptionnel d’un supplément d’information demandé par une juridiction de jugement), elle soit préalablement autorisée par une ordonnance du juge des libertés obtenue par une procédure secrète et non contradictoire sur simple demande de l’enquêteur, mais sur des bases sérieuses. Nous aimerions bien qu’à ce propos, au moins, on reprenne, la formule ancienne d’« indices graves et concordants de culpabilité » malencontreusement remplacée depuis par celle beaucoup plus floue de « raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ». Cela éviterait qu’on initie des perquisitions sur de vagues soupçons comme cela semble avoir été le cas tant à Paris qu’à Amiens où les opérations donnent l’impression que la perquisition était davantage faite pour découvrir les charges que pour les confirmer. La perquisition n’est pas une procédure pour « aller à la pêche » mais pour trouver de quoi asseoir ce que l’on a, d’ores et déjà, de bonnes raisons de croire.

Par ailleurs, nous sommes, pour les cabinets d’avocats, favorables à un retour à la procédure antérieure à 1958, que les rédacteurs du Code ont dit vouloir conserver mais qu’ils n’ont pas été capables de rédiger d’une façon suffisamment claire pour qu’elle s’impose : lors de la perquisition dans un cabinet d’avocat c’est le bâtonnier ou son représentant qui perquisitionne en présence du magistrat qui lui a préalablement dit ce qu’il cherchait et non l’inverse.
Et il reste à tenir compte des nouveautés technologiques. L’exploitation des ordinateurs et des disques durs doit être soumise au bâtonnier avant d’être communiquée aux magistrats. Et sauf opérations d’écoutes officielles et règlementaires qui se font de manière dématérialisée, la saisie d’un smartphone d’avocat doit être impossible.

Enfin, même si c’est un vœu pieu, il faudrait s’interroger sérieusement et dans chaque cas particulier, pour savoir par qui et comment la presse a été prévenue à l’avance de certaines perquisitions et en tirer les conséquences quel que soit l’auteur de ces indiscrétions qui sont aussi des fautes professionnelles et une infraction pénale.

Pour autant les avocats doivent être mis en garde.

On a quand même vu, ces dernières années, la profession faire preuve d’une regrettable tolérance à l’égard d’actes qui auraient dû être fustigés par tous. L’avocat qui abuse de son statut pour donner des informations qui ne doivent pas l’être, surtout à des personnes qui pourraient bien éventuellement être poursuivies par la suite, ne mérite certainement pas une mobilisation, en sa faveur, de la profession. Et nous devons rappeler qu’on a tout de même vu (rarement, Dieu Merci) des avocats apporter, en prison, des armes à leurs clients

Pour être respecté il faut être respectable et une profession qui ne fait pas sa police elle-même s’expose à voir sa police faite par d’autres.

Les comportements anti-déontologiques et à fortiori illégaux ne sauraient être couverts et les procédures disciplinaires doivent cesser d’être des tigres de papier qu’on ne sort des placards que lorsqu’on ne peut vraiment plus faire autrement.

Sous ces réserves, l’émotion actuelle de la profession est légitime.

CAYENNE, BAGNE DU DROIT ?

Nous croyons avoir été une des premières à déclarer ici même que Christiane Taubira soulevait les passions, y compris exprimées par les moyens les plus contestables et qui (devaient) être fustigés à la hauteur de ce qu’ils (étaient). Les faits qui justifiaient notre remarque étaient antérieurs à ceux jugés à l’encontre de Madame Leclère, nous paraissaient plus critiquables, et n’ont, semble-t-il, fait l’objet d’aucune poursuite. En outre, notre formule faisait appel à une raison et une mesure qui paraissent avoir totalement échappé au Tribunal correctionnel de Cayenne.

Comme nous en avons adopté le principe, et même si certains ne se laisseront de toute façon pas convaincre, notre propos sera ici purement juridique. C’est la raison pour laquelle, quitte à ne pas satisfaire d’autres lecteurs, nous ne ferons aucun commentaire sur un ton très polémique aux allures de prises de position militantes que l’on n’est pas accoutumé à rencontrer dans les décisions rendues au nom de l’ensemble du peuple français par les membres d’un corps soumis à une obligation de réserve.

Ainsi que l’exprimait, à juste titre, dans la cour de l’Elysée, la principale intéressée, le Garde des Sceaux, les juges statuent en droit.
Là où le bât blesse, c’est lorsque cette phrase est prononcée à propos du jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Cayenne, relatif à des propos la concernant, car cette décision peut se prévaloir de tout ce qu’on veut, sauf du droit.

Quand une juridiction correctionnelle est saisie d’un ou plusieurs délits, elle doit, une fois vérifiée sa compétence, ici bizarre mais indiscutable, examiner d’abord chacun des délits. A ce titre elle doit énumérer les faits commis, les qualifier et s’assurer qu’ils remplissent les éléments constitutifs, matériel et moral, des infractions en cause ; puis s’assurer qu’ils ne peuvent bénéficier d’aucun fait justificatif. Elle doit, ensuite, déterminer à quelles personnes ces faits, à les supposer établis, sont imputables et à quel titre (auteur principal, coauteur, complice, et, dans ce dernier cas, par quel moyen de complicité ils ont été accomplis). Elle doit enfin déterminer la peine à appliquer en fonction des règles légales et, surtout, du passé de la personne poursuivie.

Sous le vocable « Sur l’action publique », la juridiction, d’après le texte publié sur divers sites, le seul que nous ayons lu, nous informe qu’une personne physique (nous avons bien dit une personne physique) est poursuivie devant elle pour les infractions d’injure raciale et de provocation à la haine raciale. Elle relève ensuite « qu’il ressort des documents versés aux débats que dans le cadre de sa campagne électorale à l’élection municipale de mars 2014 à RETHEL où elle représentait le Front National, elle a édité une page Facebook sur laquelle elle a diffusé un montage dans lequel figuraient les photographies d’un jeune singe et de Mme Christiane TAUBlRA avec pour légende les mots:  » à 18 mois » et « maintenant »; qu’en outre, interrogée dans le cadre d’un reportage diffusé dans l’émission « Envoyé spécial » sur France2, elle a commenté ce montage en ajoutant; « je préfère la voir dans un arbre après les branches qu’au gouvernement ».
Puis la juridiction ajoute « Attendu que la matérialité des faits ne saurait être contestée », ce qui est, à peu près, les seuls mots se rattachant au droit qui figureront dans la décision concernant Madame Leclère.

Si la matérialité des faits ne peut être contestée, de quels faits s’agit-il et surtout, de laquelle des deux infractions poursuivies ? On attend, ensuite, en vain, l’examen des éléments constitutifs de chacune d’elles qui doivent, pourtant, être déduits de la matérialité des faits.

En reprenant un raisonnement un petit peu plus traditionnel, on relève deux catégories d’éléments matériels différents : une caricature sur une page Internet comparant le Garde des Sceaux à un singe, et une déclaration lors d’une émission de télévision.
Une première réflexion s’impose au vu de l’ensemble des faits commis : il n’est nulle part fait la moindre allusion au moindre élément de nature raciale ou ethnique. Certes, le caractère souple de la formule légale (« propos tenus à raison de ») doit permettre d’atteindre aussi bien les diffamations ou injures dont le caractère discriminatoire est intrinsèquement constatable (« sale nègre », « sale pédé »…) que les imputations, allégations ou invectives, banales en elles-mêmes, mais dont il pourrait être démontré qu’elles ont tout de même été inspirées par des sentiments racistes, sexistes, etc. Mais encore faut-il que cela soit démontré. Or rien dans cette affaire de comparaison d’un ministre à un singe ne permet de trouver cette connotation puisqu’ainsi que nous allons y revenir, à peu près tous les dirigeants politiques du moyen-âge à aujourd’hui y ont eu droit et ils étaient tous blancs. C’est le ministre qui est attaqué en raison de son activité ministérielle, qui n’est pas approuvée par la prévenue, qui ne fait en rien allusion à son origine, son ethnie, ou sa couleur. Et pire que tout, c’est le Tribunal qui sombre dans la discrimination en voulant voir dans une formule qui ne le contient pas, un motif discriminatoire.

On peut donc éliminer tout de suite le délit d’incitation à la haine raciale qui ne peut être constitué, de même d’ailleurs que l’injure discriminatoire, faute de discrimination. Mais reste-t-il à l’encontre du ministre une injure ordinaire ?
Ici il faut distinguer entre les deux faits matériels différents qui ont été commis.

Quant à la caricature, elle procède de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme associée à une tradition française persistante à laquelle nous avons déjà fait allusion.
Sans nier qu’il peut être légitime de recourir au droit pénal pour sanctionner l’atteinte à certaines valeurs, dont l’atteinte à l’honneur, lui-même protégé par l’article 8 de la Convention, la Cour européenne constate qu’une condamnation constitue une ingérence de l’Etat dans le droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention qui n’est admissible que si elle est nécessaire et proportionnée dans une société démocratique. L’article 10 de la Convention est donc la permission de la loi qui justifie des faits qu’il serait, sans lui, légitime de sanctionner. La Cour de cassation en conclut que « les restrictions à la liberté d’expression sont d’interprétation étroite ».
Or les faits ici en cause s’inscrivent dans une telle tradition nationale qu’on ne peut pas croire que la Cour les condamnerait.
Non seulement depuis le moyen-âge et le Roman de Renard, il est coutumier de comparer les gouvernants à des animaux, mais encore le singe a une situation tout à fait particulière dans ce zoo politique. Sans doute parce que c’est le désintéressement des politiques qui est le plus souvent contesté et parce qu’on dit depuis bien longtemps aussi « Malin comme un singe », la caricature a concerné une bonne partie des rois (y compris Louis XIV, qui n’était pourtant pas un rigolo, sous la plume de La Fontaine) ; les deux empereurs y compris celui qui a été historiquement le plus grand et physiquement le plus petit qui n’était pas non plus tendre avec ses critiques ; la plupart des présidents de la troisième République et jusqu’à nos présidents les plus contemporains. Personne ne semble s’être ému de certaines caricatures de Valéry Giscard d’Estaing en ouistiti ou de Nicolas Sarkozy sous forme de chimpanzé. Pourquoi la même chose devrait-elle devenir critiquable pour un ministre ? Sauf naturellement si l’on veut, comme le Tribunal de Cayenne, trouver à ce ministre une particularité que la Constitution interdit de prendre en compte.

Quant aux déclarations faites sur Antenne 2, elles sont beaucoup plus critiquables. Déclarer qu’on préfèrerait voir un ministre sur un arbre qu’au gouvernement est manifestement une injure. C’est une injure publique simple qui encourt au maximum 12.000€ d’amende. Exit donc la peine de prison et l’inéligibilité.

Mais ne voilà-t-il pas que brusquement, le Tribunal de Cayenne découvre à la page 5 de son jugement qu’il y avait un autre prévenu, personne morale celui-là : le Front national.

Première remarque .
Ainsi que le précise la circulaire d’application du Code pénal, soulignant cette interprétation par des caractères italiques, « La responsabilité pénale d’une personne morale, en tant qu’auteur ou complice, suppose que soit établie la responsabilité pénale, en tant qu’auteur ou complice, d’une ou plusieurs personnes physiques représentant la personne morale ». Comme l’écrivent des commentateurs bien placés du Code, en l’état du droit positif, il faut, pour engager la responsabilité pénale d’une personne morale, que « Les éléments constitutifs (des) infractions, tant matériels qu’intellectuels (soient) réunis sur la tête d’une personne physique et non par la personne morale ». Il était donc impossible au Tribunal de Cayenne de condamner le Front national sans avoir précisé quelle personne physique de ses représentants avait commis les faits qu’il lui reprochait. A défaut de cela le jugement est, de toute façon nul. Mais il est vrai qu’il aurait fallu d’abord savoir quels faits lui étaient reprochés.

Après avoir constaté que le Front national n’est pas l’auteur matériel de l’infraction (laquelle des deux ?), le Tribunal annonce qu’il va démontrer qu’il y a participé par « instigation et fourniture de moyens ». Le Front national serait donc complice. Mais outre que la retenue d’une complicité par instigation ou fourniture de moyens requiert toute une série de précisions qu’on chercherait en vain dans le jugement, ce ne semble pas être le point de vue du Tribunal puisqu’il termine en déclarant que « Le FRONT NATIONAL doit être considéré comme auteur de l’infraction (il semble que s’agisse une troisième ?) dont l’élément matériel est la fourniture d’une investiture, d’un programme, d’affiches reproduites sur le site incriminé, et dont l’élément moral est constitué d’une volonté exprimée de s’en prendre aux étrangers, et plus généralement aux hommes de races ou d’origines différentes ». En premier lieu, on ne sait pas de quelle infraction il s’agit. En second lieu il faudrait analyser le matériel électoral en cause pour y trouver l’élément matériel de l’infraction commise en admettant qu’on sache de laquelle il s’agit. En troisième lieu, aucune infraction n’a, à notre connaissance, un élément moral consistant à « s’en prendre aux étrangers et, plus généralement aux hommes de races et d’origines différentes », ce qui, au surplus serait un élément matériel et non moral. Enfin et surtout, si c’est bien le cas, il s’agit d’une infraction différente de celle retenue à l’encontre de Madame Leclère et dont, à défaut de connexité alléguée ni démontrée, la juridiction n’était pas saisie.

Si les juridictions doivent statuer en droit, il faudrait peut-être s’intéresser de près à celle de Cayenne.

LA GARDE A VUE DE NICOLAS SARLOZY

L’un des intérêts principaux de la nouvelle affaire Sarkozy est de mettre dans une lumière crue plusieurs des défauts les plus importants de notre procédure pénale.

Et pour éviter que certains ne m’accusent d’instrumentaliser la science au profit de l’ancien Président, je leur suggère de consulter mes travaux déjà publiés pour prendre conscience de ce que je ne change pas d’avis selon ce que je veux critiquer ou défendre.

I. L’abus des commissions rogatoires.

La lecture du Code de procédure pénale comme, d’ailleurs, celle de son prédécesseur, le Code d’instruction criminelle montre qu’il impose au juge d’instruction d’accomplir toutes ses tâches lui-même : c’est le juge d’instruction qui doit rassembler personnellement les preuves, perquisitionner, interroger, entendre, confronter, etc… Sauf dans quelques fictions télévisuelles, c’est une vue de l’esprit. D’abord parce que les investigations à mener peuvent excéder le ressort territorial du juge et exiger de longs déplacements. Ensuite parce que le juge d’instruction est très sollicité. Or dans le cadre de ses fonctions, certaines, qui relèvent d’un imperium, ne peuvent être accomplies que par lui (usage des pouvoirs coercitifs ; fonction juridictionnelle). L’efficacité de l’instruction permet donc au juge de déléguer à d’autres certains actes d’investigation qui ne lui sont pas, de leur nature, réservés. Il le fait en délivrant des commissions rogatoires.

Mais si cela est une nécessité, cela ne doit pas devenir une facilité et, rapidement, un abus.

Le Code d’instruction criminelle ne faisait état ni d’une possibilité générale de délégation ni d’une réglementation d’ensemble de la matière. Une extension des possibilités de délégation s’était triplement manifestée : admission d’une possibilité générale de délivrance de commissions rogatoires alors que les cas prévus étaient limités à une impossibilité géographique ou matérielle ; admission d’un droit général de délégation de tous les actes de recherche au lieu de ceux qui étaient énumérés, admission de la possibilité de donner commission rogatoire à des officiers de police judiciaire alors que ceux-ci n’étaient cités qu’accessoirement, les attributaires normaux des délégations étant d’autres magistrats. L’insuffisance du Code d’instruction criminelle avait, enfin, permis une absence totale de limitation de la portée des commissions rogatoires. Celles-ci pouvaient être doublement générales ; générales quant aux actes à accomplir, le juge pouvant demander que soient faits « tous actes utiles à la recherche des preuves » dans telle affaire ; générale quant aux infractions, le magistrat étant autorisé à déléguer son pouvoir de recherche à « toutes les infractions susceptibles d’être reprochées à X… ».

On était parvenu à la veille de la rédaction du Code de procédure pénale à un véritable abus des commissions rogatoires par lequel le juge d’instruction se limitait en pratique à être une autorité juridictionnelle ayant délégué à la police tous ses pouvoirs d’investigation. C’est à cela que le Code de procédure pénale a souhaité réagir, mais il ne l’a fait que très légèrement en se bornant à prohiber les commissions rogatoires générales quant aux infractions visées. Les alinéas 2 et 3 de l’article 151 prévoient que « La commission rogatoire indique la nature de l’infraction objet des poursuites » et qu’« elle ne peut prescrire que des actes d’instruction se rattachant directement à la répression de l’infraction visée aux poursuites ».

Mais sous cette réserve il n’y a pas, ce qui serait bien utile, de véritable règlementation des commissions rogatoires qui, ou bien, en limiterait le domaine à ce que le juge ne peut vraiment pas faire lui-même et qu’on lui demanderait de justifier, ou bien en exclurait certains actes (ceux concernant les personnes notamment).

Le résultat est qu’on est revenu à une situation au moins équivalente à celle qui régnait sous le régime du Code d’instruction criminelle : les juges d’instructions ne se bornent pas à donner des commissions rogatoires pour ce qu’ils sont dans l’incapacité de faire eux-mêmes ; ils ont pris l’habitude d’en donner pour tout et n’importe quoi.

C’est ce qu’illustre clairement l’affaire Sarkozy. On a quelque mal, en effet, à voir ce que peut trouver à faire de plus important un juge d’instruction que d’entendre, si c’est nécessaire, un ancien président de la République. Et qu’on ne vienne pas nous dire qu’il s’agit d’égalité devant la loi car ce serait contredire la jurisprudence de bon sens du Conseil constitutionnel selon laquelle il est légitime de traiter différemment des situations et des personnes différentes. Les anciens présidents de la République ont un statut qui les différencie des autres citoyens. Ce ne sont pas des citoyens comme les autres. Les faire entendre sous commission rogatoire est légal mais ridicule.

II. L’absurdité de la garde à vue sous commission rogatoire.
La décision de placement en garde à vue, dans le cadre d’une enquête de police, est prise par un officier de police judiciaire, soit spontanément, soit sur ordre du procureur de la République. La disposition selon laquelle un officier de police judiciaire peut décider de la garde à vue se comprend, dans le cadre des enquêtes de police, où elle signifie que la décision ne peut être prise que par le plus élevé en grade des policiers. Mais elle a induit une autre interprétation selon laquelle le placement en garde à vue serait, en quelque sorte, une prérogative des officiers de police judiciaire, d’où l’on a tiré une conséquence erronée, dans le cadre de l’exécution des commissions rogatoires du juge d’instruction. Un policier agissant sur commission rogatoire d’un juge d’instruction est, en effet, autorisé à placer la personne qu’il entend en garde à vue ce qui est théoriquement incohérent et pratiquement regrettable.

Le fondement de la commission rogatoire étant une délégation de compétence du magistrat au policier, le premier ne devrait logiquement pouvoir déléguer au second que les pouvoirs qu’il possède lui-même. Or le juge d’instruction ne peut pas placer en garde à vue dans la mesure où cela lui est inutile. Le juge d’instruction n’est, en effet, limité en rien, dans le temps, pour l’accomplissement des actes d’investigation qu’il accomplit lui-même. Il n’a donc pas besoin de garde à vue puisqu’il peut conserver à sa disposition les personnes qu’il désire entendre aussi longtemps qu’il le souhaite, et cela qu’elles soient mis en examen, témoins ou témoins assistés. En bonne logique, un policier bénéficiaire d’une commission rogatoire devrait pouvoir exercer les droits dont bénéficie son délégant mais ne devrait pas pouvoir avoir plus de droits que celui-ci et notamment ne devrait donc pas pouvoir placer en garde à vue puisque le juge d’instruction ne le peut pas, Mais cette logique a été ici perturbée par l’idée que tout officier de police judiciaire posséderait, en quelque sorte de fonction, la possibilité de garder à vue.

On pourrait justifier cette solution par le fait qu’elle aboutit, en pratique, à limiter les droits du policier par rapport à ceux du juge d’instruction puisque le policier doit, pour conserver la personne entendue à sa disposition, respecter les conditions de la garde à vue, plus restrictives que ce qui est permis au juge d’instruction. Mais la solution présente, à l’inverse, de gros inconvénients, quel que soit le sens qu’on lui donne. S’il s’agit de permettre au policier de placer en garde à vue des personnes qu’il entend comme simples témoins, cela met cette forme de garde à vue en contradiction avec la garde à vue d’enquête ou la rétention des témoins n’est pas possible. S’il s’agit de permettre au policier de placer en garde à vue des personnes contre lesquelles il y a des raisons plausibles de penser qu’elles ont commis des infractions, cette règle permet au juge d’instruction de tourner, par le biais d’une commission rogatoire, cette autre règle qui s’impose à lui et qu’il lui est interdit d’entendre, sans mise en examen ou placement sous le régime du témoin assisté, la personne suspecte, ainsi que celle qui interdit aux policiers d’interroger les personnes mises en examen ou bénéficiant du statut de témoin assisté, qui ne peuvent, si le juge d’instruction ne les entend pas lui-même, être entendus que par un autre magistrat et pas par des policiers.

Cette forme de garde à vue qui reste, bizarrement, hors des foudres des principaux contempteurs de cette procédure, est une aberration dont la suppression s’impose.

III. Combinaison des principes précédents.

En choisissant de faire entendre l’ancien président de la République sous commission rogatoire, les juges d’instruction ont permis qu’il soit placé en garde à vue, puisque les policiers n’avaient que le choix de l’entendre librement, mais alors quatre heures seulement ou de le placer en garde à vue. Les juges d’instruction ne pouvaient pas l’ignorer. De même, ils ne pouvaient ignorer que Nicolas Sarkozy n’aurait pas été placé en garde à vue s’ils l’avaient entendu eux-mêmes. Autrement dit les juges d’instruction savaient (souhaitaient ?) que Nicolas Sarkozy soit placé en garde à vue.

Ce n’est pas nous qui instrumentalisons la procédure pénale.

VINCENT LAMBERT et subsidiairement BONNEMAISON

Pour la première fois, il me semble (cela n’a, hélas par duré, mais c’est un autre problème), j’ai eu matière à me féliciter d’une décision de la Cour européenne des droits de l’homme : Vincent Lambert et avec lui tous les principes au cause dans son cas, avaient été provisoirement sauvés.

Depuis quarante ans, nous assistons au même phénomène : une minorité très agissante et particulièrement bien formée à la dialectique, obtient, dans des questions d’une importance capitale, mettant en cause la nature humaine, un franc succès grâce à un amalgame de termes et de notions qui manipulent efficacement les français en biaisant l’analyse.
De ce point de vue, le cas de Vincent Lambert est emblématique.

Vincent Lambert n’est pas en fin de vie, il a trente-neuf ans. Exit donc tous les arguments que l’on pourrait invoquer en faveur d’une disparition naturellement programmée à échéance proche et que l’on ne ferait que devancer de très peu.

Vincent Lambert n’est pas malade, il est handicapé. Il ne relève donc d’aucun protocole thérapeutique puisque sa situation parait consolidée. Comme toute personne handicapée qui ne peut pas pourvoir seule à ses besoins, il doit être alimenté, hydraté et avoir les soins d’hygiène et de maintien physique appropriés. De même, il n’y a pas lieu de mettre en avant le fait que, sauf découverte fondamentale (toujours possible, il ne faut quand même pas l’oublier), on ne peut pas améliorer son état.

Vincent Lambert n’est pas le sujet de douleurs insupportables qu’il serait impossible de calmer, ni de traitements dont la seule administration serait pénible pour lui. Ses photos montrent quelqu’un dont le spectacle est infiniment moins impressionnant que celui de personnes en réanimation après accident et qui, pour la plupart, en sortiront indemnes. Ajoutons, d’ailleurs, que les partisans de sa mort le disent, si on veut bien les entendre : c’est au moment où l’on cessera de lui fournir les éléments nécessaires à sa vie qu’il faudra lui administrer les antidouleurs qui rendront cet acte de mort supportable pour lui. Il n’y a pas de meilleure façon pour dire qu’actuellement il ne souffre pas.

Vincent Lambert n’est pas état végétatif. Il est pauci-relationnel c’est-à-dire réagit à certaines stimulation. Ce n’est pas un légume (expression au surplus insupportable même lorsqu’elle traduit un état réel, pour désigner quelqu’un qui est toujours un homme). C’est un homme avec des sensations et des émotions.

Aucun des arguments que l’on peut mettre en avant pour justifier, si tant est qu’il faille le faire, une euthanasie, n’est réalisé dans le cas de Vincent Lambert. Le seul élément qui pourrait avoir un rapport avec le domaine médical, dans le cas Lambert, est le fait qu’il est alimenté et hydraté par sonde gastrique. Mais on nous a abondamment expliqué que cela n’a pour but que d’éviter les fausses voies. Si cela est vrai, il serait donc techniquement possible d’alimenter Vincent Lambert comme tout un chacun, la sonde gastrique n’étant qu’un élément de confort au moins autant pour le personnel soignant que pour lui-même.

Et c’est là qu’on voit apparaitre le tour de passe-passe du Conseil d’Etat, heureusement contredit par la Cour européenne. Parce que Vincent Lambert est alimenté par un dispositif médical, il est donc dans le cadre d’un protocole de soins ; comme il n’y a aucune raison de prévoir une amélioration de l’état du « patient », le protocole de soins relève de l’acharnement thérapeutique ; il faut donc l’interrompre. C.Q.F.D. Gageons tout de même qu’il devrait être difficile de faire comprendre à toute personne de bon sens que l’alimentation, l’hydratation et l’hygiène relèvent d’un traitement médical, sinon nous sommes tous de grands malades dont il faut d’urgence abréger les souffrances. On pouvait au moins l’espérer jusqu’à ce qu’un jury, émanation du Peuple Français, rende la décision que nous évoquerons plus loin et qui est une éclatante illustration de la manipulation à laquelle le français de base est soumis.

Mais le cas Lambert pose, au-delà de lui-même, bien d’autres questions.

Tous ceux qui ont eu à faire partir pour un centre de soins une personne à qui quelque chose disait qu’elle n’en reviendrait pas se souviennent de ce qu’a été l’épreuve. Du moins ces futurs hospitalisés avaient-ils le sentiment, devenu depuis illusion, qu’on allait sinon les guérir, du moins les soigner et les soulager avant, peut-être de les accompagner. Maintenant ils savent que ceux à qui on les envoie ont toute licence sociale de les tuer. Je me féliciterais, personnellement, que mon épreuve de cette nature soit terminée si je n’étais pas immédiatement amenée à penser qu’à défaut d’en faire partir d’autres, je pourrais être la prochaine sur la liste et qu’en l’état actuel des choses, je ne vois guère ce que je peux faire pour me mettre à l’abri de la sollicitude de ceux qui vont me tuer, pour mon bien, naturellement.

Car le pire, dans cette affaire, pire sur lequel on est passé très vite est que les juridictions administratives avaient été saisies, entre autres demandeurs, par le C.H.U. De quel intérêt (pardon, si je ne peux pas accompagner ici cette notion du mot juridique habituel de « légitime ») peut bien se prévaloir un hôpital pour demander à cesser de soigner ? On peut retourner le problème dans tous les sens on n’en trouve que deux. Le premier est la volonté de libérer des lits pour d’autres malades considérés comme plus intéressants. Par qui ? Et est-ce seulement avant de les tuer aussi pour laisser leur place à d’autres encore plus intéressants qu’eux ? Le second est le coût des soins à ces sous-hommes qu’on leur demanderait de continuer à soigner. On vient de célébrer avec faste le soixante-dixième anniversaire du Débarquement qui marqua le début de la fin de la seconde guerre mondiale. Peut-être ne faudrait-t-il pas oublier pourquoi on a fait cette guerre et pourquoi des milliers de personnes sont mortes jeunes et en parfaite santé : lutter contre une idéologie qui prétendait établir une hiérarchie de valeur entre les hommes.

Mais il faudrait aussi réfléchir à ce qu’est, dans une affaire de cet ordre, la « famille » que l’on interroge. En premier lieu, ne jamais perdre de vue ce qu’il n’est pas correct de rappeler mais qui est la stricte vérité : ceux que l’on interroge sont, d’abord, ceux qui héritent du défunt et ensuite ceux qui supportent le poids matériel mais aussi affectif de l’intéressé. Qu’est-ce qui relève dans le « ça ne peut plus durer » de ce qui concerne la préoccupation du malade et de ce qui concerne la fatigue, bien réelle, de l’entourage qui va prendre la décision ? Bien malin qui pourrait le dire, et même le savoir, même quand on l’a vécu.

Et il faudrait aussi redéfinir la famille à interroger car la notion doit nécessairement varier avec le problème en cause. De ce point de vue il deviendrait utile de rappeler que le conjoint (époux, pacsé ou concubin) ne fait pas partie de la famille de la personne concernée. Ce n’est pas parce qu’un jour où il était particulièrement mal inspiré, le législateur a décidé que le conjoint ne paierait plus de droits de succession, qu’on en a fait un membre de la famille. Tout le monde a applaudit parce qu’on supprimait un impôt. Personne ne s’est demandé si le point d’appui de la mesure était le bon et surtout s’il ne risquait pas d’avoir des conséquences perverses. C’est fait. Les parents qui ont mis au monde le malade et les enfants qui ont été mis au monde par lui sont des membres de sa famille. Le conjoint n’est qu’un allié. Cela ne veut pas dire qu’il faut le tenir totalement à l’écart mais qu’il faut savoir ce que l’on fait. Des frères et sœurs sont aussi parents du malade et peuvent éventuellement s’exprimer à ce titre. Mais s’ils existent, les neveux, qui ne sont que les enfants des précédents ne peuvent que se taire. Comme les médias ne sont friands que de ce qu’ils appellent de « bons clients », on ne voit se pavaner sur tous les écrans, qu’un neveu de Vincent Lambert, lequel a plusieurs frères et sœurs dont le neveu en question est forcément l’enfant. Il est déjà assez pénible que ces frères et sœurs ne puissent pas s’entendre entre eux sans que l’on ajoute des tiers dont on peut se demander s’ils ne règlent pas, en cela, des comptes personnels avec leurs grands-parents, leurs parents ou leurs oncles et tantes.

Enfin, que faire des 1700 personnes qui sont, nous dit-on dans le même cas que Vincent Lambert ? Il ne suffit pas de paroles lénifiantes du Vice-président du Conseil d’Etat pour supprimer la règle constitutionnelle de l’égalité des citoyens devant la loi. Là encore, il faut choisir. C’est Soleil vert, tout le monde, tout de suite et à venir ou personne.

Et c’est là-dessus qu’intervient l’acquittement aberrant de Bonnemaison (là non plus je n’arrive pas parler de « docteur »). La première impression est que nos manipulateurs d’opinion sont décidément très forts et, pendant une seconde (une seconde seulement : qu’ils ne se réjouissent pas trop), la tentation est grande de jeter l’éponge. Passons sur l’étrangeté d’un réquisitoire qui tout en demandant une peine tellement ridicule qu’à la limite il vaut mieux qu’il n’y en ait pas eu du tout, n’a pas pu (tout de même) ne pas relever qu’on était en contradiction avec tous les protocoles préconisés même par les plus ardents défenseurs de l’euthanasie active au point que le Conseil de l’Ordre des médecins avait interdit l’intéressé d’exercice. Sans compter, précisément, l’absence d’interdiction pénale d’exercer pour quelqu’un dont on n’a pas pu ne pas noter, de l’avis unanime, une fragilité psychologique qui parait bien peu en accord avec les termes d’une profession aussi éprouvante.

Là les partisans de l’euthanasie sont au pied du mur. S’il n’y a pas appel de la décision, ils ne pourront plus continuer à berner les français : ils ne demandent pas une procédure mesurée, consensuelle, organisée. Ils veulent un droit général de mourir et surtout de tuer.

DE LA LOYAUTÉ DU PROCÈS PÉNAL

La loyauté des preuves.

Alors que la jurisprudence est normalement sourcilleuse pour admettre au procès pénal des preuves obtenues par des procédés déloyaux comme les perquisitions illégales ou la provocation policière, lorsque ces comportements ont été le fait d’autorités publiques, elle estime, depuis une trentaine d’années, que les règles de loyauté ne concernent que les agents publics et ne s’imposent donc pas aux simples particuliers. Elle admet, en conséquence, le dépôt au procès pénal, par des parties civiles ou de simples témoins ou même n’importe qui, de tous éléments de conviction quels qu’aient été le moment de leur obtention (avant les faits ou durant la procédure) ou le moyen utilisé et cela même s’ils ont été acquis par une infraction pénale, même éventuellement sanctionnée comme telle (écoutes sauvages, atteinte à l’intimité de la vie privée, violation du secret de l’instruction, documents volés ou dont la publication était pénalement sanctionnée, violation de secret des correspondances, etc.). Ce faisant, la jurisprudence consacre, au profit des simples particuliers, un pouvoir d’investigation exempt de toutes règles et contraintes, sans réelle justification, avec des conséquences regrettables et, en toute hypothèse, en contradiction avec la Convention E.D.H.

Les conséquences de cette jurisprudence sont regrettables d’une part sur le terrain de la fiabilité des preuves et d’autre part dans la mesure où elles ouvrent la porte à une fraude des agents publics. Sur le premier point, on ne peut avoir, en effet, aucune garantie sérieuse sur la qualité, le lieu exact d’appréhension ou encore la consistance réelle de ce qui est apporté par des particuliers pour servir de preuve et qui a parfaitement pu être fabriqué ou falsifié pour la circonstance. Qu’est-ce qui prouve qu’un enregistrement sauvage de conversations n’a pas été purgé de ce qui démontrait le contraire de ce qu’on voulait prouver ou que l’enregistreur n’a pas été déclenché qu’à propos de ce qu’on cherchait ? Sur le second point, il est clair qu’on crée une forte tentation, pour les agents publics qui savent qu’ils ne sont pas autorisés à faire quelque chose (procéder à une écoute téléphonique en enquête, par exemple ), à inciter des particuliers intéressés aux faits, voire de simples hommes de main recrutés pour la circonstance, à faire ce qu’ils ne peuvent pas faire eux-mêmes puis à accepter le dépôt des preuves ainsi frauduleusement obtenues.

La Chambre criminelle fournit deux justifications à cette position surprenante :
– La première est que la liberté des preuves doit prévaloir dès lors qu’il n’y a pas de texte en sens contraire et que la réglementation de l’obtention des preuves n’étant prévue et sanctionnée que pour les agents publics et non pas pour les particuliers (on ne peut qu’être tenté d’ajouter « et pour cause ! »), la liberté de ceux-ci reste entière dans la recherche et le dépôt des preuves.
– Le second argument est qu’il appartient à la juridiction saisie de quelque mode de preuve que ce soit, d’en apprécier la valeur probante.

Aucune de ces justifications n’est recevable.
L’argument tiré de l’absence de réglementation légale des pouvoirs de recherche des particuliers constitue la négation de toute la procédure pénale car on ne voit pas pourquoi on se donnerait le mal de réglementer les droits et obligations des agents publics si d’autres qu’eux peuvent obtenir les mêmes éléments de preuve sans respecter aucune des règles ou restrictions qui leur sont imposées : quel est l’intérêt de réglementer les perquisitions publiques si les particuliers sont autorisés à voler les éléments qui devraient être saisis ? Si seul le récolement des preuves par les agents publics est réglementé, c’est parce qu’il est invraisemblable que l’on autorise de simples particuliers à se livrer à des investigations personnelles et que le Code de procédure pénale n’a donc pas pu le prévoir. Les simples particuliers peuvent participer à la procédure par leurs déclarations ou, éventuellement, en fournissant des éléments de preuve qu’ils possédaient avant les faits en cause. Il ne devrait pas pouvoir être question d’autoriser ces simples particuliers à se livrer, pendant le cours de la procédure, à des enquêtes sauvages, forcément partiales et libérées de toute contrainte.
L’argument selon lequel le juge apprécie librement la valeur des preuves peut être immédiatement récusé dans la mesure où la question de l’appréciation de la valeur d’une preuve ne peut se poser que si l’élément de preuve en cause est recevable, ce qui est tout le problème en cause ici. En fait, la connaissance d’éléments de preuve, même si le juge du fond les récuse ensuite pour manque de loyauté ou de fiabilité, ne peut pas faire qu’il n’en ait pas eu connaissance et par conséquent que cela n’exerce pas une influence sur la formation de son opinion surtout dans un système d’intime conviction et tout particulièrement lorsqu’interviennent des jurés mal formés à faire la différence entre preuves officielles et preuves illégales censées être supprimées du dossier.

La jurisprudence criminelle a cependant maintenu, jusqu’à présent, ce point de vue malgré une critique unanime de tous les auteurs ayant annoté ou rendu compte de ses décisions et malgré l’avis contraire de l’ensemble des chambres civiles de la même Cour et même de l’Assemblée plénière de celle-ci qui a annulé, le 7 janvier 2011, une procédure commerciale au cours de laquelle l’une des parties avait obtenu une preuve de manière illicite.
Il convient de regretter que ce point de vue inadmissible et jusqu’à présent isolé ait été récemment conforté, au moins dans sa lettre, par le Conseil constitutionnel encore que la décision rendue soit moins claire, au fond. Dans une décision concernant les articles 37 et 39 de la loi du 6 décembre 2013 qui autorisent les administrations fiscales et douanières à exploiter toutes les informations qui leur parviennent, même si elles sont d’origine illicite, le Conseil a formulé une réserve d’interprétation disant que cette possibilité ne sera pas ouverte quand les pièces ou documents concernés auront été obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions ultérieurement déclarées illégales par le juge. Puisque l’on condamne la preuve déloyale obtenue par une autorité publique, cela semble confirmer que la fraude commise par un particulier est considérée comme normale du point de vue probatoire. Mais d’un autre côté, la même décision a annulé les articles 38 et 40 de la même loi qui autorisaient les mêmes administrations à se prévaloir de documents illicites pour solliciter du juge un droit de perquisition sans distinguer selon que l’origine illicite était imputable à l’administration ou à un particulier. Il n’est donc pas aussi évident que cela que cette décision ait la même portée que celle de la Chambre criminelle, mais la question reste incertaine.

La comparution des personnes jugées.

Sur une question voisine, la Chambre criminelle vient de franchir une étape supplémentaire.

Le jugement en France d’une personne qui ne s’y trouve pas ne peut intervenir, à l’initiative des pouvoirs publics, autrement que sous forme d’une procédure par défaut, si le prévenu ou l’accusé ou bien n’est pas venu spontanément dans le pays, ou bien n’a pas été remis au résultat de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen ou d’une procédure d’extradition. Or il vient d’être jugé qu’il est loisible à une partie civile d’obtenir le jugement en France d’une personne qu’elle a fait arrêter et détenir illégalement depuis l’étranger par des hommes de main.
Il y avait eu, certes, quelques précédents mais soit en matière d’atteinte à la sureté de l’État, soit de crimes contre l’humanité, ce qui peut expliquer à défaut de justifier. En outre et dans tous ces cas, on ne savait pas avec une parfaite précision comment et par qui les personnes retrouvées en France dans des conditions bizarres y étaient revenues et l’on ne s’était pas donné grand mal pour essayer de le savoir.
Cette fois-ci nous sommes en présence d’une infraction de droit commun et l’arrestation illégale est revendiquée par celui qui l’a organisée, d’ailleurs poursuivi pour cela mais condamné à une peine tellement ridicule, eu égard à la gravité objective des faits, que la Justice ne s’est pas couverte de gloire en la prononçant.

On ne peut donc qu’être surpris de lire dans l’arrêt de la Chambre criminelle que « l’exercice de l’action publique et l’application de la loi pénale à l’égard d’une personne se trouvant à l’étranger ne sont pas subordonnés à son retour volontaire en France, à la mise en œuvre d’une procédure d’extradition ou à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen…(que) les conditions dans lesquelles cette personne a été enlevée, transportée sur le territoire national et livrée à la justice n’apparaissent pas imputables, directement ou indirectement, aux autorités françaises, (qu’)enfin, le demandeur, ayant fait l’objet d’un mandat d’arrêt, a pu bénéficier de l’assistance d’un avocat, être immédiatement présenté au juge des libertés et de la détention, auquel il a fait valoir ses moyens de défense, puis a été mis en mesure d’exercer l’ensemble de ses droits à chaque étape de la procédure ».
On est, en effet, nécessairement amené à se demander à quoi peuvent bien servir les procédures des mandats d’arrêts européens et d’extradition si leur utilisation est facultative et n’a pour effet que de gêner l’exercice de la justice par les pouvoirs publics laissant les particuliers libres de faire arrêter et détenir n’importe qui dans n’importe quelles conditions.

Mais il y a pire. Alors que la France est enfermée dans un processus de construction d’une justice européenne l’amenant à entériner nombre de décisions ou de directives européennes pourtant en parfaite contradiction avec nos principes fondamentaux en la matière, cette affaire l’amène à nier toute espèce d’autorité à plusieurs décisions rendues en Allemagne, en Autriche et même par la Cour européenne des droits de l’homme. La position de la Chambre criminelle, sur ce point, que certains qualifieraient de « juridisme », ce que nous ne ferons pas, attachée que nous sommes à la régularité de la procédure, reste inattaquable. Aucune des décisions visées n’avait l’autorité de la chose jugée et les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme n’ont aucun effet direct sur les juridictions des pays signataires de la Convention. Mais cette position n’en est pas moins incohérente : comment justifier la recherche d’une construction unitaire avec des pays voisins si l’on pose en principe que leur attitude en matière pénale et l’application des conventions que l’on a signées ensemble, ne vaut pas d’être considérée ?

 

Il est grand temps d’intervenir pour rappeler que la justice pénale est et ne peut être qu’une affaire d’État et ne peut, dans une démocratie, que se dérouler d’une manière loyale. Si la victime est admise à la procédure en vertu d’une longue tradition historique, elle ne peut en perturber le cours dans son intérêt propre en commettant des atteintes évidentes à la loyauté indispensable de ce procès.